Selon une croyance populaire, lorsqu’un bébé meurt durant la grossesse ou peu après sa naissance, les parents s’en remettent plus vite que s’ils avaient connu l’enfant. On croyait que cette perte était banale et sans conséquences51. Or, il a été démontré qu’au contraire, les parents peuvent être aussi affectés par le décès de leur fœtus ou de leur bébé que par le décès d’une personne avec qui ils ont vécu pendant plusieurs années, et ce, peu importe le terme de la grossesse52. Il s’agit d’un deuil réel, qui entraîne des défis importants pour les parents et leur entourage53,54.
Le deuil périnatal diffère toutefois de celui d’une personne ayant vécu et constitue une épreuve particulièrement difficile à vivre pour les parents. Les raisons suivantes expliquent pourquoi :
- Imprévisibilité du décès : Aucun parent n’est préparé à perdre un enfant avant ou peu après sa naissance46,55,56. Ce type de décès peut donc comporter une dimension traumatique55.
- Lien affectif avec le bébé : La formation du lien affectif avec l’enfant à naître s’amorce à différents moments pour chaque parent. L’enfant est déjà vivant dans la tête des parents avant même qu’il soit intra-utérin. C’est souvent le cas pour les couples qui vivent des difficultés de conception ou qui consultent dans les cliniques de fertilité. Pour plusieurs, le lien affectif s’établit bien avant la naissance du bébé, particulièrement à partir des premiers mouvements fœtaux et parfois même dès la planification de la grossesse57. Les parents peuvent déjà entendre le cœur du bébé à partir de la 10e semaine de grossesse, et l’échographie leur permet de le voir sur une image. Toutes ces possibilités les amènent souvent à intégrer rapidement le bébé dans la famille38,39. L’intensité du deuil périnatal est en partie influencée par le lien affectif que les parents ont formé avec leur bébé. Puisque ce lien tend à croître au fil du temps, les réactions de deuil risquent d’être plus importantes si le décès survient à un stade plus avancé de la grossesse.
- Pertes concomitantes : Le décès d’un bébé occasionne des pertes simultanées qui peuvent toucher l’identité ou l’estime de soi du parent55,58,59 : par exemple, la perte du statut lié à la maternité ou au rôle parental, la perte des projets et d’un avenir projeté, alors que dans le cas de la mort d’une personne ayant vécu, il s’agit de la perte du passé56.
- Absence de souvenirs concrets : Peu de souvenirs tangibles sont rattachés au bébé. Cette perte peut alors sembler irréelle et être donc plus difficile à surmonter pour les parents55,56,60.
- Manque de reconnaissance sociale : Bien que la grossesse ait été réelle pour les parents (par exemple, ceux-ci ont vu et porté le bébé et lui ont donné un prénom), ceux-ci reçoivent peu de reconnaissance après le décès du bébé46,55,61,61 : il n’y a pas nécessairement de funérailles ni d’acte de naissance ou de décès. Les parents peuvent ainsi avoir l’impression qu’il n’existe aucune trace de leur bébé46,52,55. Enfin, puisqu’il arrive rarement que les membres de l’entourage aient rencontré le bébé, ces personnes ignorent souvent la profondeur du lien affectif des parents avec leur enfant à venir, et beaucoup se sentent mal à l’aise de parler de cette perte avec les parents55.
Durée et intensité
Il est difficile de délimiter la durée d’un deuil périnatal55. De façon générale, il est estimé que l’intensité des réactions de deuil est plus forte au cours des six mois suivant le décès, pour ensuite diminuer48,62. De plus, il est courant que les réactions de deuil soient ravivées lors des occasions spéciales, notamment lors de la période entourant l’anniversaire de naissance ou de décès du bébé, durant la période des fêtes, à la fête des Mères ou encore à la fête des Pères53. Néanmoins, les chercheurs et les professionnels s’accordent pour dire que le deuil périnatal est une expérience très personnelle, qui peut être vécue différemment d’un parent à l’autre.
Plusieurs circonstances peuvent accroître la durée ou l’intensité du deuil, dont les suivantes :
- La perte d’une première grossesse – la transition à l’état de parent ne se réalise pas44,63.
- La grossesse était désirée, planifiée ou acceptée.
- Le couple tentait de concevoir un enfant depuis longtemps.
- Le couple était suivi en clinique de fertilité64.
- Les parents ont un âge avancé.
- Les parents ont vu le bébé à l’échographie ou la mère a senti des mouvements65.
- Les parents ont vécu d’autres pertes dans le passé (p. ex. : perte de la garde des autres enfants d’un des conjoints).
- Le couple a opté pour une interruption médicale de grossesse pour anomalie du fœtus65,66.
- Le couple ressent de la pression pour concevoir un enfant55,58.
- Le couple a un investissement intense envers la grossesse et le bébé67.
- Il y a présence d’enfants vivants dans la famille49,55,62.
À l’inverse, les facteurs suivants peuvent soutenir le processus de deuil :
- La satisfaction conjugale65;
- Une bonne communication dans le couple65,68;
- La qualité du soutien social65;
- La possibilité de voir, prendre et toucher le bébé et de dire « adieu », particulièrement pour les enfants mort-nés69.
Particularités liées au type de décès
Diverses situations peuvent expliquer que les parents vivent un deuil périnatal. Ces situations comportent des particularités et influencent le vécu des parents à divers niveaux :
- Interruption volontaire de grossesse (IVG) : D’abord, il est nécessaire d’établir en quoi l’IVG constitue une expérience qui diffère des autres types de décès périnataux, par la nature non désirée de la grossesse. Bien que certaines femmes puissent ressentir de l’ambivalence quant à leur décision, la plupart d’entre elles expriment un soulagement après l’intervention, mais il se peut tout de même que certaines vivent des réactions de deuil70 .
- Interruption médicale de grossesse (IMG) pour anomalies fœtales ou danger pour la mère : Cette intervention génère souvent chez les parents une culpabilité et un déchirement relativement à la décision de mettre fin à la vie du bébé. Plusieurs considérations peuvent motiver des parents à interrompre la grossesse. Après l’intervention, ils peuvent éprouver du soulagement, de la tristesse, de la colère, ou de la honte d’avoir conçu un bébé présentant des anomalies. Ils peuvent aussi se sentir responsables d’avoir causé la mort du bébé46,71 .
- Perte d’un bébé lors d’une grossesse multiple : Ce type de perte peut arriver à tout moment dans la grossesse. Vivre le deuil de l’un des jumeaux présente également des enjeux particuliers et peut exposer le couple à un deuil complexe persistant44,63 . Il est préférable d’éviter de consoler les parents en leur rappelant le fait qu’ils ont un bébé toujours vivant. Lorsque possible, on peut proposer aux parents de prendre une photo des deux jumeaux afin de conserver un souvenir de l’enfant disparu44 .
- Avortements spontanés à répétition (3 ou plus, avant la 22e semaine de grossesse) : Cette condition survient chez 1 % des femmes. Après ces événements, des symptômes de dépression, d’anxiété, une baisse de l’estime de soi et d’autres symptômes psychosociaux peuvent apparaître à divers degrés, pour les deux parents72,73.
Particularités liées à la famille et à son réseau
Le décès périnatal est un enjeu qui touche le couple et toute la famille, dont les autres enfants et les grands-parents. Les personnes soignantes (gynécologue-obstétricien, sage-femme, accompagnante à la naissance, infirmière, pédiatre, travailleur social, psychologue, pédopsychiatre, soutien spirituel, etc.) peuvent également être affectées. Des ressources sont proposées pour ces derniers dans l’onglet « Ressources et liens utiles ».
Il est important de soutenir les parents qui ont la tâche d’expliquer ce qui s’est passé à la famille et aux amis, à un moment où ils sont souvent eux-mêmes sous le choc, confus ou en détresse55.
Au sein du couple
Pour plusieurs couples, la mort d’un bébé constitue une crise importante à traverser42. Les différentes réactions émotionnelles du deuil mentionnées dans le tableau 2, avec le stress et la fatigue accumulée, peuvent rapprocher ou éloigner les partenaires à différents moments du processus de deuil63,74.
Bien que les parents partagent l’expérience de perdre un bébé, ils peuvent vivre cette expérience différemment l’un de l’autre. Plusieurs études témoignent de la différence entre les femmes et les hommes dans leur processus de deuil58,61,65,74,75. Les parents ont tendance à manifester des réactions émotionnelles de manières distinctes et à recourir à des stratégies d’adaptation divergentes67.
Les réactions de la femme face à la perte de son bébé sont d’abord liées à son corps, car elle a porté l’enfant42,76. Elle peut ressentir un sentiment d’échec et de honte, jusqu’à la culpabilité d’avoir déçu son partenaire et son entourage77,78. La femme peut sentir un vide et douter de sa capacité à concevoir et à porter un enfant à terme, en plus de ressentir une anxiété pour une future grossesse78. Pour faire face à leur deuil, plusieurs femmes cherchent du soutien, car elles ont besoin de parler et de partager leurs émotions liées à l’événement42,79.
Chez les hommes, la perception de la situation au niveau émotionnel, sensoriel et affectif se distingue et est souvent étroitement liée à leur culture et à l’éducation qu’ils ont reçue80. Certains hommes peuvent avoir tendance à vivre cet événement comme une atteinte à l’identité de protecteur et de pourvoyeur de la famille qu’ils s’étaient construite, en plus de ressentir de l’impuissance42,46. Quelques hommes peuvent vivre leur deuil dans l’isolement, en s’assurant toutefois de procurer du soutien à leur partenaire. Ils assument ainsi le rôle de l’homme « fort » et s’affairent à gérer les aspects administratifs du décès59,74. Plusieurs retournent rapidement à leurs activités courantes et certains peuvent se réfugier dans le travail, le sport ou la consommation d’alcool74,81. Les hommes apprécieront être reconnus dans leur rôle de père et avoir l’opportunité de parler individuellement de leur expérience de deuil69,75.
Il est important pour les professionnels de la santé de connaître ces différences, afin de mieux accompagner les parents. Le fait de reconnaître les différences permet de diminuer les malentendus et d’éviter de reprocher à l’homme de refouler ses émotions et à la femme de trop s’extérioriser. L’intervenant peut accompagner les partenaires pour qu’ils puissent vivre et surmonter leur deuil différemment. Il peut être bénéfique pour un homme d’essayer de communiquer ses émotions et de pleurer, de même que pour une femme de faire des activités pour sortir du monde émotif79. Les deux partenaires bénéficient de l’accompagnement et de soins psychosociaux ajustés à leur réalité69.
Il peut aussi arriver que chacun dirige sa colère vers l’autre et le blâme pour le décès du bébé. Ces accusations peuvent alimenter l’incompréhension et augmenter les problèmes de communication dans les couples2,71,82,83.
Le décès d’un bébé peut aussi toucher l’intimité sexuelle des partenaires. La reprise des activités sexuelles peut être difficile, pour différentes raisons. Voici quelques exemples : rappel de la mort du bébé, peur d’une autre grossesse ainsi que de la possibilité de perdre à nouveau un enfant, moins de désir ou de plaisir, perception que le plaisir sexuel est incompatible avec leur état de deuil1,46,63,83. Pour l’homme, la demande de relations sexuelles cache souvent un besoin de réconfort84. L’intervenant peut faciliter l’expression de ce besoin entre les partenaires, en encourageant ceux-ci à verbaliser et à exprimer ce qu’ils ressentent, dans un climat de respect et d’écoute.
La fratrie
Vivre simultanément les rôles de parent et de personne en deuil représente un défi. Il est donc nécessaire que l’entourage et les intervenants impliqués auprès de la famille offrent un soutien permettant aux parents de vivre leur deuil et de demeurer présents pour les autres enfants85.
Les réactions des enfants à l’annonce du décès dépendent de leur compréhension de la mort47,74,86. L’éventail de réactions est grand, et peut aller de peu d’expressions verbales à des démonstrations de tristesse, de colère, d’incompréhension, mais parfois aussi de soulagement.
Il est important d’accompagner les enfants, en leur parlant de la mort du bébé, en utilisant des termes adaptés à leur âge et à leur compréhension. Il est préférable de donner de l’information objective et d’éviter le non-dit63,87. Il est recommandé d’expliquer avec des mots simples et concrets ce qui est arrivé, sans pour autant entrer dans les détails. L’enfant a besoin de savoir, même s’il ne comprend pas tout63,74,87. On peut, par exemple, expliquer que le bébé était très, très, très malade et que cette maladie l’a empêchée de vivre. Afin de réduire la culpabilité que peuvent ressentir certains enfants, on peut aussi dire que rien ni personne ne pouvait le soigner et que cette maladie n’a été causée par personne.
Les enfants devraient avoir le choix de voir et/ou de toucher le bébé décédé. Il peut être aidant de les inclure dans certains rituels appropriés selon leur âge, ce qui peut les aider dans leur processus de deuil88.
De façon générale, les enfants aînés sont surtout préoccupés par le bien-être de leurs parents. Ils ont pu, lors de la grossesse, avoir l’impression d’être abandonnés par leurs parents, pour ensuite se sentir coupables d’avoir souhaité la mort du bébé; ou alors, certains peuvent être angoissés à l’idée que leurs parents meurent à leur tour44,53,82. En réaction au deuil, certains parents s’investissent davantage dans leur relation avec leurs autres enfants, ce qui peut aider graduellement ceux-ci à cheminer à travers leur deuil. D’autres parents peuvent avoir tendance à surprotéger leurs enfants ou, inversement, à se montrer moins disponibles pour eux44,58.
Grands-parents
Dans la littérature, on trouve l’expression « les endeuillés oubliés »89. En plus de vivre la perte d’un petit-enfant, les grands-parents sont peinés pour leur propre enfant44,88. Les grands-parents, souvent encore troublés par leurs propres expériences de pertes survenues plus tôt dans leur vie, doivent trouver leur place pour ne pas envahir ni abandonner les parents en deuil et ne doivent pas s’oublier eux-mêmes63.
Certains grands-parents peuvent avoir besoin de soutien. Par contre, il est essentiel que les besoins des parents soient comblés d’abord88. Les grands-parents ont un rôle précieux de soutien envers leur enfant, mais aussi auprès de leurs petits-enfants, qui peuvent parfois leur adresser des questions très directes concernant la mort du bébé44,63,74,89. Si les grands-parents bénéficient du soutien dont ils ont besoin, ils pourront plus facilement à leur tour apporter un soutien adéquat aux membres de la famille touchés.
Particularités liées à la culture et aux croyances religieuses ou spirituelles
Les écrits indiquent que l’expérience de deuil après la perte d’un être cher est universelle et similaire à travers les cultures, mais que les pratiques entourant l’expression du deuil peuvent varier90. Selon les cultures ou les croyances, les personnes peuvent attribuer un sens particulier au fait d’avoir un enfant dans la famille, entretenir une conception différente de la mort ou adopter des rituels funéraires distinctifs55,91,92.
Par exemple, certaines cultures ou religions édictent des règles sur le moment et la façon d’accomplir un rituel ou sur la personne qui doit le mener53,91,93. Voir ou toucher un bébé décédé est approprié dans certaines cultures, alors que ce ne l’est pas du tout dans d’autres. De même, les parents peuvent être encouragés à exprimer leur chagrin par des pleurs et des cris ou, à l’inverse, être incités à ne pas dévoiler leurs émotions en public42,94. En somme, les aspects culturels, religieux et spirituels peuvent influencer la façon dont les parents donneront un sens à la perte de leur bébé et exprimeront leur deuil, ainsi que le type d’aide qu’ils chercheront95.
Il est donc important que les intervenants se montrent sensibles et ouverts aux pratiques culturelles, religieuses ou spirituelles des familles pour éviter de mal interpréter une réaction qui serait considérée comme normale dans un contexte particulier. Il est suggéré de demander aux parents quels sont les rituels de deuil qui sont importants à accomplir pour leur famille93,96,97.