Contexte de vulnérabilité : femmes handicapées

Avec la collaboration de Karine Levasseur, conseillère aux projets interministériels, Office des personnes handicapées du Québec

Faits saillants

  • Les femmes handicapées ont un risque accru d’être victime de violence conjugale1.
  • Elles font face à de nombreux obstacles pour avoir accès à des services adaptés et capables de les accueillir, ce qui accroit le risque que la violence conjugale se perpétue1,2.
  • Les actions de prévention de la violence conjugale devraient s’adresser à la fois aux personnes handicapées, aux intervenants ainsi qu’aux services de soutien qui leur sont destinés.
  • En 2006, la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’Organisation des Nations unies (ONU) entrait en vigueur et reconnaissait que les personnes handicapées ont un risque accru de victimisation, particulièrement les femmes et les filles. Le Canada s’engageait alors à prendre toutes les mesures pour les protéger9.
  • La politique gouvernementale À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité, cible comme l’une de ses priorités, l’action contre toute forme d’exploitation, de violence et de maltraitance à l’égard des personnes handicapées10.

La violence conjugale vécue par les femmes handicapées est une problématique méconnue et très peu documentée3,4. Cette situation s’expliquerait, en partie, par le mythe selon lequel les femmes handicapées n’ont pas de vie sexuelle et ne vivent pas en couple5,6,7.

Les femmes handicapées constituent un groupe de la population particulièrement vulnérable à la violence conjugale notamment parce qu’elles vivent souvent dans une situation de dépendance à leur conjoint2,8. Les problèmes d’intégration sociale jumelés à ceux liés à la dépendance économique peuvent constituer une source de tensions dans le couple favorisant l’explosion de la violence8.

Ampleur de la violence conjugale chez les femmes handicapées

Dans l’ESG, les personnes avec incapacité sont celles ayant déclaré avoir des difficultés à entendre, à voir, à communiquer, à marcher, à monter un escalier, à se pencher, à apprendre ou à faire d’autres activités semblables ou ayant un état physique, un état mental ou un problème de santé réduisant la quantité ou le genre d’activités qu’elles peuvent faire à la maison, au travail ou à l'école, dans leurs déplacements ou leurs loisirs. 

Les femmes handicapées ont un risque accru d’être victimes de violence conjugale et de subir des formes plus sévères de violence3. La principale source de données sur la victimisation et sur la violence subie par les personnes ayant une incapacité au Canada est l’Enquête sociale générale sur la victimisation de Statistique Canada (ESG).

  • En 2014, la proportion de femmes avec incapacité qui ont déclaré être victimes de violence conjugale, qu’il s’agisse d’actes de violence physique ou sexuelle, au cours des cinq années précédant l’enquête était plus du double de celles sans incapacité (6,2 % c. 2,7 %)11.
  • En 2004, une femme avec incapacité sur quatre (25,8 %) a déclaré avoir déjà subi de la violence émotionnelle de la part de son conjoint2.
  • En 2004, les femmes avec incapacité étaient plus nombreuses à déclarer avoir été victimes de violence financière (8 % c. 3,6 %) de la part de leur conjoint que celles sans incapacité2.

Facteurs de vulnérabilité à la violence conjugale chez les femmes handicapées

La littérature scientifique permet d’identifier un certain nombre d’éléments pouvant expliquer la plus grande vulnérabilité des femmes handicapées à la violence conjugale.

Les femmes handicapées peuvent être isolées de différentes façons. Le conjoint peut restreindre l’accès à des services d’aide, l’utilisation des outils de communication, etc. Ces gestes de contrôle affectent la capacité de la personne handicapée à se protéger contre des actes de violence4,12.

La dépendance physique, économique, financière et la pauvreté augmentent le risque de la femme handicapée de subir de la violence. La dépendance aux autres pour les soins, souvent dispensés par le conjoint, fait aussi en sorte que ces femmes peuvent être davantage à risque d'être victime de violence conjugale. La proximité de la personne qui leur dispense des soins et le caractère intime de ceux-ci peuvent contribuer à augmenter leur vulnérabilité à subir de la violence4,13.

Bien que des progrès aient été faits au cours des dernières années, les attitudes et les stéréotypes sociaux négatifs face aux personnes handicapées continuent d’être des sources d’oppression et de marginalisation qui peuvent inhiber la recherche d’aide. On pense notamment à la tendance à les traiter comme des enfants, à les considérer sans sexualité et à les percevoir comme des témoins non qualifiés7.

Le type et le nombre d’incapacités peuvent influencer la capacité des personnes handicapées à utiliser les moyens pour se protéger contre des agressions ou à les dénoncer et ainsi accroître leur vulnérabilité. Les femmes ayant des incapacités rapportent une combinaison d’incidents variés, d’agresseurs multiples et sur une plus longue durée que les femmes sans incapacité6. Si la personne a en plus des problèmes à communiquer, il s’agit d’un obstacle supplémentaire à la dénonciation d’une situation de violence conjugale.

Le manque de services adaptés capables d’accueillir et de soutenir les femmes handicapées en matière de violence conjugale accroit le risque que la violence se perpétue1,2. Par exemple, il est possible que le personnel ne soit pas formé à comprendre la langue des signes québécoise en présence d’une personne qui a une incapacité auditive, qu’une maison d’hébergement ne soit pas accessible pour les personnes handicapées qui se déplacent en fauteuil roulant ou qu’aucun moyen de transport adapté ne soit disponible pour s’y rendre.

