La femme enceinte qui veut cesser de fumer doit le faire en premier lieu pour elle, ce qui aura aussi un effet sur la santé de son bébé. Notons que la motivation pour cesser de fumer peut changer au cours de la grossesse4; par exemple, elle peut s’intensifier lorsque la femme sent le fœtus bouger.
Pour certaines femmes, le processus de renoncement au tabac peut s’avérer plus difficile en raison de conditions socioéconomiques précaires, parce que le tabagisme n’est pas leur unique préoccupation de santé durant leur grossesse ou encore parce qu’elles sont très dépendantes au tabac4. Arrêter de fumer peut également représenter un défi lorsque le conjoint de la femme enceinte fume.
Renoncer au tabac représente un défi personnel pour les futurs parents. Pour plusieurs d’entre eux, la grossesse constitue une occasion d'arrêter de fumer11,31,32, notamment en raison des torts possibles causés à la santé du bébé par la fumée de tabac. Il importe cependant de considérer le tabac comme une dépendance à vaincre pour soi-même, et pas seulement lors de la grossesse ou pour la santé du bébé à naître.
Réduction des méfaits
Ce ne sont pas toutes les femmes qui pourront ou qui voudront arrêter complètement de fumer lors de leur grossesse. Certaines viseront simplement à réduire le nombre de cigarettes fumées chaque jour. Il est important de réaliser, toutefois, que les femmes enceintes qui choisissent de réduire leur consommation de tabac plutôt que de cesser de fumer complètement ont tendance à modifier leur façon de fumer afin de combler leurs besoins de nicotine. Ainsi, elles peuvent prendre plus de bouffées, inhaler plus profondément et fumer complètement leurs cigarettes33. Cela les amène à absorber à peu près la même quantité de substances toxiques et induit un sentiment de sécurité trompeur.
Sevrage
Lorsqu’une personne cesse de fumer, elle ressent habituellement des symptômes de sevrage dus à l’absence de nicotine, la substance chimique responsable de la dépendance. Voici certains de ces symptômes :
- forte envie de fumer;
- irritabilité, frustration, colère;
- anxiété, fébrilité;
- humeur dépressive;
- difficultés de concentration;
- insomnie;
- augmentation de l’appétit34.
Ces symptômes apparaissent au cours des 24 premières heures suivant le renoncement au tabac, avec un pic d’intensité au cours de la première semaine. Puis, ils diminuent en intensité sur une période d’environ deux ou trois semaines. Pour des fumeurs très dépendants, les symptômes peuvent être plus sévères et durer plus longtemps. En plus des symptômes de sevrage, certains ex-fumeurs peuvent ressentir d’autres effets associés à l’arrêt tabagique, comme la toux ou la constipation. Le tableau 1 présente les principaux symptômes associés au renoncement au tabac, leur durée et des moyens pour les surmonter.
Tableau 1
Principaux symptômes associés à la cessation tabagique et moyens de les surmonter35-38
Symptômes |
Durée |
Actions à ENTREPRENDRE |
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Forte envie de fumer
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Environ 2 semaines
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- Se rappeler qu’une forte envie de fumer dure environ de 2 à 3 minutes.
- Inspirer profondément et lentement.
- Se concentrer sur l’objectif que l’on poursuit, c.-à-d. cesser de fumer pour préserver sa santé et celle de son bébé.
- Tenter de se changer les idées, faire quelque chose que l’on aime, s’éloigner de la situation qui cause la forte envie, etc.
- Planifier une activité qui remplacera l’acte de fumer : marcher, faire du sport, du tricot, du yoga, etc.
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Irritabilité, frustration, colère, anxiété, fébrilité
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Environ 4 semaines
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- Se répéter que c’est normal d'éprouver ces sentiments.
- Demander aux gens qui nous entourent d’être compréhensifs.
- Pratiquer une technique de relaxation ou de méditation.
- Faire des activités que l’on aime, s’organiser pour rire le plus souvent possible.
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Humeur dépressive
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Environ 4 semaines
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- Chercher du soutien auprès des proches et des professionnels de la santé.
- Pratiquer une technique de relaxation ou de méditation.
- Faire des activités qui font vraiment plaisir.
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Difficultés de concentration
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Environ 2 semaines
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- Planifier ses activités en conséquence.
- Prévoir plusieurs pauses lors de tâches qui exigent de la concentration.
- Éviter un surplus de stress durant les premières semaines.
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Insomnie
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Jusqu'à 3 semaines
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- Éviter de prendre des excitants (café, cola, thé, chocolat, boissons énergisantes).
- Faire une marche après le repas.
- Pratiquer une technique de relaxation.
- Prendre un bain, boire un verre de lait, regarder un film drôle.
- Éviter les écrans (cellulaires, ordinateurs, tablettes et téléviseurs) au moins 1 heure avant le coucher.
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Augmentation de l’appétit
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Quelques semaines
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Toux
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3 à 4 semaines
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- Boire beaucoup d’eau pour faciliter l’expectoration du mucus.
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Constipation
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3 à 4 semaines
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- Consommer des aliments à grains entiers, des légumes et des fruits, des noix, des graines et des légumineuses.
- Boire beaucoup d’eau.
- Faire de l’activité physique. Voir la fiche Activité physique et de mieux-être.
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Pharmacothérapie
Les aides pharmacologiques permettent d’atténuer les symptômes de sevrage lors du renoncement au tabac. Elles se divisent en deux catégories de médicaments : 1) les thérapies de remplacement de la nicotine; 2) le bupropion et la varénicline.
Thérapies de remplacement de la nicotine
Les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) utilisent des produits pharmacologiques qui libèrent suffisamment de nicotine dans le sang pour permettre au fumeur de contrôler ses symptômes de sevrage lors de l’arrêt tabagique. Les TRN contiennent toutefois des quantités de nicotine plus faibles qu’une cigarette et ne créent pas de dépendance. Et surtout, elles ne comprennent pas toutes les substances présentes dans la fumée de tabac39.
Les TRN regroupent les produits suivants :
- le timbre transdermique de nicotine, ou patch, qu’on colle à la peau;
- la gomme de nicotine;
- la pastille de nicotine;
- l’inhalateur de nicotine, qui ressemble à une cigarette en plastique;
- le vaporisateur buccal de nicotine.
Dans le cas du timbre, la nicotine est absorbée par la peau alors que pour la gomme, la pastille, l’inhalateur et le vaporisateur, la nicotine est absorbée par les muqueuses de la bouche.
Bupropion et varénicline
Le bupropion (commercialisé sous le nom de ZybanMD) est un médicament initialement conçu pour traiter la dépression. Il ne contient pas de nicotine et accroît l’aptitude des gens à s’abstenir de fumer en diminuant l’envie de fumer et en atténuant les symptômes de sevrage. Il agit sur les neurotransmetteurs du système nerveux central, mais son mécanisme d’action précis n’est pas bien compris39.
La varénicline (commercialisée sous le nom de ChampixMD) a deux actions : 1) elle agit comme la nicotine, ce qui aide à soulager les symptômes de sevrage; 2) elle agit contre la nicotine en prenant sa place, ce qui permet de réduire les effets de plaisir liés au tabagisme et donc de diminuer l’envie de fumer39.
Que peut prendre la femme enceinte ou allaitante?
Peu d’études rigoureuses ont évalué l’innocuité et l’efficacité de la pharmacothérapie chez les femmes enceintes41. La plus récente revue Cochrane publiée sur le sujet, en décembre 2015, recense huit études randomisées avec groupe témoin sur les TRN, une seule sur le bupropion (faible échantillon) et aucune sur la varénicline6.
Selon cette recension d’études, l’utilisation de la TRN augmenterait les taux de renoncement au tabac en fin de grossesse d’environ 40 %6. Toutefois, lorsque les trois études comportant des groupes témoins sans placebo sont exclues de l’analyse, cette augmentation serait de l’ordre de 28 % et serait tout juste significative. Les auteurs font état d’un faible taux d’observance au traitement. Par ailleurs, lorsqu'on compare les femmes enceintes ayant pris une TRN à celles des groupes témoins, ces études ne permettent pas d'observer une plus grande proportion de complications telles que : l'avortement spontané, l'accouchement prématuré, le bébé de faible poids ou l'admission en unité néonatale intensive.
Malgré le manque de données concluantes, le Canada, l’Angleterre et l’Australie ont publié des lignes directrices qui convergent quant à l’utilisation de la pharmacothérapie chez les femmes enceintes. Ainsi, la femme enceinte qui ne réussit pas à cesser de fumer sans médication pourrait envisager, dans un deuxième temps, le recours à une TRN de courte durée d’action (gomme, pastille, inhalateur ou vaporisateur)41-43. En effet, bien que la femme enceinte et son bébé soient exposés à de la nicotine lors de la prise de TRN, ils le sont à des quantités moindres que si la femme continue de fumer. Et surtout, ils ne sont pas exposés aux nombreuses substances nocives retrouvées dans la fumée de tabac6-23.
Le tableau 2 présente les différentes options pour la femme enceinte ou allaitante qui souhaite cesser de fumer.
Tableau 2 - Pharmacothérapie chez les femmes enceintes ou allaitantes41-44
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Recommandations |
Commentaires |
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1er choix |
Cesser de fumer sans avoir recours à la pharmacothérapie.
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2e choix |
Pour les femmes enceintes ou qui allaitent ne parvenant pas à cesser de fumer sans aide pharmacologique, les doses intermittentes de TRN (gomme, pastille, inhalateur ou vaporisateur) seraient préférables aux doses continues comme le timbre.
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Conseils à la femme qui utilise une TRN :
- S’abstenir de fumer des cigarettes, puisqu’elle consommerait alors une dose plus élevée de nicotine;
- Retirer le timbre de nicotine la nuit.
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La varénicline et le bupropion ne sont pas recommandés, que ce soit lors de la grossesse ou de l’allaitement, étant donné le manque de données à propos de leur innocuité et de leur efficacité40,43,44.
Les professionnels peuvent consulter le centre IMAGe du CHU Sainte-Justine pour obtenir de l’information supplémentaire sur la pharmacothérapie lors de la grossesse ou de l’allaitement (voir Onglet « Ressources et liens »).
Cigarette électronique
La cigarette électronique est un produit muni d’une pile et d’un microprocesseur qui diffuse une solution liquide sous forme d’aérosol que l’utilisateur inhale puis expire. La solution liquide est composée principalement de propylène glycol, de glycérol et d’arômes. Le liquide peut aussi inclure de la nicotine45.
Au Canada, les cigarettes électroniques avec nicotine, les cartouches de solution de nicotine et les produits connexes relèvent de la Loi sur les aliments et drogues. Une autorisation doit être obtenue de Santé Canada pour la mise en marché de ces produits, après l’analyse des données scientifiques démontrant leur innocuité et leur efficacité. Étant donné qu'aucun de ces produits n’a reçu d’autorisation de mise en marché jusqu’à présent, la vente de la cigarette électronique avec nicotine est interdite au Canada. Ainsi, la cigarette électronique actuellement vendue au Canada n’est soumise à aucune norme de fabrication, d’étiquetage, ni de contrôle de la qualité.
Apparue sur le marché mondial depuis un peu plus de 10 ans, la cigarette électronique est l’objet de grandes controverses au sein de la communauté scientifique. En effet, en raison du nombre limité d’études rigoureuses, il est impossible46 :
- d’estimer les effets sur la santé d’une exposition à long terme à l’aérosol de la cigarette électronique;
- de connaître son efficacité comme aide à l'arrêt tabagique;
- de statuer sur le risque que présente la cigarette électronique dans l'initiation des jeunes au tabac;
- de recommander une marque en particulier de cigarette électronique ou de liquide (il y en a des centaines).
Toutefois, selon des études récentes :
- la cigarette électronique serait beaucoup moins dommageable pour la santé des fumeurs que la cigarette de tabac47-49;
- l’utilisation de la cigarette électronique avec nicotine augmenterait les chances des fumeurs de demeurer abstinents du tabac après six mois, comparativement à l’usage de modèles sans nicotine; les taux d’arrêt tabagique seraient similaires à ceux obtenus avec les timbres de nicotine51;
- l’usage de la cigarette électronique avec nicotine serait associé à une réduction du nombre de cigarettes fumées50.
Ainsi, utiliser la cigarette électronique avec nicotine dans le but d’arrêter ou de diminuer sa consommation de tabac (en vue d’un arrêt ultérieur) pourrait être une option à envisager pour les fumeurs.
Les recherches des prochaines années permettront de prouver si, effectivement, la cigarette électronique avec nicotine est efficace comme outil d’aide à l’arrêt tabagique. Nous serons aussi en mesure de savoir si la cigarette électronique est un produit qui incite les jeunes à devenir dépendants à la nicotine et aux produits du tabac. Entre-temps, le gouvernement du Québec a décidé d’assujettir la cigarette électronique aux dispositions de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, la rendant donc beaucoup moins accessible aux jeunes de moins de 18 ans (interdictions : de vente aux mineurs, d’étalage dans la plupart des points de vente, d’usage dans les lieux publics, de publicité, etc.).
Cigarette électronique et femmes enceintes
À ce jour, aucune étude menée chez les femmes enceintes n'a permis de statuer sur l’innocuité et l’efficacité de la cigarette électronique6. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déconseille son utilisation chez les femmes enceintes et les femmes en âge de procréer, en raison des conséquences possibles de la nicotine sur le développement du cerveau du fœtus51.
Un avis d‘experts à l'intention des professionnels de la santé, publié en 2014 par l’Office français de prévention du tabagisme déconseille la cigarette électronique aux femmes enceintes52. On recommande plutôt l’utilisation des produits de remplacement de la nicotine.
En Angleterre, on suggère aux professionnels de la santé de ne pas décourager l’utilisation de la cigarette électronique chez les femmes enceintes qui auraient choisi cette option surtout si cela les aide à prévenir une reprise de l’usage du tabac53.
L’inquiétude quant à l’usage de cigarettes électroniques contenant de la nicotine pendant la grossesse et l’allaitement s’apparente à celle liée à la TRN. Toutefois, certaines substances aromatisantes se trouvant dans l’aérosol des cigarettes électroniques pourraient être associées à des dommages au niveau des cellules souches embryonnaires54, ce qui inviterait à être prudent quant à l’utilisation d’une cigarette électronique.
Rechute
Environ 25 % des femmes enceintes qui ont renoncé au tabac durant la grossesse rechuteront avant d’avoir accouché4. Comme le troisième trimestre est crucial pour la prise de poids du bébé28 la femme enceinte devrait être encouragée à cesser de fumer de nouveau et être soutenue dans une démarche de renoncement au tabac, tout comme les personnes de son entourage.
De plus, on estime que de 70 % à 90 % des mères qui cessent de fumer pendant la grossesse recommencent au cours de l’année suivant la naissance du bébé4. Cela peut paraître étonnant, vu la longue période d’abstinence correspondant à la durée de la grossesse. Certains chercheurs avancent comme explication que les efforts de renoncement au tabac des femmes enceintes sont essentiellement motivés par un facteur externe, le bien-être du fœtus ou du bébé4.
Plusieurs facteurs prédisposent à la rechute, comme les difficultés liées à la naissance de l’enfant, les situations de stress, les problèmes de couple, la présence d’un conjoint fumeur, la dépression post-partum, l’absence de soutien social, la décision de ne pas allaiter ou de sevrer rapidement son bébé, la consommation d’alcool et la prise de poids4,14,55.
Pour diminuer les risques de rechute, la femme peut utiliser des stratégies en cas de stress ou d’envie de fumer comme :
- le soutien d’un membre de l’entourage;
- des façons de relaxer ou de faire passer l’envie;
- la pratique d’activités physiques;
- le recours à des aides pharmacologiques;
- l’aide de diverses ressources, par exemple un suivi en personne dans un centre d’abandon du tabagisme (CAT), du soutien par téléphone (ligne j’Arrête 1 866 527-7383) ou par messages textes (l’inscription se fait en visitant le SMAT.ca).
Environnement social
Les gestes du ou de la partenaire et de l'entourage peuvent être très encourageants pour la femme enceinte qui essaie d'arrêter de fumer. En effet, certains hommes fumeurs encouragent les tentatives de renoncement au tabac de leurs conjointes enceintes fumeuses en diminuant leur propre consommation de tabac en leur présence ou en allant fumer à l’extérieur. Il est vrai cependant que chez certains couples, les cigarettes partagées représentent des moments d’intimité qu’il ne faut pas négliger; ces couples pourront être invités à imaginer des rituels de remplacement qu’ils pourront intégrer à leur routine quotidienne.
Il ne faut pas présumer que toutes les femmes sont capables ou ont la possibilité de discuter de leur consommation de tabac avec leur partenaire ou leur entourage sans risquer de créer des conflits56. Certains hommes réprouvent le fait que leurs conjointes enceintes continuent de fumer, ce qui provoque davantage de conflits au sein des couples4. C’est pourquoi certains chercheurs et organismes suggèrent d’intervenir directement auprès du conjoint et des autres membres de la famille fumeurs, séparément de la femme enceinte40,57.