25 août 2003

La gestion des risques en santé publique – Cadre de référence québécois

Article
Auteur(s)
Maurice Poulin
Institut national de santé publique du Québec
Sylvie Ricard
Institut national de santé publique du Québec
Gilles Delage
Héma-Québec
Bernard Duval
Institut national de santé publique du Québec
Robert Plante
Direction de santé publique de la Capitale nationale
Alain Poirier
Institut national de santé publique du Québec
Marc Dionne
Institut national de santé publique du Québec

La santé publique est confrontée de plus en plus fréquemment à des situations impliquant une gestion des risques, souvent complexes, empreints d’incertitudes et controversés. Face à de telles situations et en absence de cadre de référence précis, le réseau québécois de la santé publique a réagi au cours des années de façon très variable. Dans ce contexte, une harmonisation des pratiques de gestion du risque dans le réseau devient de plus en plus indispensable.

Le présent cadre de référence est issu des travaux d’un comité pluridisciplinaire de l’Institut national de santé publique du Québec. Il jette les bases à l’atteinte d’une plus grande cohérence, tant interrégionale qu’interdisciplinaire, dans les pratiques de gestion des risques pour la santé. Son contenu est assez général pour s’appliquer à un large éventail de situations et à toutes les disciplines concernées.

Il s’adresse à toutes les personnes concernées par la gestion des risques dans le réseau québécois de la santé et constitue un guide pour les décideurs et les professionnels du réseau quant à la façon de gérer les risques pour la santé et de prendre des décisions éclairées relatives à ces risques. Cet article aborde les deux composantes du cadre soit le processus de gestion des risques et les principes directeurs guidant et encadrant la conduite dans la démarche de gestion des risques. Quelques exemples concrets tirés d’expériences vécues en santé environnementale illustrent ces principes directeurs.

Processus proposé

La gestion du risque est un processus qui couvre l’ensemble des étapes qui s’appliquent à la définition du problème et de son contexte, à l’évaluation des risques, à l’identification et à l’examen des options de gestion des risques, au choix de la stratégie, à la mise en œuvre des interventions, à l’évaluation des interventions ainsi qu’à la communication des risques. Le but de ce processus est d’intégrer de manière scientifiquement valable et économiquement efficiente les actions de réduction ou de prévention du risque en considérant les aspects sociaux, culturels, éthiques et légaux.

Le processus proposé pour la gestion des risques en santé publique est basé sur une approche structurée et intégrée. Il s’inspire de celui adopté par la Presidential/Congressional Commission on Risk Assessment and Risk Management des États-Unis et par Santé Canada. Il est constitué de plusieurs phases interreliées : la définition du problème et de son contexte, l’évaluation des risques, l’identification et l’examen des options de gestion des risques, le choix de la stratégie de gestion, la mise en œuvre des interventions, l’évaluation du processus et des interventions (figure 1).

Figure 1. Processus de gestion des risques

Le processus laisse une place prépondérante et centrale à la communication du risque. Il doit également être appliqué en tenant compte de la nécessité de mettre en place des mécanismes de coordination et de concertation, d’adapter son intensité et son étendue selon la situation, et de permettre la révision de phases particulières selon les besoins.

Les principes directeurs

Les principes directeurs sont des règles générales qui guident et encadrent la démarche de gestion des risques. Le fait d’ériger et d’adopter ces règles leur confère une importance particulière dans la gestion des risques pour la santé et reflète la philosophie sur laquelle s’appuie la prise de décisions1. Les principes directeurs servent de guide dans le processus décisionnel plutôt que de prescription. Leur application n’est donc pas un mécanisme, mais requiert plutôt de la flexibilité et un jugement professionnel. Le poids qui est accordé à chacun peut différer selon les contextes et ces principes directeurs doivent être perçus comme une base d’arbitrage qui se prête aux discussions et aux débats.

Les principes sont présentés ci-après par ordre alphabétique et non pas selon une hiérarchisation ordonnée; chacun d’eux est libellé et décrit de manière succincte. L’application des principes est dans certains cas illustrée par un exemple reflétant le plus possible une situation de gestion des risques susceptible de survenir en santé environnementale.