Les femmes handicapées auraient davantage de difficultés que les autres femmes à dévoiler la violence conjugale qu’elles subissent par crainte de se retrouver sans ressources matérielles, d’être placées en établissement, de perdre la garde de leurs enfants ou de ne pas retrouver un autre conjoint2,7,13.

Prévention de la violence conjugale chez les femmes handicapées

Certaines conditions peuvent être mises en place afin de prévenir la violence conjugale vécue par les femmes handicapées :

  • Promouvoir l’insertion sociale des femmes handicapées sur les plans économique et professionnel7.
  • Sensibiliser le public et les intervenants à la problématique de la violence conjugale envers les femmes handicapées ainsi qu’à leurs besoins2,7.
  • Offrir des activités de formation aux intervenants sur l’intervention auprès des personnes handicapées et la violence conjugale2,7,14.
  • Adapter les lieux physiques et les outils afin de favoriser l’accessibilité à des ressources d’aide appropriées aux besoins des personnes handicapées : par exemple améliorer l’environnement physique des maisons d’hébergement2.

Mythes et réalité entourant la violence conjugale chez les personnes immigrantes

Des mythes entourant la violence conjugale sont véhiculés dans la population. Certains d’entre eux ont trait à la violence vécue par les femmes handicapées.

Mythe : Les femmes handicapées n’ont pas de vie sexuelle et ne vivent pas en couple.

Réalité : La réalité indique que bon nombre de femmes handicapées vivent dans une relation de couple et qu’elles sont près du double des femmes sans incapacité à déclarer subir de la violence conjugale11.

Mythe : Les femmes ayant une incapacité intellectuelle sont des témoins non qualifiées/crédibles.

Réalité : La cause R. c. D.A.I. [2012] offre un argumentaire sur lequel une personne handicapée peut s’appuyer pour démontrer le contraire. Dans son jugement, la juge Mc Laughlin de la Cour suprême du Canada indique clairement que « Des adultes ayant une déficience intellectuelle peuvent concrètement faire la différence entre la vérité et le mensonge et savoir qu’ils doivent dire la vérité sans être capables d’expliquer en termes abstraits ce que signifie dire la vérité.  Lorsqu’un tel témoin promet de dire la vérité, cela confirme le caractère sérieux de la situation et la nécessité de dire ce qui s’est vraiment produit »16.

Pour en savoir plus :

Ressources d’aide pour les personnes impliquées dans la violence conjugale

Contacts médias

Références

  1. Agence de la santé publique du Canada (2004). La violence envers les femmes handicapées. Ottawa : Centre national d’information sur la violence dans la famille.
  2. Office des personnes handicapées du Québec (2010). Évaluation des besoins d’adaptation des services offerts aux femmes handicapées victimes de violence conjugale. Drummondville : Service de l’évaluation de l’intégration sociale et de la recherche, l’Office des personnes handicapées du Québec.
  3. Brownridge, D.A. (2006). Partner violence against women with disabilities. Violence Against Women, 12(9), 805-822.
  4. Plummer, S.B. et Findley, P.A. (2012). Women with disabilities’ experience with physical and sexual abuse : Review of the literature and implications for field. Trauma, Violence and Abuse, 13(1), 15-29.
  5. Barnett, O., Miller-Perrin, C.L. et Perrin, R.D. (2005). Family violence across the lifespan : An introduction. California : Sage Publications.
  6. Nosek, M. A., Walter, L. J., Young, M. E. et Howland, C. A. (2003). Lifelong patterns of abuse experienced by women with physical disabilities.J. Interp. Viol., 18(2), 177-189.
  7. Rivers-Moore, B. (1993). La violence familiale à l’égard des femmes handicapées. Ottawa : Centre national d’information sur la violence dans la famille.
  8. Gouvernement du Québec (1995). Politique d'intervention en matière de violence conjugale. Prévenir, dépister, contrer. Québec : Gouvernement du Québec.
  9. Organisation des Nations Unies (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées, consulté le 18 juin 2014, de : www.un.org/french/disabilities/default.asp?id=1413
  10. Gouvernement du Québec (2009). À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité. Politique gouvernementale pour accroître la participation sociale des personnes handicapées. Drummondville : L’Office des personnes handicapées du Québec.
  11. Statistique Canada (2018). La victimisation avec violence chez les femmes ayant une incapacité, 2014. Ottawa : Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada.
  12. Gilson, S. F., DePoy, E. et Cramer, E. P. (2001). Linking the assessment of self-reported functional capacity with abuse experiences of women with disabilities. Violence Against Women, 7(4), 418-431.
  13. Thomas, K. A., Joshi, M.,Wittenberg, E. et McCloskey, L. A. (2008). Intersections of harm and health: A qualitative study of intimate partner violence in women’s lives. Violence Against Women, 14(11), 1252-1273.
  14. Brodwin, M.G. et Siu, F. W. (2007). Domestic violence against women who have disabilities : What educators need to know. Education, 127(4), 548-551.
  15. Ballan, M.S. et Burke Freyer, M. (2012). Self-defense among women with disabilities : An unexplored domain in domestic violence cases. Violence Against Women, 18(9), 1083-1107.
  16. R. c. D.A.I.[2012] CSC 5, 1 RCS 149.