Définitions

Plusieurs approches théoriques ont été proposées pour définir la violence conjugale. Ces approches s’appuient sur différents modèles explicatifs de la violence entre partenaires intimes1. Certains courants mettent davantage l’accent sur des caractéristiques psychologiques, biologiques ou comportementales des personnes ou des familles impliquées, alors que d’autres réfèrent à des explications plus macrosociales [4]. Par exemple, l’approche féministe situe la violence conjugale comme une manifestation des rapports historiquement inégaux entre les hommes et les femmes. La perspective sociologique, quant à elle, explique la violence conjugale en référant davantage aux normes sociales et à la culture. Reconnaissant la complexité du phénomène et les apports théoriques de plusieurs disciplines, le cadre conceptuel retenu en santé publique est basé sur le modèle écologique. Celui-ci intègre les multiples perspectives et considère l’interaction de plusieurs facteurs qui se situent tant au niveau sociétal, communautaire, relationnel et individuel [10–12].

Dans sa Politique, le gouvernement du Québec définit la violence conjugale de cette manière :

« La violence conjugale se caractérise par une série d’actes répétitifs, qui se produisent généralement selon une courbe ascendante. […] La violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles, ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie. » [7] Ainsi, la violence conjugale est appréhendée comme une tentative de prise de contrôle qui s’établit dans un rapport de domination [7]. »

En phase avec plusieurs organisations internationales, dont l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [12], la perspective du gouvernement du Québec reconnaît que la violence des hommes envers les femmes demeure beaucoup plus importante que celle des femmes envers les hommes. Plus encore, la violence de la part d’un partenaire intime serait la manifestation la plus fréquente de violence faite aux femmes [10]. La définition retenue au Québec est également conforme à celle de chercheurs qui appréhendent la violence entre partenaires intimes dans une perspective féministe [5,13]. Bien que des nuances existent, la violence conjugale définie ainsi implique une dynamique de pouvoir dans laquelle le conjoint utilise diverses stratégies (ex. : harcèlement, intimidation, comportements de coercition, violence émotionnelle, isolement social) pour obtenir ou maintenir un contrôle général sur sa partenaire [14,15]. Ce type de violence se caractérise surtout par un schéma de comportements de contrôle coercitif exercé dans différentes sphères, mais aussi par la fréquence des comportements violents, leur gravité et leur intensité qui augmente avec le temps [16,17].

La violence conjugale survient à l’intérieur d’un cycle appelé le « cycle de la violence conjugale » qui comporte quatre phases2 : tension, agression, justification et réconciliation. Ce cycle a tendance à se répéter et s’intensifier dans le temps. Certains auteurs utilisent les termes « terrorisme intime ou conjugal » [6,14,15,17], « violence conjugale coercitive » [16] ou « contrôle coercitif » [18] pour désigner ce type de violence. En contexte d’un couple hétérosexuel, la violence conjugale ainsi définie est presque exclusivement exercée par des hommes à l’endroit des femmes [17,19].

D’autres chercheurs œuvrant principalement dans le domaine de la violence familiale appréhendent la violence entre conjoints sous l’angle des comportements violents commis dans un contexte de conflits entre les partenaires [5]. Sans présenter un schéma général de contrôle, cette violence s’inscrit plutôt dans une dynamique violente de gestion des conflits ou d’une réponse inadaptée au stress, à l’exaspération et à la colère issus de ces conflits [14]. Des études ont permis de documenter que ce type de violence dite parfois « situationnelle » est exercée à la fois par des hommes et des femmes [20], et peut être réciproque, notamment chez les jeunes adultes [21].

Il est également possible d’appréhender la violence conjugale sous l’angle des conséquences qu’elle engendre sur les personnes qui la vivent. L’OMS définit la violence entre partenaires intimes comme suit : « … tout comportement au sein d’une relation intime qui cause un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui sont parties à cette relation » (Heise et Moreno, 2002, p.99). Bien que la violence physique (ex. : coups, bousculades, étranglement, brûlures) soit celle qui a davantage été étudiée et socialement condamnée, il est reconnu que la violence conjugale englobe des manifestations beaucoup plus vastes. Par exemple, elle s’exprime par des comportements de contrôle, des propos méprisants, des cris, du harcèlement, de l’exploitation financière, de la violence sexuelle (ex. : agressions sexuelles, viols, coercition sexuelle et reproductive, pratiques sexuelles non désirées). Ces manifestations de violence surviennent dans un contexte où les personnes impliquées sont liées – actuellement ou dans le passé – par un rapport d’intimité, et entraînent diverses conséquences néfastes [6].

Les nombreux débats autour de la définition de la violence conjugale, tant au Québec qu’au Canada et ailleurs dans le monde, ont mené certains auteurs à proposer des typologies pour réconcilier ces perspectives [14,16]. D’autres proposent d’envisager la violence conjugale sous l’angle des multiples dynamiques et préfèrent parler des « violences conjugales », permettant ainsi de traduire les diverses réalités de violence vécue entre partenaires intimes [6]. Ainsi, il est de plus en plus reconnu que la violence conjugale peut s’exercer sur un continuum et qu’il existe plusieurs types/dynamiques de violence dans le cadre d’une relation intime. La question de la définition de la violence conjugale demeure cependant d’actualité, d’autant plus que la documentation scientifique sur l’ampleur, les facteurs de risque, les conséquences et la prévention permet rarement d’englober l’ensemble des réalités vécues et de considérer toutes les nuances et distinctions qui s’imposent [22].

À travers les définitions et au-delà des débats entourant ses causes, on retrouve toujours la notion de l’usage de la violence exercée dans le cadre d’une relation intime qui engendre des conséquences sur la santé et le bien-être des personnes qui la subissent, principalement des femmes et des enfants [4,12]. Dans ce chapitre, à moins d’indication contraire, la violence conjugale est celle qui survient entre deux personnes liées, dans le passé ou actuellement, dans une relation hétérosexuelle ou non3, de nature amoureuse, intime ou conjugale, et ce, peu importe que la violence soit physique, sexuelle, psychologique, verbale, économique, spirituelle ou autre. Une dynamique de contrôle est souvent présente.

  1. Au Québec, il est d’usage d’utiliser les termes « violence conjugale » pour parler de la violence vécue au sein d’une relation intime. Dans ce chapitre, les deux termes sont utilisés sans distinction. Par ailleurs, la notion même de partenaires intimes ne fait pas consensus. Certains auteurs considèrent uniquement les partenaires intimes qui sont mariés ou en union de fait, tandis que d’autres incluent les partenaires amoureux en union libre ou qui ne cohabitent pas. Dans ce chapitre, les termes « partenaire intime ou conjugal » incluent à la fois les conjoints mariés ou en union de fait, les amis intimes et les partenaires amoureux, actuels ou anciens.
  2. Il est à noter que la phase de réconciliation n’est pas toujours présente dans le cycle, et qu’elle tend à raccourcir ou à disparaître avec le temps.
  3. Puisque la recherche s’est davantage intéressée à la violence exercée par un homme à l’endroit d’une femme dans le contexte d’une relation hétérosexuelle, notamment en raison de l’ampleur et des conséquences de cette violence, la plupart des connaissances scientifiques présentées dans ce chapitre documentent plus particulièrement cet aspect de la problématique.