Soccer et gazon synthétique : risque toxicologique négligeable pour la santé selon une nouvelle étude
Peterson MK, Lemay JC, Pacheco Shubin S, Prueitt RL. Comprehensive multipathway risk assessment of chemicals associated with recycled ("crumb") rubber in synthetic turf fields. Environ Res. 2018; 160 : 256-268.
Mise en contexte
La saison de soccer battra bientôt son plein et plusieurs des parties à venir seront disputées sur des terrains synthétiques. Ceux-ci sont généralement composés d’une couche de polypropylène, de polyuréthane ou de latex sur laquelle est fixé du gazon artificiel (voir figure 1). De plus, les interstices entre les brins sont remplis de sable ou de caoutchouc granulaire, ce qui rend la surface plus molle. Le caoutchouc utilisé dans la fabrication de ces granules provient du recyclage de pneus d’automobiles ou de camions légers (1).
Figure 1 - Composition typique d’une surface en gazon synthétique
Adaptée de : Perterson et al. (7)
Ce matériau est susceptible de contenir plusieurs types de contaminants d’intérêt en santé environnementale, tels des métaux, des biphényles polychlorés (BPC), des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et d’autres composés organiques volatils et semi-volatils (COV et COSV). L’innocuité du caoutchouc recyclé a donc été source de préoccupations au sein de la population et d’organismes de protection de la santé. Quelques-uns d’entre eux, en réponse aux inquiétudes soulevées, ont publié des rapports faisant état de risques négligeables pour la santé (2–5). Cependant, dans les dernières années, une couverture médiatique sur de possibles cas de cancer associés à l’utilisation des pelouses artificielles a continué d’alimenter le débat (6). C’est dans la foulée de ces reportages que Perterson et al. (7) ont procédé à une évaluation du risque à la santé (ou risque toxicologique) pour les personnes fréquentant ce type de terrain. L’étude, Comprehensive multipathway risk assessment of chemicals associated with recycled ("crumb") rubber in synthetic turf fields, publiée dans un récent numéro d’Environmental Research, est d’intérêt, car l’exposition multivoie à plusieurs familles de contaminants est prise en compte.
Méthodologie générale
Les doses d’exposition chez diverses populations types ont été déterminées à partir de concentrations de contaminants réellement mesurées sur des terrains synthétiques. Ces données de contamination ont ensuite été intégrées à des scénarios d’exposition impliquant différents paramètres (ex. : durée et fréquence d’exposition, taux de contact avec les matériaux, etc.). Les doses obtenues pour chaque contaminant ont ensuite été combinées à leurs valeurs de référence toxicologique respectives, lorsque disponibles, afin de dériver des indicateurs de risque. Plus précisément, il s’agit des valeurs d’indices de risque pour les effets non cancérigènes, de même que des valeurs de risque cancérigène. Ce dernier indicateur représente le nombre de cas de cancers en excès attendus par rapport à l’incidence de cancer de base.
Données de concentrations associées aux surfaces de jeu
Plus précisément, les données de concentrations ont été extraites d’une cinquantaine de publications révisées par les pairs ou rédigées par divers organismes (ex. : des organismes gouvernementaux, des firmes de consultants ou d’ingénierie ou des entités scolaires). Des rapports d’analyses chimiques, fournies par deux compagnies de recyclage de caoutchouc et de fabrication de terrains synthétiques, ont également été employés. En tout, les concentrations de plus d’une centaine de métaux et de composés organiques contenus dans les granules de caoutchouc recyclé ont été compilées. Les auteurs ont également colligé une centaine de mesures de concentrations de COV/SCOV collectés dans l’air à proximité de terrains extérieurs et intérieurs.
Description des scénarios d’exposition
L’exposition d’un enfant âgé d’au moins 6 ans, qui joue au soccer pendant 3 heures sur un terrain synthétique, a été évaluée. Durant cette éventuelle partie, l’enfant entrerait en contact cutané avec des granules de caoutchouc et pourrait involontairement en ingérer une certaine quantité. De plus, il inhalerait des composés organiques volatilisés à partir des granules. La fréquence des périodes de jeu sur des surfaces synthétiques est fixée à 4 fois par semaine à l’extérieur durant 8 mois ou à 1 fois par semaine à l’intérieur durant 4 mois. Les enfants de moins de 6 ans et les adultes assistant aux parties ont aussi fait l’objet d’une caractérisation de leur exposition (seulement par voie d’inhalation en ce qui concerne les adultes).
Résultats obtenus
L’évaluation de risque concernant l’ingestion de granules de caoutchouc ainsi que le contact cutané avec ces dernières a porté sur 16 contaminants différents, dont des BPC, des HAP, des métaux, des phtalates et des phénols. En ce qui concerne la voie d’inhalation, c’est l’exposition associée à 17 COV et COSV, dont le naphtalène, le benzène et le formaldéhyde, qui a été examinée. Tous les indicateurs de risques obtenus sont inférieurs aux critères habituellement retenus pour ce type d’évaluation. Ces critères correspondent à un indice de risque inférieur à 1 et à moins de 1 excès de cancer parmi 1 000 000 de personnes exposées. Ainsi, il y a absence de risque d’effet non cancérigène et les risques cancérigènes ne dépassent pas le seuil de risque négligeable. De plus, l’ingestion de cobalt et de l’inhalation de benzothiazole présent dans l’air des terrains intérieur sont identifiées comme contribuant le plus aux risques calculés.
Discussion
D’après les auteurs de l’article, les risques estimés sont probablement supérieurs aux risques réels, car ces derniers ont eu recours à un scénario qui surestime l’exposition (ex. : valeurs élevées de concentrations, taux de contact élevé avec les granules de caoutchouc). En revanche, certains paramètres du scénario peuvent contribuer à sous-estimer les risques. Par exemple, des facteurs de biodisponibilité, allant de 6 à 20 %, ont été attribués à certaines des concentrations mesurées. Par contre, les auteurs admettent que des incertitudes existent au sujet de ces facteurs (dont l’application dans le cadre de cette étude est par ailleurs questionnable). Globalement, toutefois, Perterson et al. (7) considèrent que l’évaluation effectuée est somme toute prudente au regard de la protection de la santé.
De plus, pour plus d’une cinquantaine de contaminants considérée au départ, l’évaluation de risque n’a pas été complétée en raison d’un manque de données (ex. : aucune valeur de référence toxicologique). Enfin, l’auteur principal de cet article a déclaré avoir déjà agi en tant que conseiller scientifique pour l’industrie du caoutchouc recyclé.
Conclusion
Cette étude détaillée d’exposition multivoie à plusieurs contaminants confirme les conclusions obtenues par des organismes sanitaires à savoir que l’utilisation des terrains synthétiques à des fins sportives semble poser de risques toxicologiques négligeables pour la santé. Enfin, bien que cet article traite uniquement des risques toxicologiques, d’autres enjeux de santé sont associés à l’utilisation des pelouses synthétiques (ex. : îlots de chaleur, risque de blessure). À cet effet, le lecteur trouvera un article paru dans un numéro du BISE de juillet 2014 (8).
Références
- Synthetic Turf Council. Suggested Guidelines for the Essential Elements of Synthetic Turf Systems [En ligne]. Forest Hill, MD; 2011. 49 p. Disponible: http://c.ymcdn.com/sites/www.syntheticturfcouncil.org/resource/resmgr/guidelines/STC_Suggested_Guidelines_for.pdf
- Beausoleil M, Price K, Muller C. Gazons synthétiques utilisés pour les sports extérieurs à la Ville de Montréal : Revue de la littérature et évaluation des risques toxicologiques [En ligne]. Montréal: Direction de la santé publique, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal; 2008. Disponible: http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/fileadmin/documents/dossiers_thematiques/Environnement/Sols_contamines/Rapport_Gazon_synthetique_exterieur_2008.pdf
- California Office Environmental Health Hazard Assessment et Pesticide and Environmental Toxicology Branch. Safety Study of Artificial Turf Containing Crumb Rubber Infill Made From Recycled Tires: Measurements of Chemicals and Particulates in the Air, Bacteria in the Turf, and Skin Abrasions Caused by Contact with the Surface [En ligne]. California Department of Ressources Recycling and Recorvery; 2010. Disponible: http://www.calrecycle.ca.gov/publications/Documents/Tires%5C2010009.pdf
- Price K. Gazons synthétiques utilisés dans les installations sportives intérieures de la Ville de Montréal. Évaluation des risques toxicologiques [En ligne].Montréal: Direction de la santé publique. Agence de la santé et des services sociaux de Montréal; 2013. Disponible: http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/fileadmin/documents/dossiers_thematiques/Environnement/Activite_physique_municipal/Rapport_gazons_interieurs_2013-03-13.pdf
- New York State Department of Environmental Conservation. An assessment of chemical leaching, releases to air and temperature at crumb-rubber infilled synthetic turf fields [En ligne]. New York State Department of Health; 2009. Disponible: http://www.dec.ny.gov/docs/materials_minerals_pdf/crumbrubfr.pdf
- NBC NEWS. Does Artificial Turf Present a Health Risk? [En ligne]. 2014. Disponible: https://www.nbcnews.com/video/does-artificial-turf-present-a-health-risk-339753027899
- Peterson MK, Lemay JC, Pacheco Shubin S, Prueitt RL. Comprehensive multipathway risk assessment of chemicals associated with recycled (« crumb ») rubber in synthetic turf fields [En ligne]. Environmental Research; 2018. 160:256‑68. Disponible: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0013935117303936
- Watine J. Les terrains en gazon synthétique : bons ou mauvais pour la santé? BISE [En ligne]. 2014. Disponible: https://www.inspq.qc.ca/bise/les-terrains-en-gazon-synthetique-bons-ou-mauvais-pour-la-sante