26 octobre 2015

L’insalubrité dans l’habitation : vers une approche commune au Québec?

Article
Auteur(s)
Christine Dufour-Turbis
M.D., M. Sc., Université Laval
Marie-Eve Levasseur
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Jean-Marc Leclerc
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Pierre Lajoie
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec

L’article qui suit dresse un portrait de la notion d’insalubrité dans l’habitation québécoise et de l’intérêt d’une approche harmonisée pour améliorer la collaboration entre les intervenants impliqués dans la gestion de telles situations. Les éléments abordés visent d’abord à favoriser les échanges entre les différents acteurs et à souligner l’importance de cet enjeu pour le Québec. Les auteurs souhaitent que l’approche proposée dans le présent article soit utilisée dans la poursuite de la réflexion entourant la gestion de cette problématique.

Mise en contexte

L’amélioration des conditions d’hygiène, notamment la qualité de l’air intérieur et les conditions de vie dans les habitations québécoises, constitue un enjeu de santé publique qui préoccupe les autorités provinciales et municipales depuis la fin du XIXe siècle. À cette époque, la croissance démographique, le développement industriel et les nouvelles connaissances sur la transmission des maladies infectieuses imposaient et rendaient possible à la fois la mise en place de mesures d’hygiène publique mieux structurées1.

Au cours des dernières décennies, l’augmentation du nombre de plaintes et de demandes d’information aux Directions de santé publique (DSP) de la part de citoyens témoigne de la persistance et de l’ampleur du problème2. Le manque d’entretien du parc immobilier, l’étanchéité accrue des nouvelles habitations et le vieillissement de la population sont susceptibles de contribuer, au cours des années à venir, à une diminution de la qualité de l’environnement intérieur ainsi qu’à la réémergence de conditions pouvant mener à des situations d’insalubrité.

Au Québec, l’insalubrité résidentielle est de compétence municipale. Cependant, on observe parfois la présence de zones grises en matière de gestion des situations d’insalubrité, faisant ainsi en sorte que divers intervenants peuvent être sollicités afin de donner suite à la déclaration d’un cas problématique (p. ex. inspecteurs municipaux, professionnels de santé publique, intervenants en services sociaux, pompiers, etc.). L’établissement d’une collaboration étroite entre ces intervenants apparaît donc primordial pour gérer efficacement de telles situations. À l’heure actuelle, l’absence de définition légale relative au concept d’insalubrité, ainsi que la disparité des outils généralement utilisés dans la gestion de ces situations, nuisent à la collaboration entre les divers partenaires.

Historique de la gestion de la salubrité résidentielle au Québec

L’hygiène, qui se définit comme l’étude des règles et des pratiques visant le maintien d’une bonne santé3, et la salubrité sont des thèmes qui préoccupent la santé publique et les instances municipales depuis longtemps4. Ainsi, dès 1836, la Loi d’incorporation des villes de Québec et de Montréal rend les municipalités responsables de l’hygiène. Au cours des années 1920, la création d’Unités sanitaires, constituées d’un médecin, d’une infirmière et d’un inspecteur sanitaire, permet de consolider l’alliance entre la santé publique et les municipalités1,5. L’abolition de ces Unités sanitaires, suivie de la mise sur pied des Départements de santé communautaire et des Centres locaux de services communautaires (CLSC) au début des années 1970, ont eu pour effet d’éloigner administrativement les organisations de santé publique des responsables municipaux de l’hygiène. Le schéma évolutif présenté ci-dessous (figure 1) présente un aperçu des évènements importants entourant les notions de salubrité et d’hygiène publique au Québec.

Depuis 2005, les municipalités ont compétence dans le domaine de la salubrité en vertu de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1). Cependant, le libellé législatif précise un pouvoir et non pas un devoir d’intervention pour la municipalité. Ainsi, alors que la plupart des grandes villes québécoises ont adopté un règlement sur la salubrité, peu de petites municipalités semblent avoir fait de même. Lorsqu’une municipalité ne dispose pas d’un règlement à cet égard, d’autres instances publiques doivent souvent collaborer afin de pallier à ce vide juridique.

Figure 1 - La salubrité et l’hygiène publique au fil du temps

Importance de l’insalubrité au Québec

L’absence de données officielles concernant les situations d’insalubrité ne permet pas d’évaluer avec précision la prévalence de cette problématique au Québec. Certaines informations permettent toutefois de dresser un portrait partiel de la situation.

L’Enquête sur les ménages et l’environnement de Statistique Canada, publiée en 2009, révèle que 90 % des ménages québécois considéraient la qualité de l’air de leur habitation comme bonne, très bonne ou excellente, tandis que seulement 1 % la considérait mauvaise. Par ailleurs, 20 % des ménages avaient constaté de la condensation sur la surface intérieure des fenêtres, tandis que 13 % rapportaient des problèmes de moisissures6.

Selon une autre enquête menée par la Société d’habitation du Québec en 2012 auprès de 1 406 locataires, 555 propriétaires-occupants, 352 copropriétaires et 1 014 propriétaires bailleurs de différentes régions métropolitaines du Québeca, 28 % des locataires d’appartements déclaraient être aux prises avec au moins un problème de salubrité. Celle-ci se définissait de la façon suivante : « lorsque le locataire déclare que des odeurs émanent des appareils de plomberie, qu’il y a de la moisissure sur les murs ou sur les plafonds, des infiltrations d’eau, des coquerelles, des punaises de lit ou des rongeurs dans son logement, on dira qu’il fait face à des problèmes de salubrité ». De telles situations seraient plus courantes chez les familles monoparentales (38 %) et les couples avec enfants (40 %) que chez les personnes seules (18 %) selon cette même étude7.

Enfin, en 2011, la DSP de Montréal a publié une étude portant sur la santé respiratoire des enfants âgés de 6 mois à 12 ans vivant sur son territoire. Les données sont basées sur des entrevues téléphoniques et des questionnaires remplis sur Internet par les parents ou tuteurs de 7 956 enfants montréalais. Les résultats indiquaient que 36 % d’entre eux vivraient dans un appartement excessivement humide ou avec croissance de moisissures, tandis que 4,5 % et 6,1 % vivraient dans des logements où l’on retrouverait respectivement des blattes et des rats ou des souris8.

Ces données font ressortir le peu d’uniformité quant à la façon d’aborder le problème, mais suggèrent toutefois qu’une proportion non négligeable de ménages québécois serait susceptible de vivre dans une habitation avec des problèmes d’insalubrité. Cette proportion pourra varier selon la région, la ville et le quartier de résidence, et être influencée par la situation et la composition des familles ainsi que par les caractéristiques socioéconomiques des occupants.

Définitions de l’insalubrité au Québec et ailleurs

L’Office québécois de la langue française définit la salubrité comme la « qualité de ce qui est salubre ou sain, caractérisée par l’absence de maladies et de risques de maladie, assurée et maintenue grâce à des exigences relatives à l’hygiène des personnes, des animaux et des choses [et comme l’] état d’un milieu favorable à la santé »9. En ce qui concerne l’insalubrité, l’Office définit cette dernière de : « caractère ou état de ce qui est nuisible à la santé »10.

Un sondage effectué par la DSP de la Mauricie et du Centre-du-Québec en 2014 auprès de 13 DSP, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) a révélé que l’interprétation de la notion d’insalubrité ne fait pas consensus et que les interventions de santé publique en lien avec l’insalubrité étaient très variables d’une région à l’autre11. De même, en 2015, des groupes de discussion composés de professionnels du secteur municipal, du milieu de l’habitation sociale et privée, de la santé ainsi que d’organismes à but non lucratif de la région de la Mauricie ont révélé que les intervenants avaient une idée plutôt « intuitive » de ce qu’est l’insalubrité, mais que le concept leur semblait plus subjectif qu’objectifb. L’absence de définition harmonisée de la notion d’insalubrité constitue donc un problème pour les personnes qui doivent intervenir auprès de la population. Certaines définitions précisées, par exemple, dans des lois, des règlements ou des codes, pourraient cependant contribuer à encadrer les concepts de salubrité et d’insalubrité.

Définitions légales

En Belgique et en France, des règlements et des lois encadrent des critères minimaux de salubrité des habitations et des appartements. Des critères sur la sécurité, l’équipement sanitaire, l’étanchéité de l’enveloppe et de la ventilation, l’éclairage naturel, les caractéristiques intrinsèques du bâtiment qui nuisent à la santé des occupants, la configuration et le surpeuplement des logements sont décrits dans le Code wallon du logement et dans le Code civil français12-14. Alors qu’en Wallonie ces critères servent à définir ce qu’est un logement insalubre, la législation française les utilise afin de définir la « décence » d’un logement12-13. En France, ce concept représente donc le confort minimal que les citoyens sont en droit d’exiger. L’insalubrité, quant à elle, réfère davantage au lien entre l’état dégradé du bâtiment et un danger pour la santé des occupants. L’insalubrité du logement inclut donc tout ce qui peut porter atteinte à la santé de ses occupants, qu’il soit question de santé physique (p. ex. présence de plomb, de monoxyde de carbone, de facteurs déclencheurs d’allergies) ou de santé mentale et sociale (p. ex. caractéristiques du logement qui favorisent l’isolement des occupants ou la surpopulation)14-15.

