Veille scientifique : lutte contre le tabagisme, volume 15, numéro 1, janvier 2025
Dans ce numéro
- Effets de l’usage de la cigarette, du tabac à chauffer et de la cigarette électronique sur la fonction respiratoire et cardiovasculaire
- Efficacité d’un programme de messagerie texte (This is Quitting) pour renoncer au vapotage chez les adolescents
- Disparité dans l’usage de substances psychoactives entre les adolescents appartenant à une minorité de genre et les autres
- La cytisine pour cesser de vapoter? Des résultats encourageants
- Synthèse des revues Cochrane sur les interventions de renoncement au tabac
- L’accessibilité physique au tabac : les effets sur l’usage chez les jeunes, les adultes et les femmes enceintes
Dans cette veille, l’équipe tabagisme sélectionne et résume les publications scientifiques récentes qu’elle juge les plus pertinentes au travail des acteurs du réseau de santé publique œuvrant dans le domaine de la lutte contre le tabagisme.
Effets de l’usage de la cigarette, du tabac à chauffer et de la cigarette électronique sur la fonction respiratoire et cardiovasculaire
Contexte
L’industrie du tabac a introduit dans les dernières années de nouveaux produits permettant de consommer de la nicotine, soit les cigarettes électroniques et plus récemment les produits de tabac chauffé. Sur la base du fait que ces produits ne requièrent pas de combustion du tabac pour libérer la nicotine, ils ont été publicisés par l’industrie comme étant moins nocifs pour la santé que les produits du tabac traditionnels. Parallèlement, les données d’enquête indiquent que l’usage de la cigarette a décliné au Canada au cours des dernières décennies alors que l’usage de produits alternatifs tels que la cigarette électronique et le tabac chauffé est en essor.
Objectif
L’objectif principal de l’étude était de déterminer si les cigarettes électroniques et les produits de tabac chauffé peuvent être considérés comme une option de consommation de nicotine moins néfaste à la santé que la cigarette de tabac. Pour ce faire, une étude clinique randomisée a été réalisée auprès de 20 adultes fumeurs occasionnels (10 hommes et 10 femmes, moyenne d’âge de 25,4 ans) répartis dans quatre groupes (cigarette, cigarette électronique avec nicotine, cigarette électronique sans nicotine, produit de tabac chauffé). Les personnes présentant une des caractéristiques suivantes étaient exclues de l’étude : obésité, grossesse, troubles mentaux, maladie cardiovasculaire, maladie pulmonaire, examen physique anormal. Les participants devaient fumer la cigarette ou le produit de tabac chauffé au complet, tandis que la cigarette électronique avec ou sans nicotine était vapotée dix fois, chaque bouffée durant de trois à cinq secondes avec une pause de 30 secondes entre les bouffées.
Les mesures effectuées visaient à examiner les effets en lien avec l’usage des quatre produits sur l’hémodynamique centrale et périphérique, la fréquence cardiaque, la rigidité artérielle et la fonction pulmonaire. Pour assurer la validité des mesures, une période de 48 heures d’abstinence de consommation de nicotine était imposée aux participants entre les jours de test. Les mesures cardiovasculaires étaient prises chaque cinq minutes, débutant 30 minutes avant l’intervention. La fonction respiratoire était mesurée par oscillométrie, deux fois pendant les 30 minutes précédant l’intervention et quatre fois pendant l’heure suivant l’intervention.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- L’absorption de nicotine entraîne une augmentation de l’obstruction bronchique, de la réactance (mesure de l’équilibre des impédances (résistances) élastiques et inertielles du système respiratoire) et du volume courant (volume d’air contenu dans les poumons entre l’inspiration et l’expiration) cinq minutes après l’usage de la cigarette, de la cigarette électronique avec nicotine ou du tabac chauffé.
- Les pressions artérielles périphériques et centrales, la pression pulsée et la fréquence cardiaque augmentent après avoir fumé ou vapoté.
- L’usage de la cigarette, du tabac chauffé, de la cigarette électronique contenant de la nicotine ou de la cigarette électronique sans nicotine entraînent une hausse de la résistance périphérique totale (rigidité artérielle).
- La fréquence cardiaque augmente plus fortement et rapidement après avoir fumé une cigarette ou consommé du tabac chauffé qu’après avoir vapoté une cigarette électronique avec ou sans nicotine.
