Introduction

De par leur ampleur et leurs conséquences sur les victimes et la société, les agressions sexuelles constituent un problème social et de santé publique qui concerne toute la population. Les femmes, les jeunes adultes et les enfants demeurent les personnes les plus touchées par les agressions sexuelles [1]. Les conséquences qui peuvent faire suite à une agression sexuelle sont multiples, et peuvent perdurer tout au cours de la vie et se poursuivre à travers les générations, avec des effets néfastes sur la santé physique et mentale. Les agressions sexuelles peuvent aussi avoir des répercussions sur l’éducation, l’emploi, la criminalité et la condition économique des personnes qui en sont victimes, de leur famille, des communautés et des sociétés [2].

Dans les dernières années, une forte médiatisation au Québec et au Canada de différentes situations d’agressions sexuelles a engendré un mouvement social dans lequel cette forme de violence a fait l’objet d’un débat public sans précédent. Que ce soit des accusations d’agression sexuelle dans les Forces armées canadiennes, des plaintes pour agressions sexuelles en milieu universitaire, ou encore la révélation d’agressions sexuelles commises ou subies par des personnalités connues du public, la mise au jour de ces faits a eu un grand retentissement auprès du public. Ainsi, par des mouvements collectifs de dénonciation publique sur les réseaux sociaux, des groupes se sont mobilisés et ont condamné la « culture du viol1 ». Par ailleurs, une série d’actions gouvernementales ont cours depuis une quinzaine d’années au Québec; entre autres, l’adoption en 2001 des premières Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle, dont la mise en œuvre s’est effectuée par l’entremise de deux plans d’action quinquennaux. Plus récemment, le gouvernement du Québec a publié une stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles [5], et des journées de réflexion menées avec des acteurs des milieux collégiaux et universitaires ont culminé par le dépôt d’une stratégie gouvernementale d’intervention pour prévenir et contrer les violences sexuelles en enseignement supérieur [6].

S’il est trop tôt pour observer les répercussions de ce mouvement récent, force est de constater que malgré les efforts déployés pour la combattre, et contrairement aux autres formes de victimisation criminelle pour lesquelles la prévalence semble diminuer, l’agression sexuelle est un crime dont la prévalence est relativement stable dans le temps, particulièrement chez les adultes, et pour lequel les dénonciations sont les plus faibles [7,8].

Les formes que peuvent prendre les agressions sexuelles et les contextes dans lesquels elles surviennent sont multiples et variés [9]. Les agressions sexuelles peuvent être vécues tout au cours de la vie, de l’enfance à l’âge adulte, autant par les hommes que par les femmes, et elles peuvent être commises par des personnes de la famille, des connaissances de l’entourage, des petits amis ou conjoints, ou encore des personnes inconnues, autant par des mineurs que des adultes, ce qui montre bien la complexité et la diversité du phénomène. Il devient risqué d’adopter une lentille d’analyse unique à une telle diversité de situations. Le cadre conceptuel écologique qui sera adopté dans ce chapitre s’avère un modèle intégrateur de différentes perspectives, permettant la considération de plusieurs sphères d’influence.

Dans une perspective internationale, l’Organisation mondiale de la santé [2] retient le terme de violence sexuelle2 qui renvoie à une conception large, dans laquelle s’inscrivent, en plus des agressions sexuelles, des formes de contraintes très variées, tels le mariage forcé ou des actes visant un trafic sexuel (ex. : prostitution forcée, traite d’êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle), des actes de violence contre l’intégrité sexuelle des femmes (ex. : mutilations génitales), des commentaires ou avances de nature sexuelle (ex. : harcèlement sexuel). Dans le cadre de ce chapitre, ces formes de violence ne sont pas abordées et l’accent est mis davantage sur les agressions sexuelles, considérées comme une forme de violence sexuelle3. L’expression « agression sexuelle » réfère à toutes les formes d’agression sexuelle, avec ou sans contact, commises envers des mineurs ou des adultes, hommes ou femmes.

  1. Concept issu de la sociologie féministe qui lie le « viol », mais aussi la violence sexuelle plus largement, à la culture d’une société, dans laquelle les attitudes et les pratiques répandues banalisent, normalisent, excusent, tolèrent, voire érotisent la violence sexuelle [3]. Cette culture peut caractériser les environnements social, médiatique, juridique ou politique. Les exemples de comportements couramment associés à la « culture du viol » comprennent le doute systématique de la véracité des allégations d’agression sexuelle de la victime, le blâme de la victime, l’objectification sexuelle des femmes par les hommes, et la banalisation de l’agression sexuelle [4].
  2. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la violence sexuelle renvoie à : « Tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, commis par une personne indépendamment de sa relation avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le foyer et le travail » [2].
  3. Dépendamment de l’âge de la victime et de l’identité de la personne qui commet l’agression sexuelle, cette forme de violence en recoupe d’autres – traitées dans ce collectif –, qu’il s’agisse de la maltraitance dans l’enfance, de la violence conjugale ou de la maltraitance des aînés.