Veille analytique portant sur l'alcool, volume 2, numéro 1, mars 2024

Cette veille est destinée en premier lieu aux acteurs du réseau de santé publique québécois. Les publications scientifiques recensées sont choisies pour leur pertinence au regard de la prévention des méfaits et de la réduction des risques liés à la consommation d’alcool.

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Politiques publiques

Les effets de la vente d’alcool dans les épiceries en Ontario : une étude avant/après

Mise en contexte

Au cours des dernières années, plusieurs pays ont dérèglementé les ventes d’alcool, permettant ainsi davantage de ventes privatisées. Cet assouplissement contribue à accroître l’accessibilité physique de l’alcool, et libère la voie à des heures d’ouverture prolongées, des gammes de produits plus larges et de la concurrence sur les prix. 

De 2015 à 2019, le gouvernement ontarien a accordé à 450 épiceries l’autorisation de vendre de la bière, du cidre et du vin. Combiner l’achat de produits alcooliques avec des activités routinières pourrait rendre l’achat plus pratique. De plus, la disponibilité dans les épiceries expose davantage de personnes, dont les enfants, aux produits de l’alcool et à la publicité.

Objectif

La présente expérimentation naturelle a pour objectif d’évaluer l’effet, sur la consommation d’alcool, d’habiter à moins de 1000 et 1500 mètres d’épiceries ontariennes ayant obtenu une autorisation de vendre de l’alcool de 2015 à 2019.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les données proviennent du Canadian Community Health Survey en Ontario, et incluent celles d’adultes (> 20 ans) vivant à moins de 1000 mètres (n = 14 052) et 1500 mètres (n = 30 486) d’épiceries ayant obtenu un permis de vente d’alcool. 

  • Les résultats indiquent qu’il n’y a pas de tendance cohérente montrant une augmentation de la consommation d’alcool dans les populations vivant à proximité d’épiceries détenant un permis de vente, par rapport aux populations témoin. 
  • Des diminutions significatives du nombre de verres standards bus au cours des sept derniers jours, de la consommation quasi quotidienne, et de la consommation excessive d’alcool ont plutôt été observées dans les populations intervention et témoin. 
  • Cependant, des associations suggèrent que d’habiter à proximité d’une épicerie ayant obtenu un permis de vente pourrait augmenter le volume d’alcool consommé par les femmes, ainsi que la consommation excessive chez les hommes.

Conclusion

Ces résultats sont en contradiction avec ceux d’autres études associant plutôt une consommation accrue d’alcool avec une densité de points de vente plus élevée. De plus, les diminutions observées contrastent quelque peu avec les tendances montrant seulement de légères baisses des ventes d’alcool par habitant chez les Canadiens. 

Les résultats sont toutefois cohérents avec ceux d’une expérimentation naturelle réalisée au Québec (Trolldal, 2005). Cette étude n’a montré aucun effet sur les ventes de l’ajout, en 1983, de vin importé (mis en bouteille par des entreprises privées) dans les épiceries. L’absence d’incidence pourrait toutefois être liée à la disponibilité préalable de la bière, du cidre et du vin produit au pays, ainsi que du vin importé (mis en bouteille par la Régie des alcools) dans les épiceries québécoises; droit acquis en 1978. 

De futures recherches devraient examiner si les ventes d’alcool dans les épiceries ont un effet sur l’usage chez les grands consommateurs, ou si ces ventes normalisent la consommation au fil du temps.

Schwartz, N., Smith, B. T., Fu, S. H., Myran, D., Friesen, E. L., & Hobin, E. (2023). The impacts of selling alcohol in grocery stores in Ontario, Canada : A before after study. Journal of Studies on Alcohol and Drugs, jsad.23-00113. https://doi.org/10.15288/jsad.23-00113 
Trolldal, B. (2005 ). The privatization of wine sales in Quebec in 1978 and 1983 to 1984. Alcoholism, Clinical and Experimental Research, 29(3), 410 416. doi:10.1097/01.ALC.0000156084.27547.EC.

 

Interventions comportementales

L’utilisation des interventions numériques pour réduire la consommation d’alcool chez les buveurs à risque : une méta-analyse d’essais contrôlés randomisés

Mise en contexte

Les technologies numériques (applications Web et mobiles, messages texte, sites de réseaux sociaux, etc.) représentent une avenue potentielle pour améliorer la prévention de la consommation abusive d’alcool en raison de leur capacité d’évolution et de leur faible coût. 

Il y a eu une prolifération rapide de ce type de technologies dans les dernières années. Cependant, bon nombre d’interventions numériques déployées ne sont pas fondées sur des principes standards de traitement de la santé mentale et de la toxicomanie, et n’ont pas été évaluées à l’aide de méthodes scientifiques. Il est essentiel d’acquérir en temps opportun des informations fondées sur des données probantes afin d’orienter les décisions des autorités dans l’intérêt de la santé publique.

Objectif

Le but de la présente méta-analyse d’essais contrôlés randomisés (ECR) est d’évaluer si les interventions numériques sont plus efficaces que des conditions de contrôle (aucune intervention, interventions minimes ou celles en face à face) pour réduire la consommation d’alcool dans la population générale, spécifiquement auprès de buveurs ayant une consommation à risque ou problématique.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les auteurs ont conduit une revue systématique de la littérature qui a mené à la sélection de 80 ECR inclus dans une méta-analyse. La majorité des études ont été conduites aux États-Unis (45 %) et visaient une population d’âge adulte seulement (95 %). 

  • Les résultats suggèrent que les interventions numériques ont un effet positif sur un ensemble d’indicateurs liés à la réduction de la consommation d’alcool. 
  • Par exemple, comparés aux individus dans les conditions de contrôle, les individus ayant bénéficié d’une intervention numérique ont réduit leur quantité d’alcool consommée (grammes/jour), leur fréquence de consommation (jours/semaine), ainsi que leur fréquence d’épisodes de consommation excessive (épisodes/semaine). 
  • Cette réduction correspond à l’équivalent d’une moyenne d’environ deux verres standards par semaine. 
  • Les modèles théoriques les plus fréquemment mentionnés dans les études sont l’entretien motivationnel (39 %) et la théorie cognitivo-comportementale (23 %). La technique de changement de comportement la plus souvent utilisée est le feedback normatif personnalisé (69 %).

Conclusion

En résumé, les interventions numériques montrent un potentiel de réduction de la consommation d’alcool pour les adultes présentant une consommation à risque ou problématique. Toutefois, comme cette revue n’a pas pris en compte les études impliquant des buveurs à faible risque ou ceux recherchant un traitement, les résultats ne peuvent pas être étendus à ces groupes de la population. 

D’un point de vue préventif en santé publique, les auteurs sont d’avis qu’il existe suffisamment de preuves pour que ce type d’interventions soit déployé et mis en œuvre à plus grande échelle afin de réduire les méfaits imputables à la consommation d’alcool.

Sohi, I., Shield, K. D., Rehm, J., & Monteiro, M. (2023). Digital interventions for reducing alcohol use in general populations: An updated systematic review and meta-analysis. Alcohol, Clinical & Experimental Research, 47(10), 1813‑1832. https://doi.org/10.1111/acer.15175

Déterminants socio comportementaux

Liens entre la présence de l’alcool dans les médias sociaux et sa consommation chez les jeunes de moins de 25 ans : une méta-analyse

Mise en contexte

Les plateformes de médias sociaux peuvent être utilisées pour promouvoir des produits comme l’alcool et des manières de le consommer. Largement fréquentés par les jeunes, ces espaces numériques représentent un risque pour cette sous-population particulièrement vulnérable au produit. Les plateformes de médias sociaux favorisent la création et le partage de contenus entre les internautes, suscitant ainsi une multitude d’interactions autour de ces derniers. Une meilleure compréhension de l’influence de ces nouveaux médias sur la consommation d’alcool des jeunes est nécessaire.

Objectif

Cette revue systématique de la littérature avec méta-analyse visait à synthétiser les résultats d’études portant sur les liens observés entre la consommation d’alcool chez les jeunes âgés de moins de 25 ans et, 1) l’exposition à des contenus liés à l’alcool publiés sur des plateformes de médias sociaux (c.-à-d. le fait de regarder et d’écouter ces contenus); 2) le fait de publier soi-même des contenus liés à l’alcool (textes, photos ou vidéos) sur ces plateformes.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Trente études observationnelles publiées de 2012 à 2021, et menées principalement aux États-Unis et en Australie, ont été sélectionnées pour un échantillon combiné de 19 386 jeunes. La qualité méthodologique de l’ensemble des études a été évaluée par les auteurs comme étant de « modérée à excellente ». Des méta-analyses ont été menées lorsque les études étaient comparables. 

  • Les méta-analyses d’études transversales montrent une association entre une plus grande consommation d’alcool et : 
    • L’exposition des jeunes à des contenus liés à l’alcool (5 études ; β regroupés = 0,34 ; IC 95 % : 0,23-0,44) 
    • Le fait de publier des contenus liés à l’alcool (6 études ; β regroupés = 0,57 ; IC 95 % : 0,25-0,88) 
  • La méta-analyse de trois études de cohortes prospectives montre que l’exposition des jeunes à des contenus liés à l’alcool sur les médias sociaux est un facteur prédictif de la consommation d’alcool (β regroupés = 0,13 ; IC 95 % : 0,11-0,15) 
  • Les résultats des études n’ayant pas fait l’objet de méta-analyses montrent une association positive significative entre l’exposition des jeunes à des contenus liés à l’alcool, le fait de publier des contenus liés à l’alcool et une fréquence accrue de consommation, une consommation à risque (ex. binge drinking) et des conséquences néfastes liées à la consommation d’alcool (ex. intoxications aiguës).

Conclusion

Les résultats indiquent que la consommation d’alcool des jeunes de moins de 25 ans est liée à leur exposition à des contenus associés à l’alcool sur les médias sociaux et au fait qu’ils en publient eux-mêmes. Les médias sociaux, de manière plus prononcée que les médias traditionnels, ont un grand potentiel d’influence des normes sociales, des perceptions et des attentes entourant la consommation d’alcool. Cela tient principalement au fait que les contenus peuvent être créés et partagés par des pairs ou encore, dans le cadre de stratégies de promotion de produits, par des influenceurs rémunérés avec qui les internautes ont tendance à développer des liens émotionnels. Peu importe l’origine des contenus numériques auxquels peuvent être exposés les jeunes, les auteurs mentionnent l’importance d’un meilleur encadrement, en particulier pour les jeunes d’âge mineur.

Cheng, B., Lim, C. C. W., Rutherford, B. N., Huang, S., Ashley, D. P., Johnson, B., Chung, J., Chan, G. C. K., Coates, J. M., Gullo, M. J., & Connor, J. P. (2024). A systematic review and meta-analysis of the relationship between youth drinking, self-posting of alcohol use and other social media engagement (2012-21). Addiction, 119(1), 28–46. https://doi.org/10.1111/add.16304


Disparités sociales dans la consommation d’alcool chez les jeunes adultes canadiens (18-29 ans)

Mise en contexte

La compréhension des disparités socioéconomiques relatives à la forte consommation épisodique d’alcool1 des adultes âgés de 18 à 29 ans est limitée. Présentant une multiplicité de statuts et de rôles sociaux, ce groupe d’âge est plus hétérogène d’un point de vue socioéconomique, et donc plus complexe à étudier. Étant donné les méfaits associés aux épisodes de forte consommation d’alcool, il est d’intérêt de connaître les caractéristiques socioéconomiques de ceux qui s’y adonnent à l’échelle du pays pour mieux orienter les activités de prévention. 

1Dans l’étude, la forte consommation épisodique d’alcool est définie comme étant une consommation de cinq verres standards ou plus chez les hommes et de quatre verres standards ou plus chez les femmes par occasion (c.-à-d. dans un intervalle de deux heures).

Objectif

L’étude visait à examiner, chez les jeunes adultes canadiens, 1) les liens entre trois indicateurs de statut socioéconomique (SSE; niveau de scolarité, revenu du ménage et défavorisation matérielle du quartier) et la consommation d’alcool; 2) l’influence de statuts et de rôles sociaux concomitants (ex. fréquenter l’école à temps plein ou exercer des responsabilités parentales) sur les liens entre les indicateurs de SSE et la consommation d’alcool. 

Qu’est-ce qu’on y apprend?

En fusionnant trois cycles de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2015 à 2019, les auteurs ont mené les analyses sur un échantillon représentatif de 29 598 participants. Il en ressort que : 

  • Environ 30 % des jeunes adultes ont affirmé s’être livrés à une forte consommation épisodique d’alcool au moins une fois par mois au cours de la dernière année, alors que 16 % ont mentionné ne pas avoir consommé d’alcool au cours de cette période. 
  • Comparativement aux jeunes adultes dont le revenu du ménage se situait dans le quintile le plus faible, ceux du quintile le plus élevé avaient un risque relatif accru de forte consommation épisodique d’alcool au moins une fois par mois au cours de la dernière année (rapport de risque relatif [RRR] = 1,21 ; IC 95 % : 1,04-1,39). 
  • Le fait de ne pas consommer d’alcool et celui de ne pas se livrer à une forte consommation épisodique d’alcool ont été associés à de faibles niveaux de scolarité, de revenu et d’avantages liés au quartier. 
  • L’inclusion dans les modèles statistiques des statuts et des rôles sociaux n’a pas modifié de façon significative l’association entre les indicateurs de SSE et la consommation d’alcool.

Conclusion

De manière générale, dans les études portant sur des populations adultes, les groupes à faible SSE sont plus susceptibles de faire un usage accru d’alcool que les groupes plus avantagés au plan socioéconomique. Les résultats de la présente étude indiquent une relation inverse : un SSE élevé a plutôt été associé à un risque augmenté de forte consommation épisodique d’alcool, bien que l’ampleur de cette association soit faible. Cela peut être dû au fait que ces jeunes adultes disposent d’un revenu plus élevé à consacrer à l’achat d’alcool ou encore que la forte consommation épisodique d’alcool soit un mode de consommation plus accepté dans les ménages à revenu élevé. 

Les auteurs concluent que les mesures de prévention universelles de la consommation d’alcool chez les jeunes adultes que sont les politiques de réduction de l’accessibilité économique et physique, et de la promotion de l’alcool pourraient être complétées par des approches plus ciblées visant les jeunes adultes à risque accru de forte consommation épisodique d’alcool.

Sersli S, Gagné T, Shareck M. Disparités sociales dans la consommation d’alcool chez les jeunes adultes canadiens. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(12):559-572. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.12.02f


Équipe Alcool

Chantal Blouin
Karen Giguère
Marie-Josée Harbec
Unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés

Sous la coordination de :
Olivier Bellefleur
Unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés

Révision linguistique :

Sarah Mei Lapierre
Direction du développement des individus et des communautés

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Cette veille est réalisée grâce à la participation financière du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS).