Échecs du traitement de Neisseria gonorrhoeae : analyse de la situation en Alberta

Annick Trudelle propose un article sur les échecs au traitement de Neisseria gonorrhoeae

Retrospective review of pharyngeal gonorrhea treatment failures in Alberta, Canada.
Analyse rétrospective d’échecs au traitement pour des cas de gonorrhée pharyngée, rapportés en Alberta, Canada [traduction libre] 
Gratrix JBergman JEgan CDrews SJRead RSingh AE

La gonorrhée pharyngée est symptomatique dans moins de 10 % des cas d'infection. Elle peut donc servir de réservoir asymptomatique pour l'émergence de résistance par l'échange génétique avec d'autres Neisseria spp et faciliter la transmission à des groupes à haut risque (HARSAH, travailleurs du sexe etc.). Par ailleurs, cette infection est de plus en plus présente chez les personnes hétérosexuelles.

Une récente publication avait signalé un taux assez élevé d'échecs du traitement à la céfixine des cas d’infection parNeisseria gonorrhoeae dans une clinique de Toronto (voir le traitement de l'article dans PubMed). Ces échecs du traitement étaient associés à des concentrations minimales inhibitrices (CMI) élevées. La hausse des CMI à la céfixime a poussé plusieurs instances à modifier leurs lignes directrices pour le traitement des infections à N. gonorrhoeae, dont aux États-Unis, au Canada et en Europe.

Suite à plusieurs rapports anecdotiques indiquant une augmentation des échecs au traitement pour des cas de gonorrhée pharyngée en Alberta, les auteurs ont  examiné les caractéristiques associées à ces cas d’échec au traitement.

Méthodologie

L’étude s’est concentrée sur deux cliniques ITSS en Alberta. Les individus qui ont consulté ces deux cliniques entre 2008 et 2011 ont répondu à un questionnaire, incluant leur participation à des fellations passives, dans le cadre de leur historique sexuel. Les individus qui rapportaient cette activité sexuelle avec un partenaire masculin subissaient un prélèvement de gorge pour une culture de N. gonorrhoeae. Les CMI pour six antibiotiques étaient déterminées par E-Test et les échantillons étaient soumis à du génotypage moléculaire.

Les patients positifs pour N. gonorrhoeae dans la gorge étaient traités selon les recommandations provinciales en vigueur à cette époque, soit 400 mg de céfixime orale en dose unique ou 125 mg de ceftriaxone intramusculaire, en combinaison avec le traitement pour la chlamydia. Tous les patients ont été informés qu’un test de contrôle était nécessaire sept jours post-traitement.

Un échec au traitement a été défini par la présence d’une culture positive lors du suivi post-traitement, la présence d’une souche identique à la souche pré-traitement, le tout en absence d’activités sexuelles depuis le début du traitement. Les patients signalant une exposition sexuelle depuis le début du traitement et le test de contrôle ont été considérés infectés suite à une réexposition et ont été exclus de l’analyse.

Principaux résultats

Cette étude a permis d’identifier 350 cas positifs de gonorrhée pharyngée, dont 156 exclusivement dans le pharynx (45 %). Seulement 38 patients (11 %) rapportaient des symptômes reliés à une infection pharyngée.

Une culture de contrôle a été effectuée entre 7 et 34 jours post-traitement chez 160 patients (46 %), avec un taux d’échec au traitement de 13 % (21 patients). Aucune différence significative au niveau du sexe, de l’âge ou de l’orientation sexuelle n’a été identifiée pour les patients avec ou sans échec au traitement. Les résultats de CMI pour la céfixime n’étaient disponibles que chez 124 patients (78 %) et oscillaient entre 0,016 mg/L et moins de 0,25 mg/L. Les 36 résultats manquants ont été obtenus par E-Test sur un échantillon prélevé le même jour, à partir d’un autre site infecté. Seulement 1 patient sur ces 36 avait une CMI de 0,12 mg/L et aucun de ces 36 patients ne démontraient un échec au traitement.

Le taux d’échec au traitement pour les patients en monothérapie céfixime 400 mg était de 28 % comparé à 3 % pour les patients en bithérapie céfixime 400 mg/azithromycine 1g. Aucune association n’a été identifiée entre les niveaux de CMI à la céfixime et le choix de traitement. La proportion de cas de gonorrhée pharyngée, au cours des quatre années de l’étude, est restée stable.

Conclusions de l’article

Les auteurs soulignent quelques limites de l’étude, dont le devis rétrospectif et le fait que la proportion d’échecs au traitement a été évaluée sur la base de prélèvements pour culture. Il est possible que cette proportion ait été plus élevée si des prélèvements pour TAAN avaient été effectués.

Cette étude n’a pas permis de démontrer que la sensibilité réduite à la céfixime était associée à un taux plus élevé d’échec au traitement. Cependant, les résultats confirment que la monothérapie avec céfixime 400 mg est inadéquate pour le traitement de l’infection pharyngée.

Tel que mentionné précédemment, plusieurs instances ont modifié les recommandations de traitement pourN. gonorrhoeae en raison des hausses de CMI à la céfixime. Le taux de succès de traitement de 97 % démontré dans cette étude, avec la bithérapie céfixime 400 mg/azithromycine 1 g, a été trouvé aussi efficace par d’autres experts que les régimes à base de ceftriaxone. Les auteurs soulèvent donc la possibilité que cette option puisse être une solution de rechange acceptable lorsque la ceftriaxone n'est pas disponible ou lorsqu’un traitement oral est préférable, par exemple pour le traitement des partenaires. Ils mentionnent toutefois que ces résultats devraient idéalement être confirmés par une étude prospective.

Commentaire éditorial

Bien que ces résultats soient intéressants, le traitement recommandé au Québec pour les infections pharyngées demeure la ceftriaxone 250 mg intramusculaire en combinaison avec l’azithromycine 1 g. De plus, il est recommandé de procéder à une culture de contrôle dans tous les cas d’infection pharyngée afin d’identifier les échecs au traitement.

 

Traitement de l'article dans PubMed

Guide de traitement pharmacologique de Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae de l’INESSS

Rédigé par
Annick Trudelle
Date de publication
8 août 2014