Le dévoilement de la violence sexuelle vécue à l’âge adulte

Le dévoilement de la violence sexuelle vécue à l’âge adulte peut représenter l’aboutissement d’un long processus décisionnel au cours duquel la personne évalue les risques et les bénéfices associés au dévoilement. Malgré les mouvements sociaux tels que #MoiAussi et la médiatisation grandissante des dénonciations par des adultes victimes de violence sexuelle, plusieurs personnes victimes choisissent de ne pas parler de ce qu’elles ont vécu, et ce, pour différentes raisons. Toutefois, chez certaines personnes, le fait de ne pas dévoiler la violence sexuelle subie peut avoir un impact négatif sur leur santé et entraîner d’importantes conséquences, incluant une probabilité plus élevée de revictimisation sexuelle1.

Selon les résultats d’une enquête québécoise menée en milieu universitairea, plus du tiers (35,9 %) des personnes ayant rapporté avoir vécu au moins une forme de violence sexuelle commise par une autre personne affiliée à l’université depuis leur arrivée dans l’établissement n’ont jamais dévoilé la situation à quiconque. Les hommes étaient moins susceptibles de l’avoir dévoilée (50,2 %) que les femmes (67,4 %) et que les personnes de la diversité de genre (70,8 %)2. En milieu collégialb, plus de la moitié (53,8 %) des personnes ayant subi une forme de violence sexuelle au cégep n’ont jamais dévoilé la situation à quiconque3.

D’autres études menées au sein de populations étudiantes révèlent aussi qu’une proportion importante des personnes ayant rapporté avoir vécu une ou plusieurs expériences de violence sexuelle n’ont pas dévoilé leur expérience à quiconque, soit de 25 % à 55 %1, et que les femmes sont plus susceptibles de dévoiler que les hommes4.

Enquêtes québécoises menées en milieu collégial et en milieu universitaire

a L’Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU) a été réalisée en 2016 auprès d’un échantillon de 9 284 personnes, travaillant ou étudiant dans l’une des six universités québécoises francophones incluses dans l’enquête.

b Le Projet intercollégial d’étude sur le consentement, l’égalité et la sexualité (PIECES) a été mené en 2019 auprès d’un échantillon de 6 006 personnes, travaillant ou étudiant dans l’un ou l’autre des cinq cégeps inclus dans le projet.

À qui les personnes adultes dévoilent-elles la violence sexuelle subie?

Les personnes victimes de violence sexuelle à l’âge adulte la dévoilent davantage à des sources informelles de soutien, comme aux amies ou amis (ou des pairs), aux partenaires intimes ou amoureux ou aux membres de la famille1,4,5. Le dévoilement auprès de sources formelles, comme à la police, aux professionnelles ou professionnels de la santé, aux thérapeutes ou aux conseillères ou conseillers, est beaucoup moins fréquent, ces sources étant souvent consultées en dernier ressort1,5. Selon l’Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation de 2014 réalisée au Canada, les personnes ayant vécu une agression sexuelle dans cette même année ont déclaré en avoir parlé majoritairement à une amie ou un ami ou à une personne du voisinage (64 %), suivi d’une ou un membre de la famille (41 %), d’une ou un collègue de travail (24 %), puis d’une ou un médecin ou d’une infirmière ou un infirmier (6 %)6. Selon cette même enquête, 19 % des femmes victimes d’agression sexuelle ont déclaré avoir consulté un service de soutien (p. ex. un centre de crise, une ligne d’écoute téléphonique, un service d’aide aux victimes, une ou un psychologue)6. Les personnes de la diversité sexuelle et de genre, qui ont été victimes d’agression sexuelle, la dévoilent aussi davantage à des sources informelles de soutien (de 9 à 44 %), comparativement aux sources de soutien formel (de 4 à 21 %)7. Les femmes bisexuelles dévoileraient davantage que les femmes lesbiennes ou hétérosexuelles, autant auprès de sources de soutien informel (24 à 77 %) que formel (9 à 71 %)7.

En milieux universitaire et collégial, les personnes victimes ayant dévoilé une violence sexuelle rapportent en majorité s’être confiées à une ou un membre de leur entourage et à une personne affiliée à l’université. Peu d’entre elles choisissent de dévoiler la situation aux ressources extérieures à l’université ou au cégep, et aux autorités policières2,3.

