Contexte de vulnérabilité : femmes âgées

Avec la collaboration de Lyse Montminy, Ph.D., professeure au Département de travail social de l’Université de Montréal

Faits saillants

  • Parmi les personnes âgées, ce sont principalement les femmes qui subissent de la violence de la part de leur conjoint5,6.
  • La violence psychologique se retrouve au premier rang de la hiérarchie des formes de violence conjugale vécue par les femmes âgées1,2,7.
  • Le cumul d’expériences de victimisation sur une longue période de temps a des conséquences sur la santé des femmes âgées1,2,7.
  • La socialisation des femmes à un rôle traditionnel (fidélité à l’institution du mariage, loyauté envers le conjoint, importance de l’unité familiale, etc.) fait en sorte qu’il peut être plus difficile pour ces femmes de quitter leur conjoint violent2.

Les deux dernières décennies ont été marquées par une prise de conscience collective à l’égard de la maltraitance vécue par les personnes âgées. Cette prise de conscience s’est faite sans égard à l’identité de l’agresseur1, ce qui a contribué à occulter la problématique de la violence vécue à l’intérieur d’une relation de couple2.

Plusieurs facteurs contribuent à mieux saisir la complexité de la violence conjugale entre conjoints âgés :

  • Le processus de vieillissement peut occasionner du stress dans le couple par les changements de rôle qu’il entraîne (ex. : le départ des enfants, la retraite, etc.) ou par l’épuisement d’un des conjoints qui doit s’occuper de l’autre pour des raisons de santé (ex. : la maladie, des limitations fonctionnelles, des troubles cognitifs, etc.).
  • La socialisation aux valeurs traditionnelles qui normalisent les écarts de pouvoir entre l’homme et la femme et place la conjointe dans une position de subordination à son mari2.
  • L’exposition à des valeurs modernes axées sur l’égalité des sexes peut exacerber les tensions entre les conjoints ou faire apparaître les comportements de contrôle3.
  • La violence conjugale entre personnes âgées peut aussi résulter de conflits qui découlent des facteurs décrits précédemment4.

Ampleur de la violence conjugale chez les femmes âgées

Les statistiques entourant la violence conjugale chez les femmes âgées sont à interpréter avec prudence. À titre d’exemple, l’âge de la population étudiée varie énormément d’une étude à l’autre.

La problématique de la violence conjugale chez les femmes âgées est peu documentée dans les statistiques officielles. Il est donc difficile d’établir avec précision sa prévalence1. De plus, celles qui sont disponibles ne sont pas toujours ventilées en fonction du sexe. Trois principales sources de données nous informent sur la violence conjugale vécue par les femmes âgées.

Enquête sociale générale sur la victimisation (ESG) de Statistique Canada

  • En 2009, les Canadiens âgés de 55 ans et plus étaient un peu moins susceptibles que ceux âgés de 15 à 54 ans de déclarer avoir été victimes de violence conjugale au cours de la période de 12 mois précédent l’enquête (1 % c. 2 %)8.
  • Une analyse des données canadiennes de l’ESG de 1999 et de 2004 révèle que 6,8 % des personnes âgées de 60 ans et plus ont déclaré avoir été victimes de violence physique (incluant la violence sexuelle), psychologique ou d’exploitation financière de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint dans les cinq années précédant l’enquête. La forme la plus commune de violence déclarée était d’ordre psychologique9.

Données policières portant sur la criminalité en contexte conjugal au Canada

  • En 2003, le taux de violence conjugale à l’endroit des femmes âgées était près du double de celui observé chez les hommes (19,8 c. 10,8 pour 100 000)​6.

Données policières portant sur la criminalité commise envers des personnes âgées au Québec

  • En 2010, parmi les personnes âgées victimes de criminalité violente, 16% des femmes et 4% des hommes ont été agressés par un conjoint ou un ex-conjoint11.

Facteurs de vulnérabilité à la violence conjugale chez les femmes âgées

La littérature scientifique permet de dégager un certain nombre de facteurs pouvant expliquer la plus grande vulnérabilité des femmes âgées à la violence conjugale.

Les enfants adultes dans un souci de loyauté peuvent refuser de prendre position quant à une situation de violence conjugale. Certains peuvent même accuser leur mère de vouloir briser le noyau familial et exercer des pressions pour l’empêcher de dévoiler la violence conjugale qu’elle subit2.

Beaucoup de femmes âgées n’ont pas occupé un emploi de façon soutenue dans leur vie. Chez certaines, cette situation faisait suite au contrôle exercé par le conjoint. D’autres ont dû cesser de travailler en raison d’une santé psychologique diminuée par le contexte de violence conjugale2. Peu importe la raison, ces femmes se retrouvent dans une relation de dépendance avec des ressources financières limitées les empêchant de quitter leur conjoint2,13,14.

