La prévention du VIH : la fin de la pandémie est-elle à notre portée, même sans vaccin?

Dr Michel Alary propose un texte de réflexion sur la prévention du VIH

Bien plus qu’une question de vaccin

À la toute fin de 2011, l’annonce par une équipe de l’Université de Waterloo en Ontario de la mise en route dès janvier 2012 d’un programme d’essais cliniques sur un nouveau vaccin contre le VIH développé au sein de cette université par l’équipe du Dr Chil-Yong Kang a suscité beaucoup d’intérêt, particulièrement au Canada1,2. Même si ce vaccin, utilisant un virus entier tué après qu’il ait été génétiquement modifié, constitue une approche novatrice, il s’agit d’une approche parmi tant d’autres,   alors que la recherche sur le développement d’un vaccin efficace contre le VIH se heurte à toutes sortes d’embûches depuis des années3.

Imaginez : lors de la première Conférence internationale sur le Sida à laquelle j’ai assisté (c’était à Montréal en 1989), on parlait de la disponibilité d’un vaccin dans les 5 années qui suivraient. Au début des années 2000, on disait que ça prendrait encore au moins dix ans avant d’y arriver, et les résultats obtenus jusqu’à maintenant dans les différents essais cliniques ont tous été décevants, sauf peut-être pour l’essai clinique d’une combinaison des vaccins ALVAC et AIDSVAX réalisé en Thaïlande, essai qui a démontré une efficacité de l’ordre de 30 % pour prévenir l’acquisition du VIH4. Tout récemment par contre, la découverte qu’il est possible pour l’organisme humain de produire des anticorps largement neutralisants contre le VIH a donné un regain de vie à la recherche fondamentale visant le développement d’un vaccin véritablement efficace5,6.

La force de la « prévention combinée »

Alors, comme il semble qu’on soit encore relativement loin d’un vaccin efficace, pourquoi se permet-on d’envisager maintenant la quasi-élimination du VIH sur une période de quelques décennies? De fait, c’est depuis qu’on a commencé à parler de la prévention en combinaison (« combination prevention ») qu’un vent d’optimisme a commencé à souffler par rapport à notre capacité de prévenir efficacement le VIH, même en l’absence d’un vaccin efficace. Bien sûr, le terme choisi fait référence aux traitements combinés (« combination treatment ») qui ont fait le succès qu’on connaît de la thérapie antirétrovirale.  

La prévention en combinaison se définit comme l’emploi combiné d’approches comportementales, biomédicales et structurelles adaptées aux contextes spécifiques où elles sont implantées, afin de maximiser l’impact des activités préventives7,8.

Approches comportementales

Compte tenu des ressources limitées, la composante comportementale cible d’abord et avant tout les sous-populations les plus vulnérables au VIH. Ainsi, dans les pays à épidémie concentrée, il est beaucoup plus rentable de cibler les interventions comportementales de promotion du sexe sécuritaire vers ces populations vulnérables que d’essayer de couvrir l’ensemble de la population générale par de telles interventions. De telles approches comportementales auprès des travailleuses du sexe et autres populations très à risque ont montré leur efficacité à contrôler l’épidémie autant chez les populations visées qu’au sein de la population générale en Afrique de l’ouest et en Asie9-14. Malheureusement, les approches comportementales n’ont qu’une efficacité partielle au plan populationnel et ne peuvent être suffisantes pour éliminer entièrement la transmission du VIH.  

Approches biomédicales

En plus des vaccins, les approches biomédicales à la prévention incluent la prophylaxie pré-  et post- exposition (seule la première peut avoir un impact populationnel pour la prévention du VIH) et le traitement des personnes infectées pour diminuer leur contagiosité.  

Des études récentes ont démontré une efficacité de l’ordre de 40 % pour la prophylaxie pré-exposition, que ce soit avec une application vaginale d’un gel à base d’antirétroviraux15 ou avec une administration orale16. Ce niveau de protection, bien qu’appréciable, ne peut assurer l’élimination de la transmission du VIH.

On savait par ailleurs depuis quelque temps que la probabilité de transmission du VIH est liée à la charge virale et qu’un traitement antirétroviral efficace avait un fort potentiel de prévenir la transmission du virus. Alors que des études observationnelles ont tout d’abord suggéré la valeur préventive du traitement17,18, un essai clinique randomisé a récemment démontré une réduction de la transmission du VIH de 96 % dans des couples sérodiscordants où le partenaire infecté était traité avant même qu’il n’y ait indication clinique pour un tel traitement19. Avec un tel niveau d’efficacité, des modèles mathématiques suggèrent même que le dépistage volontaire systématique et régulier de l’ensemble de la population suivi d’un traitement immédiat de tous les cas infectés pourrait réduire l’incidence du VIH à presque zéro en dix ans, puis mener à l’élimination de l’infection en cinquante ans dans le contexte d’une des épidémies les plus généralisées qui existent, soit celle de l’Afrique du Sud20. C’est vraiment la combinaison d’une telle approche biologique et de toutes celles mentionnées plus haut qui fait maintenant dire à plusieurs experts que la fin de la pandémie du VIH est maintenant à notre portée.  

Application immédiate?

Il reste plusieurs questions à régler avant d’appliquer intégralement la stratégie du dépistage et du traitement systématiques : alors qu’il semble bien que l’expansion des programmes de traitement ne mène pas une augmentation des comportements à risque dans les pays en voie de développement21, nous ne savons pas encore de manière suffisamment certaine si le traitement administré avant que les CD4 ne tombent sous le seuil de 350 par µl est bénéfique ou nuisible pour les personnes infectées22 et il est encore trop tôt pour inférer au plan populationnel l’efficacité du traitement pour la prévention observée au plan individuel. L’incertitude relève en grande partie du défi posé par l’implantation de programmes de dépistage à une telle échelle et par le coût élevé de programmes de traitement implantés aussi largement. En vue de répondre à ces questions, des essais cliniques randomisés de communautés évaluant la stratégie « tester et traiter » sont en cours d’implantation en Afrique australe et des réponses éclairantes devraient être disponibles dans quelques années. D’ici là, l’expansion du dépistage du VIH en général et de l’accès au traitement selon les critères actuellement établis pourront déjà contribuer à lutter plus efficacement contre la pandémie.     

Approches structurelles

En terminant, soulignons également qu’il est maintenant reconnu que les interventions structurelles constituent une composante essentielle de la prévention en combinaison23. En effet, comment pourrait-on envisager une stratégie « tester et traiter » sans lutter en parallèle contre la stigmatisation et la discrimination dont sont victimes les personnes vivant avec le VIH et les populations hautement vulnérables pour cette infection (travailleuses du sexe, utilisateurs de drogues par injection, hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, etc.)?

Le VIH ici au Canada

Alors qu’on parle maintenant sérieusement de venir à bout de l’épidémie de VIH dans les pays les plus atteints, qui font aussi souvent partie des pays les plus pauvres de la planète, qu’en est-il de la situation au Canada et au Québec? Selon moi, on est loin du compte dans nos stratégies. Par exemple, même si nos interventions ciblent bien les populations les plus vulnérables comme il se doit dans notre épidémie de type concentré, nous n’avons aucune idée réelle de la couverture effective de ces populations ni du niveau d’intensité que nos interventions atteignent, alors que de plus en plus, ces données sont disponibles dans des pays en voie de développement avec épidémie concentrée24.  

De plus au Québec, bien que nous ayons récemment décidé de promouvoir le dépistage de manière plus élargie, force est de constater que ce qui est maintenant proposé25 semble déjà un peu dépassé et n’atteint pas le niveau d’effort adopté dans d’autres pays industrialisés et d’autres provinces canadiennes. Finalement, comment peut-on penser promouvoir efficacement le dépistage, dans le cadre d’une stratégie « tester et traiter », dans un pays où les institutions criminalisent à outrance la non- divulgation du statut VIH?

Références

  1. HIV/AIDS vaccine developed at the University of Western Ontario proceeding to human criminal trials. communications.uwo.ca/media/hivvaccine. Visité le 3 janvier 2012.
  2. Canadian-made HIV vaccine approved for human testing. www.ctv.ca/CTVNews/TopStories/20111220/canadian-hiv-vaccine-trials-11120/. Visité le 3 janvier 2012.
  3. Fauci AS, Johnston MI, Dieffenbach CW, Burton DR, Hammer SM, Hoxie JA, et al. HIV vaccine research: the way forward. Science 2008; 321:530–532.
  4. Rerks-Ngarm S, Pitisuttithum P, Nitayaphan S, Kaewkungwal J, Chiu J, Paris R, et al. Vaccination with ALVAC and AIDSVAX to prevent HIV-1 Infection in Thailand. N Engl J Med 2009; 361:2209–2220.  
  5. Johnston MI. Fauci AS. HIV vaccine development – Improving on natural imunity. N Engl J Med 2011; 365:873-5.
  6. Korber B, Gnanakaran S. Converging on an HIV vaccine. Science 2011; 333: 1589-90.
  7. Piot P, Bartos M, Larson H, Zewdie D, Mane P. Coming to terms with complexity: a call to action for HIV prevention. Lancet 2008; 372:845–59.
  8. Merson M, Padian N, Coates TJ, et al, for The Lancet HIV Prevention Series Authors. Combination HIV prevention. Lancet 2008; 372:1805–06.     
  9. Alary M, Mukenge-Tshibaka L, Bernier F, Geraldo N, Lowndes CM, Meda H, Gnintoungbè CAB, Anagonou S, Joly JR. Decline in the prevalence of HIV and sexually transmitted  diseases among female sex workers in Cotonou, Benin, 1993-99. AIDS 2002; 16:463-470.
  10. Boily MC, Lowndes CM, Alary M. The impact of HIV epidemic phases on the effectiveness of core group interventions: insights from mathematical models. Sex Transm Infect 2002; 78(Suppl i):i78-i90.
  11. Lowndes CM, Alary M, Labbé AC, Gnintoungbè C, Belleau M, Mukenge L, Meda H, Ndour M, Anagonou S, Gbaguidi A. Interventions among male clients of female sex workers in Benin, West Africa: an essential component of targeted HIV preventive interventions. Sex Transm Infect 2007; 83:577-581.
  12. Phoolcharoen W. HIV/AIDS prevention in Thailand: success and challenges. Science 1998; 80: 1873–74.
  13. Pickles M, Foss AM, Vickerman P, Deering K, Verma S, Demers E, Washington R, Ramesh BM, Moses S, Blanchard J, Lowndes CM, Alary M, Reza-Paul S, Boily MC. Interim modelling analysis to validate reported increases in condom use and assess HIV infections averted among female sex workers and clients in southern India following a targeted HIV prevention programme. Sex Transm Infect 2010; 86 (Suppl i):i33- i43.
  14. Ng M, Gakidou E, Levin-Rector A, Khera A, Murray CJL, Dandona L. Assessment of population-level effect of Avahan, an HIV-prevention initiative in India. Lancet 2011; 378:1643-52.
  15. Abdool Karim QA, Abdool Karim SS, Frolich JA, et al. Effectiveness and safety of tenofovir gel, an antiretroviral microbicide, for the prevention of HIV infection in women. Science 2010; 329:1168–74.
  16. Grant RM, Lama JR, Anderson PL, et al. Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men. N Engl J Med 2010; 363:2587–99.
  17. Montaner JSG, Hogg R, Wood E, Kerr T, Tyndall M, Levy AR, Harrigan PR. The case for expanding access to highly active antiretroviral therapy to curb the growth of the HIV epidemic. Lancet 2006; 368: 531–36.
  18. Donnell D, Baeten JM, Kiarie J, et al. Heterosexual HIV-1 transmission after initiation of antiretroviral therapy: a prospective cohort analysis. Lancet 2010; 375:2092-8.
  19. Cohen MS, Chen YQ, McCauley M, et al. Prevention of HIV-1 infection with early antiretroviral therapy. N Engl J Med 2011; 365:493-505.
  20. Granich RM, Gilks CF, Dye C, De Cock KM, Williams BG. Universal voluntary HIV testing with immediate antiretroviral therapy as a strategy for elimination of HIV transmission: a mathematical model. Lancet 2009; 373:48–57.
  21. Venkatesh KK, Flanigan TP, Mayer KH. Is expanded HIV treatment preventing new infections? Impact of antiretroviral therapy on sexual risk behaviors in the developing world. AIDS 2011; 25:1939-49.
  22. Cambiano V, Rodger AJ, Phillips AN. “Test-and-treat: the end of the HIV epidemic?  Curr Opin Infect Dis 2011; 24:19-26.
  23. Gupta GR, Parkhurst JO, Ogden JA, Aggleton P, Mahal A. Structural approaches to HIV prevention. Lancet 2008; 372:764–75.
  24. Verma R, Shekhar A, Khobragade S, et al. Scale-up and coverage of Avahan: a large-scale HIV-prevention programme among female sex workers and men who have sex with men in four Indian states. Sex Transm Infect 2010; 86 (suppl i): i76-i82.
  25. Institut national de santé publique du Québec. Optimiser le dépistage et le diagnostic de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Gouvernement du Québec, Juillet 2011.
Rédigé par
Michel Alary, MD, Ph. D.; professeur titulaire, Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval; chercheur, URESP, Centre de recherche FRSQ du CHA universitaire de Québec; médecin‐conseil, Institut national de santé publique du Québec
Sujets :
Date de publication : 23 février 2012