Étiologie : facteurs de risque et de protection
Certaines conditions, circonstances ou caractéristiques chez une personne ou dans son environnement peuvent augmenter la probabilité de commettre une agression sexuelle ou d’en être victime (facteurs de risque), alors que d’autres ont un effet contraire (facteurs de protection) [8,35]. Il est à noter que la présence d’un ou de plusieurs facteurs de risque ne signifie pas qu’ils soient la cause des agressions sexuelles; la présence de ces facteurs peut néanmoins en avoir augmenté les probabilités de survenue ou avoir précipité l’événement. Différents facteurs individuels, relationnels, communautaires et sociétaux sont associés à un plus grand risque qu’un mineur ou une personne adulte commette une agression sexuelle ou en soit victime [8,9,36]. Pour mieux planifier les interventions préventives en matière d’agression sexuelle, il importe d’identifier ces facteurs afin d’agir sur ces derniers et de cibler les groupes les plus susceptibles d’en commettre ou d’en subir.
Facteurs associés à un plus grand risque de commettre des agressions sexuelles
La recherche sur la délinquance sexuelle a permis l’identification de multiples facteurs augmentant les risques de commettre une agression sexuelle envers des enfants, des adolescents et des adultes, alors que peu de facteurs de protection ont à ce jour été identifiés [36,37]. Le tableau 4 présente les facteurs recensés comme étant associés aux personnes qui ont commis l’agression sexuelle, et ils s’appliquent majoritairement aux auteurs masculins d’agression sexuelle, mineurs et adultes, sauf indication contraire.
Tableau 4 - Facteurs associés au risque de commettre une agression sexuelle [2,9,36,38–40]
Facteurs individuels |
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Dans l’enfance de l’individu |
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À l’âge adulte |
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Facteurs liés aux comportements sexuels |
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Facteurs psychosociaux |
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Facteurs liés aux cognitions sexuelles ou de genre |
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Facteurs liés aux habiletés interpersonnelles |
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Facteurs liés à la consommation de substances |
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Facteurs relationnels/familiaux |
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Dans l’enfance de l’individu |
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À l’âge adulte |
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Facteurs liés aux relations avec les pairs |
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Facteurs liés aux relations amoureuses ou conjugales |
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Facteurs liés au fonctionnement familial et social |
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Facteurs communautaires |
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Facteurs sociétaux |
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* Facteurs de risque plus spécifiques aux agressions sexuelles commises sur des enfants.
§ Facteurs de risque s’appliquant aussi aux agressions sexuelles commises par des femmes.
A Facteur de risque identifié auprès d’adolescents ayant commis une agression sexuelle.
Les facteurs de niveau individuel associés à un plus grand risque qu’une personne commette des agressions sexuelles, soit ceux liés aux caractéristiques biologiques et individuelles ainsi qu’à l’histoire personnelle, sont ceux ayant été le plus étudiés, et plusieurs d’entre eux ont montré des associations significatives avec la perpétration de l’agression sexuelle [35–37]. Ainsi, les agressions sexuelles commises par une personne sont dans la majorité des cas le résultat de différents besoins non comblés et de traumatismes au cours de la vie (particulièrement dans l’enfance), de problèmes dans leur développement général et sexuel, mais aussi de pensées et d’attitudes sur la sexualité, la violence et le genre (ex. : hostilité envers les femmes) qui sont favorables à l’agression sexuelle. De nombreuses études ont aussi établi un lien entre la perpétration d’agression sexuelle et la consommation d’alcool. Malgré des résultats parfois divergents selon qu’il s’agisse de consommation, d’abus ou de dépendance, la consommation d’alcool au moment de l’agression sexuelle apparaît comme un facteur de risque situationnel important dans le fait de commettre l’agression sexuelle [38,41]. Par ailleurs, l’influence d’un même facteur de risque individuel peut varier selon le sexe, le stade de vie et l’interaction avec d’autres facteurs [9,36,40].
Plusieurs facteurs de niveau relationnel ont aussi été étudiés auprès de personnes ayant commis une agression sexuelle, soit des facteurs liés aux relations avec les personnes qui constituent le cercle social le plus près de l’individu, et qui peuvent moduler leurs comportements et leurs expériences. Des difficultés avec la famille d’origine ou actuelle, la fréquentation de pairs antisociaux ou présentant des attitudes ou des croyances favorables à l’agression sexuelle, ainsi que des problèmes dans les relations amoureuses ou conjugales apparaissent davantage caractériser les personnes ayant commis une agression sexuelle.
Par ailleurs, quelques facteurs de protection aux plans individuel et relationnel peuvent réduire le risque de commettre l’agression sexuelle en amortissant l’effet d’autres facteurs de risque. Ces facteurs incluent le fait d’avoir eu des parents qui avaient recours à une approche réflexive pour résoudre les conflits familiaux dans l’enfance, le fait de présenter un sentiment d’appartenance sociale (connectedness), la réussite scolaire, l’empathie et la préoccupation des répercussions de ses propres actions sur autrui [36].