L’âgisme et les stéréotypes sociaux peuvent contribuer à occulter le fait que les femmes âgées vivent de la violence conjugale qui nécessite des services d’aide spécifiques. Il arrive aussi que des femmes âgées ne dénoncent pas la violence qu’elles subissent ou qu’elles ne quittent pas leur conjoint violent, car elles ont elles-mêmes intégré les valeurs et stéréotypes véhiculés par l’âgisme3.

Les femmes âgées en perte d’autonomie n’ont parfois aucun autre recours que de continuer de vivre avec leur conjoint qui est leur aidant principal2. Leur fragilité physique ou la perte d’autonomie (troubles cognitifs et limitations fonctionnelles) peut engendrer une dépendance aux soins administrés par le conjoint, ce qui augmente leur vulnérabilité à la violence exercée par celui-ci5,14. À titre d’exemple, la diminution des capacités cognitives peut être utilisée par le conjoint pour contrôler les finances personnelles de la femme2.

Les intervenants (sociaux, juridiques, médicaux, etc.) sont très peu informés ou outillés pour soutenir les femmes âgées vivant de la violence conjugale. Il en découle que peu d’activités de détection sont réalisées et que ces femmes ne reçoivent pas toujours une réponse appropriée à leurs besoins1.

Le fait de ne pas connaitre leurs droits et les services d’aide peut faire en sorte que les femmes âgées se retrouvent dans l’impossibilité de se protéger et de se défendre face à un conjoint ayant des comportements violents1,14.

La crainte de perdre les biens accumulés durant la vie commune15, la peur de vieillir seule16, de ne pas être en mesure d’endosser les rôles et les responsabilités jusqu’alors assumés pas le conjoint17, etc. sont autant de raisons qui peuvent rendre difficile la décision de mettre fin à une relation conjugale violente.

La socialisation des femmes aînées à une féminité traditionnelle fait en sorte qu’elles sont plus soumises à leur mari et qu’elles dévoilent moins facilement une situation de violence conjugale15,16,18. La fidélité à l’institution du mariage, la loyauté envers le conjoint, l’importance de l’unité familiale ainsi que l’influence des valeurs judéo-chrétiennes font en sorte que ces femmes choisissent de subir cette situation plutôt que d’être confrontées à une éventuelle rupture. Elles privilégient généralement une solution qui inclut le conjoint afin de préserver leur relation de couple2,12. Quitter le conjoint représente pour elles une source de honte et de culpabilité18.

Prévention de la violence conjugale chez les personnes âgées

Bien qu’il existe peu d'études ayant porté sur l’évaluation de l'efficacité des mesures de prévention de la violence conjugale auprès des personnes âgées, la littérature s’entend sur un certain nombre d’éléments nécessaires à mettre en place. Ces éléments s’appuient sur les résultats d’études de besoins menées auprès de ces personnes.

  • Informer et sensibiliser les personnes âgées sur le phénomène de la violence conjugale, sur les ressources disponibles pour leur venir en aide ainsi que sur leurs droits afin qu’elles puissent faire des choix appropriés qui respectent leurs valeurs2,5,19.
  • Renforcer les réseaux de soutien sociaux et familiaux des personnes âgées20.
  • Mettre en place des services organisés, continus et de proximité pour répondre aux besoins des personnes âgées (hébergement temporaire, unité de répit, conseil et accompagnement des victimes et des agresseurs, fonds de prévoyance en cas d’urgence, assistance juridique, services de soutien de divers ordres et application de mesures de protection pour les plus vulnérables)21.
  • Prévoir dans les services offerts aux personnes âgées la détection précoce de la violence conjugale, l’accès à des groupes de soutien et la mise en place de mécanismes de référence à des services d’aide2,3,20.
  • Former les intervenants (travailleurs sociaux, infirmiers, médecins, auxiliaires familiales, ergothérapeutes, policiers, etc.) à la spécificité de l’intervention auprès des personnes âgées en situation de violence conjugale ainsi qu’à leurs besoins2,13.
  • Mettre en place des mécanismes d’échanges et de concertation entre les intervenants et les décideurs afin de développer des services et des interventions qui tiennent compte des aspects physique, social et psychologique de la victime âgée3,5.

Mythes et réalité entourant la violence conjugale chez les personnes âgées

Des mythes entourant la violence conjugale sont véhiculés dans la population. Certains d’entre eux ont trait à la violence vécue par les personnes âgées.

Mythe : La violence conjugale n’existe pas chez les personnes âgées, cela n’arrive qu’aux plus jeunes.

Réalité : La violence conjugale est présente à tous les stades de la vie. Selon les données de l’ESG de 2009, 1 % des Canadiens âgés de 55 ans et plus ont déclaré avoir été victime de violence conjugale au cours des 12 mois précédents l’enquête8.

Mythe : Les femmes aînées ne sont pas concernées par la violence sexuelle.