Graphique 3 - Sources de dévoilement d'une violence à caractère sexuel, à l'université et au cégep, Québec

 

Sources : Enquêtes ESSIMU et PIÈCES
Bergeron, M., A. Gagnon, M.-È. Blackburn, D. M-Lavoie, C. Paré, S. Roy, A. Szabo et C. Bourget (2020). Rapport de recherche de l’enquête PIECES : Violences sexuelles en milieu collégial au Québec, Montréal, Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur, Université du Québec à Montréal, (consulté le 5 décembre 2022).

Bergeron, M., M. Hébert, S. Ricci, M.-F. Goyer, N. Duhamel, L. Kurtzman, I. Auclair, L. Clennett-Sirois, I. Daigneault, D. Damant, S. Demers, J. Dion, F. Lavoie, G. Paquette et S. Parent (2016). Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec : Rapport de recherche de l’enquête ESSIMU, [en ligne], Montréal, Université du Québec à Montréal, (consulté le 5 décembre 2022).

Signalement et dénonciation formelle des agressions sexuelles vécues à l’âge adulte

Au Canada, la proportion des agressions sexuelles rapportée à la police est très faible, et il s’agit d’un des crimes violents les plus sous-rapportés. Selon les données de l’Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation de 2019, 6 % des incidents d’agression sexuelle survenus cette même année ont été portés à l’attention des services policiers8. Les incidents d'agression sexuelle, contrairement aux autres types de crimes mesurés dans cette enquête, étaient tout aussi susceptibles d’être portés à l’attention de la police par la victime (2,4 %) que d’une autre manière (3,3 %)8. Les données de l’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés (ESEPP) de 2018 vont dans le même sens et révèlent que 5 % des femmes ont déclaré que la police a eu connaissance de l’agression sexuelle la plus grave9.

Au Canada, moins d’une femme sur dix (9 %) ayant rapporté avoir été agressée sexuellement en milieu de travail a mentionné avoir déposé une plainte officielle ou formulé un grief10. Dans le milieu des Forces armées canadiennes, une personne victime d’agression sexuelle sur quatre, qui est membre de la Force régulière, a rapporté que l’incident avait été signalé à une personne en position d’autorité (p. ex. à une ou un superviseur militaire ou autre militaire en position d’autorité), alors qu’un peu moins d’une personne sur dix (9 %) a déclaré que l’incident avait été porté à l’attention de la police militaire ou du Service national des enquêtes des Forces canadiennes11.

Graphique 4 - Répartition des adultes (18 ans et plus) victimes d'infractions sexuelles signalées à la police, selon le délai de signalement à la police, 2020a

 

aDonnées actualisées
Source : ministère de la Sécurité publique. Données du Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC)

Concernant les situations de violence sexuelle en contexte universitaire, seulement 9,6 % des personnes victimes ont déclaré avoir dénoncé ou signalé la situation aux instances de leur université30. Ce faible recours aux services est également constaté en milieu collégial avec plus de neuf personnes victimes sur 10 (93,5 %) qui ont rapporté n’avoir jamais signalé ou dénoncé la situation à une instance ou une ressource du cégep31.

Délais de dévoilement

Au Québec, 3 055 infractions d’agressions sexuelles et 368 autres infractions d’ordre sexuel commises envers des adultes ont été déclarées par la police en 202012. Parmi ces infractions sexuelles (incluent les agressions sexuelles et les autres infractions d’ordre sexuel), plus de la moitié ont été signalées à la police dans un délai de moins de sept jours13.

En milieu universitaire, les deux tiers (68,1 %) des personnes qui ont dévoilé la violence sexuelle dont elles ont été victimes l’ont fait dans un délai de moins d’une semaine suite à l’évènement, suivi de 13,3 % en moins d’un mois, de 11,6 % en moins de 12 mois et de 4,6 % après une année ou plus2.

Raisons pour ne pas dévoiler la violence sexuelle

Plusieurs raisons sont évoquées par les personnes victimes de violence sexuelle à l’âge adulte pour ne pas la dévoiler ou retarder son dévoilement. Les raisons rapportées, pour en nommer que quelques-unes, sont :

  • La peur ou la crainte de ne pas être crues8;
  • Des sentiments de culpabilité ou de honte8;
  • Le désir de ne plus vouloir penser à l’évènement et de souhaiter passer à autre chose2;
  • La croyance que l’agression sexuelle subie n’était pas assez grave pour justifier un signalement, qu’il s’agissait d’un incident anodin ou qu’il s’agissait d’une affaire privée ou personnelle2,6,9;
  • La crainte des conséquences négatives sur soi et sur la personne auteure6,9,14;
  • Des craintes et des préoccupations envers la police et le processus judiciaire6,8,9,14.

Facilitateurs et obstacles au dévoilement de la violence sexuelle

Le tableau suivant présente : 1) les facteurs qui facilitent le dévoilement de la violence sexuelle vécue à l’âge adulte (facilitateurs), c’est-à-dire les éléments qui augmentent les probabilités de la dévoiler ou qui sont associés à un dévoilement plus rapide; et 2) les facteurs qui nuisent au dévoilement ou qui sont plus susceptibles d’en retarder le dévoilement (obstacles). Les facilitateurs et les obstacles présentés sont tirés d’études quantitatives et qualitatives, menées auprès d’adultes ayant vécu au moins expérience de violence sexuelle à l’âge adulte.

Selon les caractéristiques de l’individu
FacilitateursObstacles
  • La reconnaissance que l’agression sexuelle subie est un crime15
  • Des symptômes de reviviscence et d’hyperexcitation16
  • Des expériences positives passées de dévoilement d’une agression sexuelle7
  • La peur ou la crainte de ne pas être cru10
  • La peur d’être blâmé17
  • Des sentiments de honte, de culpabilité, d’embarras et d’impuissance1,6,9,10,15,16,18
  • La non-reconnaissance de l’évènement vécu comme étant de la violence sexuelle, la minimisation de la violence vécue ou la croyance que l’évènement n’était pas assez grave, sérieux ou qu’il était trop banal pour être signalé1,6,9,10,15,16,18;
  • La crainte des réactions négatives des autres1,7
  • La crainte des conséquences négatives sur soi (p. ex. sur sa sécurité financière et son emploi, sur le risque de représailles) et sur la personne auteure (p. ex. les conséquences juridiques sur la personne auteure)6,9,10,14
  • Le fait de ne pas vouloir qu’une autre personne soit au courant ou la volonté de garder l’expérience privée15,16
  • La croyance que l’agression sexuelle subie est une affaire privée ou personnelle6
  • Des symptômes d’évitement du syndrome de stress post-traumatique16
  • Des expériences négatives passées de dévoilement d’une agression sexuelle7
  • Des expériences de stigmatisation et de marginalisation (p. ex. avoir plusieurs identités marginalisées)7,17
Selon les caractéristiques de lla violence sexuelle subie
FacilitateursObstacles
  • Le fait pour la personne victime d’avoir résisté physiquement lors de l’agression sexuelle19
  • Avoir été blessé lors de l’agression sexuelle5
  • Le fait pour la personne victime d’avoir figé lors de l’agression sexuelle19
  • La consommation d’alcool de la personne victime au moment de l’agression sexuelle5,18
Selon le contexte relationnel et social
FacilitateursObstacles
  • Un niveau plus élevé de soutien social perçu et réel20
  • L’encouragement par les amies et amis et la famille à recourir aux services de santé15
  • Avoir une réponse positive lors du premier dévoilement informel incite à aller chercher de l’aide sur le campus15
  • S.O.
Selon le contexte sociétal
FacilitateursObstacles
  • Le fait d’être sensibilisé aux politiques universitaires (p. ex. les sanctions associées à la perpétration d’agressions sexuelles) et aux ressources disponibles7
  • La rigidité des rôles sexuels, les stéréotypes hétéronormatifs, les tabous et les mythes sur la violence sexuelle7,17
  • Les attitudes socioculturelles minimisant la gravité de la violence sexuelle et exposant les personnes victimes au blâme, à la honte, au scepticisme et à la stigmatisation14

Bien qu’il existe plusieurs facteurs individuels influençant le dévoilement, les facteurs environnementaux et contextuels jouent aussi un rôle déterminant. Sur les campus universitaires, une étude menée aux États-Unis auprès de 413 universités a montré que les signalements des agressions sexuelles seraient davantage influencés par le contexte institutionnel plutôt qu’individuel, tel qu’une forte mobilisation contre la violence, un centre pour la défense des droits des femmes et le fait d’avoir une femme comme rectrice21

