Médias et agressions sexuelles

Avec l’avènement des médias sociaux, l’information diffusée dans l’espace public n’est plus uniquement le fruit du travail des journalistes et médias d’information. Toute personne appelée à intervenir dans l’espace public concernant les agressions sexuelles contribue à la compréhension de ce phénomène dans la société.

  • Les médias d’information sont régulièrement appelés à couvrir les agressions sexuelles dans l’actualité.
  • La couverture médiatique des crimes, dont les agressions sexuelles, influence les connaissances, les croyances, les attitudes et les comportements de la population face à ces phénomènes1,2,3,4.
  • Puisqu’il est reconnu que les croyances et attitudes cautionnant l’agression sexuelle jouent un rôle important dans l'existence du phénomène et sur la réponse de la société face à l’agression sexuelle4,5, les médias peuvent jouer un rôle dans la prévention des agressions sexuelles4.

Une trousse média sur les agressions sexuelles

Cette Trousse média a pour but de sensibiliser les professionnels des médias et les porte-parole sur l'importance de diffuser dans l'espace public une information juste et exempte de sexisme, de préjugés et de dramatisation concernant les agressions sexuelles, et de les soutenir à cet égard.

Cette Trousse média est donc un outil de travail qui offre aux professionnels des médias et à toute personne ayant à intervenir dans l’espace public de l'information récente et approfondie sur la problématique des agressions sexuelles.

Le rôle des médias dans la prévention des agressions sexuelles

  • Il existe un consensus parmi les experts à l’effet qu’il faut agir sur les normes sociales pour prévenir la violence et les agressions sexuelles et que les médias jouent un rôle dans le façonnement des normes sociales1,4,6,7,8.
  • L’information transmise dans l’espace public est une des voies d’influence importante sur la norme sociale relativement aux agressions sexuelles.
  • Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les initiatives axées sur la transformation des normes sociales qui cautionnent la violence sexuelle sont un élément fondamental de la prévention de cette forme de violence4.

Les normes sociales et l'agression sexuelle

Les normes sociales et culturelles renvoient aux règles et comportements attendus au sein d’un groupe social. Elles vont définir ce qui est acceptable ou non concernant un phénomène, comme les agressions sexuelles, mais vont aussi influencer la perception de la société et la manière dont elle y répond4. Ainsi, les normes sociales propices à l’agression sexuelle et aux rapports inégaux entre les hommes et les femmes, ainsi que l’adhésion d’une société à des mythes et préjugés sur l’agression sexuelle sont des conditions sociétales favorisant les agressions sexuelles4.

Influence des médias sur le façonnement de la norme sociale concernant l’agression sexuelle16

influence des médias sur le façonnement de la norme sociale concernant l'agression sexuelle
Inspiré du Modèle de façonnement des normes par les processus médiatiques de Renaud et al. (2007)

Des faits à rapporter...

  • Les médias sont la source principale d’information sur la criminalité et les agressions sexuelles pour la majorité de la population9.
  • En traitant dans les médias d’une diversité d'événements liés aux agressions sexuelles, on peut contribuer à mieux faire comprendre ce qu'est une agression sexuelle et à faire ressortir son caractère inacceptable. Cette façon de faire favorise la non-tolérance de la population à l'égard de ce type de violence.

Des mythes à déconstruire…

  • Il peut être complexe de distinguer les mythes de la réalité dans toute l’information qui circule concernant les agressions sexuelles. C’est pourquoi, compte tenu du rôle que jouent les médias dans la compréhension de ce problème, il est important d’y retrouver une information objective et sans préjugé.

Une complexité à comprendre…

  • La couverture médiatique des agressions sexuelles, un thème à la fois complexe et délicat, peut poser certaines difficultés. Par exemple, il peut être difficile de distinguer les différentes infractions sexuelles et de s'y retrouver parmi toutes les statistiques disponibles.
  • En présentant des articles de fond qui traitent des causes sous-jacentes et des conséquences individuelles et sociales des agressions sexuelles, les médias offrent à la population une meilleure compréhension de cette problématique. La population est ainsi plus susceptible de voir les agressions sexuelles comme un problème de société, plutôt qu'un problème personnel relevant uniquement du domaine privé.

Des ressources à faire connaître…

  • En parlant de l'aide, de la protection des victimes et des ressources disponibles, les médias incitent les victimes, les personnes ayant ou craignant d’avoir des comportements d’agression sexuelle et l’entourage à faire appel aux ressources d'aide.
  • En traitant des ressources, les médias brisent la croyance à l’effet que l’agression sexuelle est un problème individuel qui doit être géré par les victimes et les personnes impliquées. Ils contribuent ainsi à réduire chez les victimes et les agresseurs les perceptions d’isolement et d’incapacité à obtenir de l’aide.

Les effets du traitement médiatique des agressions sexuelles

  • Il est difficile de mesurer clairement les effets sur la population et la société d’une couverture médiatique des agressions sexuelles. Toutefois, les études actuelles laissent croire qu’un certain type de traitement de l’information sur la violence et les agressions sexuelles dans les médias pourrait avoir les effets néfastes suivants :
    • Favoriser une perception biaisée des risques de violence et d’agression sexuelle10,11.

      Par exemple : peur que son enfant soit victime d’une agression sexuelle par un étranger, puisque ces situations sont très représentées dans les médias, alors que la grande majorité des agressions sexuelles envers les enfants sont commises par des personnes connues de l’enfant.

    • Véhiculer dans la société des mythes sur les agressions sexuelles qui peuvent notamment influencer le fait de commettre des agressions sexuelles ; la réaction et les séquelles des victimes d’agression sexuelle ; la réaction des proches de victimes, etc12.

      Par exemple : le fait de mettre régulièrement en doute les allégations d’agression sexuelle de victimes dans les médias pourrait laisser croire à la population que plusieurs victimes présumées inventent délibérément avoir été agressées sexuellement, alors que les fausses allégations d’agression sexuelle sont un phénomène rare. Cette fausse croyance peut favoriser le silence de plusieurs victimes qui auraient peur de ne pas être crues. Cela pourrait aussi amener l’entourage d’une victime à douter de ses allégations.

    • Justifier des lois et des politiques en matière de criminalité basées sur une attribution erronée des causes du crime et qui ne sont pas reconnues comme permettant de prévenir efficacement les agressions sexuelles10,13,14.

      Par exemple : des lois et politiques qui seraient justifiées par une forte individualisation du phénomène des agressions sexuelles dans les médias, comme en suggérant des peines plus sévères pour les personnes reconnues coupables d’infractions sexuelles, alors que l’agression sexuelle tire aussi ses causes des sphères communautaire et sociétale.

  • Plusieurs experts soutiennent que la couverture médiatique des agressions sexuelles peut avoir des répercussions sur les victimes, positives ou non :
    • Une plus grande couverture journalistique des agressions sexuelles pourrait être un facteur favorisant la dénonciation à la police par les victimes15.
    • À l’inverse, certaines pratiques journalistiques peuvent entrainer une diminution de la dénonciation par les victimes par crainte que leur histoire personnelle soit divulguée dans le détail ou de faire l’objet de critiques, de blâme, etc.

Médiatisation de procédures judiciaires pour agression sexuelle : effets chez les victimes impliquées

Les différents impacts sur les victimes, parfois positifs, parfois néfastes, que peut entrainer la couverture médiatique d’un procès pour agression sexuelle montrent l’importance du traitement qui en est fait par les médias. Le Magazine du Conseil de presse du Québec s’est entretenu avec deux victimes d’agression sexuelle dont le procès a été médiatisé et a recueilli leur témoignage concernant leur expérience avec les médias. En voici des extraits montrant « les deux côtés de la médaille » :

La transmission exacte du témoignage :

« L’article était vraiment merveilleux, je n’ai rien à redire. Le journaliste a utilisé mon témoignage comme un appel aux autres victimes d’agression sexuelle de porter plainte. Il a parlé de l’effet libérateur que ça apporte aux victimes. […] Il a bien reçu et transmis ce que je voulais dire. Je suis contente et fière. » — Geneviève

Le blâme de la victime :

« Quand elle est allée lire les articles sur Internet [concernant le procès de son agresseur], les commentaires l’ont vraiment choquée. Un homme a écrit qu’elle avait tout inventé, que l’agresseur était innocent et que Julie irait probablement en prison pour avoir menti. Elle ne comprend pas pourquoi le média a laissé le commentaire. Ne sont-ils pas sensés (sic) modérer? Le débat sur la culpabilité de l’accusé, ça se fait devant le juge, pas en bas d’un article de sept lignes sur Internet. Comment vont réagir les autres victimes, s’il y en a, qui n’ont pas encore dénoncé? » — Julie

Vous pouvez consulter le reportage complet sur le site du Magazine du Conseil de presse

Dernière mise à jour : septembre 2017

Références

  1. Thakker, J. (2006). News coverage of sexual offending in New Zealand, 2003. New Zealand Journal of Psychology, 35(1), 28-35.
  2. Bryant, J. et Zillmann, D. (1994). Perspectives on media effects :Advances in theory and research. Hillsdale (NJ):Erlbaum.
  3. Everland, W.P. (2002). The impact of news and entertainment media on perceptions of social reality. Dans J.P. Dillard et M. Pfau (dir.), The persuasion handbook: developments in theory and practice (pp.691-727). Thousand Oaks: Sage Publications.
  4. World Health Organization (WHO). London School of Hygiene and Tropical Medicine. (2010). Preventing intimate partner and sexual violence against women. Taking action and generating evidence. Genève: World Health Organization.
  5. Jewkes, R., Sen, P. et Garcia-Moreno, C. (2002). La violence sexuelle. Dans E.G. Krug, L.L. Dahlberg, J.A. Mercy, A. Zwi et R. Lozano-Ascencio (dir.), Rapport mondial sur la violence et la santé (pp. 97-135). Genève, Suisse: Organisation mondiale de la Santé.
  6. Dahlberg, L.L. et Krug, E.G. (2002). Violence-a global public health problem. Dans E.G. Krug, L.L. Dahlberg, J.A. Mercy, A. Zwi et R. Lozano-Ascencio (dir.), World Report on Violence and Health (pp.1-56). Geneva, Switzerland: World Health Organization.
  7. Schewe, P.A. (2007). Interventions to prevent sexual violence. Dans L.S. Doll, S.E. Bonzo, J.A. Mercy, D.A. Sleet (dir.), Handbook of Injury and Violence Prevention (pp.223-240). Atlanta, GA : Centers for Disease Control and Prevention.
  8. Linkenbach, J. (2002). The main frame : Strategies for generating social norms news. Montana State University, 46 p.
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  10. Chiricos, T., Padgett, K. et M. Gertz. (2000). Fear, TV news, and the reality of crime. Criminology, 38(3), 755-785.
  11. Dowler, K. (2003). Media consumption and public attitudes toward crime and justice: The relationship between fear of crime, punitive attitudes, and perceived police effectiveness. Journal of Criminal Justice and Popular Culture, 10(2), 109-126.
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  15. Boudreau, M. et Ouimet, M. (2010). L’impact de la couverture médiatique des violences sexuelles sur les taux d’agressions sexuelles au Québec entre 1974 et 2006. Revue canadienne de criminologie et de justice pénale. 497-525.
  16. Renaud, L., Bouchard, C., Caron-Bouchard, M., Dubé, L., Maisonneuve, D. et Mongeau, L. (2007). Modèle du façonnement des normes par les processus médiatiques. Dans L. Renaud (dir.), Les médias et le façonnement des normes en matière de santé, Sainte-Foy: PUQ.