Encadré 2 − L’agression sexuelle dans les Forces armées canadiennes
Karine Baril, Université du Québec en Outaouais
La médiatisation de cas de harcèlement et d’agressions à caractère sexuel au sein des Forces armées canadiennes (FAC) a mis en lumière la problématique des violences sexuelles à l’endroit des militaires, incluant la culture sous-jacente de sexualisation dans les FAC et la loi du silence qui semble prévaloir en la matière.
Un sondage sur les inconduites sexuelles11 dans les FAC a été mené par Statistique Canada en 2016 [33]. Tous les membres actifs de la Force régulière et de la Première réserve ont été invités sur une base volontaire à remplir un questionnaire sur leurs expériences et leurs perceptions en ce qui a trait aux comportements sexualisés inappropriés, à la discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, et à l’agression sexuelle au sein des FAC. Ils ont été interrogés sur ces types de comportements (subis ou observés comme témoin), et ce, dans le milieu de travail militaire ou encore à l’extérieur, mais mettant en cause d’autres militaires ou bien des employés ou des sous-traitants du ministère de la Défense. Des réponses ont été reçues de la part de plus de 43 000 membres actifs des FAC, soit environ 53 % des membres de la Force régulière et de la Première réserve.
Environ 960 membres de la Force régulière des FAC, ou 1,7 %, ont déclaré avoir été victimes d’agression sexuelle au cours des 12 mois précédents, soit dans le milieu de travail militaire, soit dans des situations mettant en cause des militaires ou bien des employés ou des sous-traitants du ministère de la Défense nationale. Cette proportion est nettement plus élevée que ce qui est observé parmi les Canadiens sur le marché du travail (0,9 %). Au sein de la Force régulière, les femmes qui représentaient 15 % des effectifs étaient quatre fois plus susceptibles que les hommes de déclarer avoir été agressées sexuellement au cours des 12 mois précédents (4,8 % par rapport à 1,2 %). Dans l’ensemble, plus du quart (27,3 %) des femmes ont déclaré avoir été victimes d’agression sexuelle au moins une fois depuis leur enrôlement dans les FAC, ce qui était le cas de 3,8 % des hommes.
Les contacts sexuels non désirés étaient la forme la plus courante d’agression sexuelle, 1,5 % des membres de la Force régulière ayant indiqué en avoir été victimes. Les autres formes d’agression sexuelle, à savoir les attaques de nature sexuelle (0,3 %) et l’activité sexuelle à laquelle la victime ne pouvait pas consentir (0,2 %), étaient moins fréquentes. Une répartition semblable a également été observée chez les membres de la Première réserve.
Près du quart (23 %) des victimes d’une agression sexuelle survenue au cours des 12 mois précédents ont signalé au moins un incident d’agression sexuelle à une personne en position d’autorité, le plus souvent à leur superviseur militaire (20 %). Moins de 1 victime sur 10 (7 %) a signalé sa victimisation à la police militaire ou au Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Parmi les membres n’ayant pas signalé leur agression sexuelle à une personne en position d’autorité, la raison invoquée le plus souvent pour ne pas l’avoir fait est qu’ils ont réglé le problème eux-mêmes (43 % des femmes et 41 % des hommes). Les femmes qui ont été agressées sexuellement étaient plus susceptibles (35 %) que les hommes (14 %) d’indiquer ne pas avoir signalé leur victimisation parce qu’elles craignaient les conséquences négatives ou parce qu’elles avaient des préoccupations au sujet du processus formel de traitement des plaintes (18 % par rapport à 7 %). Les femmes qui ont été victimes d’agression sexuelle au cours des 12 mois précédents étaient plus susceptibles de déclarer que l’agresseur était leur superviseur ou une personne occupant un grade supérieur au leur (49 %).
En 2015, une ancienne juge à la Cour suprême du Canada a déposé un rapport officiel de l’examen externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les FAC, qui avait été demandé par le chef d’état-major de la Défense [34]. L’objectif de cette enquête était d’examiner les politiques, les procédures et les programmes des FAC en matière de harcèlement et d’agressions à caractère sexuel. La responsable de l’examen interne soutient qu’un nombre beaucoup plus élevé d’incidents liés à des comportements sexuels inappropriés se produisent. Elle en conclut qu’il existe un problème grave de signalement dans les FAC, puisque le très faible nombre de plaintes qui sont déposées chaque année ne concorde pas avec les faits qui lui ont été rapportés pendant les consultations concernant des comportements sexuels inappropriés. On soutient dans le rapport que de nombreux participants à l’examen ont aussi soulevé ce problème et que diverses raisons font que les victimes évitent de signaler ces incidents. L’une des principales conclusions auxquelles est parvenue la responsable de l’examen externe est qu’il existe au sein des FAC une culture de sexualisation, que cette culture est hostile aux femmes et aux groupes de personnes LGBTQ, ce qui rend le milieu propice aux incidents graves que sont le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle.