La cyberpédophilie et le cyberespace
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Faits saillants
- S’il est impossible d’évaluer l’ampleur de l’exploitation et des abus sexuels d’enfants dans le Cyberespace, il est évident que l’accessibilité et l’anonymat que procurent les TIC ont largement contribué à l’augmentation des échanges de ce type de matériel.
- Bien qu’il semble difficile d’avancer que les TIC fabriquent de nouveaux déviants, le passage à l’acte de consommation de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants est multifactoriel, et varie en fonction de caractéristiques individuelles et circonstancielles.
- Il n’existe pas de profil type de cyberprédateurs et de consommateurs de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants, si ce n’est qu’ils sont des hommes dans la quasi-totalité des cas rapportés aux forces policières.
- La lutte contre la cyberpédophilie et la cyberprédation passe d’abord et avant tout par la sensibilisation à la violence sexuelle et le développement de l’esprit critique des jeunes sur les usages qu’ils font des TIC.
Qu’est-ce que la cyberpédophilie?
Tenter de circonscrire le thème de la cyberpédophilie est un défi parsemé d’embûches méthodologiques.
- D’une part, le cyberespace renvoie à de multiples technologies de l’information et des communications (TIC) (les groupes de discussion, les courriels, le web, les salles de clavardage, etc), lesquelles évoluent constamment et possèdent leurs spécificités (par exemple, certaines sont publiques, d’autres privées).
- D’autre part, la catégorie des cyberpédophiles en est une inévitablement simplifiée, où se côtoient1,2,3,4,5,6 :
- les consommateurs de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants (cybervoyeurs),
- les producteurs et les distributeurs de matériaux basés sur l’exploitation et l’abus sexuel d’enfants,
- les agresseurs sexuels d’enfants qui utilisent les TIC pour y parvenir (les cyberprédateurs),
- et les pédophiles.
Aussi, afin de ne pas alourdir inutilement le texte, le terme cyberpédophile, bien qu’imparfait, désignera cette pluralité d’individus hétéroclites dont les interactions sont essentiellement orientées par et axées autour des matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants dans le cyberespace et dont les comportements sont punissables depuis 2002 en vertu du Code criminel canadien sous l’article 163.1 qui interdit la production, la diffusion et l’accès à des matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants et l’article 172.1. qui punit le leurre d’enfants.
Le cyberespace et les TIC favorisent-il le passage à l’acte des pédophiles?
Il est complexe de statuer sur les liens qui peuvent exister entre la consommation de matériaux issus de l’exploitation ou de l’abus sexuel d’enfants et l’agression sexuelle.
Certains chercheurs considèrent que le visionnement permet d’apaiser les pulsions et de vivre les fantasmes sans passer à l’acte, d’autres diront qu’il permet au contraire de neutraliser la culpabilité des individus à l’égard de leurs sentiments déviants, légitimant ainsi – à leurs yeux – l’agression7-16.
Il faut ainsi distinguer le désir pédophilique de la pratique pédophile et retenir que « la dynamique du passage à l’acte peut varier d’un individu à un autre, voire chez un même individu, en fonction des circonstances et de son environnement du moment » (p. 23)17. Nous pouvons présumer que l’accessibilité grandissante à du matériel issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants grâce aux évolutions technologiques peut potentiellement servir, pour certains individus et dans certaines conditions particulières, de catalyseur à une passion déviante déjà existante18. C’est en ayant toutes ces nuances en tête qu’il faut aborder cette problématique aux multiples facettes. Il est donc exagéré d’affirmer que les TIC puissent « fabriquer » de nouveaux déviants.
Types de cyberpédophiles
Selon les données disponibles, c’est-à-dire celles obtenues à partir des individus connus du système de justice, il n’existe aucun profil type de cyberpédophiles, si ce n’est que ce sont essentiellement des hommes.
Quatre profils de consommateurs de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants se dégagent de ces études19-22. Il y a :
- le collectionneur, qui minimise ses interactions avec les autres internautes;
- le collectionneur/distributeur qui s’implique dans les communautés de consommateurs de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants, lesquelles jouent un rôle très important auprès des cyberpédophiles car c’est là qu’ils s’échangent des conseils techniques pour éviter d’être arrêtés, s’encouragent mutuellement à partager du matériel et cherchent à justifier leur passion qu’ils savent déviantes23,24;
- l’amateur abuseur(cyberprédateur ou non), qui parfois produira et diffusera ses agressions;
- l’amateur de « passage », le voyeur, cet internaute invisible aux chercheurs et aux policiers car il ne télécharge jamais le matériel visionné dans le cyberespace17.
Types de cyberprédateurs
Leurre d’un enfant par un moyen de télécommunication (art. 172.1 du Code criminel canadien) ou cyberprédation
Toute personne qui communique par un moyen de télécommunication avec une personne mineure (par courriel, clavardage, messagerie instantanée) en vue de perpétrer à son égard une infraction à caractère sexuel ou un enlèvement.
Concernant les cyberprédateurs, deux cas de figures apparaissent:
- d’une part, celui qui se fait passer pour un autre jeune et cherche à manipuler sa victime potentielle jusqu’à l’agression,
- d’autre part, celui qui ne ment ni sur son âge, ni sur ses intérêts sexuels et se présente comme un ami, un confident, voire un mentor dans la découverte de la sexualité25,26. D’ailleurs selon Wolak et al. (2008)26 et le Centre canadien de protection de l’enfance, la coercition ou les menaces sont loin d’être la règle en cette matière. Cependant, même si certains jeunes sont tout à fait conscients du caractère sexuel d’une éventuelle rencontre, ce type de comportement demeure interdit par le code criminel canadien.
Il ne faut jamais oublier que la grande majorité des agressions sexuelles sur des enfants sont perpétrés par des proches, et non par un internaute anonyme à l’affut d’une victime potentielle, bien que ces tristes exemples existent.
Les effets des TIC sur l’échange de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants
- Le développement rapide des TIC a grandement modifié la donne en ce qui concerne le phénomène de la pornographie juvénile27,28. Désormais, quiconque a accès à un ordinateur ou un téléphone intelligent et à une connexion internet peut télécharger la kyrielle de matériel d’exploitation et d’abus sexuel d’enfants disponible dans le cyberespace.
- Les trois « A » du monde virtuel, c’est-à-dire son accessibilité, son côté abordable et l’impression d’anonymat qu’il procure, facilitent plus que jamais les échanges illicites entre les usagers, que ce soit dans la distribution et la production de matériel d’exploitation et d’abus sexuel d’enfants ou dans les tentatives de leurre d’enfants à des fins sexuelles.
- Sans frontières géographiques, les TIC permettent à des consommateurs de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants de partout à travers le monde de se les partager de discuter dans la tranquillité de leur chez soi, cachés derrière une identité virtuelle29-32. Nous sommes loin des réseaux d’initiés d’autrefois où du matériel tangible (cassettes, DVD, revues) s’échangeait dans le monde incarné, de personne à personne ou par la poste.
L’ampleur du phénomène
Encore aujourd’hui, l’essentiel du matériel issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants transite gratuitement entre les consommateurs de ce type de contenu et majoritairement dans des réseaux d’initiés (et non dans le Web visible utilisé par monsieur-madame-tout-le-monde)17,33, ce qui rend quasi impossible la tâche de tracer le portrait statistique de la production, du partage et de la consommation de matériaux issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants en ligne.
- Bien qu’il soit hasardeux d’estimer l’ampleur du phénomène, il est néanmoins possible d’affirmer que la quantité de matériel issus de l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants disponible dans le cyberespace est considérable.
- À titre indicatif, Cyberaide.ca, centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur internet, traite en moyenne 100 000 signalements par mois venant du public et du Projet Arachnid. Les signalements d’incidents qui semblent contrevenir au Code criminel sont retransmis aux forces de l’ordre dans l’éventualité d’une enquête ou entraînent, s’il y a lieu, l’envoi d’une demande de retrait d’images d’abus pédosexuels à un fournisseur de services34 .
- Pour ce qui est de l’ampleur des cas de leurre et des sollicitations à caractère sexuel auprès des jeunes canadiens et québécois, il est également difficile de trancher car de nombreux cas ne sont jamais portés à l’attention des autorités. À titre indicatif, en 2017 au Canada, 1 310 affaires de leurre d’enfants par un moyen de télécommunication ont été déclarées par la police, ce qui représentait 16 % des infractions sexuelles contre les enfants déclarées par la police. Pour la même année, 6 360 affaires liées à l’exploitation et à l’abus sexuel d’enfants ont été déclarées par la police au Canada35.
La lutte à la cyberpédophilie
La lutte contre la cyberpédophile pose donc des défis importants. Pour y parvenir, cela passe impérativement par trois types d’actions.
- Tout d’abord, compte tenu des difficultés inhérentes à ce type d’enquête sur la cyberpédophilie, en particulier l’évolution rapide des TIC, il faut faciliter le travail de surveillance et de détection des policiers. Le caractère souvent international des investigations oblige également une étroite collaboration entre plusieurs corps policiers régis par des lois différentes. À cet égard, le Canada est très bien outillé légalement pour faire face aux multiples facettes de la cyberpédophilie. Depuis l’adoption du projet de loi C-22 en mars 2011, qui oblige les fournisseurs d’accès internet et autres personnes fournissant des services Internet, comme Facebook ou Google par exemple, à rapporter tout incident concernant l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants aux autorités policières, le Canada fait partie du peloton de tête dans le monde en matière de lutte contre la cyberpédophilie selon les critères établis par le International Centre for Missing and Exploited Children (www.icmec.org).
- Ensuite, il faut miser sur l’action citoyenne pour que l’ensemble de internautes rapportent les sites, les images et les propos jugés illicites ou tendancieux aux personnes habilitées à intervenir en bonne et due forme et en toute légalité. Des sites comme www.cyberaide.ca ou encore ceux des différents corps policiers du Québec, particulièrement celui de la Sureté du Québec (www.sq.gouv.qc.ca/), en sont de bons exemples.
- Enfin, il faut développer et investir davantage dans des campagnes de sensibilisation et d’éducation auprès des enfants, des parents et des enseignants – campagnes dont l’accent doit être mis sur le développement de l’esprit critique face aux usages des TIC ainsi que sur l’éducation sexuelle des jeunes (davantage que sur la peur de la cyberprédation qui, bien que nécessaire, reste trop souvent lointaine dans l’esprit des jeunes). Des organismes tels que Action Innocence, Cyberaide ou encore le Habilo médias offrent de nombreuses pistes de réflexion et d’actions pour minimiser les pratiques à risque dans le cyberespace et, corollairement, les risques de victimisation, que ce soit l’agression sexuelle, l’atteinte à la réputation ( le sexting par exemple), ou encore la diffusion d’images illicites. Informer, sensibiliser, éduquer et détecter, voilà les maîtres mots de la lutte contre l’exploitation et de l’abus sexuel d’enfants et la cyberpédophilie.
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Auteurs : Patrice Corriveau, Ph.D., Professeur agrégé, Département de criminologie, Université Ottawa
Christopher Greco, candidat au doctorat, Département de criminologie, Université Ottawa
Mise à jour des termes et des statistiques (2021) : Dave Poitras, conseiller scientifiques spécialisé, INSPQ
Dominique Gagné, conseillère scientifique, INSPQ