Au Canada, seuls les trois territoires (Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut) incluent dans leur loi sur la santé publique des articles qui traitent de la salubrité dans les habitations. Ces législations donnent le pouvoir à l’agent de santé, ou à l’administrateur en chef de la santé publique, d’ordonner au propriétaire d’un immeuble insalubre d’effectuer les travaux nécessaires pour régler le problème, à défaut de quoi le bâtiment pourra être déclaré inhabitable16 ou impropre à l’habitation humaine17-18 et devra être évacué dans les 24 heures18.

Au Québec, la Loi sur la santé publique (chapitre S-2.2) n’aborde pas la question de la salubrité des logements, mais le Code civil du Québec (C.c.Q.) stipule qu’un logement « impropre à l’habitation » ne peut pas être offert en location. Est qualifié comme tel « le logement dont l’état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l’autorité compétente » (C.c.Q., article 1913).

En ce qui concerne les municipalités québécoises, depuis l’adoption, en 2005, de la Loi sur les compétences municipales, plusieurs d’entre elles ont adopté un règlement sur la salubrité et l’entretien des bâtiments, des logements ou des habitations. Des 19 municipalités québécoises comptant plus de 50 000 habitants, 15 font état de la notion de salubrité des habitations dans un règlement. Une analyse de ces 15 règlements et de 5 autres règlements de plus petites municipalités québécoises permet de tirer les constats suivants :

  • Certaines municipalités définissent clairement ce qu’est la « salubrité » ou l’« insalubrité ». Par exemple, la Ville de Québec définit ainsi la salubrité : « le caractère d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment qui est, de par la qualité de son état et de son environnement, favorable à la santé ou à la sécurité des résidents ou du public en raison de l’utilisation qui en est faite ou de l’état dans lequel il se trouve »19.
  • Plusieurs termes sont employés pour nommer certains concepts, tels que « facteurs d’insalubrité », « nuisances » et « impropre à l’habitation », qui sont parfois utilisés de manière interchangeable d’une municipalité à l’autre.
  • Le niveau de détails est également très variable selon la municipalité : certaines incluent un article traitant de l’insalubrité dans un règlement concernant les nuisances extérieures ou la paix et l’ordre, alors que d’autres ont un règlement détaillé qui inclut des normes traitant de la façon dont une habitation doit être conçue.
  • Le manque d’harmonisation entre les termes utilisés, la disparité des définitions et le caractère inclusif de ce que constitue le concept de salubrité peut entraîner des difficultés d’interprétation pour les professionnels concernés.

De plus, les éléments suivants sont fréquemment mentionnés dans les 20 règlements recensés : la détérioration et la malpropreté d’un bâtiment; la présence d’animaux morts, de vermine, de rongeurs, d’insectes, de moisissures ou de conditions favorisant leur présence; l’encombrement ou l’accumulation de déchets ou de matières en décomposition ainsi que la présence de produits générant des vapeurs nauséabondes ou toxiques. Notons toutefois que ces critères, bien que récurrents, ne fournissent pas de repères quantitatifs aux inspecteurs municipaux.

Analyse des définitions utilisées en santé publique

En plus des définitions légales et réglementaires, les travaux en santé publique fournissent des éléments intéressants pour encadrer la notion d’insalubrité. L’analyse de plusieurs ouvrages de santé publique, jumelée aux discussions avec des professionnels de la DSP de la Mauricie et du Centre-du-Québec et de celle des Laurentides, a permis de dresser certains constats en ce qui concerne les définitions de salubrité et d’insalubrité en santé publique.

Ainsi, à l’instar du milieu municipal, les définitions et les critères associés à la salubrité en santé publique sont divergents. Les travaux de santé publique ont ceci de particulier qu’ils associent davantage les facteurs d’insalubrité à leurs conséquences sur la santé et la sécurité des occupants20. Dans ce contexte, certaines publications mentionnent de façon explicite qu’un endroit peut être insalubre même si les occupants ne présentent aucun signe clinique ni symptôme2, alors que d’autres documents insistent davantage sur la notion de bien-être global des résidents21. Enfin, certains professionnels de santé publique considèrent que l’évaluation d’un bâtiment au regard de la salubrité devrait tenir compte de la vulnérabilité de ses occupantsc.

La jurisprudence québécoise à l’égard de l’insalubrité

La jurisprudence constitue une autre source d’information pouvant être consultée afin de tenter d’encadrer la notion d’insalubrité. Les jugements rendus par le tribunal de la Régie du logement peuvent en effet contenir certains éléments permettant de mieux encadrer la notion d’insalubrité. Il est à noter que l’objectif de cette section ne consiste pas à détailler les recours des locataires et des propriétaires au regard des litiges, mais bien de faire état des éléments permettant de mieux circonscrire la notion d’insalubrité.

Précisons d’abord que ce tribunal entend uniquement les causes en matière de bail résidentiel et que les assises juridiques sont principalement fondées sur le Code civil du Québec (C.c.Q.). Dans le cas d’une habitation louée, le C.c.Q. stipule que le locateur (c.-à-d. le propriétaire) est tenu de délivrer le logement en bon état d’habitabilité et de propreté tandis que le locataire est tenu de maintenir le logement dans le même état (art. 1910 et 1911) et de s’en servir avec « prudence et diligence » (art. 1855). De plus, le locateur comme le locataire peut demander la résiliation du bail lorsque le logement devient impropre à l’habitation (art. 1972).

Puisque le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l’habitation (art. 1913), un locataire a le droit de refuser d’emménager dans un logement impropre à l’habitation ou de l’abandonner
(art. 1914 et 1915). Cependant, pour se prévaloir de ce droit, un locataire devrait être en mesure de « prouver qu’il s’agit d’un problème grave et sérieux, qu’il n’a pas été l’auteur de ce problème, qu’il a dénoncé cet état à son locateur […] et que suite à cette dénonciation, le locateur n’a pas remédié au problème »22. Selon une analyse de la jurisprudence effectuée en 1989 par Rousseau-Houle et de Billy, le logement sera déclaré impropre à l’habitation seulement si, de manière objective, la preuve de l’existence d’une menace sérieuse à la santé ou à la sécurité de la population peut être faite23 (art. 1913); les appréhensions, les craintes et l’état psychologique des locataires ne sont pas pris en compte dans ce type d’évaluation23-24.

Une analyse de plusieurs décisions rendues par la Régie du logement dans des cas d’insalubrité portés devant les tribunaux en 2014 et 2015 permet d’émettre les constats suivants :

  • De façon générale, le tribunal ne semble pas s’appuyer sur une définition précise de l’insalubrité ou d’un logement impropre à l’habitation.
  • De plus, le tribunal ne semble pas se baser sur des facteurs d’insalubrité précis ou quantifiables pour rendre ses décisions (p.ex. surfaces visibles de moisissures, nombre d’animaux). Lorsque cela est possible, le tribunal s’appuie principalement sur les articles du C.c.Q. qui concernent le logement et les conditions de résiliation du bail (ex. : non-paiement du loyer) (p. ex. : art. 1851; 1854-1857; 1860; 1864; 1890; 1891; 1910-1912; 1920; 1930; 1971).
  • Les rapports d’inspection complétés par une municipalité ou par un service d’incendie, les preuves photographiques et, plus rarement, les analyses de la qualité de l’air et les rapports de consultations médicales jouent un rôle important dans le jugement d’une situation d’insalubrité auprès de la Régie du logement.

Par ailleurs, une analyse de fréquence des termes utilisés dans une quinzaine de décisions portant sur des cas d’insalubrité dans des appartements semble indiquer que les notions d’encombrement et de malpropreté sont reconnues comme facteurs d’insalubrité par plusieurs juristes.

Enfin, certains experts de santé publique considèrent qu’une habitation peut être salubre pour une personne sans l’être pour une autre, en raison des caractéristiques et vulnérabilités personnelles des occupants. D’un autre côté, l’analyse de la jurisprudence québécoise semble plutôt indiquer qu’une évaluation la plus objective possible doit être réalisée afin d’évaluer si une personne dite « ordinaire » pourrait vivre dans l’habitation présumée insalubre.

Cette compréhension divergente de la notion de salubrité associée notamment aux missions mêmes des organisations impliquées (directions de santé publique, municipalités, tribunaux) peut donc entraîner un manque de cohérence dans la gestion des cas d’habitations aux prises avec un problème d’insalubrité.

Vers une approche commune?

Une présentation des présents travaux sur l’insalubrité s’est tenue à l’INSPQ, le 17 juin 2015, auprès de diverses organisations concernées par cet enjeu.

À la suite de la présentation, des questions ont été adressées aux participants, notamment sur la faisabilité de proposer une définition commune de l’insalubrité dans les habitations, qui serait acceptée à la fois par les DSP, les municipalités et les autres partenaires. Il en ressort qu’une définition unique de l’insalubrité serait souhaitable, mais qu’elle serait difficilement applicable aux réalités de tous les intervenants. En effet, tandis que le rôle des professionnels de la santé publique consiste principalement à se prononcer sur les effets à la santé de certains facteurs d’insalubrité, la situation est différente pour les inspecteurs municipaux dont le rôle consiste essentiellement à procéder aux évaluations environnementales des bâtiments. Pour remédier à ce problème, il a été suggéré d’élaborer un ensemble de critères définissant de façon objective ce qu’est un logement salubre ou insalubre (p. ex. présence ou absence d’eau courante, de chauffage fonctionnel, etc.) afin de fournir un cadre de base uniforme pour l’ensemble des inspecteurs. À la réception d’un rapport explicitant les observations effectuées à partir de ces critères objectifs, les professionnels de santé publique pourraient ensuite procéder à l’évaluation des risques à la santé des occupants ainsi que de la pertinence de procéder à une intervention ciblée, fondée sur cette évaluation.

Ainsi, nous suggérons l’approche suivante pour déclarer une habitation « insalubre » ou « impropre à l’habitation ». D’abord, pour qu’une habitation puisse être qualifiée d’insalubre, il est proposé qu’elle soit d’abord soumise à une inspection visuelle minutieuse (intérieur et extérieur du bâtiment, terrain) basée sur des critères objectifs, par un professionnel qualifié à cet effet. Dans les cas où la situation le nécessite, un médecin ou un professionnel de santé publique pourrait subséquemment procéder à l’analyse du rapport d’inspection afin d’évaluer s’il y a prépondérance de facteurs défavorables pour la santé ou la sécurité, au point où cela laisse entrevoir un risque non négligeable à la santé ou à la sécurité des occupants (figure 2). Parmi les facteurs défavorables, mentionnons par exemple l’encombrement, la présence d’humidité excessive, de moisissures, d’insectes ou d’animaux nuisibles. Précisons qu’une situation d’insalubrité ne rend pas nécessairement un logement impropre à l’habitation, mais nécessite l’application dans les meilleurs délais de mesures de correction afin de remédier au problème et de protéger la santé des occupants.

Pour qu’un logement puisse être qualifié d’« impropre à l’habitation », il est suggéré que celui-ci soit dans un état d’insalubrité dite sévère, appellation devant être utilisée sur la base d’une évaluation effectuée par un professionnel de la santé publique en collaboration avec les responsables municipaux, à l’aide de divers outils (rapport d’inspection détaillé, consultation d’experts, etc.), mettant en évidence un risque élevé pour la santé ou la sécurité des occupants. Un tel constat entraînera, dans la plupart des cas, l’évacuation ou l’interdiction d’occupation partielle ou complète d’un bâtiment, sur une base temporaire ou permanente. Ces constats surviennent principalement lors de deux types de situation : en présence d’une menace importante et immédiate pour la santé ou la sécurité des occupants
(p. ex. risque d’intoxication au monoxyde de carbone, d’effondrement), ou en présence d’un risque sérieux et récurrent pour la santé à moyen ou long terme, malgré les interventions réalisées pour contrôler le problème. La figure 2 illustre cette approche.

Figure 2 - Schéma des concepts d’insalubrité et d’impropre à l’habitation

Nous considérons qu’une telle approche contribuerait à améliorer la collaboration entre les intervenants municipaux et de santé publique, dans une perspective de protection de la santé et de la sécurité des occupants.

En terminant, il importe de souligner qu’aucune définition d’insalubrité, si précise soit-elle, ne pourra couvrir l’ensemble des situations rencontrées. Le jugement professionnel restera toujours essentiel au processus d’évaluation et de décision visant à déterminer si un logement est insalubre ou impropre à l’habitation.

Conclusion

Bien qu’au Québec l’insalubrité dans les habitations soit de compétence municipale, d’autres organisations sont fréquemment impliquées dans la gestion de telles situations. Il semble que la collaboration entre les divers intervenants concernés pourrait être bonifiée par l’élaboration d’outils pratiques d’inspection facilitant l’évaluation objective des bâtiments.

De plus, un partage des responsabilités qui respecte les rôles et les mandats des instances concernées devrait constituer l’avenue à privilégier afin d’améliorer l’efficience dans la gestion des situations d’insalubrité des bâtiments, dans une perspective de protection de la santé et de la sécurité des occupants.

  • a Montréal, Québec, Gatineau, Trois-Rivières, Sherbrooke et Saguenay.
  • b Maude-Amie Tremblay et Sandy Torres, avril 2015, communication personnelle
  • c Marie-Claude Lacombe et Bruno Cossette, 2015, communication personnelle

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