Cette étude indique que les produits examinés ont des effets similaires sur l’hémodynamique, et affectent tous la fonction respiratoire. Les auteurs ont notamment observé que le vapotage d’une cigarette électronique sans nicotine influence la rigidité artérielle ainsi que l’hémodynamique centrale et périphérique, ce qui signifie que le vapotage n’est pas sans risque même s’il est fait sans consommation de nicotine.
Parmi les limites de l’étude, mentionnons le faible nombre de participants et leur âge moyen peu élevé, ce qui limite les possibilités de généralisation des résultats. Les auteurs notent par ailleurs que leurs résultats ne s’appliquent qu’aux modèles de produits utilisés dans l’étude. En raison du temps d’observation limité, cette étude ne peut que détecter des effets aigus et ne permet pas de surveiller les effets à long terme liés à l’usage de la cigarette, du tabac chauffé ou de la cigarette électronique.
Jung L, Buchwald IC, Hauck A, Lüthgen M, Jagomast T, Weckmann M et al. The impact of heat-not-burn, e-cigarettes, and cigarettes on small airway function. Tob Use Insights 2024;17:1179173X241271551.
Efficacité d’un programme de messagerie texte (This is Quitting) pour renoncer au vapotage chez les adolescents
Contexte
La cigarette électronique est devenue au cours de la dernière décennie le produit de consommation de nicotine le plus utilisé par les adolescents, au Québec comme ailleurs dans le monde occidental. Compte tenu des effets du vapotage sur la santé, qui sont de plus en plus documentés, il importe de développer des actions visant à favoriser de manière efficace le renoncement au vapotage chez les jeunes. À ce jour, il existe très peu d’interventions de renoncement adaptées aux adolescents et jeunes adultes. Toutefois, le programme de messagerie texte This is Quitting est une intervention qui s’est révélée efficace chez les jeunes adultes (Graham et coll., 2021). Il reste maintenant à déterminer si ce résultat se confirme chez les adolescents.
Objectif
Les auteurs ont conduit une étude randomisée en double aveugle afin d’évaluer l’efficacité chez les adolescents d’un programme de messagerie texte pour renoncer au vapotage.
L’étude a été menée aux États-Unis auprès de 1 503 adolescents âgés de 13 à 17 ans ayant fait usage de la cigarette électronique dans les 30 jours précédents l’étude et souhaitant renoncer au vapotage dans le prochain mois. Le groupe contrôle (n = 744) recevait uniquement des messages texte qui portaient sur la réduction du vapotage de nicotine, alors que le groupe d’intervention (n = 759) bénéficiait de plus d’un programme personnalisé et interactif offrant un soutien cognitif, comportemental et social par messagerie texte. La formation d’un troisième groupe (n = 178), placé sur une liste d’attente, a permis de contrôler les effets des évaluations et incitatifs sur le groupe contrôle.
L’abstinence ponctuelle (sur 30 jours) de la cigarette électronique, autodéclarée à sept mois, était le principal effet mesuré dans l’étude. L’abstinence ponctuelle répétée (sur 30 jours à un et sept mois de suivi) ainsi que l’usage de produits du tabac ont également été analysés.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- L’âge moyen des participants était de 16,4 ans. L’échantillon contenait 51 % de femmes, 42 % d’hommes et 7 % de personnes non binaires/autres. Les personnes non hétérosexuelles étaient fortement représentées dans l’échantillon (42,5 %).
- L’abstinence ponctuelle (sur 30 jours) autodéclarée à sept mois était plus marquée dans le groupe d’intervention (38 %) comparativement au groupe contrôle (28 %) (Risque relatif (RR) : 1,35; IC 95 % : 1,17-1,57; p < 0,001). La mesure d’abstinence ponctuelle répétée a révélé que l’intervention doublait le taux de renoncement par rapport à la condition contrôle (RR : 2,10; IC 95 % : 1,58-2,80; p < 0,001).
- Une proportion plus élevée (51 %) de doubles utilisateurs de produits de vapotage et de tabac participant au groupe d’intervention étaient abstinents des deux produits à sept mois comparativement au groupe témoin (30 %).
En conclusion, cette étude indique que le programme de messagerie texte This is Quitting, utilisé dans le renoncement à la cigarette électronique chez les jeunes adultes, serait également efficace chez les adolescents.
Certaines limites de l’étude restreignent la généralisation des résultats, notamment le fait d’avoir recruté exclusivement des adolescents motivés à renoncer au vapotage et d’avoir obtenu un échantillon comprenant une proportion de personnes d’orientation autre qu’hétérosexuelle plus forte que celle que l’on retrouve dans la population générale. Précisons finalement que l’étude mesurait l’abstinence autodéclarée plutôt que celle confirmée par analyse biochimique, ce qui pourrait avoir influencé les résultats obtenus.
Graham AL, Cha S, Jacobs MA, Amato MS, Funsten AL, Edwards G et al. A vaping cessation text message program for adolescent e-cigarette users: A randomized clinical trial. JAMA 2024;332(9):713-721.
Référence supplémentaire : Graham AL, Amato MS, Cha S, Jacobs MA, Bottcher MM, Papandonatos GD. Effectiveness of a vaping cessation text message program among young adult e-cigarette users: A randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2021;181(7):923-930.
Disparités dans l’usage de substances psychoactives entre les adolescents appartenant à une minorité de genre et les autres
Contexte
Peu d’études se sont penchées sur l’usage de substances psychoactives (SPA) chez les jeunes appartenant à une minorité de genre, c’est-à-dire ne s’identifiant ni comme un garçon ni comme une fille. Ceci s’explique par le fait que les questions sur l’identité de genre (IG) ne sont pas systématiquement intégrées dans les grandes enquêtes populationnelles, et que les études s’intéressant à l’IG ont généralement un échantillon insuffisant pour permettre des comparaisons entre les genres (homme, femme, autre). La littérature scientifique américaine laisse pourtant entrevoir que les jeunes s’identifiant à une minorité de genre sont plus à risque que les jeunes cisgenres de faire usage de SPA, d’en faire un usage abusif, ou de connaître des problèmes physiques, psychologiques ou sociaux liés à leur consommation, d’où l’intérêt d’une étude canadienne dont la taille échantillonnale est suffisante à l’étude du phénomène.
Objectif
L’étude visait à comparer l’usage de certaines SPA chez des adolescents canadiens selon l’identité de genre (les filles, les garçons et les personnes s’identifiant à une minorité de genre) et d’identifier les facteurs de risque et de protection qui y sont associés. Pour ce faire, des données tirées des cycles 2019-2020 et 2020-2021 de l’étude COMPASS ont été utilisées. L’échantillon retenu réunit 42 107 élèves de niveau secondaire en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec, parmi lesquels 979 participants ne s’identifiaient ni comme un garçon ni comme une fille.
Des modèles de régression logistique hiérarchiques ont été employés pour évaluer la probabilité d’usage de la cigarette, de la cigarette électronique, du cannabis, d’opioïdes non prescrits et de la consommation excessive d’alcool en fonction de certaines caractéristiques démographiques, de la santé mentale de l’élève, de son environnement familial et scolaire, ainsi que de l’usage des autres SPA étudiées.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- Les élèves s’identifiant à une minorité de genre sont plus enclins que ceux s’identifiant comme fille ou comme garçon à faire usage de la cigarette, du cannabis ou d’opioïdes non prescrits, mais moins susceptibles d’utiliser la cigarette électronique.
- Parmi les élèves du groupe de minorité de genre :
- ceux qui présentent des symptômes de dépression ou d’anxiété sont moins susceptibles d’avoir bu de l’alcool de manière excessive (5 verres ou plus lors d’une même occasion) dans le mois précédent;
- ceux qui présentent des symptômes d’anxiété sont plus susceptibles d’avoir consommé des opioïdes non prescrits dans l’année précédente.
- Chez l’ensemble des jeunes, sans égard à leur identité de genre, la perception d’une vie heureuse à la maison et l’appartenance à l’école ont un effet protecteur quant à l’usage de SPA, à l’exception de la consommation excessive d’alcool.
- Les élèves rapportant avoir vécu de l’intimidation au cours du mois précédent sont plus susceptibles d’avoir fait usage de la cigarette, de la cigarette électronique ou d’opioïdes non prescrits.
L’intérêt principal de cette étude est qu’elle est une des rares à s’être intéressée à l’usage de SPA en fonction de l’identité de genre en sol canadien, la majorité des études sur le sujet ayant été réalisées aux États-Unis. Elle suggère la pertinence d’intégrer une mesure de l’identité de genre dans les enquêtes populationnelles de santé afin d’être en mesure d’effectuer la surveillance de la consommation de SPA chez les jeunes s’identifiant à une minorité de genre.
