7 décembre 2007

Incidence du mésothéliome de la plèvre au Québec (1982-2002)

Article
Auteur(s)
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Suzanne Gingras
Institut national de santé publique du Québec
Louise De Guire
M.D., Institut national de santé publique du Québec
Pierre Deshaies
M.D., Institut national de santé publique du Québec

Problématique

Le mésothéliome de la plèvre est une forme rare de cancer. La survie médiane des personnes atteintes est de 9 à 13 mois à partir de la date du diagnostic1. L’exposition professionnelle à l’amiante est le principal facteur de risque de ce cancer. En effet, il est possible de documenter une exposition professionnelle antérieure à cette substance chez 70 % à 90 % des individus atteints2. Les autres facteurs de risque connus du mésothéliome de la plèvre sont l’exposition à un autre type de fibre, la zéolite (ou érionite) chez des populations vivant à proximité des gisements de surface (fibre n’étant pas présente à l’état naturel au Québec) ainsi que l’exposition aux radiations ionisantes et à la radiothérapie3.

Amiante et santé

L’amiante est un terme commercial qui englobe plusieurs minéraux de silicate dont les formes cristallines sont fibreuses. Ces minéraux partagent la propriété de résistance à la chaleur, aux bases fortes, à la traction et à la flexion, ce qui les différencient des autres minéraux. On distingue deux grandes familles d’amiante, les serpentines (chrysotile) et les amphiboles (crocidolite, amosite, actinolite, anthophyllite et trémolite) d'après leur morphologie et leur minéralogie. L’amiante est exploité dans des mines, notamment au Québec (chrysotile). Il est employé dans divers matériaux (ciment, asphalte, etc.) et produits industriels (tuyaux, garnitures de freins, bardeaux, tuiles, produits d’isolation, etc.).

Lorsqu’elles sont inhalées, les fibres d’amiante peuvent causer les trois principales maladies suivantes : l’amiantose, le mésothéliome et le cancer pulmonaire. Ces trois maladies apparaissent en général après une période de latence qui varie de 20 à 40 ans. Rappelons que le mésothéliome est un cancer qui peut affecter l’enveloppe des poumons (la plèvre), de la cavité abdominale (le péritoine) ou encore celle du cœur (le péricarde). Tous les types d’amiante ont été associés à ces trois maladies, mais il ressort de la littérature scientifique que le risque de développer un mésothéliome de la plèvre est plus élevé chez les travailleurs qui ont été exposés à des amphiboles que chez ceux ayant été exposés au chrysotile4-6. L’incidence du mésothéliome de la plèvre est notamment fonction du temps écoulé depuis la première exposition à l’amiante, lequel doit être élevé à la puissance trois ou quatre6.

Le présent article est issu d’une étude qui s’inscrit dans la suite des travaux du Programme de développement de la surveillance et des connaissances en lien avec la Politique d’utilisation accrue et sécuritaire de l’amiante chrysotile au Québec initié par le gouvernement du Québec7. Dans cet article nous faisons état : 1) de l’incidence du mésothéliome de la plèvre au Québec pour les années 1982 à 2002; 2) de l’incidence régionale du mésothéliome de la plèvre selon l’âge et le sexe; 3) des tendances annuelles provinciales de l’incidence du mésothéliome de la plèvre, selon le sexe. Le lecteur intéressé par l’ensemble des résultats sur l’incidence et la mortalité pour les cancers de la plèvre et du péritoine, du mésothéliome du péritoine et de l’amiantose, incluant les comparaisons internationales, est invité à consulter le rapport intégral de l’étude8.

Méthodologie

Le territoire à l’étude est défini comme l’ensemble de la province de Québec. La plus petite unité géographique d’analyse utilisée pour décrire l’incidence est la région sociosanitaire (RSS). Les effectifs de population par année, par sexe et par groupe d’âge de cinq ans, pour chacune des RSS, proviennent du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Pour étudier la fréquence de la maladie, nous avons utilisé le Fichier des tumeurs du Québec (FiTQ), dans lequel sont consignés tous les nouveaux cas de cancer diagnostiqués au Québec lors d’une chirurgie d’un jour ou d’une hospitalisation. Parmi les nouveaux cas de cancer de la plèvre (CIM-9 : 163), les mésothéliomes ont été identifiés à l’aide de la morphologie de la tumeur (CIM-O2 : M905). Pour chaque nouveau cas de cancer, les renseignements recueillis au moment du diagnostic sont : le code topographique (selon la codification CIM-9), la morphologie de la tumeur, le sexe, l’âge, la date du diagnostic et le code de la RSS de résidence au moment du diagnostic.

