Substances potentiellement nocives dans les poussières des milieux intérieurs : résultats d’une méta-analyse effectuée à partir d’études américaines
Introduction
Il est reconnu que les populations des pays industrialisés passent plus de 90 % de leur temps dans les milieux intérieurs, un comportement qui engendre des enjeux de santé publique propres à ce type d’environnement. En effet, les bâtiments publics et privés abritant ces populations sont constitués, meublés et décorés de matériaux synthétiques qui sont susceptibles d’émettre et de disperser diverses substances organiques potentiellement nocives pour les occupants. De plus, la présence de certains produits de consommation, de même que l’utilisation de produits de nettoyage et de fragrances, tendent à accentuer la charge et la diversité de ces substances dans les milieux intérieurs. L’exposition à ces dernières est généralement plus importante dans les environnements intérieurs qui ne sont pas adéquatement entretenus ou mal ventilés.
Présentation de l’étude
Selon Miltro et al. (2016), l’exposition populationnelle à certains composés, tels des phtalates (p. ex. agents plastifiants), des phénols (additifs pour résine de synthèse et solvants) et d’autres substances organiques contenant entre autres des halogènes (comme les retardateurs de flamme), est à présent bien documentée, notamment chez les populations vulnérables (femmes enceintes et enfants). Selon ces auteurs, l’exposition, tant ponctuelle que chronique, à ces substances est associée à une incidence accrue de problèmes du système reproducteur, de perturbations du système endocrinien, de retards comportemental et cognitif chez les enfants, de dysfonctions immunitaires, de prédispositions atopiques (tel l’asthme), de cancers et d’autres maladies chroniques.
Miltro et al. (2016) rapportent qu’il demeure difficile d’effectuer une caractérisation adéquate de la contamination moyenne des milieux intérieurs par les composés organiques semi-volatils (COSV), autant qu’une évaluation de l’exposition cumulative à ces dernières, compte tenu du fait que la majorité des études effectuées à ce sujet portent plus spécifiquement sur l’une ou l’autre de ces substances, et non pas sur les effets synergiques. De plus, les études recensées traitent généralement des échantillons populationnels de petite taille ou encore de certains sous-groupes de la population (enfants), ce qui limite grandement l’extrapolation des conclusions de ces études. Par ailleurs, une meilleure compréhension de l’exposition cumulée aux produits contenus dans les poussières permettrait de mieux anticiper les impacts sanitaires potentiels et de procéder à une priorisation du développement d’avenues de gestion au regard des composés jugés plus problématiques.
Les COSV regroupent des substances qui se dissipent et s’accumulent dans les milieux intérieurs, tant sous forme d’émanations gazeuses que de condensats (aérosols), avec une répartition entre ces deux phases qui évolue selon les conditions du milieu. La poussière présente dans les milieux intérieurs peut d’ailleurs constituer une matrice d’intérêt pour évaluer l’exposition des occupants à ces substances. Puisque les coefficients de partition à l’équilibre sont connus pour la majorité des molécules associées aux COSV, l’étude des poussières permet d’estimer l’exposition des occupants à ces dernières, et ce, tant par le biais de l’inhalation et de l’ingestion que du contact cutané. Cette exposition serait par ailleurs plus élevée chez les jeunes enfants puisqu’ils évoluent près du sol et ont tendance à porter leurs mains ainsi que divers objets à leur bouche.
C’est dans ce contexte que Miltro et al. (2016) ont entrepris de répertorier l’ensemble des données disponibles concernant la présence de COSV dans des poussières domestiques d’habitations américaines. Cette méta-analyse vise également à quantifier des concentrations moyennes pour chacune des cinq classes de COSV considérées (voir encadré) en vue d’estimer des doses d’exposition moyennes pour différentes populations et de discuter des risques sanitaires associés.
Composés organiques semi-volatils (COSV) communément rencontrés en milieu intérieur*
Phtalates
Les phtalates font partie d'une famille de produits chimiques constituée d'un cycle benzénique et de deux groupements carboxylates formant une structure de type diester. Leur usage à titre d’agent plastifiant demeure très répandu. Ils entrent d’ailleurs dans la composition de plusieurs produits de consommation (p. ex. adhésifs, détergents, fils et câbles électriques, produits cosmétiques, sacs de plastique, emballages alimentaires, imperméables en plastique, rideaux de douche, bottes, etc.).
Phénols
Les phénols sont des composés chimiques aromatiques comportant une fonction hydroxyle. Le composé le plus connu de ce groupe, le bisphénol A, est surtout utilisé comme additif aux résines époxydes et polycarbonates et dans la de contenants et de bouteilles en plastique destinés au secteur de l’alimentation.
Retardateurs de flamme
Cette classe de composés est généralement constituée de molécules organiques contenant des halogènes (habituellement du chlore ou du brome). Lorsqu’il y a dégagement de chaleur, ces composés se décomposent rapidement pour libérer des radicaux halogénés qui limitent la combustion et la propagation du feu. Ils sont couramment utilisés dans les boîtiers d’ordinateurs, les téléviseurs, les tissus, les matelas, les meubles rembourrés, etc.
Alkyls perfluorés
Les perfluorocarbures (ou hydrocarbures perfluorés) sont des composés halogénés gazeux de la famille des fluorocarbures. Très persistants et résistants à la dégradation, ils sont de plus en plus utilisés comme agents antiadhésifs (instruments de cuisson) et comme imperméabilisants ou agents antitaches sur les textiles et les tapis.
Fragrances synthétiques
Ces composés aromatiques polycycliques possèdent une odeur musquée, florale ou boisée, et sont utilisés dans les parfums, les eaux de toilette, les savons et les détergents.
* Regroupements proposés par Miltro et al. (2016).
Méthode
Les auteurs ont procédé, en février 2015, à une revue systématique de la littérature en vue d’identifier toutes les publications crédibles et pertinentes traitant des COSV associés aux matériaux et aux produits de consommation présents dans les poussières prélevées dans les milieux intérieurs. Seules les études publiées après l’année 2000 et portant sur des données récoltées sur le territoire américain ont été retenues. Aussi, il est à noter que les documents portant spécifiquement sur les sous-produits de combustion, les produits pharmaceutiques, les résidus de pesticides et les métaux n’ont pas été retenus aux fins de l’analyse.
La méta-analyse effectuée par Miltro et al. (2016) ne considère que les composés chimiques répertoriés dans trois études ou plus. De plus, seuls les résultats associés à une méthodologie de prélèvement et d’analyse complète ont été utilisés. Au total, les données issues de 26 documents, auxquelles s’ajoute une base de données non publiée, ont été intégrées à la méta-analyse. Cette démarche a permis aux auteurs de mettre en évidence 45 composés chimiques d’intérêt.
L’évaluation de l’exposition moyenne a été effectuée à partir de l’ensemble des données assemblées. Des coefficients de partition spécifiques à chacune des substances identifiées ont été employés afin de calculer (à l’aide de la Loi de Henry) les concentrations moyennes de ces produits qui pourraient se dégazer dans l’air intérieur à partir des poussières. Les moyennes géométriques des contaminants de même que différentes variables physiologiques ont ensuite été utilisées pour définir l’exposition quotidienne moyenne pour les femmes adultes et les enfants (de 3 à 6 ans), au regard de 3 voies d’exposition, soit l’ingestion de poussières, l’inhalation et l’absorption cutanée de la fraction volatilisée. Enfin, l’évaluation qualitative du risque sanitaire par rapport aux molécules les plus communément retrouvées en milieu intérieur a été effectuée à partir des informations publiées par le California Safer Consumer Products Candidate Chemical (SCP CC). Ces risques, rapportés de façon générique, sont classés selon les effets reconnus par les autorités fédérales, provinciales et territoriales des gouvernements nord-américains et européens.
Principaux résultats
La recherche de Miltro et al. (2016) a permis d’isoler 45 composés provenant d’études réalisées dans divers types d’environnements intérieurs (maisons, écoles, garderies, gymnases, etc.) répartis dans 14 États américains. Dix de ces composés étaient présents dans 90 % des échantillons, suggérant ainsi que la poussière des milieux intérieurs était constituée d’une mixture de substances, mais que certaines molécules étaient omniprésentes. Ainsi, certains produits de construction (tels les câbles et fils électriques), de même que des revêtements souples (p. ex. matériaux à base de vinyle), sont retrouvés partout aux États-Unis et constituent une source de contamination par des phtalates et des retardateurs de flamme dans la majorité des milieux intérieurs. En effet, les concentrations moyennes de phtalates étaient beaucoup plus élevées (de plusieurs ordres de grandeur) que les concentrations moyennes des autres COSV identifiés. Les phénols, les retardateurs de flamme ainsi que les fragrances avaient quant à elles des concentrations moyennes comparables, alors que les alkyls perfluorés étaient généralement retrouvés en plus faibles concentrations.
L’analyse des résultats montre une importante variabilité dans la nomenclature utilisée pour décrire les composés identifiés, de même que l’emploi d’une variété de méthodes d’échantillonnage, d’entreposage des échantillons, de techniques analytiques et de traitements des résultats (notamment au regard des concentrations en dessous du seuil de détection). De plus, puisque l’intensité des processus de sorption des COSV varie en fonction de la taille des poussières, cet aspect a pu moduler l’ampleur des concentrations rapportées.
Les auteurs ont également comparé la concentration de certains retardateurs de flamme retrouvés en milieu résidentiel et non résidentiel. Il s’avère que le Tris(1,3-dichloroisopropyl) phosphate (TDCIPP; composé organophosphoré) et le 2-Ethylhexyl 2,3,4,5-tetrabromobenzoate (EH-TBB; composé bromé récemment commercialisé) étaient présents en concentrations significativement plus élevées dans les milieux non résidentiels, alors qu’aucune différence n’a été observée au regard des autres molécules identifiées. Ce résultat serait probablement causé par la présence de fortes concentrations de ces molécules dans les poussières de gymnase et de casernes de pompier. Sans proposer d’explications supplémentaires, les auteurs précisent que le EH-TBB est un additif des retardateurs de flamme commerciaux (Firemaster® 550) couramment utilisé dans les mousses de polyuréthane flexibles et constituant notamment les coussins de mobiliers.
L’évaluation des doses d’exposition totales (pour les trois voies d’exposition) des occupants des milieux résidentiels, basée sur les moyennes géométriques calculées à partir des concentrations environnementales répertoriées, varie également de plusieurs ordres de grandeur selon l’étude. L’exposition relative, dont la caractérisation s’appuie sur des paramètres physiologiques et des comportements spécifiques distincts, s’avère plus élevée pour les enfants que pour les adultes. Les composés présents à de plus fortes concentrations dans les poussières contribuent également aux expositions totales les plus élevées. Le tris(2-chloroethyl) phosphate (TCEP; agent réducteur phosphoré utilisé comme retardateur de flamme) est la substance ayant l’exposition la plus élevée (> 1 mg/kg/j), suivi de composés associés aux phtalates (diethyl phthalate [DEP], di-2-ethylhexyl phthalate [DEHP], butyl benzyl phthalate [BBzP] et dibutyl phthalate [DnBP]) (> 0,1 mg/kg/j). L’air intérieur est décrit comme le plus important vecteur d’exposition à la forme gazeuse de substances, en raison du fait que l’inhalation et l’absorption cutanée contribuent à la plus importante fraction de la dose.
Toujours selon les auteurs, ces résultats vont dans le même sens que de récentes études indiquant que l’inhalation constituerait la principale voie d’exposition aux retardateurs de flamme chlorés. En contrepartie, les COSV pour lesquels l’exposition par ingestion de poussières est présumée plus importante sont associés aux plus faibles doses totales calculées. Par exemple, l’exposition aux fragrances synthétiques engendrerait des doses d’ampleur moyenne, et l’exposition aux alkyls perfluorés (PFAS), uniquement engendrée par l’ingestion, serait associée aux doses les plus faibles (< 1 x 10-3 mg/kg/j). En marge de ces expositions associées aux milieux résidentiels, les auteurs soulignent que les microenvironnements (tel l’intérieur des voitures) contribuent à l’exposition totale à certains retardateurs de flamme (dont TDCIPP et EH-TBB), et que les individus qui passent de nombreuses heures dans ce type d’environnement sont susceptibles d’être exposés à des doses plus importantes que celles spécifiquement calculées pour le milieu résidentiel. Il demeure toutefois important d’interpréter ces résultats avec discernement, car les scénarios d’exposition élaborés pour soutenir le calcul de doses demeurent assujettis à de nombreuses incertitudes.
Les auteurs de l’étude ont aussi dégagés 9 classes d’effets associés à 35 substances recensées et présentes sur les listes du SCP CC. L’exposition aux COSV répertoriés serait notamment susceptible d’engendrer des effets délétères sur le système reproducteur et le développement, en plus d’entraîner des perturbations endocriniennes et d’accroître le risque de cancers. Toutefois, seule une analyse quantitative permettrait d’apprécier l’ampleur réelle des risques potentiels. Les auteurs soulignent que ces associations sont principalement utiles pour identifier les substances dont l’exposition engendre des risques similaires et pour orienter les recherches au regard des substances susceptibles de causer une plus large variété d’effets.
Cette démarche de priorisation, s’appuyant sur l’identification des substances associées à des risques génériques plus élevés ou à une plus grande variété de risque, ne prend pas en compte la myriade de facteurs qui influencent la toxicité spécifique et combinée des COSV, tels que la biodisponibilité, la pharmacocinétique ou la relation dose-effet. En revanche, l’identification de substances qui sont présentes en fortes concentrations et qui présentent de nombreux risques, telles les phtalates (DEP, BBzp, DEHP, DnBP, dibutyl phthalate [DiBP]), justifie, selon les auteurs, que les instances sanitaires et réglementaires identifient des avenues de gestion pour limiter l’exposition de la population américaine à ces substances communément retrouvées dans la majorité des milieux intérieurs.
Conclusions et recommandations
En conclusion, Miltro et al. (2016) dressent une liste de recommandations utiles afin d’améliorer la compatibilité des données issues de nouvelles études qui pourraient être entreprises au sujet des COSV dans le but de limiter les hétérogénéités, les incohérences et les biais d’interprétation subséquents.
Ils recommandent notamment :
- d’utiliser des méthodes standardisées pour la collecte des poussières;
- d’acquérir des données démographiques concernant les occupants des milieux intérieurs investigués;
- de fournir des informations descriptives détaillées permettant de mieux comparer et agglomérer les données issues des études descriptives (p. ex. moment et lieu de la collecte des échantillons, fréquence de détection au-delà des limites de détection, etc.);
- d’étudier davantage les milieux intérieurs autres que résidentiels, tels que les véhicules, les environnements de travail, etc.;
- de favoriser des designs d’études robustes et statistiquement valides.
Les auteurs ont également identifié des avenues de recherche d’intérêt afin de poursuivre la réflexion concernant l’exposition des populations aux contaminants de l’air intérieur, dont :
- le développement de nouvelles approches dans les domaines de la toxicologie, de l’analyse de risque et de l’épidémiologie pour évaluer l’effet combiné des contaminants de l’air intérieur;
- l’identification de la présence de molécules émergentes et leurs effets sanitaires potentiels;
- la mise en place des stratégies de communication pour informer la population des risques associés à l’exposition à certaines substances et de certains produits de consommation;
- le développement de mesures réglementaires pour limiter l’exposition des populations à certains produits jugés préoccupants pour la santé.
Références
- Miltro, S. D., Dodson, R. E., SIngla, V., Adamkiewicz, G., Elmi, A. F., Tilly, M. K. et Zota, A. R. (2016). Consumer product chemicals in indoor dust : A quantitative meta-analysis of U.S. Studies. Environmental Science and Technology, 50(19), 10661-10672. Repéré à http://hsrc.himmelfarb.gwu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1195&context=sphhs_enviro_facpubs
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