Épidémiologie descriptive des principaux problèmes de santé reliés à l'exposition à l'amiante au Québec, 1981-2004

En attendant la mise en place du futur système de surveillance des expositions à l'amiante et des maladies qui y sont liées, le portrait épidémiologique descriptif de deux de ces problèmes de santé, soit le mésothéliome et l'amiantose, a été effectué. Il a été réalisé en utilisant les données provenant de banques de données statutaires disponibles au ministère de la Santé et des Services sociaux : le Fichier des tumeurs du Québec pour l'incidence des cancers, le Fichier des décès pour la mortalité et le registre Med-Écho pour les hospitalisations par amiantose. Finalement, les comparaisons des taux d'incidence du mésothéliome à l'échelle internationale ont été réalisées à l'aide de la base de données électronique du Centre international de recherche sur le cancer.

Le territoire à l'étude est celui de l'ensemble de la province de Québec. La comparaison des taux d'incidence, de mortalité et d'hospitalisation à l'échelle régionale (région sociosanitaire) a été effectuée. L'analyse des tendances temporelles des taux d'incidence, de mortalité et d'hospitalisation a été réalisée. Les taux standardisés selon la méthode directe sont utilisés pour les comparaisons interrégionales, alors que la standardisation indirecte est utilisée pour les comparaisons internationales.

De 1982 à 2002, 1 530 nouveaux cas de mésothéliome de la plèvre et 170 nouveaux cas de mésothéliome du péritoine ont été diagnostiqués au Québec. Comme plusieurs cancers, ces maladies sont plus fréquentes chez les personnes âgées de 50 ans et plus et chez les hommes. De plus, chez les hommes, les taux annuels d'incidence du mésothéliome de la plèvre ont augmenté de manière significative entre 1982 et 2002, avec une augmentation annuelle moyenne de 3,6 %. Aucune tendance temporelle significative n'est observée chez les femmes.

Les taux d'incidence des cancers et des mésothéliomes de la plèvre sont significativement plus élevés en Chaudière-Appalaches, dans la région de Lanaudière et en Montérégie chez les hommes, ainsi qu'en Chaudière-Appalaches, chez les femmes. En Chaudière-Appalaches et en Montérégie, chez les hommes, ces résultats pourraient être expliqués par les expositions professionnelles antérieures dans les mines d'amiante de la région de Chaudière-Appalaches, ainsi que dans les chantiers navals de la Montérégie et de Chaudière-Appalaches. Pour la région de Lanaudière il est possible que les résultats observés soient reliés à la présence d'anciens chantiers navals à Montréal, ainsi que des raffineries de l'Est de Montréal. Toutefois, on ne peut pas exclure qu'un degré plus élevé de suspicion clinique et la présence de programmes spécifiques de dépistage dans ces mêmes régions puissent expliquer ces observations. Chez les hommes, des taux plus faibles que le taux provincial sont observés dans les régions du Bas-Saint-Laurent et de l'Outaouais. Les déficits observés en Outaouais pourraient être expliqués par les cas traités en Ontario et non récupérés dans le Fichier des tumeurs. De plus, la répartition géographique de l'incidence n'est pas ajustée pour la mobilité résidentielle.

De 1993 à 1997, la province de Québec affiche le rapport standardisé d'incidence (SIR) du mésothéliome le plus élevé au Canada, chez les hommes et chez les femmes. Par ailleurs, chez les femmes pendant la même période, seuls l'ouest de l'Australie et l'Écosse affichent des SIR significativement supérieurs à celui du Québec, parmi les autres registres de cancer disponibles. Chez les hommes, les SIR du mésothéliome en Nouvelle-Zélande, au Pays-Bas, ainsi que dans plusieurs régions du Royaume-Uni et de l'Australie sont significativement plus élevés comparativement à celui du Québec. Ces comparaisons internationales doivent être interprétées avec une précaution à cause des limites inhérentes à leur utilisation, compte tenu du fait que peu de registres nationaux de cancer sont disponibles, qu'il n'est pas possible de différencier le mésothéliome de la plèvre des autres mésothéliomes dans les données agrégées disponibles et que des différences dans les méthodes de diagnostic pourraient biaiser les résultats. Toutefois, ces résultats sont compatibles avec une exposition à l'amiante des travailleurs québécois par les activités minières et industrielles et dans le domaine de la construction. Les taux plus élevés observés en Australie pourraient s'expliquer par la prépondérance de la crocidolite dans ce pays qui est plus associée au mésothéliome que le chrysotile qui est la fibre prédominante dans l'amiante extrait au Québec. Il est également possible que l'utilisation historique de l'amiante ait été plus importante en Australie qu'au Québec.

Pour la période de 1981 à 2003, 1 059 décès par cancer de la plèvre ont été enregistrés au Québec, dont presque trois fois plus chez les hommes que chez les femmes et plus fréquemment chez les personnes âgées de plus de 50 ans. L'analyse des taux annuels provinciaux de décès par cancer de la plèvre ne révèle aucune tendance temporelle significative chez les hommes ni chez les femmes. La répartition géographique des taux de décès par cancer de la plèvre indique que la région de Chaudière- Appalaches présente des excès significatifs à la fois chez les hommes et les femmes. Des excès significatifs sur le plan statistique sont également observés chez les hommes dans les régions de Lanaudière et de la Montérégie. Ces observations sont concordantes avec la situation observée pour l'incidence du mésothéliome de la plèvre.

Nous avons également estimé l'incidence de l'amiantose à partir du registre Med-Écho en considérant les hospitalisations avec une première mention d'amiantose pendant la période de 1992 à 2004. Au Québec, pendant cette période 2 072 hospitalisations avec une première mention d'amiantose ont été enregistrées. Les hommes sont principalement hospitalisés pour cette maladie (25 hommes pour 1 femme). De même, les hospitalisations avec une première mention d'amiantose sont principalement observées chez les personnes âgées de plus de 60 ans et l'âge moyen de ces personnes augmente de manière significative durant la période étudiée. Aucune tendance temporelle significative du taux estimé d'une hospitalisation avec une première mention d'amiantose n'a été observée chez les hommes et les femmes. La répartition géographique des hospitalisations avec une première mention d'amiantose indique des excès significatifs dans la région de Chaudière-Appalaches chez les hommes et les femmes, de même que des excès pour les régions de l'Estrie et de Lanaudière chez les hommes. Ces données sont cohérentes avec celles de l'incidence du mésothéliome de la plèvre.

En conclusion, l'analyse des données des fichiers sanitaires québécois permet de dresser un portrait épidémiologique intéressant des maladies liées à l'amiante. Une des sources de données les plus importantes est le Fichier des tumeurs du Québec. Cependant, les délais d'obtention des données sont importants et nous recommandons que les démarches en cours visant à réduire ce délai soient poursuivies. Deuxièmement, nous recommandons que l'analyse périodique des tendances du mésothéliome de la plèvre et du cancer de la plèvre à partir du Fichier des tumeurs du Québec soit effectuée, tant que le futur système de surveillance des maladies liées à l'amiante ne sera pas fonctionnel. Finalement, malgré les limites du registre Med-Écho, l'analyse des hospitalisations avec une première mention d'amiantose pourrait être maintenue en attendant les résultats d'une étude visant à décrire les critères de diagnostic des amiantoses dans ce registre.

Auteur(-trice)s
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Suzanne Gingras
Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-50362-0
ISBN (imprimé)
978-2-550-50363-7
Notice Santécom
Date de publication