Prévention

Plusieurs États se sont donné une vision structurée de la lutte contre la maltraitance, dont le Québec avec son PAM-1 (2010) et son PAM-2 (2017). Les deux versions de ce plan d’action couvrent trois phases de l’intervention : la prévention primaire, la recherche de cas (aussi appelé repérage ou détection), et les interventions ponctuelles ou de suivi auprès des personnes aînées maltraitées ou, plus rarement, auprès des personnes maltraitantes ou des organisations maltraitantes. Étant donné le peu de pratiques ayant fait l’objet d’une évaluation d’implantation ou d’effets, cette section s’appuie majoritairement sur des descriptions de pratiques; les quelques éléments validés sont clairement indiqués. Le texte traite essentiellement de prévention primaire, et plus spécifiquement de quelques-uns de ses principes directeurs, et présente un bref inventaire de programmes et d’outils – particulièrement ceux du Québec –, et des recommandations de bonnes pratiques tirées de la littérature scientifique. Étant donné la quantité de pratiques tant au Québec qu’à travers le monde, cet inventaire ne peut être exhaustif. Lorsque disponibles, les informations spécifiques aux personnes aînées vivant à domicile ou dans des milieux de soins et d’hébergement sont exposées.

Le tableau 10 illustre que la pratique peut couvrir quatre cibles distinctes : les personnes, les relations entre les personnes, la communauté et la société dans son ensemble. À notre connaissance, tous les exemples rapportés dans ce tableau, à l’exception des programmes psychologiques ciblant les personnes qui maltraitent, sont des pratiques courantes au Québec. Par contre, le dépistage et la recherche de cas ne sont pas systématiques, et l’hébergement d’urgence n’est pas accessible dans toutes les régions.

Tableau 10 - Aperçu des interventions et de leur efficacité pour prévenir ou réduire la maltraitance envers les personnes aînées

Axe de prévention

Individuel

Relationnel

Communautaire

Sociétal

Promotion d’attitudes positives envers les aînés et sensibilisation au phénomène

 

Programmes scolaires intergénérationnels

Formation et sensibilisation des professionnels

Campagne de sensibilisation du grand public

Réduction des situations à risque tant pour l’aîné que pour son entourage

Campagne d’éducation destinée aux aînés

Programmes de formation destinés aux aidants rémunérés

Programmes de soutien pour les proches aidants

Encourager les attitudes positives des personnes qui travaillent auprès d’aînés

Programmes pour réduire les mesures de contention

Détection et suivi précoce et adéquat des situations de maltraitance

Soutien légal, psychologique et social pour aînés maltraités

Programmes psychologiques ciblant les personnes qui maltraitent

Dépistage et recherche de cas

Ligne d’écoute

Hébergement d’urgence

Services de protection des adultes

Signalement obligatoire

Source : Inspiré du rapport Recherche de cas de maltraitance envers des personnes aînées par des professionnels de la santé et des services sociaux en première ligne [106].

Orientation

Comme indiqué au tableau 10, la prévention de la maltraitance envers les personnes aînées comprend à la fois des actions visant la « réduction des situations à risque tant pour l’aîné que pour son entourage » ainsi que la « promotion d’attitudes positives envers les personnes aînées et la sensibilisation au phénomène ». Elle comprend notamment des actions ayant comme objectifs d’informer et d’éduquer la population générale [107] sur les facteurs de risque de la maltraitance, mais aussi sur les bonnes pratiques pour diminuer le risque qu’une telle situation puisse s’installer.

Exemples de programmes et d’outils

La prévention de la maltraitance passe d’abord par la transmission de l’information à l’aide de campagnes publicitaires ou d’information publique [108,109]. Ce type d’action vise l’ensemble de la population dans l’objectif de provoquer un changement tant individuel, relationnel, professionnel que sociétal. Ces campagnes utilisent diverses stratégies pour permettre aux gens de poser un regard critique sur les interactions pouvant avoir un impact négatif sur la personne aînée. Elles doivent dépasser la simple sensibilisation [109] pour altérer les perceptions âgistes. Depuis 2010, avec l’implantation du PAM-1, le Québec a mené quatre campagnes de sensibilisation à l’intention du grand public. Selon les campagnes, diverses stratégies furent utilisées : publicité à la télévision, à la radio ou sur le Web, production d’affiches ou de dépliants, etc. Alors que les deux premières campagnes ont misé sur l’explication de ce qu’est la maltraitance, la troisième l’a illustrée en exposant des situations claires de maltraitance. La dernière campagne, en 2017, a lié les actions visant à contrer l’intimidation et la maltraitance.

Les interventions éducationnelles permettent d’améliorer les connaissances et de modifier les attitudes des professionnels en matière de détection, de signalement et de suivi d’une situation de maltraitance [106]. Ce type d’intervention rend les professionnels actifs ou en devenir plus alertes aux signes de maltraitance, mais aussi plus habiles dans l’action à entreprendre avec l’aîné. Les interventions éducationnelles représentent l’une des 22 bonnes pratiques actuelles, identifiées dans une recension systématique de la littérature [110]. Une recension systématique des programmes éducationnels fait état de deux études de validation [33]. La première étude porte sur une présentation générale sur la maltraitance envers les personnes aînées, donnée à des infirmières auxiliaires. Leurs réactions ont été enregistrées, mais sans mesure prétest ou post-test, ni d’assignation aléatoire des participants, ni de comparaisons avec un groupe témoin (Smith, Davis, Blowers, Shenk, Jackson et Kalaw, 2010, cités par Day et collaborateurs [33]). Dans la seconde étude, des hygiénistes dentaires formés sur la maltraitance ont complété un prétest et un post-test au moyen d’un questionnaire postal, sans groupe de comparaison. Les résultats obtenus suggèrent que la formation a augmenté l’habileté des professionnels à reconnaître la maltraitance et la négligence (Harmer-Beem, 2005, cité par Day et collaborateurs [33]). Au Québec, de nombreuses interventions éducationnelles sont offertes, mais à défaut d’un relevé systématique, il est impossible d’en tracer un bilan exhaustif (nombres d’heures, format, public cible, etc.). En voici trois exemples. L’équipe de la Ligne Aide Abus Aînés a pour mandat de former des intervenants du réseau public de la santé et des services sociaux dans toutes les régions du Québec, ainsi que de former des formateurs. Des programmes universitaires de formation de futurs praticiens offrent des cours crédités de 45 heures sur la lutte contre la maltraitance (notamment les écoles de travail social des universités Laval et de Sherbrooke) ou des blocs de quelques heures intégrés dans la formation des bacheliers. Des formations ont aussi été offertes à divers acteurs, dont les membres du Regroupement provincial des comités des usagers.

La prévention passe aussi par l’usage de dispositifs divers et d’outils. Dans une visée de prévention, les rares outils de prévention ayant une composante psychométrique sont axés sur les facteurs de risque de la maltraitance. Un de ces outils validés, non spécifique à un milieu de vie, est le Social Vulnerability Scale, qui se centre précisément sur la vulnérabilité sociale de l’aîné dans l’objectif de détecter une situation d’exploitation financière avant sa survenue [111]. La Trousse SOS Abus [112] a recensé et mis à disposition du public un grand nombre d’outils de prévention, de dépistage, d’intervention et de formation en lien avec la problématique de la maltraitance envers les aînés. Plusieurs autres outils ont été développés depuis 2010. De l’avis de plusieurs organismes communautaires côtoyés dans divers projets de recherche, ce sont les saynètes, particulièrement celles où le public est invité à s’engager, qui sont les plus prisées.

Depuis plusieurs années, la promotion de la bientraitance a été développée en complémentarité à la lutte contre la maltraitance dans plusieurs pays francophones et hispanophones. Bien que le Québec ne faisait pas officiellement usage de ce terme avant la publication du PAM-2 en juin 2017, certaines actions déployées allaient en ce sens. L’encadré 3 expose les éléments centraux de la promotion de la bientraitance qui se centre notamment sur la promotion d’attitudes positives au regard du vieillissement [106]. 

Activités de prévention à domicile

En Europe, des pays mettent de l’avant des guides présentant de bonnes pratiques à domicile. En 2016, en France, le ministère des Affaires sociales et de la Santé ainsi que le secrétariat d’État chargé des personnes âgées et de l’autonomie s’associaient pour publier Aide à domicile aux personnes âgées : le guide de bonnes pratiques. Ce référentiel de bonnes pratiques se centre sur : 1) le libre choix de la personne aînée et la qualité de l’information délivrée; 2) le « juste prix »; 3) les conditions de travail des professionnels. En 2012, le Conseil Général de La Vienne soumettait des lignes de conduite à tenir pour chacune des prestations données aux bénéficiaires à l’aide du Guide des bonnes pratiques pour les professionnels de l’aide à domicile.

Les stratégies préventives permettent de diminuer le risque de maltraitance, mais aussi de prévenir toute nouvelle situation de maltraitance [115,116]. Par exemple, puisque l’épuisement et la dépression chez les aidants peuvent constituer des facteurs de risque de maltraitance, de l’aide à l’entretien ménager et à la préparation de repas, des mesures de répit, de l’éducation et des groupes de soutien peuvent notamment être mis en place. Au Québec, les organismes tels que le Regroupement des aidantes et aidants naturels (RAAN) ont comme mission de soutenir les proches aidants afin qu’ils puissent améliorer leur qualité de vie en participant à des activités et en recevant des services qui répondent à leurs besoins [117]. D’autres mesures préventives, telles que les lignes téléphoniques de soutien et de référencement pour les proches aidants, peuvent aussi permettre d’agir en prévention [110,118].

Activités de prévention dans les milieux de soins et d’hébergement

La promotion de la bientraitance en milieu d’hébergement permet l’amélioration des pratiques et favorise une meilleure qualité de vie pour les résidents et pour les intervenants [119]. Au Québec, depuis 2003-2004, le ministère de la Santé et des Services sociaux effectue des visites d’appréciation de la qualité des services offerts dans les différents CHSLD [120]. Ces visites d’appréciation, tout comme l’obtention d’une certification obligatoire en vertu de la Loi sur les services de santé et de services sociaux (LSSS) pour les milieux de vie privés, visent à assurer la qualité, donc à protéger la clientèle. Pour obtenir une certification, ces derniers doivent répondre à une série de normes [121,122]. L’adoption d’une approche centrée sur la promotion de la bientraitance dans les milieux d’hébergement constitue une action positive, en évitant de mettre l’accent sur la maltraitance, pour examiner les « conditions d’une prise en charge réussie » [123]. Avec l’avènement de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité [124], sanctionnée en mai 2017, tout établissement du réseau de la santé et des services sociaux doit se doter d’une politique de lutte contre la maltraitance comprenant des activités de prévention. L’implantation de cette loi laisse ainsi présager des changements de pratiques imminents. Le tableau 11 présente les bonnes pratiques recensées dans la littérature.

Stratégies permettant de promouvoir une culture de bientraitance dans les milieux d’hébergement : 

  • Définir un projet d’établissement et une démarche de qualité;
  • Identifier des figures de proue en lien avec la promotion de la bientraitance;
  • Améliorer la communication à l’interne et à l’externe;
  • Prévoir un plan de développement des compétences, toujours en lien avec la bientraitance, et une politique de mobilité du personnel;
  • Mettre en place un système de reconnaissance des gestes de bientraitance, avec un système d’évaluation;
  • Former et encadrer les pratiques du personnel soignant;
  • Consolider et mettre à jour les acquis;
  • Revoir l’organisation du travail ainsi que les rigidités nuisibles à la promotion de la bientraitance;
  • Penser à s’engager et à se consulter par des groupes de discussion;
  • Faire des jeux de rôles et des simulations d’intervention auprès des patients;
  • Assurer une supervision clinique.

Source : Comment prévenir une crise? Les leçons tirées des plaintes de maltraitance au Centre de soins de longue durée Saint-Charles-Borromée [123].

Tableau 11 - Bonnes pratiques en milieu de soins et d’hébergement recensées

Pratiques

Buts/objectifs

Informations supplémentaires

MobiQual
(France)

« Vise à améliorer la qualité des pratiques professionnelles – qualité de soins et du “prendre soin” – au bénéfice des personnes aînées et handicapées » [125].

S’adresse aux professionnels travaillant dans les CHSLD [125].

Valeurs essentielles pour les services de soins de longue durée
(Suède)

« Les soins doivent viser avant tout la dignité et le bien-être des personnes aînées » [125].

Il s’agit d’une législation qui implique que les municipalités doivent développer une garantie que les soins visent la dignité. Cette garantie est contrôlée par les autorités publiques [125].

En 2012 paraissait le Cadre européen de Qualité pour les services de soins et d’accompagnement aux personnes âgées [125], qui met de l’avant une série de principes de qualité de services ainsi qu’une série de domaines d’action de qualité

Principes de qualité de services : respecter les droits de la personne, les libertés fondamentales ainsi que la dignité humaine, être centré sur la personne, prévenir la perte d’autonomie et réadapter, être disponible, être facilement accessible, être financièrement abordable, être complet, être continu, être fondé sur les résultats et les preuves, être transparent, être attentif au genre et à la culture.

Domaines d’action de qualité : prévenir et lutter contre la maltraitance et la négligence envers les personnes aînées, impliquer les personnes aînées et soutenir leur participation, garantir des conditions et un environnement de travail de qualité et investir dans le capital humain, développer une infrastructure adaptée, développer une démarche en partenariat, développer une bonne gouvernance, développer une communication et une sensibilisation adéquates.

Source : Cadre européen de Qualité pour les services de soins et d’accompagnement aux personnes âgées. Principes et lignes directrices pour le bien-être et la dignité des personnes âgées [125]

Recommandations de bonnes pratiques

Les recommandations de bonnes pratiques de prévention primaire décrites dans la littérature peuvent se résumer ainsi :

  • Améliorer la formation initiale des professionnels appelés à travailler auprès de la clientèle aînée [126,127];
  • Offrir de la formation continue spécifique sur la maltraitance envers les personnes aînées [128];
  • Encourager les professionnels de la santé à utiliser des médias sociaux, des ressources en ligne et des services publics pour envoyer des messages visant à combattre l’âgisme, ainsi qu’à conscientiser le public sur le sujet de la maltraitance envers les personnes aînées et les conséquences associées [129];
  • S’assurer que les adultes plus âgés et que les enfants adultes soient mieux préparés à prendre soin de leurs parents vieillissants, et ce, par le biais de sensibilisation, d’éducation et de formations pour les aidants [129];
  • Prioriser la recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, sous toutes ses formes [129];
  • Améliorer les connaissances sur le sujet de la maltraitance envers les personnes aînées [106].