Encadré 2 − Intimidation envers les personnes aînées

Contexte

En 2015, le premier Plan d’action concerté pour prévenir et contrer l’intimidation 2015-2018 a été dévoilé [79] à la suite d’une vaste consultation d’acteurs concernés [80]. Ce plan d’action couvre l’intimidation à tous les âges de la vie. Parmi ses 53 mesures, 9 d’entre elles sont spécifiques aux personnes aînées [79]. Cependant, l’intimidation vécue par les personnes aînées demeure un problème peu connu et donc peu documenté, tant au Québec qu’à l’international.

La mise en place d’un plan d’action, ciblant un problème qui a priori présente de grandes similitudes avec le problème de la maltraitance, engendre à la fois des enjeux conceptuels (comment distinguer l’intimidation et la maltraitance?) et pratiques (comment faire coexister des actions spécifiques pour contrer l’un ou l’autre des problèmes?) dans un contexte où la maltraitance est un problème social qui fait l’objet d’actions spécifiques depuis une trentaine d’années [81].

Le présent encadré expose un bref état des connaissances sur l’intimidation envers les personnes aînées. Il s’appuie sur les résultats préliminaires des travaux de recherche menés au Québec, ainsi que sur une recension des écrits internationaux publiés depuis 200914. En raison de l’état de la recherche et du peu d’écrits scientifiques publiés sur le sujet, les résultats présentés dans cette section doivent être considérés comme des pistes exploratoires.

Définition et ampleur

Bien qu’il existe de nombreuses définitions de l’intimidation, aucune n’est spécifique à la population aînée. Plusieurs s’inspirent de l’intimidation en milieu de travail ou en milieu scolaire (American Psychological Association, 2016, cité par Goodridge et collaborateurs [83]; Einarsen et Skogstad, 1996, cités par Andresen et Buchanan [84]; Rayner et Keashly, 2005, cités par Bonifas [85]). Dans son plan d’action, le Québec a retenu la définition de la Loi sur l’instruction publique (art. 13, paragr. 1.1) » :

« Tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser » [79].

Les discussions tenues lors du Forum sur l’intimidation, tout comme les mémoires déposés lors de cet exercice, rendent compte des nuances découlant des expériences d’intimidation spécifiques à chacune des populations, ainsi que des milieux dans lesquels le problème se pose. En s’appuyant sur l’état des connaissances de l’intimidation et de la maltraitance envers les personnes aînées, une définition spécifique à l’intimidation envers les personnes aînées a été proposée :

« Il y a intimidation quand un geste ou une absence de geste ou d’action à caractère singulier ou répétitif et généralement délibéré, se produit de façon directe ou indirecte dans un rapport de force, de pouvoir ou de contrôle entre individus, et que cela est fait dans l’intention15 de nuire ou de faire du mal à une ou à plusieurs personnes aînées » [86].

Bien que plusieurs éléments de cette définition semblent similaires à l’intimidation vécue à tous les âges, elle propose certaines nuances propres aux personnes aînées. L’intimidation envers les personnes aînées peut se produire entre tout type d’acteur, que la relation soit basée ou non sur de la confiance. Elle peut être répétitive ou avoir lieu une seule fois, mais dans tous les cas elle entraîne des conséquences pour la personne qui l’a subie. Pensons notamment à une personne qui se fait ridiculiser chaque jour ou à une autre qui reçoit une seule fois la menace d’arrêt de services. L’intimidation envers les personnes aînées s’inscrit dans un rapport de force (ex. : par la force physique ou par la force du nombre), de pouvoir (ex. : une préposée est en situation de pouvoir sur les personnes dont elle prend soin) ou de contrôle (ex. : un résident prend le contrôle de la télécommande pour imposer son choix d’émission dans le salon collectif) entre des personnes où l’une ou plusieurs d’entre elles tentent d’avoir le dessus sur une ou plusieurs autres. A priori, le rapport entre les personnes n’est pas nécessairement inégal (ex. : deux personnes aînées en pleine possession de leurs moyens qui sont en compétition pour le poste de présidence d’un organisme peuvent être vues comme étant sur un même pied d’égalité), comme indiqué dans la définition de la Loi sur l’instruction publique. Finalement, l’intimidation envers les personnes aînées est généralement délibérée, donc faite dans l’intention de nuire à l’autre personne. Toutefois, la notion d’intention peut ne pas s’appliquer, ou du moins être difficile à apprécier, notamment dans les cas où la personne intimidatrice présente des pertes cognitives [86].

