Vaccination contre l’hépatite virale A suite à une éclosion à Nunavik

Avis du Comité sur l'immunisation du Québec

Mise en contexte faite par la direction de la santé publique du Nunavik et questions

Une éclosion d’hépatite virale A (HVA) sévit dans une communauté du Nunavik depuis le mois de septembre 2021. En date du 13 décembre 2021, 19 cas ont été déclarés. Tous les cas se retrouvent chez deux groupes d’âge qui n’ont pas bénéficié de l’offre vaccinale du calendrier régulier de vaccination ou des campagnes de vaccination massives ayant précédemment eu lieu dans la région.

Parmi les 19 cas, 15 (79 %) sont des enfants âgés de 2 à 9 ans et 4 (21 %) sont des adultes âgés de 41 à 47 ans; 12 (63 %) des 19 cas sont de sexe féminin. Une proportion importante, 69 % (13 cas), ont nécessité une hospitalisation, dont tous les adultes et 9 enfants sur 15. Parmi les cas hospitalisés, 4 ont aussi nécessité un transfert à Montréal (3 adultes et 1 enfant). Environ un tiers des cas (37 %, n = 7) ont reçu une dose de vaccin entre 2 à 17 jours avant de débuter leurs symptômes.

Lors des enquêtes auprès des cas, 113 contacts ont été identifiés, avec une moyenne de 8,6 contacts par cas. Un petit peu moins de la moitié des contacts (n = 48 (42 %)) partagent le domicile d’un cas et plus de la moitié (n = 65 (58 %)) partagent fréquemment des repas dans le domicile d’un cas. Un total de 67 (59 %) contacts étaient vaccinés avant l’exposition. La majorité des enfants infectés ont été retirés de l’école jusqu’à fin de la période de contagiosité.

Les contacts non vaccinés (n = 46) ont bénéficié d’une offre de prophylaxie post-exposition (PPE) : 29 ont reçu le vaccin contre le VHA; 2 contacts âgés de moins de 6 mois ont reçu des immunoglobulines; 6 contacts ou leur parent ont refusé la PPE et 9 contacts étaient en attente de PPE en date du 13 décembre.

La source initiale d’acquisition de l’infection n’a pas été identifiée et à la lumière des enquêtes, il y a évidence d’une transmission de personne à personne. Par ailleurs, les gens du Nunavik aiment beaucoup se visiter et partagent fréquemment de la nourriture. De plus, les voyages intercommunautés sont relativement fréquents même en temps de pandémie.

Dans le cadre de l’éclosion, une investigation sur la couverture vaccinale a permis de déceler que certains groupes d’âge n’avaient pas bénéficié d’une offre vaccinale contre l’HVA auparavant. La vaccination contre l’HVA est faite en milieu scolaire depuis 2013, le vaccin combiné HAHB étant administré en quatrième année du primaire. Depuis juin 2019, le vaccin HAHB est administré à l’âge de 18 mois et il continue d’être administré en quatrième année du primaire. Ainsi, les enfants de 8 ans et moins n’ont pas été vaccinés. La vaccination scolaire a été perturbée par la pandémie de COVID-19 et il est possible que les enfants de 9-10 ans n’aient pas été vaccinés contre l’HVA.

Des campagnes de vaccination massive contre l’HVA ont été offertes au Nunavik en 1997 et en 2002(1). Cependant, les adultes âgés de 40-50 ans semblent avoir échappé à ces campagnes de vaccination historiques, créant un bassin d’adultes non immuns d’où proviennent les 4 cas adultes de l’éclosion.

Une stratégie de vaccination ciblée a été déployée auprès des gens de la communauté touchée. La vaccination a eu lieu à l’école primaire et à la garderie et a permis de vacciner 52 enfants de 6 mois à 4 ans et 139 enfants de 5 à 9 ans précédemment non vaccinés contre l’HVA. Parmi les adultes, les personnes non vaccinées appartenant à des groupes ayant un plus grand risque d’attraper ou de transmettre le VHA ont reçu le vaccin : les manipulateurs d’aliments (restaurant, épicerie, garderie, école primaire et personnes de la communauté qui vendent régulièrement des plats cuisinés sur les réseaux sociaux); les travailleurs sur le camion d’eaux usées, ainsi que les éducatrices des 2 garderies touchées. Au total, 14 personnes adultes non protégées (n’ayant reçu aucune dose ou ayant reçu 1 seule dose) et 12 personnes dont le statut vaccinal était inconnu ont été ciblées (couverture vaccinale parmi les personnes ciblées de 70 %).

La vaccination des adultes nés entre 1970 et 1981 est en planification pour la suite.

Pour la confirmation de laboratoire, 11 des 19 cas ont eu un génotypage au LNM et tous présentent le génotype 1A. Ce génotype est similaire aux cas des éclosions d’HVA qui ont eu lieu en 2021 en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Ontario. Un séquençage complémentaire des cas provenant des autres provinces et des premiers cas de l’éclosion a aussi été effectué. L’analyse d’un total de 1 005 des 7 478 nucléotides du VHA (vs 460 nucléotides selon le protocole régulier) a confirmé qu’ils étaient identiques. Huit cas n’avaient pas encore été séquencés en date du 13 décembre 2021.

Les deux questions adressées au CIQ :

  1. Dans la communauté touchée, l’offre de vaccination ciblée devrait permettre d’améliorer la couverture vaccinale de la population. Outre ces groupes de personnes, serait-il indiqué d’offrir la vaccination au reste de la communauté?
  2. Considérant que le Nunavik n’est pas à l’abri d’éclosions dans de nouvelles communautés, que les déplacements intercommunautés des résidents du Nunavik sont fréquents et que les caractéristiques régionales liées notamment aux habitudes de vie favorisent la transmission de l’infection, serait-il approprié d’offrir la vaccination aux personnes dans les groupes d’âge ayant été manqués par les programmes de vaccination déjà déployés au Nunavik soit les enfants de 12 mois à 9 ans et les personnes nées entre 1970 et 1981 des 13 autres communautés du Nunavik? Ou serait-il indiqué de s’orienter vers une vaccination plus large et l’offrir à tous?

Réponses du CIQ

Le CIQ a discuté de la situation épidémiologique de l’hépatite virale A (HVA) dans une communauté de la région de Nunavik durant les rencontres du 14 et du 21 décembre 2021. La communauté respective a enregistré entre le 28 septembre 2021 et le 13 décembre 2021 19 cas d’HVA. La majorité des cas (3/4) sont survenus chez des enfants âgées de 2 à 9 ans. Comme l’hépatite A est souvent peu symptomatique ou asymptomatique chez les jeunes enfants, la proportion extrêmement élevée de cas hospitalisés et la distribution d’âge des cas de cette éclosion suggèrent qu’une proportion importante des cas n’a pas été diagnostiquée et rapportée.

Les membres de CIQ constatent qu’au Nunavik, il existe des facteurs qui favorisent la transmission du virus de l’hépatite virale A. Plus spécifiquement : le nombre de personnes par logement est élevé; la proportion d’enfants dans les communautés est importante (24 % de la population sont des enfants de moins de 9 ans au Nunavik, en comparaison avec 11 % dans le reste du Québec), l’approvisionnement en eau est décentralisé et il n’y a pas de système d’égout(2,3). De plus, les coutumes locales (le partage de la nourriture, la consommation de viande crue), l’organisation sociale impliquant des groupes d’habitants assez nombreux et des voyages fréquents entre les communautés de la région sont des facteurs qui augmentent le risque de propagation du virus de l’hépatite A dans les autres communautés du Nunavik.

Une très bonne immunité contre l’hépatite A peut être acquise, soit par une infection antérieure ou par la vaccination. Malgré la vaccination régulière en place depuis plusieurs années en 4e année du primaire, l’ajout depuis 2019 de la vaccination des jeunes enfants de 18 mois et les campagnes massives de vaccination organisées dans les années précédentes, il est fort probable qu’une certaine proportion de la population de moins de 40 ans ciblée lors de ces campagnes n’ait pas été vaccinée. Par ailleurs, même si certaines personnes de 50 ans et plus bénéficient d’une immunité acquise lors d’une infection précédente, il est peu probable que toutes les personnes de ce groupe d’âge soient protégées. La proportion de personnes non protégées incluant leur distribution géographique et par groupe d’âge est inconnue. Il est important de souligner que les adultes non immuns sont plus susceptibles de faire des formes graves de la maladie, étant donné que le risque des formes graves augmente avec l’âge(4). Une sévérité accrue de l’HVA a aussi été rapportée chez des jeunes Inuits en comparaison avec d’autres ethnies de même âge(5).

Les vaccins contre l’HVA sont très efficaces et sécuritaires et ils ont été utilisés avec succès pour la prévention des épidémies et pour contrer des éclosions dans les régions de l’Arctique(6).

On peut estimer grossièrement le nombre de personnes vulnérables au Nunavik. Dans la communauté impliquée dans l’éclosion actuelle, les cohortes de naissance non couvertes jusqu’à présent par la vaccination contre l’HVA incluent environ 200 enfants de 1 à 9 ans, 110 adultes de 40 à 49 ans et un nombre incertain de personnes de 10 à 39 ans qui n’ont jamais été vaccinées. Si la vaccination est offerte aux mêmes cohortes de naissance dans toutes les communautés de Nunavik, le nombre de personnes à vacciner serait d’environ 1 700 enfants et 1 400 adultes. De plus, il y a environ 1 500 personnes âgées de 50 ans et plus(3) pour qui le statut anti-HVA est inconnu pour le moment. Le vaccin contre l’hépatite A est très sécuritaire et son administration à des personnes qui ont déjà fait l’infection ne risque pas de causer de manifestations cliniques inhabituelles importantes. La faisabilité et l’acceptabilité par la population de la vaccination de masse contre l’HVA au Nunavik ne semblent pas poser de problèmes importants et cette vaccination pourrait être réalisée lors de la campagne de vaccination contre la COVID-19.

Dans ce contexte, le CIQ recommande :

  1. De vacciner contre l’HVA les cohortes d’enfants et d’adultes de la région du Nunavik qui n’ont pas profité d’une telle vaccination jusqu’à présent, soit les enfants de 18 mois à 9 ans et les adultes nés entre 1970 et 1981.
  2. Offrir la vaccination contre l’HVA aux personnes appartenant aux autres cohortes de naissances de la région du Nunavik qui sont non vaccinées ou avec un statut vaccinal inconnu.

Références

  1. Duval B. La vaccination contre l’hépatite A au Nunavik. Québec: Institut national de santé publique du Québec; 2001 sept, 3 p.
  2. Régie régionale de la santé et des services sociaux Nunavik. Portrait de santé Nunavik - Conditions démographiques et socioéconomiques [Internet]. 2011. Disponible sur: https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1588_PortraitSanteNunavik2011_…
  3. Statistique Canada. Profil du recensement, Recensement de 2016 [Internet]. 2019. Disponible sur: https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/prof/index.cf…
  4. Kim JI, Kim YS, Jung YK, Kwon OS, Kim YS, Ku YS, et al. Factors influencing the severity of acute viral hepatitis A. Korean J Hepatol. 2010;16(3):295.
  5. Pekeles G, McDonald J, Schreiber R, Allen R. Epidemic of Hepatitis A in Young Inuit Associated with High Incidence of Fulminant Hepatitis and Renal Insufficiency [Internet]. 1994. Disponible sur: https://arctichealth.org/media/pubs/102262/93-14-09.pdf
  6. McMahon BJ. Viral hepatitis in the Arctic. Int J Circumpolar Health. 2004;63(sup2):41-8.
Avis court du CIQ nº : VHA / 2021 / 168
Date de réception de la demande d'avis : 2021-12-09
Demandeur : Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik
Date de production de l'avis : 2021-12-11 et 2021-12-19
Avis discuté par le CIQ le : 2021-12-21
Avis approuvé par le CIQ le : 2021-12-21

Auteur : Vladimir GilcaGaston De Serres

Collection : Avis courts du CIQ

Date de publication : 10 janvier 2022