Réalité : Bien que la violence sexuelle subie par les aînées ait été peu étudiée, les femmes aînées sont aussi touchées par cette forme de violence. Au Québec, en 2009, 97 infractions sexuelles, commises en contexte conjugal ou non, ont été déclarées à la police par des personnes de 55 ans et plus, et ce, principalement, par des femmes (88,7%)22. On note une augmentation des  agressions sexuelles envers les personnes de 55 ans et plus depuis 2001 au Québec23.

Pour en savoir plus :

Ressources d’aide pour les personnes impliquées dans la violence conjugale

Contacts médias

Références

  1. Bonomi, AE., Anderson, ML., Reid, RJ., Carrell, D., Fishman, PA., Rivara, FP. et Thompson, RS. (2007). Intimate partner violence in older women, The Gerontologist, 47(1), 34-41.
  2. Montminy, L. et Drouin, C. (2009). La violence en contexte conjugal chez les personnes âgées : une réalité particulière. Montréal: Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF).
  3. Sormanti, M. et Shibusawa, T. (2008). Intimate partner violence among midlife and older women : a descriptive analysis of women seeking medical services. Health and Social Work, 33(1), 33-41.
  4. Roberto, KA., Renee, B. et Broissoie, N. (2013). Intimate partner in later life : an analysis of national news reports. Journal of Elder Abuse and Neglect, 25(3), 230-241.
  5. Roberto, KA., McPherson MC., Broissoie N. (2013). Intimate partner in later life : a review of the empirical literature.Violence Against Women, 19(12), 1537-1556.
  6. Taylor-Butts, A.  (2015). La violence familiale envers les personnes âgées. Dans Statistique Canada (Ed.), La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2013, (p.63-86). Ottawa : Statistique Canada.
  7. Bonnie, S., Fisher, BS. et Regan, SL. (2006). The extent and frequency of abuse in the lives of older women and their relationships with health outcomes. The Gerontologist, 46(2), 200-209.
  8. Brennan, S. (2012). La victimisation chez les Canadiens âgés, 2009. Statistique Canada : Ottawa.
  9. Poole, C. et Rietschlin, J. (2012). Intimate partner victimization among adults aged 60 and older: an analysis of the 1999 and 2004 General Social Survey. Journal of Elder Abuse and Neglect, 24(2), 120-137.
  10. Statistique Canada (2011). Profil statistiques de la violence familiale. Ottawa : Statistique Canada.
  11. Ministère de la Sécurité publique (2010). Violence à l’endroit des aînés au Québec, statistiques 2010. Québec : Gouvernement du Québec.
  12. Seff, LR., Beaulaurier, RL. et Newman, FL. (2008). Nonphysical abuse : findings in domestic violence against older women study. Journal of  Emotional Abuse, 8(3), 355-374.
  13. Hightower, J. (2004). Age, gender, and violence: abuse against older women. Geriatrics and Aging, 7(3), 60–63.
  14. Tremblay, K. (2012). La violence sexuelle vécue par les aînées, briser le tabou pour mieux soutenir les femmes. Dans M. Rinfret-Raynor, E. Lesieux, M.M. Cousineau, S. Gauthier et E. Harper (Eds.). Violence envers les femmes, réalités complexes et nouveaux enjeux dans un monde en transformation (p.184-196). Québec : Presses de l’Université du Québec.
  15. Kim, J.Y. et Sung, K.T. (2001). Marital violence among korean elderly couples: a cultural residue. Journal of Elder Abuse and Neglect, 13 (4), 73-89.
  16. Gravel, S., Beaulieu, M. et Lithwick, M. (1997). Quand vieillir ensemble fait mal. Criminologie, 30(2), 68-85.
  17. Gesino, J.P., Smith, H.H. et Keckich, W.A. (1982). The battered woman grows old. Clinical Gerontologist, 1, 50-67.
  18. Montminy, L. et Drouin, C. (2004). L’intervention auprès des aînées victimes de violence conjugale en maison d’hébergement, Intervention, 121, 90-99.
  19. Brandl, B., Heisler, CJ., Bitondo-Dyer, C., Marlatt-Otto, J., Stiegel, LA. et Thomas, R.W (2006). Elder abuse detection and intervention: a collaborative approach.  New York: Haworth Press.
  20. Leisey, M., Kupstas, P.K. et Cooper, A. (2009). Domestic violence in the second half of life. Journal of Elder Abuse and Neglect, 21(1), 141-155.
  21. Neremberg, L. (2006). Communities respond to elder abuse. Journal of Elder Abuse and Neglect, 46(3), 5-33.
  22. Ministère de la Sécurité publique (2011). Statistiques 2009 sur les agressions sexuelles au Québec, Québec : Gouvernement du Québec.
  23. Gouvernement du Québec (n.d.). Les agressions sexuelles contre les personnes aînées existent et marquent profondément.