Médias et prévention de la violence sexuelle

Les normes sociales et la violence sexuelle

Les normes sociales réfèrent aux règles de conduite et aux comportements attendus au sein d’un groupe ou d’une société. Il s’agit de règles informelles, souvent implicites, que la plupart des gens respectent1,2.  Les normes sociales peuvent contribuer à un climat dans lequel la violence sexuelle est normalisée, justifiée ou même encouragée dans certains contextes3. Parmi ces normes, on retrouve notamment :

  • Les rapports inégaux et hiérarchiques entre les hommes et les femmes, ainsi que la domination et la supériorité masculine au sein de la société1,3,4
  • Les normes traditionnellement associées au genre4,5
  • L’adhésion à des mythes et des préjugés sur la violence sexuelle3
  • La tolérance à l’égard de la violence et la normalisation du recours à la violence pour régler des conflits1,4
  • Les formes de discrimination fondée sur le genre, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, l’âge, le handicap, l’état civil et d’autres caractéristiques liées au statut social ou politique4,5

Afin d’agir sur ces éléments, dans une optique de prévention de la violence, plusieurs réflexions et stratégies se sont développées au cours des années1,5. Par exemple, selon l’Organisation mondiale de la Santé, le changement des normes culturelles et sociales qui soutiennent la violence est l’une des grandes stratégies jugées prometteuses pour prévenir les différentes formes de violence6. Les mesures de prévention en amont peuvent ainsi modifier les facteurs associés étroitement aux normes sociales et culturelles, comme la diminution de la tolérance à l’égard de la violence, la modification des lois discriminatoires et des sanctions juridiques pour les actes de violence sexuelle, et la mise en œuvre de politiques plus équitables en matière de genre1,4.

L’influence des médias d’information sur les normes sociales

En plus de constituer un important canal de diffusion de l’information, les médias d’information peuvent influencer les normes sociales, notamment en matière de santé7, et ainsi façonner les idées et les perceptions de ce qui est considéré comme socialement acceptable5,8,9–11. Leur rôle dans le façonnement des normes sociales peut être positif. Par exemple, en mettant de l’avant l’ampleur, les facteurs de risque et les conséquences associés à la violence, ils peuvent sensibiliser la population à des enjeux majeurs de société et l’influencer de façon positive5,12. Ils peuvent également offrir une voix et une tribune aux femmes et aux personnes victimes et survivantes, et inscrire les enjeux critiques à l’ordre du jour politique5.

Toutefois, la façon de présenter certains éléments dans les couvertures médiatiques peut porter préjudice, même si cela est fait de façon involontaire. Par exemple, en véhiculant des mythes et des représentations stéréotypées, les médias peuvent renforcer les normes sociales qui favorisent la discrimination fondée sur le genre, les inégalités entre les sexes et la violence contre les filles et les femmes5. Les médias peuvent également influencer les normes sociales lorsqu’ils décident de ne pas traiter certains comportements existant dans la société ou de les minimiser7.

Les conséquences potentielles du traitement médiatique de la violence sexuelle

Par leur couverture médiatique de cas de violence sexuelle ou d’enjeux plus larges qui y sont associés, les médias d’information peuvent influencer les attitudes, les croyances et les comportements de la population5,8,9–11.

Un traitement médiatique inadéquat de la violence sexuelle peut :

  • véhiculer des mythes, des préjugés ou des stéréotypes et mener à du sensationnalisme;
  • partager des informations fausses sur la violence sexuelle;
  • renforcer les normes sociales favorisant la discrimination fondée sur le genre, les inégalités entre les sexes et la violence contre les filles et les femmes;
  • contribuer à la normalisation de la violence;
  • traumatiser à nouveau les personnes victimes et survivantes;
  • entraîner des manifestations de racisme et de haine envers certains groupes5,10,12.

Un traitement médiatique adéquat de la violence sexuelle peut :

  • faire évoluer de façon positive les attitudes, les croyances et les comportements de la population;
  • faire la promotion de normes sociales égalitaires et respectueuses;
  • sensibiliser la population au fait de recevoir un potentiel dévoilement de violence sexuelle et la référer aux bonnes ressources;
  • influencer l’évolution des politiques publiques et de la législation sur les questions liées à l’inégalité des sexes et des genres et à la violence genrée et sexuelle12–14;
  • avoir des conséquences positives sur les personnes victimes et survivantes :
    • influencer leur reconnaissance et leur compréhension de leurs propres expériences de violence5,13,15;
    • influencer leur décision de s’exprimer ou de chercher du soutien en lien avec leur vécu13,14.

Une plus grande couverture journalistique qui traite adéquatement la violence sexuelle pourrait encourager les demandes de soutien et d’information par les personnes victimes et survivantes et les personnes auteures, en plus d’augmenter les taux de dénonciation à la police5,14,16. Par exemple, lors du mouvement #MeToo, mot-clic devenu viral en octobre 2017 et utilisé par des milliers de personnes sur les médias sociaux pour partager le fait d’avoir été victime de violence sexuelle, le Québec a enregistré une forte hausse du taux déclaré de personnes victimes d’agression sexuelle, selon les données rapportées par la police, pour les mois d’octobre à décembre 201717.

Références

  1. World Health Organization et London School of Hygiene and Tropical Medicine. (2010). « Preventing intimate partner and sexual violence against women: taking action and generating evidence », Injury Prevention, vol. 16, n° 5, p. 359‑360.
  2. Institute for Reproductive Health (2020). Social Norms Exploration Tool, [en ligne], Washington, DC, Georgetown University, <https://www.end-violence.org/sites/default/files/paragraphs/download/So…; (consulté le 31 janvier 2024).
  3. World Health Organization (2022). Reporting on violence against children: A guide for journalists, [en ligne], World Health Organization, <https://www.who.int/publications-detail-redirect/9789240052116&gt; (consulté le 21 septembre 2022).
  4. Minnesota Coalition Against Sexual Assault (MNCASA) (2017). Reporting on Sexual Violence: A guide for journalists (second edition), [en ligne], Minnesota, États-Unis, Minnesota Coalition Against Sexual Assault (MNCASA), <https://mncasa.org/wp-content/uploads/2022/06/Reporting-on-Sexual-Viole…; (consulté le 3 novembre 2023).
  5. Deligiorgis, D., et M. Benkirane (2020). La grande conversation : Manuel de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles dans et à travers les médias, [en ligne], UNESCO et ONU Femmes, <https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000372923&gt; (consulté le 25 octobre 2023).
  6. World Health Organization (2014). Global status report on violence prevention 2014, [en ligne], World Health Organization, <https://www.who.int/publications-detail-redirect/9789241564793&gt; (consulté le 31 janvier 2024).
  7. Renaud, L., C. Bouchard, M. Caron-Bouchard, L. Dubé, D. Maisonneuve et L. Mongeau (2004). « Modèle du façonnement des normes par les processus médiatiques », dans Communications : Horizons de pratiques et de recherche, Montréal, Presses de l’Université du Québec, p. 235-259 (432 p.).
  8. Elford, S., S. Giannitsopoulou et F. Khan (2017). #LesBONSmots : La couverture médiatique de la violence sexuelle au Canada, Toronto, Ontario, Femifesto.
  9. Aroustamian, C. (2020). « Time’s up: Recognising sexual violence as a public policy issue: A qualitative content analysis of sexual violence cases and the media », Aggression and Violent Behavior, vol. 50, p. 101341.
  10. Morrison, J., et C. Dietzel (2023). Unpacking the narrative: An analysis of media guides about responsible reporting on sexual violence, iMPACTS, Collaborations to Adress Sexual Violence on Campus, McGill University.
  11. Khan, F., S. Giannitsopoulou, A. Elmi, A. Snow, A. Naushan, C. Bridgeman, I. Maudsley, N. McMillan et D. Patel (2023). Use the Right Words: Media Reporting on Sexual Violence in Canada, [en ligne], Possibility Seeds, Femifesto, <https://possibilityseeds.ca/wp-content/uploads/2023/09/1.-Use-the-Right…; (consulté le 8 septembre 2023).
  12. Fuentes, L., A. S. Saxena et J. Bitterly (2022). Mapping the nexus between media reporting of violence against girls: The normalization of violence, and the perpetuation of harmful gender norms and stereotypes., [en ligne], UN Women, <https://www.unwomen.org/sites/default/files/2022-08/Evidence-review-Map…; (consulté le 25 octobre 2023).
  13. Zero Tolerance (2021). Media Guidelines on Violence Against Women, [en ligne], Edinburgh, United Kingdom, Zero Tolerance, <https://www.zerotolerance.org.uk/resources/Media-Guidelines-on-Violence…; (consulté le 8 septembre 2023).
  14. Our WATCh (2019). How to report on violence against women and their children, Australie, End violence against Women And Their Children.
  15. Sutherland, G., A. McCormack, J. Pirkis, C. Vaughan, M. Dunne-Breen, P. Easteal et K. Holland (2016). Media representations of violence against women and their children : Final report, [en ligne], Australie, Australia’s National Research Organisation for Women’s Safety Limited (ANROWS), <https://d2bb010tdzqaq7.cloudfront.net/wp-content/uploads/sites/2/2019/0…; (consulté le 1 novembre 2023).
  16. Rotenberg, C., et A. Cotter (2018). Les agressions sexuelles déclarées par la police au Canada avant et après le mouvement #MoiAussi, 2016 et 2017, [en ligne], Statistique Canada, <https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2018001/article/54979-fra…; (consulté le 11 juillet 2023).

Rédaction : Maude Lachapelle, conseillère scientifique, INSPQ
Cynthia Nasr, conseillère scientifique, INSPQ
Collaboration : Dominique Gagné, conseillère scientifique, INSPQ
Richard Daigle, agent d'information, INSPQ
Amélie Daoust-Boisvert, Professeure adjointe au département de journalisme à l’Université Concordia
Révision externe : Karine Mac Donald, criminologue et coordonnatrice aux communications 
et aux relations publiques du Réseau des CAVAC
Malorie Comtois, travailleuse sociale et spécialiste clinique en violences à caractère sexuel à Juripop

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