2 décembre 2016

Taux d’incidence du cancer du cerveau en Australie à la suite du développement rapide de la téléphonie cellulaire

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Mathieu Gauthier
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Institut national de santé publique du Québec
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Contexte

Chapman et al. (2016a) ont analysé l’évolution du taux d’incidence du cancer du cerveau en Australie de 1982 à 2012 dans leur article « Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago? ». Cette analyse est assortie de simulations portant sur les taux d’incidence de cancer attendus en considérant l’hypothèse qu’une augmentation rapide de l’utilisation du téléphone cellulaire en Australie pourrait être associée à une hausse marquée des cas de cancer du cerveau.

Présentation de l’étude

Les auteurs ont utilisé un devis d’étude de type écologique (un type d’étude moins robuste pour l’établissement de lien de causalité). Chapman et al. (2016a) ont estimé la proportion de la population australienne abonnée à un service de téléphonie cellulaire de 1987, soit la première année où le service cellulaire fut disponible au pays, à 2014, alors que ce service est aussi populaire que bien implanté. Cette proportion était d’environ 0 % en 1987, atteignait 20 % en 1996, plus de 50 % en 2001, et 94 % en 2014.

Pour connaître l’évolution du taux d’incidence du cancer au cours de cette période, les auteurs ont utilisé les données fournies par l’Australian Institute for Health and Welfare (AIHW); en Australie, tous les diagnostics de cas de cancers invasifs doivent obligatoirement être rapportés à cette organisation (Chapman et al., 2016a). Les auteurs ont effectué leurs analyses en ajustant le taux d’incidence globale à l’âge des individus, de même que pour les groupes d’âge suivants : de 20 à 39 ans, de 40 à 59 ans, de 60 à 69 ans, et de 70 à 84 ans.

Pour leurs simulations de l’effet attendu d’une hausse des cancers du cerveau associée à l’utilisation du téléphone cellulaire, les auteurs ont utilisé l’hypothèse d’un risque relatif (RR) de 1,5 pour toute personne ayant déjà utilisé un téléphone cellulaire (ever users). Il est à noter que cette hypothèse s’appuie sur les résultats des études du groupe de recherche de Lennart Hardell, en Suède (Hardell et al., 2013). En parallèle, Chapman et al. ont aussi simulé l’application d’un RR hypothétique de 2,5 pour les plus grands utilisateurs, soit les personnes ayant utilisé un téléphone cellulaire durant plus de 896 heures à vie (environ 19 % de la population australienne). Dans tous les cas, les auteurs ont considéré un temps de latence de 10 ans, soit le temps entre l’exposition et la survenue de l’effet.

Principaux résultats

Chapman et al. rapportent que 19 858 hommes et 14 222 femmes âgés de 20 à 84 ans ont reçu un diagnostic de cancer du cerveau de 1982 à 2012. Les auteurs ont noté qu’au cours de la période analysée, le taux d’incidence globale ajustée pour l’âge a légèrement augmenté pour les hommes, mais qu’il est demeuré stable pour les femmes. Dans leurs simulations, l’introduction de l’hypothèse d’un lien causal entre l’utilisation du téléphone cellulaire et la survenue d’un cancer du cerveau avec un RR de 1,5 aurait dû mener à une augmentation statistiquement significative de l’incidence. Par exemple, pour l’année 2012, 1 867 cas (hommes et femmes combinés) auraient été attendus. Dans les faits, seulement 1 434 cas ont été observés. L’hypothèse d’un RR de 2,5 pour les grands utilisateurs aurait mené à une hausse encore plus marquée : 2 038 cas attendus pour l’année 2012. Ici encore, l’hypothèse de départ s’est avérée erronée.

La stratification des données par groupes d’âge a montré une hausse de l’incidence du cancer du cerveau chez les personnes âgées de 70 à 84 qui pourrait être compatible avec les hypothèses de risques plus élevés pour les personnes ayant déjà utilisé un téléphone cellulaire. Cependant, Chapman et al. constatent qu’une hausse du taux de l’incidence pour ce groupe d’âge était déjà observée avant l’arrivée de la téléphonie cellulaire en Australie. Les auteurs émettent donc l’hypothèse que l’augmentation du taux d’incidence de cancer pour ce groupe pourrait refléter une amélioration de l’accès aux outils diagnostiques au fil du temps. Pour toutes les autres combinaisons de groupes d’âge et de sexe, les taux d’incidence calculés à partir des hypothèses de départ étaient plus élevés que les taux d’incidence observés par le biais des registres de l’AIHW.

Globalement, les résultats ne montrent pas de hausse de l’incidence du cancer du cerveau associée à l’utilisation du téléphone cellulaire et sont compatibles avec les résultats d’études similaires réalisées aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre et dans les pays nordiques.

Vague de critiques

L’article de Chapman et al. (2016a) a fait l’objet de plusieurs critiques publiées dans des lettres à l’éditeur (Bandara, 2016; Morgan et al., 2016; Wojcik, 2016), auxquelles Chapman et al. (2016b) ont répondu. La teneur des principaux échanges est décrite ci-après.

Bandara (2016) a suggéré qu’une hausse potentielle de l’incidence du cancer du cerveau aurait pu être contrecarrée par une baisse du risque associé à une diminution de l’exposition aux rayons X. Chapman et al. (2016b) rétorquent que l’hypothèse avancée par Bandara n’est pas appuyée sur des données probantes. Ils ajoutent qu’il semble peu probable qu’une baisse d’incidence associée à une réduction d’exposition très peu fréquente (rayon X de la tête en entier pour un examen médical) puisse avoir contrecarré l’augmentation supposée de l’incidence associée à une exposition somme toute très commune dans les pays industrialisés (téléphonie cellulaire).

Pour leur part, Morgan et al. (2016) et Wojcik (2016) considèrent que le fait que le rayonnement émis par les téléphones cellulaires ne soit pas absorbé de manière uniforme dans la tête et le cerveau des personnes exposées aurait dû être pris en compte dans l’analyse de Chapman et al. (2016a). Dans leur réponse, Chapman et al. (2016b) rappellent qu’en absence d’observation d’une augmentation globale du taux d’incidence du cancer du cerveau, si le risque était réel, toute hausse du risque concernant spécifiquement le côté ipsilatéral devrait, en théorie, être contrecarrée par une diminution du risque du côté contralatéral pour maintenir la tendance nulle observée. Dans les circonstances, Chapman et al. (2016) considèrent qu’une telle relation de dose-réponse, soit une augmentation du risque relatif à forte exposition mais une diminution de ce risque à faible exposition, serait plutôt inusitée.

Enfin, Bandara (2016) et Morgan et al. (2016) considèrent que le temps de latence utilisé par Chapman et al. (2016a) est trop court et qu’il pourrait être nécessaire d’appliquer une période de latence équivalente à plusieurs décennies avant de pouvoir observer tout effet cancérogène manifeste. Chapman et al. (2016b) rappellent que leurs hypothèses relatives au temps de latence et aux risques relatifs associés sont en partie issues d’un article de Morgan et al. (2015), dont 3 des auteurs sont signataires de la lettre de Morgan et al. (2016), dans lesquels les auteurs considèrent que l’observation des effets suivant un temps de latence variant de 1 à 10 ans est suffisant pour envisager une caractérisation du risque. Chapman et al. (2016b) considèrent que ces critiques ont l’apparence d’une tentative d’avoir le beurre et l’argent du beurre (an argument trying to walk both sides of the street) : pour un même temps de latence, lorsqu’une étude montre un risque, elle est considérée crédible, mais lorsqu’elle ne montre pas de risque (telle que l’étude de Chapman et al. [2016a]), celle-ci est rejetée.

En résumé, l’étude de Chapman et al. (2016a)  n’a pas observé de lien entre l’exposition aux radiofréquences en provenance des téléphones cellulaires et le risque du cancer du cerveau.

Références

  1. Bandara, P. (2016). Mobile phone use and the brain cancer incidence rate in Australia. Cancer Epidemiology, 44, 110-111. doi : 10.1016/j.canep.2016.08.006
  2. Chapman, S., Azizi, L., Luo, Q. et Sitas, F. (2016a). Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago? Cancer Epidemiology, 42, 199-205. doi : 10.1016/j.canep.2016.04.010
  3. Chapman, S., Azizi, L., Luo, Q. et Sitas, F. (2016b). Response from the authors to correspondence related to ‘Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago?’. Cancer Epidemiology, 44, 138-140. doi : 10.1016/j.canep.2016.08.008.
  4. Hardell, L., Carlberg, M., Söderqvist, F. et Mild, K. H. (2013). Pooled analysis of case-control studies on acoustic neuroma diagnosed 1997-2003 and 2007-2009 and use of mobile and cordless phones. International Journal of Oncology, 43(4), 1036-1044. doi : 10.3892/ijo.2013.2025
  5. Morgan, L. L., Miller, A. B., Sasco, A. et Davis, D. L. (2015). Mobile phone radiation causes brain tumors and should be classified as a probable human carcinogen (2A) (review). International Journal of Oncology, 46(5), 1865-1871. doi : 10.3892/ijo.2015.2908
  6. Morgan, L. L., Miller, A. B. et Davis, D. L. (2016). Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago? Cancer Epidemiology, 44, 112-113. doi : 10.1016/j.canep.2016.08.003
  7. Wojcik, D. P. (2016). Primary brain tumors and mobile cell phone usage. Cancer Epidemiology, 44, 123-124. doi : 10.1016/j.canep.2016.08.007

Liens d’intérêt