Prévention de l'agression sexuelle

Le recours à une approche de santé publique pour prévenir les agressions sexuelles plaide en faveur d’une priorisation de stratégies de prévention primaire et universelle, visant l’ensemble de la population avant que la violence ne survienne, indépendamment du risque présenté. Cela inclut aussi la modification de conditions de l’environnement qui favorisent l’agression sexuelle [88]. S’appuyant sur les recommandations de prévention formulées par différentes organisations et différents auteurs, mais également sur la base des connaissances en matière d’agression sexuelle, la prévention primaire des agressions sexuelles devrait : 1) s’inscrire en amont, par le recours à des interventions précoces et l’amélioration des conditions de vie des familles; 2) faire la promotion de normes sociales favorisant la non-tolérance des agressions sexuelles; 3) favoriser le développement d’habiletés pour prévenir les agressions sexuelles; et 4) favoriser la création de milieux de vie sécuritaires [2,88,89]. Ces actions réfèrent à une large gamme de stratégies qui devraient être implantées de manière complémentaire selon différents niveaux d’intervention. Au Québec, la Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles, publiée en 2016 par le gouvernement du Québec, prévoit différents objectifs et actions à déployer qui rejoignent plusieurs de ces stratégies de prévention [5].

Nécessité d’intervenir en amont

Par des interventions précoces

La mise en place d’interventions qui agissent précocement dans la trajectoire de vie avant que le problème n’apparaisse, en ciblant notamment les jeunes, fait partie des principes de base en prévention de la violence [90], et s’avère aussi cruciale pour prévenir les agressions sexuelles [91]. En effet, les enfants et les adolescents constituent la majorité des victimes d’agression sexuelle, et les jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans représentent le groupe d’âge le plus à risque d’agression sexuelle chez les adultes [1]. De plus, les mineurs sont responsables d’un nombre important d’agressions sexuelles. Plusieurs agresseurs sexuels adultes ont par ailleurs affirmé avoir commis leur premier délit à l’adolescence (entre 50 % et 80 % selon les études), montrant l’importance d’intervenir précocement pour prévenir les agressions sexuelles [92].

La prévention en matière d’agression sexuelle devrait consister notamment à éliminer ou à réduire les facteurs de risque modifiables qui ont été le plus associés à la perpétration, et ce, à la période développementale la plus appropriée pour agir sur ces facteurs [36,93]. Or, plusieurs des facteurs individuels associés à l’agression sexuelle sont liés à l’enfance et à la famille d’origine (ex. : mauvais traitements, santé mentale maternelle), et plusieurs facteurs de risque à l’âge adulte (ex. : troubles des conduites, personnalité antisociale, problèmes intériorisés, faibles habiletés sociales et émotionnelles) prennent eux-mêmes racine dans l’enfance. Ainsi, puisque le fait d’avoir vécu des mauvais traitements dans l’enfance a été associé à un risque plus grand de commettre des agressions sexuelles et d’en être victime, les experts supposent que les programmes de prévention des mauvais traitements et de la négligence envers les enfants ont le potentiel de prévenir l’agression sexuelle (voir le chapitre 2). Ces programmes consistent principalement en des visites à domicile et des interventions destinées aux parents pour augmenter leurs compétences parentales. Même si ce type de programme compte parmi les stratégies les plus prometteuses pour prévenir les mauvais traitements, ils n’ont cependant pas fait l’objet d’évaluation quant à leur efficacité à prévenir à long terme le fait de commettre ou de subir une agression sexuelle [2].

Par des changements sociaux

Différents facteurs d’ordre économique et social sont associés à l’agression sexuelle, notamment parce qu’ils ont une influence sur le développement de conditions et de contextes qui ont été identifiés comme des facteurs de risque de commettre ou de subir l’agression sexuelle. Dans une perspective de prévention, ces facteurs doivent être contrés par la mise en place d’initiatives et de politiques publiques. Ainsi, les politiques et les programmes qui fournissent aux femmes et aux filles la possibilité d’améliorer leur situation relativement à leur éducation, à leur employabilité et à leur revenu ont montré leur efficacité à contrer des facteurs de risque associés aux agressions sexuelles, comme l’inégalité des genres, et peuvent donc réduire les risques d’agression sexuelle [89]. Ces politiques concernent notamment l’accès à des services de garde abordables et de qualité pour les parents qui travaillent, des congés familiaux et médicaux payés, ou des prestations de maternité qui sont favorables à la fois au maintien en emploi des femmes et à un retour au travail plus tardif après un congé de maternité.

De plus, les actions visant à soutenir les familles par l’amélioration de leurs conditions de vie sont des mesures favorables au développement des enfants, et s’inscrivent dans des stratégies de prévention qui sont susceptibles de réduire précocement des facteurs de risque de l’agression sexuelle. Bien que ces politiques favorables aux familles et au développement des enfants n’aient pas directement été associées à la diminution de la prévalence des agressions sexuelles, les données suggèrent qu’elles peuvent contribuer à la sécurité économique des femmes et des familles, et favoriser le bien-être psychologique des mères et des enfants, ce qui peut être protecteur en matière d’agression sexuelle [89]. Dans leur recension des écrits, Kloppen et ses collaborateurs identifient un déclin de la prévalence autorapportée de l’agression sexuelle intrafamiliale dans les pays scandinaves dans les 20 dernières années, qu’ils expliquent par les caractéristiques sociales, culturelles et socio-économiques propres à ces pays (ex. : faible taux de pauvreté, faibles inégalités de revenus, niveau d’éducation général plus élevé, etc.). Selon les auteurs, la mise en place de politiques d’intervention précoce et une plus grande sensibilisation face aux agressions sexuelles dans la population générale expliqueraient ce déclin. Des services de santé publique continus destinés aux mères et aux jeunes enfants, et un réseau public étendu de services de garde de qualité pour les enfants d’âge préscolaire peuvent, selon ces auteurs, réduire l’isolement des familles et favoriser l’identification des familles à risque [94].

Promouvoir des normes sociales favorisant la non-tolérance des agressions sexuelles et de rapports inégaux entre les hommes et les femmes

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les initiatives axées sur la transformation des normes sociales qui cautionnent la violence sexuelle sont un élément fondamental de la prévention de cette forme de violence [2]. Les normes sociales et culturelles renvoient aux règles et comportements attendus au sein d’un groupe social, et vont définir ce qui est acceptable ou non concernant un phénomène comme les agressions sexuelles, mais vont aussi influencer la perception de la société et la manière dont elle y répond [2]. Les normes sociales soutenant l’agression sexuelle réfèrent en quelque sorte à ce que certains groupes ont qualifié de « culture du viol », en faisant référence à des attitudes, des comportements et des pratiques qui vont banaliser, normaliser ou tolérer l’agression sexuelle, et qui peuvent se refléter dans différents environnements sociaux (famille, travail, communauté), dans les médias, dans le système judiciaire ou sur le plan politique [3,4]. Ainsi, les normes sociales propices à l’agression sexuelle et aux rapports inégaux entre les hommes et les femmes, ainsi que l’adhésion d’individus, de sous-groupes ou de toute la société à des mythes et des préjugés sur l’agression sexuelle sont des conditions sociétales favorisant les agressions sexuelles qu’il faut contrer. Ce faisant, on favorisera une meilleure reconnaissance du phénomène, en plus d’instaurer un climat de non-tolérance et de dénonciation des agressions sexuelles, et d’offrir un meilleur soutien aux victimes. Les principales mesures permettant d’influencer les normes sociales relatives aux agressions sexuelles et à l’égalité entre les hommes et les femmes devraient viser l’ensemble de la population en : 1) incluant des campagnes de sensibilisation; 2) ciblant les médias qui sont une des voies d’influence importantes des normes sociales; 3) visant les témoins potentiels d’agression sexuelle; et 4) formant différents acteurs appelés à intervenir en matière d’agression sexuelle.

Campagnes de sensibilisation

Les campagnes visant spécifiquement les jeunes hommes et les adolescents dans le but d’encourager des normes positives concernant le genre, la masculinité et la violence permettent d’inclure les hommes et les adolescents comme des alliés dans la prévention des agressions sexuelles et dans le soutien des victimes, et montrent un potentiel à modifier des normes propices aux agressions sexuelles et aux rapports inégaux de genre [2,89]. Aussi, les messages devraient favoriser le dévoilement et la dénonciation précoces des agressions sexuelles, mais en allant au-delà du message de briser le silence pour les victimes, et ce, en déresponsabilisant la victime, en ciblant l’ensemble des barrières personnelles et sociales qui entravent la divulgation (ex. : la minimisation de l’agression sexuelle ou la peur de ne pas être cru) [7,95], et en offrant des pistes concrètes aux victimes et aux personnes susceptibles de recevoir des confidences ou qui ont des soupçons [95,96]. Enfin, la plus grande réticence des garçons et des hommes à dévoiler une victimisation sexuelle et à solliciter de l’aide devrait aussi être abordée dans les campagnes de sensibilisation [96].

Médias

Les médias sont la source principale d’information sur la criminalité et les agressions sexuelles pour la majorité de la population [97]. Considérés comme jouant un rôle important dans le façonnement des normes sociales, les médias – par leur couverture médiatique des crimes, dont les agressions sexuelles – influenceraient les connaissances, les croyances, les attitudes et les comportements de la population face à ces phénomènes [2,98–100]. En traitant dans les médias d’une diversité d’événements liés aux agressions sexuelles, on peut contribuer à mieux faire comprendre ce qu’est une agression sexuelle et à faire ressortir son caractère inacceptable. Compte tenu du rôle que jouent les médias dans la compréhension de ce problème, il est important d’y retrouver une information objective, exempte de préjugé et de sensationnalisme, d’y présenter des articles de fond qui traitent des causes sous-jacentes et des conséquences individuelles et sociales des agressions sexuelles [101]. En parlant de l’aide, de la protection des victimes et des ressources disponibles, les médias incitent les victimes, les agresseurs ou les agresseurs potentiels et l’entourage à faire appel aux ressources d’aide. Ils contribuent ainsi à briser la croyance voulant que l’agression sexuelle soit un problème individuel et privé qui ne doit être géré que par les personnes impliquées [101]. Ces pratiques journalistiques doivent être encouragées dans la formation initiale et continue des professionnels, et soutenues par des ressources comme des trousses destinées à l’intention des médias [13]. 

La réponse aux victimes comme stratégie de prévention

La victimisation sexuelle dans l’enfance et l’exposition à d’autres traumatismes sont associées à une augmentation du risque de subir et de commettre ultérieurement l’agression sexuelle. La réponse aux besoins des victimes par un accès à des services thérapeutiques efficaces permet de réduire les conséquences psychologiques et comportementales négatives des agressions sexuelles. Cette réponse peut contribuer à long terme à réduire la prévalence des agressions sexuelles, et constitue ainsi une mesure de prévention primaire de l’agression sexuelle. En outre, elle constitue aussi une stratégie de prévention des agressions sexuelles en démontrant que la société prend cette problématique au sérieux, et en contribuant à diminuer la tolérance sociale relativement aux agressions sexuelles [89].

Témoins potentiels (ou témoins actifs)

Différents programmes ont été mis sur pied pour viser les témoins potentiels d’agression sexuelle (bystander approaches) dans le but d’encourager les individus à promouvoir des normes sociales qui permettent de contrer les agressions sexuelles [89]. Ces programmes, principalement implantés et évalués en milieu scolaire secondaire et postsecondaire, mais aussi auprès d’équipes sportives [102] ou de personnel militaire [103], visent à inciter les individus à exercer dans leur milieu un leadership en matière de prévention des agressions sexuelles. Ils ont pour objectifs de réduire le problème en développant les compétences et la détermination des témoins à adopter des comportements permettant de détecter les situations à risque, de reconnaître les gestes d’agression sexuelle, et d’intervenir de manière sécuritaire et efficace pour venir en aide à une victime ou à une victime potentielle. Ces programmes visent en outre à adopter des réactions adéquates et à soutenir les pairs lors d’un dévoilement d’une agression sexuelle. L’implantation de ce type de programme fait d’ailleurs partie des recommandations du rapport ESSIMU documentant les violences sexuelles en milieu universitaire au Québec [31].

Des études évaluatives montrent que des programmes comme Bringing in the Bystander et Green Dot réduisent chez les jeunes leur acceptation de la violence, et augmentent leur volonté et leur capacité d’intervenir dans leurs groupes de pairs pour s’opposer au langage sexiste ou à des comportements à risque d’agression sexuelle. Ils améliorent également leur capacité à offrir de l’aide ou du soutien dans des situations d’agression sexuelle potentielle ou avérée [104–106]. Ces programmes peuvent contribuer à réduire des croyances favorisant la violence sexuelle [107–109], et à accroître les sentiments d’efficacité pour s’engager dans des comportements de témoins actifs [104,107]. Des évaluations du programme Green Dot13 auprès d’étudiants collégiens américains ont montré que ce programme permettait de réduire significativement la victimisation et la perpétration de violence auprès des étudiants des campus où le programme était implanté, particulièrement en matière de harcèlement sexuel et de victimisation sexuelle [105,106].

Formation des professionnels

Les normes sociales propices aux agressions sexuelles et aux rapports inégaux entre les hommes et les femmes ont le potentiel d’être soutenues par des individus qui sont appelés à intervenir en matière d’agression sexuelle, suggérant la recommandation de formations initiales et continues adéquates en matière d’agression sexuelle auprès de ces acteurs [93,110]. Cette recommandation concerne notamment les différents intervenants impliqués sur le plan judiciaire (policiers, enquêteurs, avocats, juges). Le Comité permanent de la condition féminine (2017) recommande d’ailleurs la mise en place de formations obligatoires pour tous les agents d’application de la loi, les procureurs et le personnel de la Couronne, et les membres de l’ordre judiciaire sous réglementation provinciale. Ces formations valoriseraient une culture du consentement et enseigneraient aux corps policiers et aux fonctionnaires de justice comment traiter adéquatement les signalements d’agression sexuelle [111].

De plus, les intervenants psychosociaux sont des acteurs clés de la prévention et du dépistage des agressions sexuelles, particulièrement en ce qui concerne les mineurs, car ils jouent un rôle dans l’éducation à la sexualité, la promotion de comportements égalitaires, et sont les premiers observateurs de comportements inhabituels ou d’indices d’agression sexuelle [112]. Par exemple, les intervenants psychosociaux sont ceux qui procèdent le plus à des signalements d’agression sexuelle aux autorités [113]. Ce constat plaide pour une formation de l’ensemble de ces intervenants afin qu’ils constituent des acteurs favorisant une reconnaissance des agressions sexuelles, qu’ils soutiennent un climat de non-tolérance et de dénonciation des agressions sexuelles, et qu’ils assurent le soutien et l’accompagnement adéquat des victimes [113].

Prévention de la récidive des auteurs d’agression sexuelle

Plusieurs mesures visant à prévenir la récidive auprès d’agresseurs sexuels connus des autorités par le monitorage des délinquants sexuels ont cours au Québec, au Canada et aux États-Unis (ex. : registres, vérification des antécédents judiciaires, mise en place de sentences d’incarcération plus longues) [13]. Ces mesures, même si elles ont l’avantage de refléter le caractère inacceptable des agressions sexuelles dans la société, s’appuient sur la croyance que la majorité des agresseurs sexuels récidivent, ce qui n’est pas soutenu par la recherche [114]. De plus, jusqu’à maintenant, les lois visant l’enregistrement des délinquants sexuels ne se sont pas montrées efficaces aux États-Unis contre la récidive des délinquants sexuels, montrant les limites de ces approches.

Favoriser le développement de connaissances et d’habiletés individuelles pour prévenir les agressions sexuelles

Les stratégies visant le développement de connaissances et d’habiletés auprès des jeunes – et parfois de leurs parents – sont parmi les plus implantées, et permettent de cibler des facteurs de risque et de protection individuels de l’agression sexuelle auprès de victimes et d’agresseurs potentiels. Ces stratégies incluent : 1) des programmes axés sur le développement d’habiletés sociales et émotionnelles; 2) des programmes permettant le développement d’habiletés favorables à des relations amoureuses et sexuelles égalitaires et saines; 3) de l’éducation à la sexualité; et 4) des programmes éducatifs visant à réduire la vulnérabilité des individus face à l’agression sexuelle. Ces stratégies peuvent en outre permettre de réduire différentes formes de victimisation qui ont été associées à l’agression sexuelle (ex. : intimidation, harcèlement sexuel, violence dans les fréquentations amoureuses à l’adolescence), mais aussi de réduire les facteurs de risque associés à la perpétration de l’agression sexuelle et à la victimisation sexuelle [89]. Le constat qui se dégage toutefois de ces programmes est qu’ils sont actuellement implantés sous forme de programmes courts et en milieu scolaire seulement [115]. Les résultats d’évaluation d’efficacité de ces programmes plaident en faveur d’une consolidation de la prévention universelle des agressions sexuelles par des approches intégrées et multifactorielles qui viseraient le développement de plusieurs habiletés et connaissances auprès des individus et qui, en plus de cibler les jeunes, cibleraient les environnements dans lesquels ils évoluent, et ce, tout au cours de leur développement [96].

Développement d’habiletés sociales et émotionnelles chez les jeunes

Les programmes implantés en milieu scolaire pour favoriser le développement des habiletés sociales et émotionnelles des jeunes visent à contrer l’apparition de facteurs de risque individuels qui ont été associés au développement de problèmes de conduite et au fait de perpétrer de la violence, tels l’impulsivité, le manque d’empathie, les difficultés de résolution de conflits et de faibles compétences sociales [2,89]. Même si, dans l’ensemble, l’efficacité à prévenir les comportements d’agression sexuelle à l’adolescence ou plus tard dans la vie de ce type de programme a été peu démontrée [2], des recherches récentes concernant l’efficacité du programme Second Step: Student Success through Prevention montrent une diminution de la violence sexuelle verbale et physique perpétrée auprès d’étudiants de niveau secondaire (middle schools) [116].

Développement d’habiletés favorables à des relations amoureuses et sexuelles égalitaires et saines

Des programmes reconnus efficaces sont aussi offerts aux adolescents du secondaire pour faire la promotion de relations égalitaires entre les hommes et les femmes, et la prévention de la violence dans les relations amoureuses des jeunes, dont l’agression sexuelle. Au Québec, ces programmes sont Jeunes en action contre la violence sexuelle (J’AVISE) [117] et le programme Prévention de la violence dans les relations amoureuses des jeunes (ViRAJ) [118] (voir chapitre 4). Deux programmes de prévention universelle de la violence dans les fréquentations amoureuses destinés aux élèves du secondaire ont montré leur efficacité pour réduire les comportements de harcèlement et d’agression de nature sexuelle [119], soit le Safe Dates [120] et le Shifting Boundaries [121,122].

D’autres programmes destinés aux adolescents sont implantés pour faire la prévention spécifiquement de l’agression sexuelle. En général, ces programmes visent à améliorer les connaissances des jeunes, à modifier leurs attitudes et comportements relativement aux agressions sexuelles, et à modifier leurs habiletés à cerner une situation d’agression sexuelle, et leurs évaluations montrent des résultats divergents en matière d’efficacité [115]. Au Québec, le programme de sensibilisation et de prévention de l’agression sexuelle de l’organisme Viol-Secours est le seul à porter spécifiquement sur la prévention de l’agression sexuelle. Les résultats de son évaluation ont notamment montré une meilleure connaissance chez les participants des ressources en cas d’agression sexuelle, mais aussi une amélioration de leurs attitudes et de leurs habiletés à reconnaître une agression sexuelle et à répondre à un dévoilement [123].

Éducation à la sexualité

Les programmes d’éducation à la sexualité ciblent la communication, le respect et le consentement en matière de sexualité [89]. Bien que ces approches ciblent l’amélioration de l’état de santé sexuelle, ils peuvent également entraîner une diminution du risque d’agression sexuelle en raison des impacts sur les facteurs de risque partagés avec l’agression sexuelle. Les programmes d’éducation sexuelle complets réduiraient les comportements sexuels à haut risque, soit un facteur de risque clairement associé à la fois à la perpétration de l’agression sexuelle et à la victimisation sexuelle [36]. Par ailleurs, dans une perspective de prévention de l’agression sexuelle, l’éducation à la sexualité devrait être offerte précocement au plus grand nombre d’élèves, et ainsi faire partie intégrante de la formation des enfants tout au long de leur parcours académique, plutôt qu’être offerte dans le cadre de programmes spécifiques offerts de manière ponctuelle et non harmonisée [93].

Programmes éducatifs visant à réduire la vulnérabilité face à l’agression sexuelle

En matière de prévention primaire des agressions sexuelles envers les mineurs, des programmes éducatifs universels généralement offerts dans les écoles visent également les victimes potentielles d’agression sexuelle, et plus particulièrement les enfants d’âge scolaire primaire [123]. La majorité de ces programmes de prévention des agressions sexuelles s’inscrivent dans des stratégies de prévention individuelle et visent à augmenter les connaissances des jeunes, leur conscience et leurs habiletés de protection. Au Québec, le programme Espace – implanté dans plusieurs écoles primaires – a fait l’objet de différentes évaluations [112]. Jusqu’à maintenant, les programmes évalués auprès des enfants en milieu scolaire primaire ont montré une efficacité pour augmenter le niveau de connaissances des enfants et leur capacité de s’affirmer, ainsi que pour dévoiler une agression sexuelle [2,112]. Toutefois, la plupart des évaluations de ces programmes n’ont pas évalué leur efficacité à réduire les agressions sexuelles subies par les enfants qui ont suivi le programme, et celles qui l’ont fait n’ont pu démontrer que ces programmes réduisent l’incidence des agressions sexuelles.

Concernant les adultes, une chercheuse a développé un programme de résistance face à l’agression sexuelle, destiné aux jeunes femmes (EAAA Sexual Assault Resistance Program for Women Students). Cette intervention vise à réduire l’incidence de la victimisation sexuelle en diminuant la probabilité que de jeunes femmes en contact avec un homme exerçant de la coercition en arrivent à subir une agression sexuelle complète, notamment en favorisant la reconnaissance des situations à risque et par l’apprentissage de stratégies de résistance. Une évaluation rigoureuse du programme implanté auprès d’étudiantes de première année universitaire au Canada a montré une réduction significative du risque de différentes formes de violence sexuelle, incluant l’agression sexuelle et la tentative d’agression sexuelle, sur une période de suivi d’un an [124].

Ce type de programme basé sur la résistance et la protection personnelle des enfants et des femmes fait encore l’objet de critiques en raison de la responsabilité de la prévention des agressions sexuelles qui repose sur les victimes potentielles plutôt que sur les agresseurs et l’entourage [110]. La plupart des experts s’entendent sur le fait que les enfants et les femmes ne peuvent assumer seuls la responsabilité de prévenir les agressions sexuelles, puisque la responsabilité des agressions sexuelles doit avant tout reposer sur les individus qui les commettent et sur l’ensemble de la population [93].

Favoriser des milieux de vie sécuritaires

La création de milieux de vie sécuritaires est une étape nécessaire vers la réduction des agressions sexuelles dans la population, et s’inscrit comme une stratégie de prévention à un niveau communautaire [89,93,110]. Les communautés peuvent inclure toute population définie ayant des caractéristiques et des environnements partagés, comme les écoles et institutions d’enseignement, les quartiers, les villes, les organisations (milieux de travail, organisations sportives ou de loisirs) ou les établissements. De telles approches peuvent impliquer, par exemple, des changements aux politiques, aux structures institutionnelles ou à l’environnement physique afin de réduire les facteurs de risque et d’accroître les facteurs de protection dans l’ensemble de la communauté.

Les données actuelles suggèrent quatre approches prometteuses pour créer des milieux de vie sécuritaires face aux agressions sexuelles, soit : 1) l’amélioration de la sécurité dans les institutions d’enseignement [89,122]; 2) l’établissement et l’application de politiques dans les milieux de travail [89]; 3) la modification de facteurs de risque dans la communauté [89,125]; et 4) la prévention situationnelle dans les organisations de services pour les jeunes [88].

L’amélioration de la sécurité dans les institutions d’enseignement

Différentes mesures liées à la modification des caractéristiques physiques et sociales peuvent être prises dans les milieux scolaires pour améliorer la sécurité et la surveillance, et ainsi réduire les agressions sexuelles. L’examen et le réaménagement de lieux et d’espaces où les élèves ou étudiants se sentent moins en sécurité et l’identification de membres du personnel qui peuvent venir en aide aux étudiants dans des situations de vulnérabilité permettent notamment de favoriser le sentiment de sécurité et de créer une atmosphère d’intolérance au harcèlement et aux agressions à caractère sexuel [89]. Ce type d’initiatives peut s’implanter dans l’ensemble des établissements d’enseignement, des milieux secondaires aux collèges et universités, et elles peuvent être mises en œuvre en complémentarité avec d’autres efforts visant à éduquer, enseigner ou changer les normes sociales liées aux agressions sexuelles [89].           

L’intervention Shifting Boundaries est un exemple d’une intervention en milieu scolaire qui implique : (a) la révision des protocoles pour identifier et répondre aux situations de violence dans les fréquentations amoureuses et de harcèlement sexuel; (b) le recours à des ordonnances temporaires de restriction des contacts entre les victimes et les auteurs d’agression sexuelle; (c) une campagne de sensibilisation par affichage; et (d) l’augmentation de la surveillance par le personnel de l’établissement des lieux physiques identifiés comme plus à risque (« points chauds ») par les étudiants. La recherche a révélé que la modification de l’environnement physique des écoles pour accroître la surveillance dans les zones perçues comme dangereuses peut avoir un impact bénéfique sur la prévalence du harcèlement sexuel et d’autres formes de violence sexuelle chez les étudiants [119].

L’établissement et l’application de politiques dans les milieux de travail

Les politiques en milieu de travail visent à contrer les facteurs de risque de l’agression sexuelle et à créer des climats organisationnels sains. Ces politiques sont conçues pour aider les employés et les gestionnaires à savoir ce qui est attendu d’eux relativement au respect de normes de comportement, et peuvent ainsi prévenir l’intimidation et le harcèlement sexuel au travail [89]. Le harcèlement sexuel est une forme de violence sexuelle et crée des conditions qui sont favorables à l’agression sexuelle. Selon Basile et ses collaborateurs (2016), les facteurs de risque d’ordre individuel peuvent ainsi être atténués par un changement de culture organisationnelle et une intolérance au harcèlement sexuel. Ce type d’intervention nécessite l’engagement de la haute direction pour une culture de tolérance zéro. Ces politiques doivent comprendre de l’information pour les postulants et les nouveaux employés sur le principe de la tolérance zéro, des évaluations organisationnelles régulières et une offre de formation spécifique [89].

La modification de facteurs de risque communautaires

Ce type de stratégies aborde des aspects du voisinage et d’autres contextes communautaires pour diminuer les probabilités qu’une agression sexuelle survienne, notamment en modifiant, en adoptant ou en appliquant des lois, des règlements ou des politiques organisationnelles, ou en modifiant l’environnement physique, ou encore en proposant des incitatifs économiques ou sociaux [89]. La recherche suggère notamment que la mise en place de politiques liées à l’accès à l’alcool peut réduire les risques d’agression sexuelle dans la communauté [126]. La consommation excessive d’alcool interagit avec d’autres facteurs de risque individuels et communautaires pour augmenter le risque d’agression sexuelle. L’emplacement et la concentration des points de vente d’alcool dans une communauté peuvent avoir un impact négatif sur les caractéristiques de la communauté, y compris la sécurité perçue et les liens sociaux entre les individus, ce qui peut aussi influencer les taux de violence dans une communauté, dont l’agression sexuelle [89]. Les preuves les plus solides concernant les politiques en matière d’alcool comme stratégie de prévention des agressions sexuelles réfèrent aux approches qui visent à réduire la consommation excessive d’alcool par une augmentation des prix ou la réduction de la densité des points de vente au sein d’une communauté [126].

La valorisation de la prévention dans les organisations offrant des services pour les jeunes

D’autres stratégies agissant au niveau communautaire peuvent contribuer à réduire les agressions sexuelles, en particulier chez les jeunes. Ces stratégies, qui s’appuient sur la prévention situationnelle, peuvent inclure la vérification des antécédents judiciaires des personnes travaillant auprès des mineurs, ou la limitation des occasions de contacts non supervisés entre un adulte et un mineur dans les services, institutions et organisations de loisirs [88,127]. Ces stratégies demeurent à ce jour de l’ordre des recommandations, puisqu’elles n’ont pas fait l’objet d’évaluation d’efficacité rigoureuse.

Tableau 10 - Exemples d’application de mesures de prévention situationnelle dans les organisations de services pour les jeunes

Mesures de prévention situationnelle dans les organisations de services pour les jeunes

  • Filtrage, sélection et vérification des antécédents judiciaires des personnes travaillant auprès d’une clientèle mineure.
  • Réduction des occasions de contacts non supervisés entre un adulte et un mineur dans les services, institutions et organisations de loisirs.
  • Encadrement des contacts physiques entre les employés/bénévoles et les mineurs dans les services aux jeunes.
  • Mise en place et application d’un protocole définissant les comportements inappropriés ou la « violation » des frontières entre les employés / bénévoles et les mineurs dans les services aux jeunes.
  • Supervision et encadrement des contextes à risque entre mineurs dans les milieux de vie (institutions, camps de vacances, activités sportives).
  •  Facilitation des dévoilements et dénonciations anonymes de situations ambiguës ou abusives dans les organisations et services pour les jeunes.
  • Aménagement d’environnements physiques sécuritaires et surveillés.

En conclusion, il appert qu’une bonne partie des données dont on dispose pour estimer l’ampleur des agressions sexuelles au sein de la population québécoise concernent les situations rapportées aux autorités, ce qui correspond à une minorité de toutes les situations d’agression sexuelle, étant donné la faible dénonciation qui caractérise ce type de crimes et la proportion de cas jugés non fondés. L’absence d’étude populationnelle récente sur la prévalence des Québécoises et des Québécois ayant été victimes d’agression sexuelle au cours de leur vie, ainsi que le peu d’informations documentant les caractéristiques détaillées des agressions sexuelles et les contextes dans lesquels elles surviennent dans les enquêtes populationnelles existantes sur la prévalence des agressions sexuelles dans l’enfance restreint le portrait que l’on peut brosser du phénomène dans la population québécoise. Quelle que soit la source de ces données, on peut tout de même conclure que les agressions sexuelles au Québec touchent un nombre important d’enfants, le plus souvent des filles, ainsi que de jeunes femmes. L’agression sexuelle, peu importe l’âge auquel elle est subie, est susceptible d’entraîner des conséquences physiques, mais surtout psychologiques chez les victimes. Ces conséquences peuvent perdurer dans le temps et affecter la santé physique et mentale, ainsi que l’adaptation dans la vie relationnelle, conjugale et parentale. Lorsqu'elle est vécue dans l’enfance, dans une période de développement sur le plan neurologique et dans laquelle l’enfant est appelé à construire son sentiment de sécurité et sa vision du monde et des relations, l’agression sexuelle semble constituer un risque d’entrave majeure à l’adaptation des victimes à court et à long termes. L’ampleur du problème des agressions sexuelles et ses conséquences sur les victimes, leur entourage et toute la société justifient le déploiement d’efforts pour prévenir cette violence en agissant sur les facteurs de risque. Ceux-ci ont cours à différentes étapes de développement dans la trajectoire de vie des personnes et concernent plusieurs sphères d’influence. On constate à l’heure actuelle que les principales stratégies de prévention de l’agression sexuelle ciblent surtout les personnes impliquées dans les agressions sexuelles (victimes, agresseurs et témoins potentiels), tandis que les interventions permettant de provoquer des changements sociétaux sont moins fréquentes. Or, les agressions sexuelles sont un problème de santé publique qui ne résulte pas uniquement de comportements individuels. Ils sont également le résultat des normes et des valeurs d’une société face aux comportements sexuels. Pourtant, force est de constater que malgré l’importance d’agir au niveau communautaire et sociétal, peu d’initiatives préventives visant les facteurs de ces niveaux existent au Québec, et aucune n’a fait l’objet d’évaluation de son efficacité. Un enjeu actuel concerne le fait que les connaissances quant à l’efficacité de plusieurs stratégies de prévention des agressions sexuelles demeurent encore insuffisantes. Toutefois, l’Organisation mondiale de la santé précise que la violence, incluant les agressions sexuelles, est un problème trop urgent pour que l’on retarde des interventions préventives en attendant d’avoir acquis des connaissances parfaites [2].