Varatharajan T, Patte KA, de Groh M, Jiang Y, Leatherdale ST. Exploring differences in substance use behaviours among gender minority and non-gender minority youth: a cross-sectional analysis of the COMPASS study. Health Promot Chronic Dis Prev Can 2024;44(4):179-190.
La cytisine pour cesser de vapoter? Des résultats encourageants
Contexte
Au Québec comme aux États-Unis, divers sondages révèlent que plusieurs vapoteurs souhaitent cesser l’usage de produits de vapotage et font des tentatives pour y arriver. Les études cliniques permettant de documenter l’efficacité d’interventions pour soutenir le renoncement au vapotage sont peu nombreuses. La cytisine (ou cytisinicline), un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques, a démontré son efficacité dans une démarche de renoncement au tabac* et pourrait s’avérer utile pour soutenir des personnes qui souhaitent mettre un terme à leur dépendance à la cigarette électronique avec nicotine.
Objectif
Cette étude visait à évaluer l’efficacité et la sécurité de la cytisine auprès d’un échantillon d’adultes américains vapoteurs et non-fumeurs. Les participants de l’étude utilisaient la cigarette électronique tous les jours et étaient prêts à cesser de vapoter. Les vapoteurs ayant consommé un produit du tabac au cours des 4 dernières semaines étaient exclus de l’étude.
Les participants âgés de plus de 18 ans ont été assignés aléatoirement, à leur insu et à l’insu des chercheurs, à recevoir de la cytisine (3 mg, par prise orale, trois fois par jour) ou un placebo. La randomisation tenait compte du statut d’ancien fumeur des participants. Pendant les 12 semaines de traitement, tous les participants recevaient du soutien comportemental bref (environ 10 minutes) à chacune de leurs visites hebdomadaires.
L’abstinence était mesurée et validée biochimiquement pendant les 12 semaines de traitement et 4 semaines après la fin de celui-ci. Les signes vitaux des participants étaient mesurés chaque semaine, et les effets indésirables étaient rapportés par les participants. L’étude s’est déroulée de juillet 2022 à février 2023, sur cinq sites aux États-Unis. Un total de 160 participants éligibles ont été assignés à recevoir la cytisine (n = 107) ou le placebo (n = 53), et 82 % d’entre eux ont complété leur participation jusqu’au suivi à 16 semaines. Âgés en moyenne de 33 ans, 52 % étaient des femmes, 84 % étaient d’origine caucasienne et 72 % avaient fumé plus de 100 cigarettes au cours de leur vie.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- L’abstinence continue validée pendant les quatre dernières semaines de traitement (semaines 9-12) était plus élevée pour les participants ayant reçu la cytisine (32 %) que le placebo (15 %) (Rapport de cotes (RC) : 2,64; IC 95 % : 1,06-7,10, p = 0,04).
- L’abstinence au cours des quatre semaines suivant la fin du traitement allait dans la direction attendue, mais ne différait pas significativement entre les participants ayant utilisé la cytisine (23 %) et le placebo (13 %) (RC : 2,00; IC 95 % : 0,82-5,32, p = 0,15), en partie en raison de la faible taille de l’échantillon.
- Quatre participants assignés à la cytisine et trois recevant le placebo ont cessé le traitement en raison d’effets indésirables importants. Aucun autre effet indésirable grave n’a été rapporté.
- Des effets indésirables légers ont été mentionnés par la moitié des participants de chaque groupe (rêves étranges, insomnie, anxiété, maux de tête, fatigue, infection des voies respiratoires supérieures).
- Comparativement aux participants ayant reçu le placebo, ceux assignés à la cytisine ont moins rapporté de nausées (11 % vs 5 %).
Selon les auteurs, les principales limites de l’étude concernent la généralisation des résultats aux personnes plus jeunes que 18 ans, celles d’origine ethnique autre que caucasienne, celles atteintes de troubles mentaux, et celles faisant usage de substances psychoactives ou fumant la cigarette de tabac en plus de vapoter. Le manque de puissance statistique, imputable à la faible taille d’échantillon, est également une limite de l’étude. En conclusion, les auteurs considèrent que ce produit, utilisé depuis des décennies par des millions de fumeurs en Europe de l’Est et centrale, avec un bon profil d’innocuité, pourrait aider plusieurs personnes à se libérer à la fois de leur dépendance au tabac et au vapotage.
* Voir le résumé d’une étude dans le numéro de mai 2024
Rigotti NA, Benowitz NL, Prochaska JJ, Cain DF, Ball J, Clarke A et al. Cytisinicline for vaping cessation in adults using nicotine e-cigarettes: The ORCA-V1 randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2024;184(8):922-930.
Synthèse des revues Cochrane sur les interventions de renoncement au tabac
Contexte
La Collaboration Cochrane est une organisation internationale sans but lucratif qui vise à rendre disponibles des données probantes pour la prise de décision en santé, en soutenant la réalisation de revues systématiques de grande qualité. Plusieurs revues ont été publiées sur les interventions visant à soutenir le renoncement au tabac.
Objectif
Cette publication est une synthèse des nouvelles revues systématiques et des mises à jour publiées entre 2021 et 2023, avec un intérêt particulier à propos des effets sur l’abstinence et des effets indésirables sur la santé. Les constats tiennent compte des effets mesurés des interventions, de la taille d’échantillon, du nombre d’études, de la force de la preuve, de l’hétérogénéité statistique, et de la nouveauté de la conclusion. Le niveau de certitude est déterminé par l’approche GRADE, qui tient compte des limites des études et des biais. Dans toutes les études, les participants auprès de qui l’abstinence n’a pas pu être mesurée sont considérés fumeurs.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
Entre 2021 et 2023, cinq nouvelles revues systématiques, une revue des revues, et huit mises à jour sur les interventions de soutien au renoncement au tabac ont été publiées par la Collaboration Cochrane. L’analyse des résultats de ces publications permet de dresser les constats suivants, qui obtiennent un niveau de certitude élevé :
En ce qui concerne la pharmacothérapie :
- La varénicline et la cytisine augmenteraient les taux de renoncement au tabac comparativement à un placebo. La varénicline est plus efficace que le bupropion ou qu’une seule forme de thérapie de remplacement de la nicotine (TRN).
- Le bupropion aurait aidé davantage de personnes à cesser de fumer qu’un placebo ou qu’aucune pharmacothérapie. Toutefois, davantage d’utilisateurs de bupropion que d’un placebo auraient cessé ce traitement en raison d’effets indésirables, notamment de nature psychiatrique.
- Une combinaison de TRN, particulièrement celles à courte durée d’action (gommes, pastilles, vaporisateur) combinées aux timbres transdermiques, serait plus efficace pour cesser de fumer qu’une seule TRN.
- Lorsque tous les essais de pharmacothérapies approuvées dans au moins un pays sont combinés dans une même analyse, les moyens les plus efficaces pour cesser de fumer seraient : 1) la cigarette électronique avec nicotine, la varénicline ou la cytisine; 2) la combinaison de timbres de nicotine et de TRN à courte durée d’action; 3) les timbres de nicotine, les TRN à courte durée d’action et le bupropion.
Concernant le soutien comportemental :
- Celui-ci augmenterait les taux d’abandon à 6 mois ou à plus long terme, sans effet indésirable. Les incitatifs financiers garantis seraient également efficaces.
- Les interventions comportementales seraient coût-efficaces.
Concernant la cigarette électronique :
- Les cigarettes électroniques avec nicotine permettraient d’obtenir des taux de renoncement au tabac supérieurs à ceux obtenus par la TRN.
- Plus de la moitié (54 %) des participants assignés à la cigarette électronique avec nicotine l’utilisait toujours au moins six mois après l’intervention, et cette proportion était plus élevée parmi les participants ayant réussi à cesser de fumer (70 %).
- Chez les fumeurs, le remplacement complet de la cigarette de tabac par la cigarette électronique menait à des niveaux plus faibles de biomarqueurs de méfaits potentiels. C’était également le cas pour le passage de l’usage exclusif de cigarettes de tabac au double usage de cigarette électronique et de cigarettes de tabac, bien que la réduction des biomarqueurs de méfaits fût alors plus faible.
D’autres revues Cochrane sont attendues prochainement. C’est le cas de l’impact de l’usage et la disponibilité de la cigarette électronique sur la prévalence du tabagisme chez les jeunes, de même que les interventions de soutien au renoncement au vapotage.
Livingstone-Banks J, Lindson N, Hartmann-Boyce J. Effects of interventions to combat tobacco addiction : Cochrane update of 2021 to 2023 reviews. Addiction 2024;119(12):2101-2115.