L’intimidation envers les personnes aînées peut être de nature verbale [83,84,87], physique [84,88] ou sociale/relationnelle, soit caractérisée par des comportements antisociaux [83–85,89]. Bien que cela ne soit pas documenté spécifiquement pour les personnes aînées, l’intimidation peut également être de nature matérielle (ex. : vandaliser, s’approprier le bien d’autrui) [79]. L’intimidation envers les personnes aînées peut être perpétrée au moyen des technologies de l’information et des communications (TIC), communément appelée cyberintimidation [90]. Pour l’heure, aucune étude ne permet d’en évaluer l’ampleur.

Facteurs de risque

L’intimidation peut se produire dans tous les milieux fréquentés par les personnes aînées. Cependant, les plus documentés sont les milieux de vie collectifs (d’habitation, de soins ou de services), tels les CHSLD, de même que les milieux de travail, notamment ceux où l’âgisme est prégnant [91,92]. Si plusieurs personnes peuvent avoir des comportements intimidateurs envers les personnes aînées [86], les situations les plus documentées à ce jour sont celles qui se produisent entre personnes aînées [83–85,88,89,93,94]. La présente section évoque davantage l’intimidation vécue auprès des personnes aînées dans les milieux de vie collectifs et de travail.

Comme l’indique la définition, l’intimidation prend naissance dans l’interaction entre des individus. Ainsi, une attention particulière a été accordée aux principales caractéristiques des personnes susceptibles de vivre de l’intimidation ou d’intimider. Le tableau 7 présente celles répertoriées dans la littérature.

Tableau 7 - Caractéristiques des personnes aînées à risque d’intimidation et des personnes à risque d’intimider

Caractéristiques des personnes aînées

à risque d’intimidation

Caractéristiques des personnes

à risque d’intimider

  • Être introvertie [93];
  • Faire partie d’une minorité visible [93];
  • Avoir des pertes physiques [84];
  • Présenter certains traits de personnalité passive (ex. : timide, difficulté à se défendre par elle-même, silencieuse, soumise, dépendante) [84];
  • Présenter certains traits de personnalité proactive (ex. : être dérangeante) [93];
  • Avoir des pertes cognitives [11,84,94].
  • Avoir une faible estime d’elle-même [93];
  • Avoir un ou plusieurs traits de personnalité parmi les suivants :
    • Se positionner au-dessus des autres (entitled);
    • Être contrôlant;
    • Rechercher l’attention [84];
    • Éprouver un besoin de se retrouver dans une position de force ou de pouvoir sur autrui, profitant du fait que la personne intimidée se sente menacée pour en retirer des bénéfices [93];
  • Avoir des pertes cognitives [84,93,95];
  • Avoir des aptitudes cognitives suffisantes pour commettre des comportements intimidants [95].

La lecture du tableau 7 permet de constater qu’avoir des pertes cognitives est une caractéristique commune aux personnes à risque d’intimidation et aux personnes à risque d’intimider. Cependant, cette caractéristique identifiée auprès des personnes à risque d’intimider ne semble pas faire consensus dans la littérature. En effet, si certaines études rapportent que les gestes d’intimidation sont souvent commis par des personnes aînées ayant des pertes cognitives, d’autres rapportent que pour commettre des comportements intimidants de façon intentionnelle, la personne intimidatrice doit avoir les aptitudes cognitives suffisantes pour être consciente de son geste [95].

L’intimidation envers les personnes aînées peut dépasser le cadre de la relation dyadique intimidateur-intimidé [86]. De fait, elle peut se produire entre groupes de personnes [85] et elle peut être faite en présence de témoins [83]. Un élément central est que l’intimidation s’inscrit nécessairement dans un contexte où des aspects sociaux (ex. : la couverture médiatique [93]), politiques (ex. : la mise en place du Plan d’action pour prévenir et contrer l’intimidation 2015-2018) et culturels (ex. : l’âgisme [91]) peuvent influencer à la fois l’incidence, la reconnaissance, mais également les actions menées pour la prévenir et la contrer.

Conséquences

L’intimidation vécue par les personnes aînées peut entraîner des conséquences psychologiques, physiques et sociales. Le tableau 8 en présente quelques exemples.

Tableau 8 - Conséquences de l’intimidation sur les personnes aînées intimidées

Conséquences

Exemples

Psychologiques

(Bonifas, 2011, cité par Bonifas [85]; Bonifas et Frankel, 2012, cités par Bonifas [85]; [83,96]) 

  • Colère;
  • Anxiété;
  • Crainte;
  • Diminution de l’estime de soi;
  • Tristesse, symptômes dépressifs;
  • Idéations suicidaires;
  • Etc.

Physiques

(Bonifas et Frankel, 2012, cités par Bonifas [85]; [83,96,97])

  • Troubles du sommeil;
  • Divers maux physiques;
  • Pertes de capacités fonctionnelles;
  • Etc.

Sociales 

(Bonifas, 2011, cité par Bonifas [85])

  • S’isoler;
  • Se venger;
  • Etc.

L’intimidation vécue même à un jeune âge peut avoir des conséquences à long terme, puisque les personnes aînées ayant ce parcours de vie ont plus fréquemment des idées suicidaires tout au long de leur vie que celles qui n’ont pas été intimidées [98].

S’inscrivant dans un contexte social et interactionnel, les situations d’intimidation affectent également les personnes qui en sont témoins [83], en plus d’avoir des répercussions sur l’environnement de façon générale [85]. Voici quelques exemples tirés des milieux de vie collectifs, tels les CHSLD : sentiment de peur ou d’insécurité qui émergent chez plusieurs autres résidents; diminution de la participation aux activités sociales; faible sentiment de satisfaction envers le milieu de vie ou de travail; diminution de l’engagement et du sentiment de loyauté envers l’établissement; augmentation du roulement du personnel; accroissement des situations d’intimidation (Frankel, 2014, cité par Bonifas [85]).

Prévention

À notre connaissance, aucun programme et aucune activité de prévention ou d’intervention n’ont été validés et documentés, et ce, tant au Québec qu’à l’international. Au Québec, depuis 2015, le Plan d’action gouvernemental pour prévenir et contrer l’intimidation a financé des dizaines de projets dont plusieurs visaient à contrer l’intimidation chez les personnes aînées16. Les programmes de prévention ou d’intervention les plus diffusés sont des activités de sensibilisation qui visent notamment à informer la population et à proposer des pistes d’action, particulièrement en milieux de vie collectifs.

À l’international, un nombre croissant de pistes de prévention et d’intervention sont documentées. À titre d’exemple, en CHSLD, l’accent est mis sur l’importance de :

  • Évaluer les situations d’intimidation présentes dans le milieu;
  • Former le personnel et les résidents à repérer les situations d’intimidation;
  • Favoriser le renforcement des interactions positives entre les résidents dans le milieu;
  • Engager l’ensemble des acteurs dans la mise en place d’activités positives afin de créer un environnement empreint d’empathie [99].

Si certains programmes s’adressent plus spécifiquement aux personnes aînées, tel le Senior Culture Program [100], il importe de mentionner que l’intimidation peut s’inscrire dans une culture organisationnelle et que des mesures, s’adressant directement aux cadres et aux membres du personnel, doivent être prises à cet égard [101]. Ainsi, tout programme d’intervention en matière de lutte contre l’intimidation dans un milieu de vie collectif devrait comporter un volet spécifique pour chacun des trois principaux acteurs suivant : la personne aînée intimidée, la personne intimidatrice et l’organisation dans sa globalité [102].