Appropriation de ses pouvoirs2-6

La gestion des risques par la santé publique doit favoriser le renforcement de la capacité des individus et des collectivités à prendre des décisions éclairées et à agir quant aux risques qui les concernent5,7,8.

Le principe d’appropriation de ses pouvoirs est intimement lié au principe éthique d’autonomie qui reconnaît la valeur de la personne humaine. Il met l’accent sur le développement du jugement personnel, du discernement, et donc, de la faculté de choisir. Il permet de respecter la capacité d’autodétermination de la grande majorité des citoyens, plus précisément leur compétence à décider ce qui est bien et souhaitable pour eux dans tous les domaines les concernant directement, de même que leur compétence à définir leurs propres priorités et la hiérarchisation des valeurs3. Il reconnaît aussi leur capacité d’autogestion, c’est-à-dire leur aptitude à régir leur conduite et à prendre les mesures appropriées pour se prémunir des risques qui les concernent.

Dans un contexte de santé publique, l’autonomie doit être associée non seulement à l’individu, mais également aux collectivités.

Prise en charge de la lutte à la rhinite allergique

Le pollen de l’herbe à poux est le principal agent responsable de la rhinite allergique saisonnière (fièvre des foins) qui atteint plus de 10 % de la population québécoise et qui entraîne des coûts évalués à plus de 49 millions de dollars par année.

On doit au Dr Elzéar Campagna, professeur de l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, les premières initiatives visant l’éradication de l’herbe à poux dans la région de la Gaspésie. Ces premières campagnes se sont déroulées de 1936 à 1945 et ont mis à contribution des écoliers, des agronomes et des agriculteurs locaux. À Montréal, des campagnes ont été menées dans les années 1950 par le Cercle des jeunes naturalistes. Entre 1984 et 1988, des membres de sociétés horticoles de la région de Québec sensibilisent la population au problème de l’herbe à poux. Alarmé par l’ignorance largement répandue concernant cette plante et ses méfaits sur la santé, ce groupe de bénévoles fonde, en 1989, l’Association de lutte contre l’Ambrosia (A.L.C.A.), toujours active aujourd’hui. Ainsi, au fil des ans, de multiples organisations, citoyens et groupes se sont impliqués : des municipalités, les communautés urbaines de Montréal et de Québec, le réseau de la santé publique, l’Association de lutte contre l’Ambrosia, des centres de recherche, etc.

Face à l’ampleur que représente la problématique de l’herbe à poux, il apparaît au cours des années 1990, que seule une action concertée intersectorielle d’envergure, ciblant les principaux acteurs-clés, est prometteuse, assurant ainsi une suite logique aux orientations prises par plusieurs directions de santé publique (DSP). Appuyée d’une part par cette volonté d’action et d’autre part par le besoin de soutenir et d’enrichir les actions locales et régionales, la « Table québécoise sur l’herbe à poux » est créée en 1999 sous l’impulsion des DSP afin de faciliter l’arrimage entre les principaux partenaires provinciaux et ainsi, améliorer l’efficacité et la portée des interventions des partenaires interpellés par cette problématique. Ainsi, après une appropriation de leurs pouvoirs par les citoyens, c’est maintenant au tour des décideurs des gouvernements locaux et provinciaux, en passant par les grands propriétaires corporatifs à adhérer à la démarche du contrôle de l’herbe à poux et à viser l’amélioration de la santé de la population. La création de la Table québécoise sur l’herbe à poux a permis un pouvoir d’action accru pour les Québécois et semble aujourd’hui la piste d’intervention la plus prometteuse.

Équité3,4,8

La gestion des risques par la santé publique doit garantir la juste répartition des bénéfices et des inconvénients des risques au sein des communautés5,9.

Le fait qu’une meilleure distribution de la richesse collective et une plus grande justice dans l’exposition aux facteurs de risque soient une prémisse à l’amélioration de l’état de santé de la population constitue l’un des principes sur lequel repose la santé publique. L’équité implique, d’une part, la juste distribution des coûts et des bénéfices dans la société (taxes, ressources, privilèges) et, d’autre part, le juste accès à ces ressources.

L’application de ce principe exige que l’on tende vers une plus grande harmonisation provinciale et une réduction des disparités régionales et interdisciplinaires des pratiques de gestion des risques. Pour ce faire, des efforts d’évaluation, de coordination et de concertation sont requis dans le réseau de la santé publique pour en arriver à une compréhension commune de certaines problématiques de risques pour la santé.

L’objectif de la gestion des risques n’est pas de distribuer ces derniers de manière égalitaire (répartition uniforme), mais bien d’éliminer les risques en étant juste et équitable dans les façons de faire. Dans ce contexte, il faut éviter de faire peser le fardeau des inconvénients ou d’offrir les bénéfices toujours aux mêmes personnes ou sous-groupes de la population. Ceci implique que les décisions doivent être équitables et qu’elles doivent être adaptées selon le contexte en cause, sans discrimination ni étiquetage social. Les décisions prises doivent donc être pondérées en fonction de certaines populations ou caractéristiques des personnes.

La planification des mesures d'urgence nucléaire au Québec

Dans le domaine de la planification de mesures d’urgence nucléaire, l’application du principe d’équité veut que la société québécoise, qui retire des bénéfices de la centrale nucléaire Gentilly 2 par le fait qu’elle produit environ 3 % de l’électricité consommée au Québec annuellement, accepte de protéger raisonnablement la population à risque d’être exposée par des rejets radioactifs qui pourraient être émis à l’environnement lors d’un accident. Pour ce faire, la société investit financièrement par le biais de ses gouvernements dans la planification et la préparation aux urgences nucléaires visant la protection de la population à risque10.

Ouverture1,9,11-14

La gestion des risques par la santé publique doit permettre aux parties intéressées et touchées de participer au processus afin qu’elles puissent exprimer leur point de vue, faire connaître leurs perceptions et leurs préoccupations face à la situation, contribuer à la recherche de solutions et influencer les décisions de gestion1,12.

Au nom du principe d’ « ouverture », une communication réciproque soutenue doit être amorcée le plus tôt possible entre les gestionnaires du risque et les parties intéressées et touchées. Les gestionnaires doivent s’assurer de la réception des informations et de leur considération dans le processus de gestion des risques. Ce faisant, ils doivent accorder une place prépondérante aux opinions émises par les parties concernées.

La participation du public répond à la volonté de la population de participer davantage et d’être mieux associée aux débats sur les risques. Elle favorise également l’augmentation de la crédibilité des institutions responsables de la gestion des risques et de la confiance des citoyens envers ces institutions. Elle constitue une précieuse source d’information pour les gestionnaires de risques et rend possible notamment la prise en compte des valeurs, des perceptions et des préoccupations de la population face à la problématique de gestion de risques.

La participation du public favorise la convergence de la compréhension des multiples facettes du risque (vocabulaire, perception, estimation scientifique, etc.), et permet, le cas échéant, de réconcilier des interprétations contraires sur la nature, la gravité et la probabilité de survenue du risque. Ce processus permet également d’évaluer l’acceptabilité sociale des risques, de l’option envisagée et du risque résiduel.

L’identification des conditions favorables à la mise en œuvre des interventions, avec l’aide de ceux qui sont directement concernés, permet d’éviter de se heurter à des résistances au moment de leur implantation. Les participants sont plus enclins à accepter et à mettre en œuvre des décisions de gestion de risque lorsqu’ils ont participé à leur élaboration. De plus, le principe d’ouverture sous-tend la nécessité de s’ajuster en fonction de la situation particulière à laquelle on fait face. Mieux harmonisées avec les attentes de la société, les décisions sont implantées avec plus de succès et sont plus durables, générant du même coup des économies de temps et de coûts financiers pour la mise en œuvre des interventions.

Primauté de la protection de la santé humaine3,6,15-17

La gestion des risques par la santé publique doit accorder la priorité à la protection de la santé humaine1.

La protection de la santé humaine fait partie intégrante de la mission de la santé publique et constitue un des principaux objectifs visés par les actions du réseau de santé publique. Dans le contexte de gestion des risques, la protection de la santé humaine est vue de manière globale en incluant les notions de maintien et d’amélioration de la santé et de la sécurité des populations et de prévention des maladies3,6,15-17. Par ce principe, la gestion du risque doit être menée de façon à ce que les actions entreprises génèrent des impacts positifs supérieurs aux impacts négatifs.

Ce principe directeur implique l’évaluation des conséquences potentielles, positives et négatives, au plan social, économique et politique des options de gestion des risques et le choix de celles qui peuvent entraîner une réduction globale des risques pour la santé de la population en général. À titre d’exemple, la fermeture d’une industrie polluante pourrait engendrer des bénéfices pour la santé de la population, mais entraîner du même coup des pertes d’emplois et des effets négatifs sur la santé, tels des impacts psychosociaux. Il faut donc tendre à choisir les options de gestion du risque dont les impacts sont davantage bénéfiques que négatifs et à cette fin, les conséquences potentielles, positives et négatives, doivent toujours être évaluées.

Ce principe met en évidence que le rôle des gestionnaires de risque en santé publique consiste à apporter un éclairage sur les aspects de santé et à se positionner en faveur de la protection de la santé humaine dans les débats auxquels prennent part des gestionnaires de différentes organisations. Ce faisant, les intervenants de santé publique n’ignorent toutefois pas que des préoccupations d’un autre ordre (économiques, par exemple) peuvent être mises dans la balance et que la gestion intersectorielle des risques fera l’objet d’une pondération entre divers intérêts; ils sont cependant les «avocats de la santé».

Prudence1,15,17-20

La gestion des risques par la santé publique doit prôner la réduction ou l’élimination des risques chaque fois qu’il est possible de le faire et l’adoption d’une attitude vigilante afin d’agir de manière à éviter tout risque inutile. Cette attitude s’exerce tant dans un contexte de relative certitude (prévention) que d’incertitude scientifique (précaution)1,15.

La prudence est un concept englobant qui fait référence à une attitude qu’il importe de maintenir tant dans les contextes de relative certitude que d’incertitude scientifique dans les domaines de la prévention comme de la précaution. Cette attitude consiste à apercevoir à l’avance les dangers et à agir de manière à éviter tout risque inutile21 ; elle prescrit aussi la réduction ou l’élimination des risques chaque fois qu’il est possible de le faire.

La prévention et la précaution se définissent comme un ensemble d’activités qui visent à intervenir le plus précocement possible afin de réduire les facteurs de risque et leurs conséquences pour la santé et la sécurité humaine, de renforcer les facteurs de protection et de détecter les signes hâtifs de problèmes dans le but de les contrer. La prévention et la précaution se distinguent par le niveau de certitude qui entoure les risques considérés. Ainsi, la prévention cherche à éviter des risques avérés, i.e. des risques connus, éprouvés et associés à un danger établi dont l’existence est certaine et reconnue comme étant authentique. Quant à la précaution, elle vise à éviter des risques potentiels, i.e., des risques mal connus, entachés d’incertitude, et associés à un danger hypothétique, mais jugé plausible.

La prudence appliquée dans un contexte d’incertitude scientifique, i.e. la précaution, veut que des mesures préventives soient prises lorsque des preuves raisonnables indiquent que la situation pourrait produire des effets nocifs importants sur la santé, même lorsque les causes et les effets n’ont pas été démontrés scientifiquement (à cause d’informations scientifiques incomplètes, peu concluantes ou incertaines).

Ainsi, la précaution fournit des indications sur la voie à suivre lorsque la science ne peut apporter de réponses suffisantes et précises. La précaution n’est toutefois pas une alternative à la science ; elle exige au contraire beaucoup de rigueur dans l’application du processus. En fait, le processus doit être extrêmement rigoureux lorsque le niveau d’incertitude est élevé, ce qui n’implique pas que le relâchement soit justifié dans des situations de risques mieux connus. C’est avec discernement qu’il faut utiliser ce principe, en tenant compte de la gravité du risque potentiel.

Il est essentiel de se rappeler que l’absence de risque est souvent difficile à prouver hors de tout doute. Ceci ne doit pas être invoqué pour justifier que soient tolérées des expositions possiblement dangereuses ou démontrées comme telles. Plus le danger est grand ou les risques élevés ou sévères, plus il faut promouvoir la recherche qui permettra de réduire l’incertitude entourant ce risque. Les résultats de ces efforts de recherche doivent être assujettis à une validation par des pairs et être divulgués d’une manière transparente. Lorsque les nouvelles connaissances confirment qu’il s’agit d’un risque réel ou avéré, les comportements prudents passent dans le registre de la prévention plutôt que de la précaution ; si ces connaissances tendent à démontrer que les risques appréhendés n’existent pas, les mesures de précaution sont levées.

Si une telle attitude prudente est adoptée dans le domaine de la précaution, i.e. dans les situations où l’incertitude scientifique prédomine, elle doit l’être à plus forte raison dans les circonstances où l’incertitude est réduite, i.e. en prévention.

La façon de communiquer l’information auprès de la population prend une importance capitale lors de l’application de la prudence tant dans un contexte de prévention que de précaution. Dans le contexte où les risques sont connus et certaines mesures de réduction des risques déjà prises, les messages de prévention transmis doivent toutefois être clairs quant au fait que les mesures proposées offrent une protection supplémentaire. En ce qui a trait aux messages concernant les mesures prises dans un contexte de précaution, ils doivent notamment être transparents quant au degré d’incertitude qui entoure l’évaluation des risques.

La désinfection de l'eau de consommation

La désinfection de l’eau a pour but de détruire les microorganismes pathogènes susceptibles d’être transmis par l’eau de consommation. Le désinfectant chimique le plus couramment utilisé pour l’eau potable est le chlore. Son utilisation (et celle d’autres procédés de traitement) entraîne la formation de sous-produits de désinfection lorsque les désinfectants chimiques utilisés réagissent avec la matière organique présente dans l’eau.

Des études épidémiologiques font état de relations entre des sous-produits de désinfection et certains cancers (vessie, côlon) et des issues défavorables de la grossesse. Quoiqu’il demeure encore bien des incertitudes dans les connaissances à cet effet, ces informations ne sont pas sans soulever des craintes dans la population. Certains individus remettent parfois en question l’utilisation de désinfectants chimiques dans l’eau destinée à la consommation. Les experts sont cependant généralement unanimes sur la primauté des bienfaits et des avantages de prévention des maladies infectieuses d’origine hydrique sur les risques potentiels de cancérogénicité des sous-produits de la désinfection. Il s’agit ici d’un exemple où la décision de maintenir une action préventive face à un danger bien documenté a prévalu. Des mesures de précaution ont tout de même été prises afin de réduire l’exposition de la population aux sous-produits de désinfection (ex. abaissement de la norme de trihalométhanes dans l’eau), sans compromettre toutefois la désinfection de l’eau.

Rigueur scientifique1,9,12,19,20,22-25

La gestion des risques par la santé publique doit être basée sur les meilleures connaissances disponibles, reposer sur des avis scientifiques d’experts issus de toutes les disciplines pertinentes, considérer les points de vue minoritaires et les opinions provenant de diverses écoles de pensées et suivre une démarche structurée systématique1,9,12,19,24.

Ce principe stipule que la gestion des risques doit s’appuyer sur les meilleures connaissances disponibles et leur traitement selon les règles reconnues de la méthode scientifique. Elle doit reposer sur des informations factuelles et sur la démonstration scientifique de ces faits. L’opinion des experts ne doit pas se substituer à la démonstration scientifique. La gestion des risques doit toutefois prendre en compte une évaluation complète et objective de ce qui est connu, de ce qui ne l’est pas et de ce que la science ne peut connaître actuellement. Plus particulièrement, les avis scientifiques doivent être fondés sur toute l’information pertinente disponible, valide et digne de foi sur le plan scientifique.

La rigueur scientifique prône l’intégrité dans le processus de gestion des risques par la considération des avis scientifiques fournis par des experts indépendants et l’utilisation de moyens pour se prémunir contre les conflits d’intérêts. L’application de ce principe dans le processus de gestion des risques aide à renforcer la confiance du public envers les gestionnaires de risques en ce qui a trait à l’utilisation de la science au mieux des intérêts de la population. Elle aide également à augmenter la crédibilité envers la science et la confiance des décideurs à l’égard des avis scientifiques produits1.

Transparence

La gestion des risques par la santé publique doit assurer un accès facile et le plus rapide possible à toute l’information critique et à toutes les explications pertinentes pour les parties intéressées et touchées, tout en respectant les exigences légales de confidentialité1,9,12,16,26.

Il revient aux gestionnaires de risques qui détiennent l’information pertinente sur les risques de s’assurer qu’elle soit livrée le plus rapidement possible aux parties intéressées et touchées et de garantir un accès facile à cette information. La transparence implique de dire la vérité aux individus comme aux groupes d’intérêt et de s’assurer que l’information ne soit pas filtrée, déformée ou manipulée de façon à la rendre incompréhensible ou biaisée. L’information transmise doit porter sur toute l’information pertinente pour les parties intéressées soit sur le risque lui-même, les mesures qui sont prises ou envisagées pour le traiter, ou tout autre aspect utile. La communication honnête des informations présuppose la diffusion auprès de la population de ce qui est et n’est pas connu, et de ce qui peut et ne peut pas être réalisé dans le cadre du processus de gestion des risques. Elle permet de ne pas promettre plus que ce qui peut être accompli et ainsi d’éviter des attentes irréalistes de la part de la population en regard de la gestion des risques. Les personnes qui examinent la documentation devraient pouvoir comprendre comment et pourquoi des actions ont été prises, savoir quels processus décisionnels ont été utilisés et qui a la responsabilité des différentes activités et décisions.

Évaluation des risques toxicologiques associés aux contaminants atmosphériques émis dans la zone industrielle de Bécancour

La présence d’un nombre anormalement élevé d’anomalies congénitales survenues sur une période de deux ans (1987-1989) dans le secteur Gentilly de la Ville de Bécancour (Québec) a suscité une grande inquiétude dans la population face aux effets néfastes possibles des contaminants rejetés par les industries du Parc industriel et portuaire de Bécancour et par la centrale nucléaire de Gentilly. L’enquête épidémiologique et l’investigation systématique des expositions prénatales ont conclu à une prévalence d’anomalies ano-rectales statistiquement plus élevée à Gentilly comparativement aux populations de référence, mais n'ont pas permis de démontrer l’existence d’un agent causal commun. Ces études ont également mis en lumière un manque évident d’information concernant la nature des émissions industrielles et l’exposition de la population à ces substances.

Afin de recueillir les données pertinentes et de répondre aux attentes de la population réclamant plus d’information quant aux risques encourus, les partenaires de la Ville de Bécancour, du gouvernement du Québec et de l’entreprise privée se sont concertés au début des années 90 pour mettre en œuvre une étude visant l’évaluation des risques toxicologiques associés aux contaminants atmosphériques émis dans la zone industrielle de Bécancour. La rigueur du processus d’évaluation des risques a été assurée par la mise sur pied d’un comité d’experts parmi les plus notoires dans le domaine. Basée sur une méthode éprouvée et sur des paramètres adéquats, l’évaluation des risques a permis de dégager des résultats concluants. Elle a permis d’affirmer, avec toutes les nuances et l’analyse des limites méthodologiques que la rigueur scientifique impose que « les concentrations présentes dans l’air n’entraînaient pas de risques supplémentaires décelables pour les populations des agglomérations de Bécancour et de Gentilly ».