Les contextes communautaires et sociétaux dans lesquels les relations sociales s’établissent peuvent influencer le risque de commettre des agressions sexuelles, montrant qu’il s’agit d’un phénomène social qui concerne l’ensemble de la population. Ces facteurs ont fait l’objet de très peu d’études et peuvent être regroupés en deux grandes catégories, soit les facteurs liés au genre et les facteurs structurels [36]. Plusieurs de ces facteurs sont issus de modèles théoriques et ont trait à l’égalité des rapports hommes-femmes, aux croyances religieuses et culturelles, ainsi qu’aux normes et aux politiques sociales [2,9]. En dépit du fait que ces facteurs aient été très peu étudiés en lien avec la perpétration de l’agression sexuelle, ils ont été associés au fait de commettre d’autres formes de violence, laissant croire à leur implication dans le développement de comportements d’agression sexuelle [42].
Facteurs associés à un plus grand risque de victimisation sexuelle
Toute personne est susceptible de subir une agression sexuelle au cours de sa vie. Cela étant dit, des enfants et des adultes présentant certaines caractéristiques sont plus représentés parmi les victimes d’agression sexuelle. L’identification de telles caractéristiques est utile pour mieux planifier les interventions préventives en ciblant les groupes plus à risque de subir l’agression sexuelle, et en agissant sur les facteurs de risque identifiés. Ces facteurs ne devraient toutefois pas laisser supposer une forme de responsabilité chez la victime ou les parents.
Victimisation sexuelle pendant l’enfance
L’étiologie de la victimisation sexuelle des enfants est un domaine de recherche limité qui, à ce jour, a surtout permis de documenter ce qui caractérisait davantage les jeunes victimes et leur famille. En effet, peu d’études ont été réalisées dans ce domaine, et celles-ci sont majoritairement descriptives ou corrélationnelles, rendant difficile de prétendre que les facteurs identifiés soient des conditions présentes avant l’agression sexuelle. Néanmoins, les résultats d’une nouvelle génération d’études populationnelles et longitudinales permettent de prétendre que les facteurs personnels, familiaux et parentaux que l’on retrouve davantage chez les enfants victimes d’agression sexuelle sont des caractéristiques ou des environnements qui augmentent la vulnérabilité d’un enfant face à un agresseur sexuel [43].
Il est bien reconnu que le stade de développement et le sexe sont des facteurs qui augmentent les risques pour un enfant ou un adolescent d’être victime d’agression sexuelle. Ainsi, les filles seraient deux fois plus susceptibles que les garçons d’être agressées sexuellement dans l’enfance. Par ailleurs, les filles seraient plus à risque d’être agressées sexuellement à l’âge scolaire ou à l’adolescence, alors que les garçons sont plus à risque d’être victimes d’agression sexuelle à l’âge scolaire [28]. La présence d’un handicap ou d’une déficience a aussi été considérée comme une situation de vulnérabilité rendant un enfant plus à risque d’être victime d’agression sexuelle [44]. Différents éléments d’adversité, tels que les expériences antérieures de victimisation et les épisodes de séparation avec les parents, ainsi que différentes difficultés d’adaptation personnelle, sociale ou scolaire ont été associés aux jeunes victimes d’agression sexuelle (tableau 5). Une étude longitudinale ayant suivi 1 087 jeunes filles jusqu’au début de l’âge adulte a d’ailleurs montré que celles ayant été identifiées dans leur enfance comme ayant des besoins scolaires particuliers, des difficultés importantes d’apprentissage et ayant présenté des problèmes de comportement intériorisés et extériorisés étaient plus à risque d’avoir été agressées sexuellement [45].
Plusieurs facteurs liés au fonctionnement des parents et de la famille ont été reconnus comme des facteurs de risque de la victimisation sexuelle des enfants, incluant différents éléments d’adversité liés au rôle parental, des difficultés relationnelles, ainsi que des problèmes de santé mentale et de consommation de substances (tableau 5). Ces facteurs ne seraient pas directement associés à l’agression sexuelle de l’enfant, mais leur présence augmenterait les risques d’agression sexuelle de l’enfant en diminuant la capacité des parents à exercer une supervision efficace (ex. : périodes de consommation du parent qui affectent la supervision offerte). Ces facteurs augmenteraient aussi la vulnérabilité des enfants face à l’agression sexuelle en les rendant plus fragiles psychologiquement, et en favorisant chez eux le développement de caractéristiques qui sont recherchées par des agresseurs sexuels d’enfants (ex. : présence de comportements intériorisés liés aux problèmes de santé mentale du parent) [8]. Les premières enquêtes sur l’agression sexuelle envers des enfants approchés sur Internet semblent par ailleurs confirmer que les agresseurs ciblent des enfants, qui en plus de manifester un intérêt pour les discussions par clavardage concernant la sexualité, sont considérés par les agresseurs comme vulnérables et semblant être peu supervisés ou encadrés par leurs parents [46].
Enfin, alors que les caractéristiques sociodémographiques ont été plus clairement associées à d’autres formes de mauvais traitements, comme l’abus physique et la négligence, le lien entre l’agression sexuelle dans l’enfance et le statut socio-économique de la famille ou du quartier et l’ethnicité serait moins clair ou, du moins, plus faible [13,47]. Il n’en demeure pas moins que les familles d’enfants agressés sexuellement vivant dans des contextes de pauvreté ou défavorisées d’un point de vue social sont surreprésentées dans les services sociaux, laissant croire à l’influence du statut socio-économique sur la victimisation sexuelle des enfants [47]. À l’instar des facteurs associés à un plus grand risque de perpétration de l’agression sexuelle, le fait de faire partie d’une communauté dans laquelle les agressions sexuelles sont davantage tolérées et peu sanctionnées par ses membres s’avère un facteur de risque de victimisation sexuelle [2].
Sur le plan sociétal, les facteurs associés à un plus grand risque chez les enfants d’être agressés sexuellement ont peu fait l’objet d’études, mais il est reconnu que l’hypersexualisation des jeunes dans une société, les normes sociales favorisant l’inégalité des genres et les agressions sexuelles, ainsi que de faibles sanctions légales relatives aux agressions sexuelles sont des conditions favorables à la victimisation sexuelle des enfants [2].
Tableau 5 - Facteurs associés au risque d’être victime d’agression sexuelle dans l’enfance (0-18 ans) [45,47–53]
Facteurs individuels |
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Facteurs relationnels/familiaux |
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Facteurs communautaires |
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Facteurs sociétaux |
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Victimisation sexuelle à l’âge adulte
Les facteurs de risque d’être victime d’agression sexuelle à l’âge adulte ont surtout été étudiés auprès des femmes victimes, et réfèrent à une grande variété de situations d’agression sexuelle, dont celles commises par le partenaire intime dans un contexte conjugal ou de fréquentation amoureuse chez les jeunes adultes, ou encore les agressions sexuelles vécues sur les collèges et campus universitaires.
À l’instar des enfants et des adolescents, des adultes présentant certaines caractéristiques sont plus représentés parmi les victimes d’agression sexuelle. À cet effet, les données de la plus récente Enquête sociale générale de 2014, ayant documenté les expériences de victimisation autodéclarées dans la dernière année, montrent que les Canadiens de 15 ans et plus ayant rapporté une agression sexuelle étaient majoritairement des femmes, étaient plus susceptibles d’être âgés de 15 à 24 ans, étaient plus souvent célibataires, séparés ou divorcés que mariés, étaient plus susceptibles d’être étudiant qu’en situation d’emploi, et étaient plus nombreux à rapporter une identité autochtone [7]. Le taux de victimes d’agression sexuelle était aussi plus important parmi les personnes ayant rapporté des expériences de victimisation dans l’enfance, et parmi les personnes ayant déclaré une orientation sexuelle homosexuelle ou bisexuelle [7]. Dans cette enquête, 9 % des agressions sexuelles déclarées référaient à des situations dans lesquelles la victime n’était pas en mesure de consentir à une activité sexuelle parce qu’elle était droguée, intoxiquée ou manipulée d’une autre façon que par la menace ou la force physique [7].
Plusieurs autres études, majoritairement américaines, ont mis de l’avant différents facteurs associés à un plus grand risque d’être victime d’agression sexuelle parmi de jeunes femmes fréquentant les collèges. Deux catégories de facteurs apparaissent particulièrement associées à l’agression sexuelle auprès de cette population. La première concerne la consommation et l’abus d’alcool et de drogues, incluant la consommation au moment de l’agression. La seconde catégorie de facteurs regroupe ceux liés à l’expérience de la personne en matière de sexualité. En effet, des études ont montré des associations entre le risque d’être victime d’agression sexuelle et certaines caractéristiques de la sexualité, notamment le jeune âge au moment de la première relation sexuelle, un nombre élevé de partenaires, de l’insatisfaction ou de la culpabilité face à la sexualité, l’utilisation de la sexualité pour combler des besoins non sexuels, etc. [54–59].
Tout comme chez les enfants et les adolescents, la pauvreté, la tolérance de l’agression sexuelle et les faibles sanctions face à l’agression sexuelle au sein d’une communauté sont associées à un plus grand risque de victimisation sexuelle des adultes [2]. Encore ici, même si les facteurs sociétaux associés à la victimisation sexuelle des adultes ont été négligés du point de vue de la recherche, les normes sociales favorisant l’inégalité des genres et les agressions sexuelles, ainsi que de faibles sanctions légales relatives aux agressions sexuelles sont des conditions sociétales propices aux agressions sexuelles [2].
Tableau 6 - Facteurs associés au risque d’être victime d’agression sexuelle à l’âge adulte [2,54,56–62]
Facteurs individuels |
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Facteurs relationnels et familiaux |
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Facteurs communautaires |
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Facteurs sociétaux |
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