Ampleur du problème

La VRA est un phénomène dont l’ampleur au Québec est de mieux en mieux circonscrite. Des enquêtes récentes qui ont utilisé des données autorapportées ont dressé un portrait rigoureux de cette problématique chez la population adolescente [23,24]. L’utilisation d’échantillons représentatifs des adolescents du Québec, composés de plusieurs milliers d’individus, a permis d’obtenir des informations valides au sujet de la victimisation dans leurs relations amoureuses, ainsi que de leur recours à des comportements violents à l’égard de leur partenaire. L’utilisation de données autorapportées peut cependant induire un certain biais puisque les réponses obtenues sont toujours assujetties au phénomène de désirabilité sociale qui incite les répondants à répondre en fonction de ce qui est acceptable dans la société plutôt qu’en fonction de ce qui s’est réellement passé [25]. Il est ainsi conseillé d’avoir recours à de multiples points de vue (ex. : données rapportées par des témoins) pour avoir un meilleur portrait de la situation de la VRA chez les adolescents, et pour mieux planifier les services et les interventions préventives qui leur sont destinés.

Portrait de la situation au Québec et au Canada

Au Québec, deux récentes enquêtes ont notamment permis d’obtenir la prévalence de la VRA. D’abord, l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2010-2011 (EQSJS) [26] a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 64 196 élèves du secondaire à l’aide de questionnaires autorapportés. Ces données ont révélé qu’au cours des 12 derniers mois, le tiers des adolescents en couple (n = 16 049) ont été victimes de VRA durant cette période, alors que le quart (25 %) des adolescents en couple ont infligé une forme de violence à leur partenaire durant la même période. Cette enquête révèle que 24,8 % des garçons et 35,9 % des filles ont été victimes d’au moins un épisode de violence, alors que 16,7 % des garçons et 32,2 % des filles en ont perpétré au moins un. Plus du tiers des filles et des garçons victimes ont vécu deux ou trois formes de VRA.

L’Enquête sur les Parcours amoureux des jeunes (Enquête PAJ) [23], réalisée auprès d’un échantillon (n = 8 024) représentatif des jeunes (3e, 4e et 5e années du secondaire) a révélé des données aussi préoccupantes. Elle a rapporté que 63 % des filles ont subi au moins une forme de VRA au cours des 12 derniers mois, et 49 % des garçons ont subi au moins une forme de VRA dans la dernière année, la prévalence la plus élevée étant pour la violence psychologique. Les questions utilisées dans les deux récentes enquêtes québécoises pour mesurer la prévalence de la violence psychologique pourraient expliquer les écarts dans les résultats obtenus2. Afin de permettre une comparaison entre les données de l’Enquête PAJ et celles de l’EQSJS, le tableau 2 présente les prévalences estimées des deux enquêtes pour chacune des formes de VRA, en plus de la prévalence PAJ ajustée. L’Enquête PAJ indique que toutes les formes de violence considérées (psychologique, physique et menaces) sont davantage rapportées par les filles que les garçons, la disparité la plus importante se situant au plan de la VRA sexuelle, où près d’une fille sur cinq (20,3 %) rapporte avoir subi au moins un épisode de violence sexuelle, comparativement à 5,7 % des garçons. Une analyse visant à identifier différents sous-groupes selon la forme de victimisation subie indique que les filles sont davantage susceptibles de vivre plusieurs formes de VRA en cooccurrence et de rapporter des blessures physiques en lien avec la violence vécue que les garçons [27].

Tableau 2 - Données québécoises de la prévalence de la VRA

 

 

Violence psychologique

Violence physique

Violence sexuelle

Menaces

Violence totale

Filles

%

Garçons

%

Filles

%

Garçons

%

Filles

%

Garçons

%

Filles

%

Garçons

%

Filles

%

Garçons

%

Subie

EQSJS

26,6

16,9

11,0

13,3

14,5

5,1

nd

nd

35,9

24,8

PAJ

56,4

45,8

15,7

12,7

20,2

5,7

6,8

4,0

62,6

49,5

PAJ
ajustéea

27,8

20,8

nd

nd

nd

nd

nd

nd

43,6

29,6

Infligée

EQSJS

21,3

13,0

19,2

5,6

2,0

3,4

nd

nd

32,2

16,7

PAJ

54,2

43,7

18,2

6,5

4,2

7,1

5,7

2,0

57,7

44,0

PAJ
ajustéea

22,5

18,3

nd

nd

nd

nd

nd

nd

36,4

23,8

Sources : Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2010-2011 (EQSJS) [28] et Enquête sur les Parcours amoureux des jeunes (PAJ) [27].
a Prévalence calculée sans l’item « Dire des choses pour mettre l’autre en colère ».

