Veille analytique portant sur l'alcool, volume 3, numéro 1, mars 2025
Dans ce numéro :
Cette veille est destinée aux acteurs du réseau de santé publique québécois. Les publications scientifiques recensées sont choisies pour leur pertinence au regard de la réduction des risques et de la prévention des méfaits liés à la consommation d'alcool.
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Consommation et effets sur la santé
Alcool et risque de cancers : un avis de la plus haute autorité de santé publique aux États-Unis
Mise en contexte
L'administrateur de la santé publique aux États-Unis, connu sous le titre de U.S. Surgeon General, est la principale autorité de santé publique au pays. Son rôle est de fournir des informations claires et fondées sur des preuves, ainsi que de répondre aux problèmes de santé majeurs. Les avis du Surgeon General ont historiquement influencé de manière significative les politiques de santé publique, comme celles liées à la lutte contre le tabagisme.
Objectif
Au début de 2025, le Surgeon General a publié un avis officiel sur les liens existants entre la consommation d'alcool et le risque de cancers, avis accompagné de recommandations pour une action immédiate. Ce rapport s'appuie sur une analyse approfondie des preuves, principalement issues de méta-analyses et de revues systématiques de la littérature scientifique.
Qu'est-ce qu'on y apprend?
- Aux États-Unis, l'alcool est la 3e cause évitable de cancer après le tabagisme et l'obésité.
- Le rapport fait état des liens entre la consommation d'alcool et le risque accru d'au moins sept types de cancers : du sein (chez les femmes), du côlon, de l'œsophage, du foie, de la bouche, de la gorge et du larynx.
- Une faible consommation d'alcool (un verre ou moins par jour) n'est pas sans risque, et le risque de cancers augmente de façon importante à mesure que la consommation augmente elle aussi.
- L'alcool contribue à l'augmentation du risque de cancers par quatre mécanismes :
- Il se transforme dans le corps en un composé qui endommage le matériel génétique (ADN) ;
- Il provoque un stress oxydatif qui cause de l'inflammation et peut endommager l'ADN, des protéines ou des lipides dans le corps ;
- Il altère les niveaux d'hormones ;
- Il facilite l'absorption d'autres substances cancérigènes, comme celles contenues dans la fumée de tabac.
- Les liens entre la consommation d'alcool et le risque de cancers sont méconnus de la population américaine ; moins de la moitié d'entre elle (45 %) sait qu'elle peut causer le cancer.
- Cette méconnaissance nécessite d'améliorer la communication et l'éducation en la matière. Pour y parvenir, le Surgeon General recommande d'inclure explicitement le risque de cancers sur l'étiquetage des boissons alcoolisées aux États-Unis, d'adopter des directives actualisées sur la consommation d'alcool, et de multiplier les efforts visant à informer la population des risques encourus.
Conclusion
L'avis publié par le Surgeon General se fonde sur une synthèse des preuves scientifiques entourant l'alcool et le risque de cancers. Les conclusions de ce rapport s'alignent sur les recommandations d'autres organismes de santé publique, tels que l'Organisation mondiale de la Santé. L'avis souligne l'urgence de mieux informer la population du risque de cancers liés à la consommation d'alcool.
Politiques publiques
Rendre l'alcool moins abordable pour réduire les inégalités liées à ses méfaits? Une étude finlandaise
Mise en contexte
La consommation d'alcool augmente le risque d'un large éventail de conséquences négatives sur la santé et la société, et réduit considérablement l'espérance de vie. Les personnes avec moins de ressources ou vivant dans des conditions difficiles sont bien plus affectées par les méfaits de l'alcool que celles qui sont plus favorisées. Les inégalités socioéconomiques en matière de mortalité imputable à l'alcool sont 1,5 à 2 fois plus élevées que celles de la mortalité, toutes causes confondues.
Objectif
L'étude vise à examiner les inégalités socioéconomiques en matière de mortalité attribuable à l'alcool en Finlande; d'abord pendant une période de baisse des prix (2000-2007), puis pendant une période de hausse des prix (2008-2017), fluctuations principalement dues à des changements dans la taxe d'accise.
Qu'est-ce qu'on y apprend?
En reliant les données sur les causes de décès et les données sociodémographiques pour la population finlandaise âgée de 25 ans et plus de 2000 à 2017, les auteurs ont analysé les taux mensuels de mortalité attribuable à l'alcool standardisés selon l'âge, le sexe et le niveau de revenu.