La transparence a des répercussions positives en incitant les gestionnaires de risques à accroître la qualité de l’information susceptible d’être rendue publique. À long terme, une transparence accrue peut aider à bâtir la crédibilité des institutions publiques et augmenter la confiance de la population à leur égard. Grâce à une meilleure compréhension des fondements des décisions, elle peut accroître également la crédibilité des décisions qui sont prises concernant les risques pour la santé.

Conclusion

La réalisation d’un cadre de référence en gestion des risques pour la santé constitue une première étape essentielle à une amélioration et une harmonisation des pratiques en gestion des risques dans le réseau québécois de santé publique. Bien que certains principes directeurs apparaissent comme une évidence dans la gestion des risques pour la santé, leur identification permet de s’entendre sur les définitions et de reconnaître leur influence sur les décisions et sur la gestion des risques dans son ensemble. L’ensemble des professionnels du réseau de santé publique sont encouragés à s’approprier et à développer l’utilisation des principes directeurs. À ce titre, le cadre de référence contribuera à l’amélioration et l’actualisation des compétences des professionnels du réseau de la santé. Il reste maintenant à développer un plan d’action visant l’application de ces principes.

Éclosion de légionelloses dans la région de Québec

En mai 1996, une éclosion de cas de la maladie du Légionnaire est survenue dans la ville de Québec. Malgré les incertitudes et l’absence de connaissance sur la source d’exposition à l’agent causal, la Direction de la santé publique de Québec a fait preuve de transparence et a ainsi avisé dès les premiers cas les hôpitaux et les CLSC de la communauté urbaine de Québec, ainsi que tous les médecins de ce territoire. L’objectif était de les aviser d’être aux aguets et de considérer la possibilité d’une légionellose chez toute personne présentant des symptômes et signes cliniques compatibles avec cette maladie. Également, et ce, grâce à la collaboration des médias, la population a été avisée dès les premiers instants de consulter leurs médecins ou établissements de santé si elle présentait une fièvre élevée avec des problèmes respiratoires importants telle une pneumonie. Ainsi, la médiatisation rapide de l’événement a permis de dépister le plus de cas possibles à travers l'enquête épidémiologique et d'identifier promptement les facteurs de risques personnels et environnementaux.

Une fois le secteur à risque localisé dans la ville, l’enquête environnementale a permis d’identifier deux tours de refroidissement contaminées par le sérogroupe et le sous-type antigénique de Legionella pneumophila identique à celui retrouvé chez des patients. La réalisation de l’enquête environnementale a été facilitée par la transparence des autorités de santé publique et par la médiatisation de l’éclosion ; il en est de même du nettoyage et de la désinfection des tours de refroidissement. La diffusion rapide et régulière de l’information a été un élément majeur dans le contrôle de cette éclosion.

Références

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  24. Gouvernement du Canada 2001, Une perspective canadienne sur l’approche préventive/ le principe préventif : Document de discussion, Ottawa, Gouvernement du Canada, 19 p.
  25. Singh, M. 2001. A legal perspective on the precautionary principle in relation to children’s environmental health issues under the Canadian Environmental Protection Act 1999, in NERAM, Workshop on Precautionary Principle and Children’s Health, Waterloo, Network for Environmental Risk Assessment and Risk Mana­gement, Institute for Risk Research, University of Waterloo, pp.99-103. Disponible sur : www.neram.ca/Pages/laidlawpp/pdf/part_c.pdf
  26. Santé Canada 2001. La participation du public – bon pour la santé, Présentation aux Journées annuelles de santé publique 2001, Ottawa, Santé Canada, Direction générale des produits de santé et des aliments, Bureau de la participation des consommateurs et du public, 8 novembre 2001, 11 p.

* Note aux lecteurs : Cet article constitue un résumé du document intitulé : Cadre de référence en gestion des risques pour la santé dans le réseau québécois de la santé publique. INSPQ, 85 p, disponible sur le site Internet de l’INSPQ : http://www.inspq.qc.ca/publications/