Clarification conceptuelle entre la maltraitance et l’intimidation

Similitudes

La lecture simultanée du présent encadré sur l’intimidation et des sections sur la définition, les facteurs de risque et les conséquences de la maltraitance permettent de rendre compte des nombreuses similarités entre la maltraitance et l’intimidation. Une étude spécifique sur le sujet a d’ailleurs permis de mettre en lumière les similitudes de ces problèmes sociaux précisément à l’égard des éléments suivants [86,103] :

  • Contextes personnel, familial, social, politique et culturel;
  • Facteurs de risque et de vulnérabilité;
  • Milieux où cela se produit;
  • Interaction (deux personnes ou plus);
  • Violence ou négligence;
  • Gestes singuliers ou répétitifs;
  • Conséquences;
  • Cyberespace.

Ce faisant, les outils, les programmes et les mesures de prévention et d’intervention en place pour contrer la maltraitance ou l’intimidation peuvent avoir des effets sur les deux problèmes de façon simultanée. Pensons notamment aux mécanismes de plaintes, aux comités des usagers, à la Ligne Aide Abus Aînés et aux campagnes de sensibilisation [103,104]. Miser sur la prévention et la lutte contre l’âgisme est également un bon moyen pour agir sur les deux problèmes. De fait, il est reconnu que l’âgisme est lié à la fois à la maltraitance [38,105] et à l’intimidation [91].

Distinctions

Néanmoins, la maltraitance et l’intimidation ont leurs propres particularités, telles que présentées dans le tableau 9. Leurs éléments distinctifs s’avèrent essentiels à la lecture d’une situation puisqu’ils permettent d’établir s’il s’agit d’une situation de maltraitance ou d’intimidation.

Tableau 9 - Éléments propres ou essentiels à la maltraitance et à l’intimidation

Maltraitance

Intimidation

  • La relation entre les personnes est basée sur de la confiance (ex. : famille, amis, voisins, dispensateurs de services);
  • La maltraitance peut être intentionnelle ou non intentionnelle.
  • La relation entre les personnes peut être basée sur de la confiance ou non (personnes inconnues);
  • L’intimidation est généralement intentionnelle;
  • L’intimidation peut être le fait de gestes directs (ex. : pousser) ou indirects (ex. : répandre des rumeurs);
  • L’intimidation se produit dans un rapport de force, de pouvoir ou de contrôle.

En somme, si la maltraitance et l’intimidation sont des problèmes qui peuvent survenir de façon distincte, ils ne sont pas mutuellement exclusifs [85]. De fait, une même situation peut être considérée à la fois comme de la maltraitance et de l’intimidation, notamment lorsqu’elle se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance [86]. À titre d’exemple, un fils qui menace de ne plus visiter sa mère afin qu’elle consente à lui prêter de l’argent constitue à la fois une situation d’intimidation et de maltraitance. En effet, le fils maltraite psychologiquement et financièrement sa mère, et ce, en commettant un geste d’intimidation, soit la menace. 

  1. Depuis 2015, la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées mène un projet de recherche intitulé État des connaissances et clarification conceptuelle de l’intimidation envers les personnes aînées. Celui-ci s’inscrit dans le cadre de la mesure 5.2 du Plan d’action concerté pour prévenir et contrer l’intimidation qui vise à « [d]ocumenter le phénomène de l’intimidation, y compris de l’intimidation en ligne spécifiquement chez les personnes aînées, en tenant compte des connaissances acquises au sujet de la maltraitance envers celles-ci et des données disponibles selon le sexe » [79]. Dans le cadre de ce projet, la Chaire a répertorié une trentaine d’écrits (articles scientifiques, chapitres, thèses, etc.) publiés entre 2009 et 2017, dont le sujet principal était l’intimidation envers les personnes aînées [82].
  2. L’intention de nuire est sujette à dérogation lorsque les personnes intimidatrices présentent des pertes cognitives importantes. 
  3. Lien vers le programme de soutien financier Ensemble contre l’intimidation du ministère de la Famille du Québec : https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/intimidation/programme-de-soutien-financier/Pages/index.aspx.