Les résultats révèlent qu'au cours de la période de baisse des prix de l'alcool (2000‑2007), la mortalité mensuelle moyenne a augmenté environ trois fois plus chez les hommes à faible revenu que chez les hommes à revenu élevé. Au cours de la période de hausse des prix de l'alcool (2008-2017), la mortalité mensuelle moyenne a diminué environ deux fois plus chez les hommes à faible revenu que chez les hommes à revenu élevé. Chez les femmes, la mortalité a augmenté et diminué au même rythme dans les deux groupes socioéconomiques.
Ces résultats indiquent que, chez les hommes, une plus grande accessibilité économique à l'alcool était associée à une aggravation des inégalités socioéconomiques en matière de mortalité attribuable à la consommation d'alcool, tandis qu'une réduction de l'accessibilité économique était liée à une réduction de ces inégalités.
Conclusion
Bien que l'on ait encore peu de données probantes sur les meilleures façons de réduire les inégalités sociales de santé liées aux effets de l'alcool, il semble que les politiques qui augmentent son prix soient efficaces.
Cette étude présente quelques limites. Tout d'abord, le devis employé ne permet pas d'établir de lien de causalité entre la hausse et la baisse des prix de l'alcool, et leurs effets différenciés sur la mortalité attribuable à la substance. Ensuite, au cours des périodes relativement longues examinées, d'autres changements dans la société, en plus de l'évolution du prix de l'alcool, n'ont pas été pris en compte. Enfin, aucun groupe témoin n'a été constitué dans le cadre de cette étude.
Néanmoins, les auteurs estiment que la réduction de l'accessibilité économique à l'alcool, en influençant son prix de vente à la hausse, est une politique recommandable pour réduire les inégalités socioéconomiques en matière de méfaits liés à l'alcool.
L'adoption d'une stratégie intégrée de prévention en matière d'alcool a réduit la consommation en Lituanie
Mise en contexte
Pour prévenir les méfaits associés à la consommation d'alcool à l'échelle populationnelle, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande l'adoption d'une stratégie qui intègre plusieurs politiques et mesures cohérentes. Cependant, les études qui examinent les effets des mesures populationnelles se penchent habituellement sur une seule mesure, et non sur les effets combinés découlant d'une stratégie intégrée.
Objectif
Cette étude examine les effets de la mise en œuvre de deux stratégies intégrées en matière d'alcool en Lituanie sur la consommation per capita d'alcool* durant les périodes de mise en œuvre, et durant l'année suivant chacune de ces périodes.
* La consommation per capita correspond à la consommation moyenne d'alcool pur chez les personnes âgées de 15 ans et plus sur un territoire donné.
Qu'est-ce qu'on y apprend?
- La première stratégie intégrée a été mise en œuvre en 2008-2009. Elle incluait une augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées, une interdiction de la publicité des boissons alcoolisées durant le jour, une augmentation des pénalités pour les personnes qui contreviennent aux règles sur l'alcool au volant, et une réduction des heures de ventes en magasin.
- La seconde stratégie intégrée a été mise en œuvre en 2017-2018. Elle combinait une interdiction complète de la publicité des boissons alcoolisées sur toutes les plateformes (télévision, radio, internet), une réduction des heures de ventes en magasin, et une augmentation de l'âge légal pour l'achat d'alcool, passant de 18 à 20 ans.
- L'effet combiné de la mise en œuvre de ces deux stratégies intégrées a réduit la consommation d'alcool per capita chez les Lituaniens âgés de 15 ans et plus de près d'un litre d'alcool pur (-0,88 l) au cours des périodes de mise en œuvre, et de l'année subséquente.
Conclusion
Les auteurs soulignent que les effets observés peuvent être expliqués par le fait que les stratégies de la Lituanie incluent les trois politiques reconnues par l'OMS comme étant les mesures populationnelles les plus coûts-efficaces pour réduire les méfaits associés à la consommation d'alcool (la taxation, les restrictions sur la promotion et la réduction de l'accessibilité physique).
L'étude ne permet pas de départager quelles composantes des stratégies mises en œuvre ont le plus contribué à la réduction de la consommation, ou si certaines d'entre elles n'ont pas eu d'effets sur la consommation.
Selon les auteurs, pour qu'elle soit efficace, la mise en place d'une stratégie nationale en matière de prévention en alcool devrait inclure au moins l'une de ces trois politiques.
Déterminants sociocomportementaux
De nouvelles stratégies de promotion de l'alcool dans l'univers du métavers
Mise en contexte
Les nouvelles technologies ont permis le développement d'environnements numériques multiples, dont celui du métavers. Un métavers est un monde numérique dans lequel les utilisateurs, représentés par des avatars 3D, peuvent interagir entre eux et avec l'environnement virtuel grâce à des technologies, comme les casques de réalité virtuelle ou de réalité augmentée. Ces espaces, conçus pour la socialisation, offrent également aux industries, dont celle de l'alcool, une opportunité de développer de nouvelles stratégies de promotion de leurs produits. Ces pratiques soulèvent des préoccupations, car elles pourraient contribuer à normaliser et à promouvoir la consommation d'alcool, notamment chez les jeunes, dans un contexte où la réglementation de ces environnements reste limitée.
Objectifs
L'étude vise à : (i) explorer les méthodes d'identification d'activités de promotion de l'alcool menées par l'industrie dans le métavers; (ii) identifier les stratégies de promotion employées; et (iii) identifier les principales représentations de l'alcool qui y sont véhiculées.
Qu'est-ce qu'on y apprend?
Une analyse thématique du contenu de l'environnement virtuel de 20 métavers identifiés par une recherche sur Google a été menée. Parmi ces métavers, six, dont les premiers sont en fonction depuis 2017, présentaient des éléments liés à l'alcool. Deux d'entre eux affichaient, dans maints lieux, du contenu arborant des marques d'alcool connues. Un total de cinq marques d'alcool étaient représentées dans ces deux univers virtuels.
Les stratégies de promotion de l'alcool identifiées incluaient, notamment :
- La création d'un univers commercial immersif dans lequel les utilisateurs pouvaient se déplacer pour « consommer » de l'alcool (bars, brasseries, distilleries, festivals, lieux de dégustation, etc.) et qui permettait, dans certains cas, d'accéder au site Web transactionnel de la compagnie d'alcool dans le monde « réel » ;
- L'intégration de personnages dont les vêtements ou les accessoires affichaient des marques d'alcool ou qui faisaient office de barman qui partageait des informations sur les différents produits visibles ;
- L'intégration de divers jeux (volleyball, jeux de combat) dans lesquels l'alcool était représenté ;
- La possibilité d'accumuler, par divers moyens, des jetons numériques qui permettaient d'acheter des produits d'alcool ou des produits dérivés dans l'univers virtuel ou, dans certains cas, de les utiliser dans le monde « réel ».
Dans ces univers virtuels, l'alcool était associé, entre autres, au plaisir, à la célébration, à l'amitié, à la nature, à l'art, et dépeint par le recours à un langage positif.
Conclusion
Les effets sur la consommation des pratiques de promotion de l'alcool menées au sein de métavers demeurent inconnus. Néanmoins, les connaissances actuelles entourant les effets des activités de promotion de diverses substances psychoactives, notamment sur les jeunes, appellent à la prudence envers ces pratiques aux formes nouvelles.
Les auteurs concluent qu'avec la rapidité des innovations technologiques, qui recourent désormais à l'intelligence artificielle et à l'apprentissage automatisé pour comprendre les comportements et les préférences des utilisateurs, dans le but de toujours mieux les cibler, toute tentative de réglementation du métavers serait immédiatement rendue caduque. Ils ajoutent, à cet effet, que seule l'interdiction complète de la promotion de l'alcool permettrait une réduction de la normalisation de l'alcool et, par conséquent, de la consommation.
Rédaction
Chantal Blouin, conseillère scientifique spécialisée
Antoine Fournier, conseiller scientifique
Karen Giguère, conseillère scientifique
Audrey Kamwa Ngne, conseillère scientifique
Unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés
Avec la collaboration de :
Johanne Laguë, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive
Unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés
Sous la coordination de :
Olivier Bellefleur, chef d'unité scientifique
Unité Produits et substances psychoactives
Direction du développement des individus et des communautés
Révision linguistique :
Sarah Mei Lapierre
Direction du développement des individus et des communautés
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Cette veille est réalisée grâce à la participation financière du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS).