Chimioprophylaxie pour prévenir le paludisme (malaria)

Généralités

La chimioprophylaxie est très efficace (90 à 95 %) pour prévenir les épisodes de malaria à P. falciparum, à condition que la médication prescrite soit appropriée et prise régulièrement. Les antipaludéens utilisés en chimioprophylaxie ont des modes d’action différents. Aucun d’eux n’empêche l’introduction du parasite dans le sang.

La méfloquine, la chloroquine et la doxycycline inhibent le développement du parasite dans les globules rouges durant la phase érythrocytaire (après la phase hépatique), supprimant les symptômes cliniques. Il est donc important de continuer la prise de ces médicaments quatre semaines après le départ de la zone impaludée.

L’atovaquone-proguanil et la primaquine agissent sur le parasite dans le foie (phase hépatique) en plus d’agir sur la phase érythrocytaire. Pour cette raison, leur prise n’a besoin d’être poursuivie que sept jours après avoir quitté la région impaludée.

Les espèces P. ovale et P. vivax, contrairement à P. falciparum et P. malariae, ont une forme de latence prolongée (hypnozoïtes) dans le foie et peuvent donc donner lieu à des épisodes cliniques de malaria plusieurs mois, voire même des années, après avoir quitté la région impaludée, et ce, même si le voyageur a pris correctement sa chimioprophylaxie.

Parmi les cas de paludisme chez les voyageurs déclarés au Québec de 2004 à 2007, les directions de santé publique possédaient l’information sur la prise de chimioprophylaxie pour 80 des 180 cas. Seulement 39/80 cas auraient pris une chimioprophylaxie et 7 ont rapporté être adhérents à la médication.

Comme aucune médication ne protège à 100 % contre le paludisme, il est important que tout symptôme compatible avec la malaria, principalement la fièvre, fasse l’objet d’une consultation urgente afin qu’un diagnostic soit posé, et ce, même chez les voyageurs qui sont déjà sous chimioprophylaxie.

Les symptômes de paludisme peuvent apparaître une semaine après la première exposition, mais peuvent survenir plusieurs années plus tard (surtout lorsque causé par P. vivax ou P. ovale). Chez la plupart des voyageurs qui contractent l’infection à P. falciparum, les symptômes apparaissent dans les 3 mois suivant l’exposition.

Situations particulières

Longs séjours

Il est préférable et plus sécuritaire de continuer la chimioprophylaxie tout au long du séjour même pour les personnes qui séjournent en zone impaludée pendant plusieurs mois, voire parfois plusieurs années, particulièrement chez les voyageurs en zone à haut risque. Cette décision sera prise après évaluation et discussion avec le voyageur. Il faudra discuter avec le voyageur des risques et bénéfices des différentes approches possibles et répondre à ses inquiétudes et questionnements possibles face à une utilisation prolongée des antipaludéens en chimioprophylaxie.

Tout voyageur séjournant à l’étranger devrait identifier à l’avance un endroit pour consultation médicale rapide et efficace. Il faut consulter rapidement, en moins de 24 heures suivant l’apparition de fièvre ou d’autres symptômes compatibles avec la malaria.Cette précaution s’avère d’autant plus importante si le voyageur a cessé sa médication.

En présence de symptômes, la consultation devrait servir à diagnostiquer (goutte épaisse/frottis) la malaria et à la traiter dans les plus brefs délais, le cas échéant. L’International Association for Medical Assistance to Travellers (www.iamat.org) publie un répertoire de ressources médicales desquelles le patient peut recevoir des soins en anglais. Les consulats et les ambassades peuvent également fournir ces renseignements.

Un auto-traitement de réserve d’urgence pourrait être indiqué chez les voyageurs au long cours.

Femmes enceintes

Risques accrus

Le paludisme est associé à une augmentation des risques de décès de la mère et du nouveau-né, d’avortement spontané, de retard de croissance intra-utérine et de prématurité. Le risque de malaria chez la mère est également accru en période postnatale, jusqu’à 2 mois après l’accouchement.

Les femmes enceintes devraient être informées de ces risques afin de prendre une décision éclairée. De façon générale, il serait préférable pour la femme enceinte d’éviter un séjour en zone impaludée, surtout dans les régions endémiques pour le P. falciparum pharmacorésistant.

En cas de séjour en zone impaludée, une attention particulière doit être portée aux mesures préventives contre les piqûres d’insectes. Une étude sur l’utilisation du DEET auprès de 897 femmes au deuxième ou troisième trimestre de grossesse en Thaïlande a démontré qu’il n’y avait pas d’effet secondaire neurologique, dermatologique ou gastro-intestinal chez la mère et qu’il n’y avait pas eu d’effet indésirable sur la survie et la croissance du bébé.

Médication adaptée

La chloroquine n’est pas contre-indiquée chez la femme enceinte. Dans les zones où il y a résistance à la chloroquine, la méfloquine est le seul antipaludéen recommandé. Son utilisation à dose prophylactique est sécuritaire pendant le deuxième et le troisième trimestre. Les données sont plus limitées pendant le premier trimestre. Des données recueillies auprès de plus de 1 000 femmes ayant pris de la méfloquine au cours du premier trimestre de grossesse ne mettent en évidence aucune malformation ni problème obstétrical en lien avec cette médication. Globalement, on retient que les données suggèrent que la méfloquine est sécuritaire aussi durant le premier trimestre.

Par ailleurs, bien que l’association chloroquine/proguanil soit sécuritaire durant la grossesse, son efficacité moindre contre la malaria dans les régions où il y a résistance à la chloroquine rend ce choix sous-optimal.

Même si l’azithromycine est sécuritaire pendant la grossesse, son efficacité est aussi inférieure à celle de la méfloquine. On ne devrait donc envisager l’usage de chloroquine-proguanil ou d’azithromycine comme antipaludéens.

La primaquine (anémie hémolytique lorsque le fœtus est déficient en G-6-PD) et la doxycycline (décoloration des dents et inhibition de croissance osseuse chez le fœtus) sont contre-indiquées durant la grossesse.

Il manque de données fiables sur l’innocuité de la combinaison atovaquone-proguanil durant la grossesse, le nombre d’études réalisées étant insuffisant. Cependant, les quelques études disponibles n’ont pas mis en évidence d’effet néfaste durant le deuxième et le troisième trimestre, et probablement pas durant le premier trimestre. En conséquent, l’usage de l’atovaquone-proguanil pourrait être envisagé chez la femme enceinte après le premier trimestre, en cas de contre-indication ou de résistance à la méfloquine, et ce après une évaluation soignée des risques-bénéfices. Des données supplémentaires sont requises afin que l’on puisse recommander l’administration d’atovaquone-proguanil durant le premier trimestre de la grossesse.

D’autres antipaludéens sont disponibles ailleurs pour le traitement de la malaria. On doit informer les femmes enceintes, ou celles qui pourraient le devenir, que la sulfadoxine/pyriméthamine et l’halofantrine sont contre-indiquées pendant la grossesse.

La quinine est sécuritaire, mais s’accompagne d’un plus grand risque d’hypoglycémie chez les femmes enceintes, particulièrement lors de malaria sévère.

Bien que les dérivés de l’artémisinine semblent sécuritaires pendant les deux derniers trimestres de la grossesse, leur innocuité n’est pas établie. On les utilisera toutefois dans les cas de malaria sévère où les avantages potentiels dépasseront les risques théoriques.

La femme enceinte doit consulter le jour même un médecin en cas de fièvre ou d’autres symptômes suggestifs de malaria.

Allaitement

Tous les antipaludéens sont excrétés dans le lait maternel, mais la dose excrétée n’est pas suffisante pour protéger le nourrisson. Une chimioprophylaxie adéquate devra donc être administrée au nourrisson.

La chloroquine et la méfloquine peuvent être utilisés durant l’allaitement. Même si l’azithromycine est sécuritaire durant l’allaitement, son efficacité est très inférieure à celle des autres antipaludéens et ne devrait pas être utilisé.

Avec la doxycycline, il existe un risque théorique de décoloration des dents du nourrisson s’il y a utilisation prolongée (plus de 10 jours) durant l’allaitement. Après l’âge de 4 mois, ce sont les dents permanentes qui pourraient être atteintes. Il n’existe cependant aucune étude pour appuyer cette hypothèse.

La primaquine peut être utilisée durant l’allaitement à condition qu’un dosage de G-6-PD soit effectué chez le nourrisson afin d’exclure une déficience.

L’atovaquone-proguanil n’est pas recommandé pour les femmes qui allaitent un nourrisson de moins de 5 kg, faute d’études démontrant son innocuité.

D’autres antipaludéens sont disponibles ailleurs dans le monde pour le traitement de la malaria mais ne sont pas recommandés. On doit informer les femmes qui allaitent que la sulfadoxine-pyriméthamine est contre-indiquée à cause du risque d’encéphalopathie chez le nourrisson âgé de moins de 2 mois. Lhalofantrine est aussi contre-indiquée pour la femme qui allaite. Les dérivés de l’artémisinine sont considérés sécuritaires pendant la période d’allaitement.

Enfants

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux accès de paludisme et aux complications. Les enfants à plus haut risque sont ceux des immigrants qui retournent visiter leur pays d’origine (les VFA). Les mesures de protection personnelles contre les piqûres d’insectes sont très importantes. Pour plus d’ informations sur ces mesures, veuillez consulter la section Arthropodes.

Les bébés (incluant ceux nourris au sein) et les enfants exposés à un risque d’infection doivent prendre un antipaludéen en prévention.

La chloroquine peut être utilisée chez l’enfant et représente le premier choix dans les zones où le P. falciparum est sensible à la chloroquine. Son goût est toutefois très amer. On peut écraser le comprimé et le mélanger à de la confiture, du beurre d’arachides ou du sirop au chocolat. Dans certains pays, on retrouvera une formulation sous forme de sirop (Nivaquine®, non disponible au Canada) facilitant l’administration chez les enfants.

Même si le fabricant ne recommande pas l’utilisation de la méfloquine chez les bébés de < 5 kg, il faut en envisager l’utilisation lorsqu’ils courent un risque d’infection à P. falciparum résistant à la chloroquine. On demandera au pharmacien de couper les comprimés au préalable ou de les pulvériser pour en faire des capsules ouvrables dont le contenu pourra être mis en suspension dans de l’eau, du lait ou tout autre breuvage ou purée, ou encore, incorporé dans de la confiture, du beurre d’arachide, du sirop d’érable, du chocolat, etc. 

L’atovaquone-proguanil est sécuritaire et homologué chez les enfants de 11 kg et plus. Les comprimés pédiatriques (atovaquone 62 mg-proguanil 25 mg) sont disponibles au Canada depuis 2005. De plus, son utilisation chez les enfants de 5-10 kg est recommandée par un groupe d’experts du CDC américain; cet avis est basé sur des données de pharmacocinétique, de sécurité et d’efficacité à des doses thérapeutiques chez les bébés.

La primaquine peut être utilisée chez les enfants de 4 ans ou plus avec un dosage de G-6-PD normal.

Même si l’azithromycine est sécuritaire chez l’enfant, son efficacité est très inférieure à celle de la méfloquine, de l’atovaquone-proguanil, de la doxycycline ou de la primaquine, et ne devrait pas être utilisé

La doxycycline est contre-indiquée pour les enfants âgés de moins de 8 ans, car elle peut causer une diminution de la croissance osseuse et une décoloration permanente des dents.

Le voyageur infecté par le VIH

La stricte observance des mesures de protection personnelle contre les piqûres de moustiques représente la meilleure protection contre le paludisme. Ces mesures sont simples et sans effets secondaires.

Puisqu’un épisode clinique de malaria augmente le risque de progression du VIH-1, et que l’immunosuppression augmente le risque de forte parasitémie lors d’infection au Plasmodium (avec risque accru de malaria sévère et de décès), les personnes infectées par le VIH qui voyagent dans des zones impaludées devraient prendre une chimioprophylaxie contre la malaria.

On prendra en considération les interactions médicamenteuses possibles (notamment avec les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse et les inhibiteurs de la protéase) et une consultation avec un spécialiste est recommandée.

L’usage de la chloroquine et du proguanil, qui ne sont pas métabolisés au foie, ne pose habituellement pas de problème.

Une interaction médicamenteuse entre l’atovaquone et la zidovudine a été notée chez un petit groupe de patients prenant 1,5 g d’atovaquone par jour (ce qui est nettement plus élevé que les 250 mg d’atovaquone compris dans le comprimé de Malarone®). L’importance clinique de cette interaction est inconnue, mais il est prudent de surveiller plus fréquemment la formule sanguine, surtout lors d’administration prolongée. Les inhibiteurs de la protéase diminuent la concentration plasmatique d’atovaquone-proguanil et ne devraient pas être utilisés de façon concomitante.

Le métabolisme hépatique de la méfloquine fait craindre des interactions possibles avec, entre autres, les inhibiteurs de la protéase et certains inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, mais l’importance clinique de cette interaction est inconnue. Si le risque le justifie, on pourra utiliser la méfloquine ou la doxycycline, en surveillant la toxicité des antirétroviraux.

Pour les personnes infectées par le VIH, on utilise plus fréquemment la doxycycline que la méfloquine. Si on utilise cette dernière, il est préférable de la commencer au moins 3 semaines à l’avance afin d’évaluer sa toxicité et la fonction hépatique avant le départ. On peut consulter le site Internet  www.hiv-druginteractions.org.

Les voyageurs infectés par le VIH qui prennent un inhibiteur de protéase ou la delavirdine devraient être informés du risque de toxicité par interaction médicamenteuse avec l’halofantrine (antipaludéen qui pourrait leur être offert à l’étranger pour le traitement d’un épisode fébrile).

Une interaction médicamenteuse est aussi possible avec luméfantrine qui est utilisé en combinaison avec artéméther (Coartem® ou Riamet®), et les antirétroviraux.