Prévalence à l’échelle internationale

Une méta-analyse ayant recensé et réanalysé les résultats de 101 études effectuées auprès d’adolescents dans différents pays (dont le Canada et les États-Unis) a récemment été publiée [29]. Celle-ci a établi que la prévalence de la VRA varie considérablement (de 1 % à 61 % pour la violence physique, et de moins de 1 % à 54 % pour la violence sexuelle), mais qu’en moyenne, la violence physique et sexuelle est subie respectivement par 20 % et 9 % des adolescents. Ces estimations varient selon le type de mesure utilisée, les mesures basées sur plusieurs énoncés ou s’appuyant sur une définition plus large donnant lieu à des prévalences plus élevées. Les variations dans les estimations observées sont également liées au genre. En effet, cette méta-analyse montre des prévalences similaires entre les filles et les garçons pour la violence physique subie (21 %), mais des disparités quant à la violence physique perpétrée (garçons = 13 %; filles = 25 %). En ce qui concerne la violence sexuelle, les filles rapportent plus de victimisation (14 %) que les garçons (8 %), et moins de perpétration (3 %) que les garçons (10 %).

La violence psychologique n’a toutefois pas été considérée par Wincentak et ses collaborateurs, même si elle est répandue et a été mesurée par de nombreuses études [29]. Elle est en général plus commune, plus fréquente et souvent précurseur des autres formes de violence, ou perpétrée de façon cooccurrente. Une recension de la littérature nord-américaine et européenne sur la VRA psychologique montre des estimations variant de 24 % à 88 %, alors que la violence physique serait présente chez 10 % à 20 % des adolescents, et la violence sexuelle chez 1 % à 76 % [30]. Les variations entre les études seraient dues au genre des participants des études, ainsi qu’à différents aspects méthodologiques, notamment aux instruments de mesure qui n’évaluent pas les mêmes gestes [30]. Une autre étude récente réalisée dans 46 écoles américaines a rapporté que 77 % des 1 653 élèves sondés ont perpétré de la violence psychologique dans leurs relations amoureuses au cours de leur vie, que 33 % d’entre eux ont exercé de la violence physique, 20 % des menaces et 15 % de la violence sexuelle [31].

En ce qui concerne la cyber-VRA, Temple et ses collaborateurs ont rapporté dans une étude de prévalence menée auprès de 782 élèves que 24 % des adolescents avaient été victimes de VRA en ligne ou électronique au moins une fois, alors que 18 % d’entre eux l’avaient perpétrée au moins une fois sur une période de 12 mois [32]. Zweig et ses collaborateurs ont semblablement rapporté que 25 % des 3 745 adolescents sondés dans son étude ont vécu de la cyber-VRA avec leur partenaire actuel ou leur plus récent partenaire [11], mais encore trop peu d’études sont disponibles actuellement pour circonscrire l’étendue de cette forme émergente de VRA [33].

Bien que la VRA chez les adolescents ait fait l’objet d’un intérêt grandissant au cours des vingt dernières années, il est difficile de statuer sur l’évolution du phénomène dans le temps. En effet, les limites principales qui empêchent de se prononcer sur l’évolution du phénomène sont la rareté des échantillons représentatifs et la variabilité des mesures utilisées, de sorte que les différences de prévalence observées à des époques différentes sont trop dépendantes des caractéristiques spécifiques des échantillons et des mesures pour qu’on puisse les attribuer à de véritables changements temporels. Toutefois, une étude de Howard, Dednam et Wang a tracé le portrait de l’évolution de la prévalence de la VRA physique subie aux États-Unis, telle que rapportée par le Youth Risk Behavior Survey. Cette enquête longitudinale a été menée auprès d’un échantillon représentatif de filles de 9e à 12e année entre 1999 et 2009 (6 851 > n < 8 188), de manière biennale. À chaque temps de mesure, elle demandait aux participantes de rapporter la VRA physique vécue durant les 12 derniers mois. L’étude présentée par Howard et ses collaborateurs a établi que la VRA physique est demeurée assez stable dans le temps, variant de 9,9 % à 10,3 % [34]. 

  1. L’EQSJS (2013) a utilisé deux items : la critique de l’apparence physique, les insultes et le dénigrement; le contrôle des sorties, des conversations électroniques et des fréquentations. L’Enquête PAJ, quant à elle, ajoutait parmi les comportements de violence psychologique le fait de « Dire des choses pour mettre l’autre en colère ».