Réactions au dévoilement de la violence sexuelle

La façon dont les autres réagissent au dévoilement d’une expérience de violence sexuelle a un impact considérable sur les personnes victimes, sur leur rétablissement ainsi que sur leur capacité d’adaptation1. Une personne victime de violence sexuelle sur cinq rapporte qu’une autre personne l’aurait fait sentir responsable ou l’aurait blâmée pour sa propre victimisation, comme en lui faisant sentir qu’elle était irresponsable, imprudente ou qu’elle aurait pu prévenir la situation2,9. Pour certaines personnes, le simple fait de dévoiler la violence sexuelle subie peut mener à de l’isolement social ou entraîner d’autres conséquences sociales et sur la santé17

De manière générale, les réactions positives sont associées à des effets bénéfiques chez les personnes qui dévoilent une expérience de violence sexuelle. Ces réactions peuvent représenter une expérience réparatrice contribuant favorablement au processus de rétablissement des personnes victimes. Les réactions négatives, quant à elles, ont le potentiel d’aggraver les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique5,7. Les personnes de la diversité sexuelle et de genre sont plus susceptibles d’anticiper une réaction négative face à leur dévoilement et de recevoir des réactions mitigées. Les femmes bisexuelles reçoivent généralement plus de réactions sociales négatives que les femmes hétérosexuelles cisgenres, ce qui aurait un impact sur leur sentiment de revivre un traumatisme7.

Le tableau suivant présente quelques exemples de réactions positives et négatives et de leurs impacts chez les personnes victimes, et sont tirés des résultats d’études scientifiques s’étant intéressées au sujet.

Pour en savoir plus sur comment aider une personne victime et recevoir son dévoilement, consultez la section Recevoir un dévoilement de violence sexuelle.

 

Références

  1. Halstead, V., J. R. Williams et R. Gonzalez-Guarda (2017). « Sexual violence in the college population: A systematic review of disclosure and campus resources and services », Journal of Clinical Nursing, vol. 26, n° 15‑16, p. 2137‑2153.
  2. Bergeron, M., M. Hébert, S. Ricci, M.-F. Goyer, N. Duhamel et L. Kurtzman (2016). Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec : Rapport de recherche de l’enquête ESSIMU, [en ligne], Montréal, Université du Québec à Montréal, <https://chairevssmes.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/124/Rapport-ESSIM…; (consulté le 19 janvier 2022).
  3. Bergeron, M., A. Gagnon, M.-È. Blackburn, D. M-Lavoie, C. Paré, S. Roy, A. Szabo et C. Bourget (2020). Rapport de recherche de l’enquête PIECES : Violences sexuelles en milieu collégial au Québec, Montréal, Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur, Université du Québec à Montréal.
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  11. Cotter, A. (2019). Les inconduites sexuelles dans la Force régulière des Forces armées canadiennes, 2018, [en ligne], Statistique Canada, <https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-603-x/85-603-x2019002-fra.htm&gt; (consulté le 9 août 2022).
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  14. Prochuk, A. (2018). WE ARE HERE: Women’s Experiences of the Barriers to Reporting Sexual Assault, [en ligne], Vacouver, West Coast LEAF, <http://www.westcoastleaf.org/wp-content/uploads/2018/10/West-Coast-Leaf…; (consulté le 27 mai 2022).
  15. Stoner, J. E., et R. J. Cramer (2019). « Sexual violence victimization among college females: A systematic review of rates, barriers, and facilitators of health service utilization on campus », Trauma, violence & abuse, vol. 20, n° 4, p. 520‑533.
  16. Walsh, R. M., et S. E. Bruce (2014). « Reporting decisions after sexual assault: The impact of mental health variables », Psychological Trauma: Theory, Research, Practice, and Policy, vol. 6, n° 6, p. 691‑699.
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  25. Ullman, S. E., et L. Peter-Hagene (2014). « Social reactions to sexual assault disclosure, coping, perceived control, and PTSD symptoms in sexual assault victims », Journal of Community Psychology, vol. 42, n° 4, p. 495‑508.
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Rédaction : Maude Lachapelle, conseillère scientifique, INSPQ
Catherine Moreau, conseillère scientifique, INSPQ 
Collaboration : Dominique Gagné, conseillère scientifique, INSPQ
Révision externe : Roxanne Guyon, Ph. D., professeure adjointe en sexologie à l’Université Laval
Jacinthe Dion, Ph. D., professeure titulaire en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières

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