Pourquoi les jeunes prennent-ils des risques?
M. Michel Dorais, professeur en sciences sociales à l'Université Laval, se penche ici sur des pistes de réflexion tout en vous invitant à repenser vos pratiques d'intervention.
On se demande souvent pourquoi les avis et les campagnes de prévention peinent à rejoindre les jeunes générations. Il faut bien le reconnaître, le risque, ça peut devenir excitant, surtout quand on est jeune. À ce moment dans la vie, c’est une façon de tester son courage, sa force, sa témérité, sa chance aussi. Affronter la mort par des conduites dites à risque donnerait, à la limite, plus de valeur à la vie. Comme si du danger traversé émergeait un surplus de sens et d’énergie. Comme si la transgression même des règles de prudence ajoutait à la puissance, sinon à l’invulnérabilité de celui ou celle qui s’en sort tout de même indemne1.
Si les jeunes sont plus enclins à la prise de risque, c’est d’ailleurs précisément qu’ils se sentent magiquement à l’abri des accidents et de la mort, que le risque est chez eux perçu comme un espace de liberté, de contestation et d’affirmation de soi. Un chercheur américain en psychologie, Marvin Zukerman2, a défini quatre aspects de la recherche de sensations fortes pouvant amener un individu à prendre des risques : un attrait certain pour l’aventure, la recherche active d’expériences nouvelles, la faculté de laisser tomber ses inhibitions, enfin la susceptibilité à l’ennui, qui implique que l’on entend éliminer le sentiment de monotonie de son existence. Or, cette énumération ne décrit-elle pas à merveille le profil de nombre de jeunes et de moins jeunes? Si la sexualité est excitante, si le risque est excitant, la fusion des deux n’apparaît-elle pas comme l’ultime excitation? Plausible.
Parmi les risques liés à la sexualité les plus dénoncés figure la relation sexuelle non protégée, notamment ce qu’on appelle bareback – expression consacrée pour désigner le choix prémédité et délibéré d’avoir des rapports sexuels non sécuritaires quant à la transmission du VIH, en général avec des partenaires occasionnels ou anonymes. Les campagnes de prévention du sida chez les HARSAH ont beaucoup mis en lumière cette pratique, à première vue malaisée à comprendre. Toutes orientations sexuelles confondues, tout le monde sait pourtant d’expérience que la décision d’avoir une relation sexuelle n’est pas toujours la chose la plus rationnelle ni la plus éclairée qui soit. Entrent alors en jeu de l’émotivité et des motivations qui n’ont pas forcément à voir avec la sexualité comme telle : on peut vouloir découvrir des aspects inédits de soi ou en l’autre, se rapprocher de quelqu’un quand on ne croit pas pouvoir le faire autrement, jouer, dominer, se laisser dominer, se venger, prouver sa faculté de séduction, flatter son ego ou celui de l’autre, rehausser son estime de soi, etc. Il y a une infinité de motifs pour avoir des rapports sexuels et toutes les combinaisons possibles de ces finalités peuvent motiver la conduite de tout un chacun.
Dans la sexualité comme ailleurs, lorsque le gain anticipé semble en valoir la peine, il tend à faire oublier le risque encouru. Autrement dit, le profit à court terme l’emporte souvent sur des considérations à plus long terme. Le comportement économique des individus, des entreprises et des États le montre hélas suffisamment pour que l’on cesse de considérer comme des extraterrestres ceux et celles qui adoptent une similaire logique du plaisir à court terme dans leur vie sexuelle. Cette explication n’excuse rien, bien sûr, mais permet de comprendre un peu mieux la prise de risque lors de rencontres sexuelles qui seront a posteriori estimées peu responsables.
Si le risque peut être activement recherché, il peut aussi, bien évidemment, être la conséquence de conditions de vie délétères. De loin, le principal prédicteur de pratiques sexuelles à risque chez les jeunes de toutes préférences sexuelles est leur marginalisation sociale. On ne se protège pas, pourquoi? Parce qu’on croit que cela n’en vaut pas la peine, parce que l’on n’a pas appris à le faire, parce que l’on est trop soûl ou trop drogué, parce que l’on n’en a pas le temps ou les moyens, parce que l’on est sous la contrainte d’autrui, etc. Pas étonnant que les jeunes victimes d’agressions sexuelles, les jeunes de la rue, les jeunes de la prostitution, les jeunes toxicomanes, les jeunes gays et bisexuels vivant du rejet, les jeunes autochtones ou membres de populations victimes de racisme soient, selon toutes les études, les plus à risque de contracter des maladies sexuellement transmises et le VIH. C'est que le danger, ils connaissent déjà, c'est même devenu leur quotidien.
Des pistes d’intervention face à cette prise de risque chez les jeunes? Il n’y a certes pas de recettes magiques pour amenuiser l’attrait de la prise de risque au sein de cette tranche de population, en particulier chez ceux qui se savent déjà vulnérables. On peut toutefois leur donner des raisons de croire que la vie en vaut la peine (ce qui s’apparente à une logique de réduction des méfaits). Écouter, tenir compte de leur point de vue, comprendre les questionnements, les séquelles et les problèmes qu’ils traversent, leur assurer un quotidien décent sur le plan matériel, encourager et soutenir tout projet pour eux porteurs d’espoir, de valorisation et de résilience : voilà quelques incontournables qui appellent à considérer la prévention et l’intervention avant tout comme un accompagnement et un soutien.
- Sur les conduites à risque, en particulier chez les jeunes, je ne saurais trop suggérer les travaux du sociologue David Le Breton, en particulier Passions du risque, Métailié, 2000, Conduites à risque, PUF, 2002 et En Souffrance, Métailié, 2007.
- Dont l’ouvrage référence est Sensation Seeking and Risky Behavior, APA, 2006.