Méthodes statistiques

Les taux standardisés ont été calculés selon la méthode directe de standardisation. Le rapport de taux standardisé a été utilisé afin de comparer le taux des régions. Il se définit comme le rapport du taux standardisé d’une région sur le taux standardisé de la province.

Le test du rapport de vraisemblance dans le cadre de la loi de Poisson a été utilisé afin de déterminer la tendance temporelle des taux annuels provinciaux au cours de la période d’étude. Pour les tendances temporelles significatives, le taux de croissance ou de décroissance annuel moyen a été établi en utilisant les valeurs attendues du taux, obtenues par le modèle de Poisson. Le seuil de signification statistique utilisé est de 1 %.

Résultats

Pour l’ensemble du Québec, de 1982 à 2002, 1 530 nouveaux cas de mésothéliome de la plèvre ont été enregistrés au FiTQ. La maladie est plus fréquente chez les hommes. En effet, le ratio du nombre de nouveaux cas chez les hommes sur le nombre de nouveaux cas chez les femmes est de 3,78. Les taux spécifiques par groupe d’âge révèlent que le mésothéliome de la plèvre est plus fréquent chez les personnes âgées de 50 ans et plus. L’âge moyen des nouveaux cas de mésothéliome de la plèvre était de 64,5 ans chez les femmes (âge médian de 65,5 ans) et de 65,9 ans chez les hommes (âge médian de 66,0 ans).

Chez les hommes, les taux d’incidence du mésothéliome de la plèvre ont augmenté de manière statistiquement significative entre les années 1982 et 2002, avec un taux de croissance annuel moyen de 3,6 % (figure 1). Chez les femmes, aucune tendance temporelle linéaire significative sur le plan statistique n’est observée pour les taux annuels d’incidence de ce cancer.

Figure 1. Taux annuels (standardisés pour l’âge / 100 00 personnes-années) d’incidence du mésothéliome de la plèvre, 1982-2002, Québec

La distribution géographique du mésothéliome de la plèvre révèle, tant chez les hommes que chez les femmes, des excès significatifs dans la région de Chaudière-Appalaches. Par ailleurs, on observe, uniquement chez les hommes, un excès significatif de l’incidence du mésothéliome de la plèvre dans les régions de Lanaudière et de la Montérégie, ainsi que des taux significativement plus faibles que le taux provincial dans les régions du Bas-Saint-Laurent et de l’Outaouais (tableau 1).

Tableau 1. Incidence du mésothéliome de la plèvre selon le sexe et la région sociosanitaire, 1982-2002

Discussion

Nous avons observé que le mésothéliome de la plèvre est plus fréquent chez les hommes et chez les personnes âgées de plus de 50 ans. On observe également une augmentation dans le temps de l’incidence du mésothéliome de la plèvre chez les hommes, alors que les taux annuels chez les femmes sont stables. La prépondérance de cas observée chez les hommes pourrait s’expliquer par une exposition professionnelle antérieure à l’amiante.

Les connaissances scientifiques montrent que le temps écoulé entre le début de l’exposition à l’amiante et le diagnostic du mésothéliome, soit la latence, est de l’ordre de 20 à 40 ans9. L’observation d’un nombre de cas plus élevé, principalement à partir de l’âge de 50 ans, s’explique donc aussi en partie par ce temps de latence. Ainsi, si on soustrait de la date du diagnostic des mésothéliomes de la plèvre une latence de 20 ou 40 ans, les Québécois atteints de ce cancer entre 1982 et 2002 auraient commencé à être exposés entre 1942 et 1982. Il est intéressant de constater que cette période recoupe l’apogée de l’exploitation minière au Québec, ainsi que la période de l’utilisation de l’amiante dans le secteur de la construction, qu’il soit d’origine québécoise ou étrangère. Ajoutons que les conditions de travail ont grandement varié entre 1942 et 1982 et que l’importance des expositions professionnelles a vraisemblablement diminué avec les années dans plusieurs secteurs d’activité, notamment dans les mines. Il est à noter que les normes d’exposition réglementaires actuellement en vigueur en milieu de travail (soit 1 fibre par centimètre cube pour le chrysotile et certaines amphiboles et 0,2 fibre par centimètre cube pour la crocidolite et l’amosite) ont été adoptées en 1990. Il est donc raisonnable de faire l’hypothèse que l’augmentation du nombre de nouveaux cas de mésothéliome observée jusqu’en 2002 se poursuivra durant quelques années encore. Une telle augmentation pourrait ainsi continuer jusqu’en 2010 au Québec3, alors qu’elle pourrait durer encore 20 ans en Europe10. Les taux maximums auraient cependant déjà été atteints à l’aube de l’année 2000 aux États-Unis4,11,12.

Le FiTQ ne consigne aucun renseignement concernant les facteurs de risque du cancer. Par conséquent, nous ne disposons d’aucune donnée concernant l’exposition antérieure à l’amiante, incluant le type d’amiante auquel ont été exposés les Québécois souffrant du mésothéliome de la plèvre.

Chez les hommes, les taux d’incidence du mésothéliome de la plèvre sont significativement plus élevés dans les régions de Chaudière-Appalaches, de Lanaudière et de la Montérégie. Cette répartition géographique pourrait s’expliquer par une exposition professionnelle passée dans les mines de la région de Chaudière-Appalaches, ainsi que dans les chantiers navals(a) de Lévis-Lauzon et de Sorel, situés respectivement dans les régions de Chaudière-Appalaches et de la Montérégie. L’excès observé dans la région de Lanaudière pourrait s’expliquer par des expositions dans les chantiers navals de Montréal, maintenant fermés, ainsi que dans les raffineries de l'Est de Montréal. Les excès observés dans les régions minières pourraient aussi être en lien avec un degré de suspicion clinique plus important de la part des professionnels de la santé de ces régions. Chez les femmes, un excès d’incidence est observé en Chaudière-Appalaches. On peut également penser à une exposition professionnelle dans certains cas, mais aussi à des expositions para-professionnelles et environnementales plus importantes13.

En conclusion, compte tenu de la présence d’exploitations minières encore en production au Québec et de la Politique d’utilisation accrue et sécuritaire de l’amiante chrysotile au Québec, la surveillance des cas de mésothéliome de la plèvre doit être poursuivie. Le nouveau registre des maladies à déclaration obligatoire d’origine physique et chimique, de même que l’utilisation des nouvelles technologies de l’information offertes par l’Infocentre de santé publique du Québec devraient contribuer à améliorer l’efficacité de la surveillance et la vigie sanitaire de ce problème de santé au Québec.

Références

  1. Holland JF, Frei E, Kufe DW. (2003) Holland, Frei cancer medicine 6. 6e ed. Hamilton, Ontario.: B C Decker.
  2. Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (1997). Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante. INSERM. Paris, France.
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  4. Yarborough CM. (2007); The risk of mesothelioma from exposure to chrysotile asbestos. Curr Opin Pulm Med 13(4):334-8.
  5. De Guire L, Labrèche F, Poulin M, Dionne M. (2005). L’utilisation de l’amiante chryso­tile au Québec.-25 p. Institut national de santé publique du Québec.
  6. Bertazzi PA. (2005); Descriptive epidemiology of malignant mesothelioma. Med Lav 96(4):287-303.
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  8. Lebel G, Gingras S. (2007). Épidémiologie descriptive des principaux problèmes de santé liés à l’exposition à l’amiante au Québec, 1981-2004. Institut national de santé publique du Québec, 50 p. + Annexes. Institut national de santé publique du Québec (www.inspq.qc.ca/publications/651).
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  10. Peto J, Decarli A, La Vecchia C, Levi F, Negri E. (1999); The European mesothelioma epidemic. Br J Cancer 79(3-4):666-672.
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  13. Camus M, Siemiatycki J, Meek B. (1998); Nonoccupational exposure to chrysotile asbestos and the risk of lung cancer. N Engl J

(a) L’amiante a été utilisé comme isolant dans les navires.

Sujet(s)