L’accessibilité physique au tabac : les effets sur l’usage chez les jeunes, les adultes et les femmes enceintes
Contexte
La réduction de l’accessibilité physique aux produits du tabac est de plus en plus envisagée comme une stratégie pouvant contribuer à la lutte contre le tabagisme. Plusieurs études se sont ainsi intéressées aux effets que peuvent avoir la densité, le nombre, et la proximité des points de vente de tabac (PVT) sur l’usage chez les adolescents, les adultes et les femmes enceintes. Toutefois, les revues antérieures réalisées sur ce sujet ont omis certaines études écologiques et ont inclus des études portant sur les perceptions des participants par rapport au tabagisme, aux envies de fumer et au renoncement au tabac, ce qui constitue une limite à leur interprétation.
Objectif
Cette étude consiste en une revue systématique et une méta-analyse dont l’objectif est de déterminer les effets de l’accessibilité physique aux produits du tabac sur la prévalence du tabagisme chez les jeunes, les adultes et les femmes enceintes. Des méta-analyses ont été effectuées lorsqu’au moins trois études étaient comparables, et ce, pour chacune des mesures d’intérêt.
En ce qui a trait à l’accessibilité physique, les publications retenues devaient rapporter le nombre ou la densité des points de vente sur un territoire donné (p. ex. : par km2, par 1000 habitants, etc.) ou encore, faire état de la proximité entre les points de vente et certains lieux, tels les écoles, les espaces de travail ou de loisir ainsi que les lieux de résidence. Les études concernant des points de vente de cigarette électronique ou de tabac sans fumée étaient exclues.
Qu’est-ce qu’on y apprend?
- Soixante-deux études ont été retenues pour la recension systématique, et trente-deux pour la méta-analyse. Plus de la moitié des publications (n = 35) provenaient des États-Unis, huit du Canada et le reste de différents pays à travers le monde.
- Une plus forte densité de PVT à proximité des lieux de résidence ou des écoles est associée à une plus grande probabilité d’usage de tabac chez les jeunes.
- Une plus forte densité de PVT dans la communauté augmente la probabilité d’être un fumeur actuel chez les adultes, ou d’avoir fait usage de produits du tabac au cours du mois précédent chez les jeunes.
- Chez les femmes enceintes, une plus forte densité de PVT à proximité du lieu de résidence est associée à une plus grande probabilité d’être fumeuse actuelle.
L’apport de cette étude est d’évaluer de manière distincte l’effet de la densité et de la proximité des PVT sur l’usage du tabac au sein de différentes sous-populations, soit les jeunes, les adultes et les femmes enceintes. Notons toutefois que l’hétérogénéité dans les devis de recherche, notamment en raison de l’inclusion d’études écologiques, a limité la possibilité de mener des méta-analyses pour l’ensemble des indicateurs considérés.
Les résultats obtenus suggèrent qu’une plus forte densité de PVT serait associée à l’usage de tabac chez ces trois sous-populations. Il ressort également que les restrictions de vente de tabac basées sur la proximité d’écoles ou de lieux de résidence ne semblent pas contribuer de manière significative à réduire le tabagisme chez les sous-populations d’intérêt, à l’exception des hommes adultes consommant un grand nombre de cigarettes par jour. Ce constat amène les auteurs à suggérer que des actions sur la densité des PVT dans l’ensemble de la communauté, telles que l’implantation d’un système de permis de vente de tabac, pourraient être prometteuses en matière de réduction du tabagisme.
Martin-Gall V, Neil A, Macintyre K, Rehman S, Nguyen TP, Harding B et al. Tobacco retail availability and smoking – A systematic review and meta-analysis. Drug Alcohol Rev 2024;43(7):1718-1732.
Rédaction
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Patrick Luyindula, conseiller scientifique spécialisé
Marianne Dubé, assistante de recherche professionnelle
Annie Montreuil, conseillère scientifique spécialisée
Jacinthe Brisson, conseillère scientifique
Équipe tabagisme
Direction du développement des individus et des communautés
Coordination
Benoit Lasnier, conseiller scientifique
Direction du développement des individus et des communautés
Révision
Olivier Bellefleur, chef d’unité Produits et substances psychoactives
Mariejka Beauregard, médecin-conseil
Direction du développement des individus et des communautés
Révision linguistique
Marie-Cloé Lépine, agente administrative
Direction du développement des individus et des communautés
L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Cette veille a été réalisée grâce à la participation financière du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS).