Perspectives québécoises en lien avec l’article du RMTC : ‘Considérations portant sur les taux croissants de gonorrhée et de gonorrhée résistante aux médicaments : il n’y a pas de temps à perdre.’

Nous vous présentions début septembre la mise à jour des guides de l’INESSS sur la prise en charge et le traitement des infections à Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae. Dans la même lignée, voici un article abordant l’importance de maintenir la surveillance de la résistance de N. gonorrhoeae aux antibiotiques recommandés pour le traitement.

Nous vous en avons déjà parlé à plusieurs reprises, N. gonorrhoeae est une super bactérie. Non seulement elle adopte fréquemment de nouvelles mutations lui permettant de résister aux antibiotiques utilisés pour le traitement, mais elle les conserve. Quand d’autres bactéries perdent leurs anciennes résistances, permettant ainsi de revenir à d’anciens traitements ou combinaisons de ces traitements, N. gonorrhoeae conserve tout ce qu’elle a acquis au fil du temps. Elle se transforme lentement mais sûrement en bactérie multirésistante. Certaines souches multirésistantes ont déjà fait leur apparition dans différentes parties du globe, mais elles sont encore très peu répandues au Canada et au Québec. Il est important que cela reste ainsi et ne s’amplifie pas.

L’article publié en février 2019 dans le Relevé des maladies transmissibles au Canada (RMTC) présente 7 raisons qui ont conduit à cette situation inquiétante d’un point de vue de santé publique.

  • La gonorrhée est une infection souvent asymptomatique, en particulier lorsqu’elle est pharyngée, ou encore chez les femmes.
  • La gonorrhée se transmet très facilement.
  • Les souches avec des résistances étant moins faciles à traiter, elles ont un avantage compétitif face aux autres souches sensibles aux antibiotiques.
  • La prise de risque sur le plan sexuel (relations occasionnelles, non protégées …) lors des voyages est plus fréquente que dans le quotidien.
  • Les personnes ne se font pas dépister fréquemment car elles ne se croient pas à risque d’ITSS, ou ont peur de la stigmatisation associée.
  • Les recommandations de traitement évoluent rapidement et les nouveautés ne sont pas toujours simples à assimiler pour les professionnels de la santé.
  • L’utilisation d’une culture pour le dépistage de N. gonorrhoeae tend à être remplacé par le TAAN, plus simple à réaliser et plus sensible. Malheureusement, ceci ne permet de mesurer les résistances aux antibiotiques.

Ces raisons sont suivies de 4 recommandations des auteurs, que nous vous avions déjà mentionnés, mais que nous explorons ici dans le contexte Québécois :

Normaliser et amplifier le dépistage et promouvoir des pratiques sexuelles plus sûres

Cette notion reste vraie en tout temps, mais des ajustements ont été proposés en période de Covid-19. Par ailleurs, nous avons pu constater que la distanciation physique avait temporairement réduit les nombres d’ITSS diagnostiquées. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y en a eu moins. Certains actes médicaux/de dépistage ayant été priorisés par rapport à d’autres pour diminuer globalement la pression sur le système de santé, et sachant qu'une grande partie des cas d'ITSS sont asymptomatiques, on a certainement manqué des cas. La télémédecine permet toutefois de continuer la promotion de pratiques sexuelles sûres, et de nombreux articles et plans d’action avaient récemment été mis de l’avant par l’Agence de santé publique du Canada afin de minimiser la stigmatisation des populations touchées par les ITSS. Pour les lignes directrices les plus récentes sur le dépistage des ITSS, merci de consulter le Guide québécois de dépistage des ITSS, et les webinaires de promotion qui y sont associés.

Prodiguer des conseils avant le départ en voyage

D’un point de vue de santé publique, le dépistage et la prise en charge des ITSS ainsi que la santé des voyageurs sont deux domaines bien séparés. La question des voyages réalisés ou de l’origine géographique des partenaires récents fait partie du formulaire d'enquête épidémiologique pour les déclarations de cas de gonorrhée, mais ce n’est pas la question la mieux répondue.

Augmenter l’utilisation de cultures pour le diagnostic et le test de contrôle

Le réseau sentinelle de surveillance de la résistance aux antibiotiques de N. gonorrhoeae au Québec vise justement cet objectif. Selon les premiers résultats, au moins un prélèvement pour culture a été effectué pour 68 % des épisodes recueillis. Le taux de réalisation de test de contrôle est de 56 %. Dans un contexte où l’accent a été mis sur l’importance des cultures (sans retarder le traitement) et des tests de contrôle auprès des cliniciens, cela semble un peu faible. On peut également présumer que ces taux soient plus faibles dans le reste de la province. La promotion des bonnes pratiques reste à être mieux diffusée auprès des cliniciens.

Fournir une thérapie combinée à jour pour les patients et leurs contacts

L’article fait ici référence aux recommandations canadiennes, mais celles du Québec ont changé le 30 août 2020. La ceftriaxone (250 mg) seule (plutôt que combinée à l'azithromycine comme c’était le cas avant) est recommandée en première intention quel que soit le site infecté. Pour les infections urétrales, endocervicales ou rectales, une thérapie combinée de céfixime 800 mg associée à 2 g d’azithromycine est un choix équivalent. Pour faire écho à ce qui est mentionné plus haut comme raison de menace de santé publique, les recommandations de traitements changent vraiment fréquemment (mises à jour en 2015, 2018, 2019 et 2020), et rarement accompagnées d’activité d’appropriation. Certains cliniciens suivent les recommandations canadiennes avant les recommandations québécoises. Il n’y a par ailleurs pas d’étude concernant la rapidité d’implantation des nouvelles recommandations parmi les cliniciens au Québec.

Rédigé par
Fannie DEFAY - Espace ITSS
Date de publication
2 octobre 2020