9 février 2011

« Vivre avec le soleil » programme d'éducation solaire en milieu scolaire

Article
Auteur(s)
Pierre Cesarini
Association Sécurité Solaire

INTRODUCTION

Un problème majeur de santé publique

L’incidence du cancer de la peau augmente de façon épidémique dans le monde. Le mélanome, la forme la plus dangereuse de cancer cutané (avec probablement près de 150 000 cas par an dans le monde), est une des premières causes de mortalité par cancer chez les jeunes adultes. Outre la clarté de la peau, les principaux facteurs de risque de mélanome sont les expositions au soleil intermittentes et les coups de soleil de l’enfance.

Il existe d’autres formes de cancer de la peau : le carcinome spino-cellulaire et le carcinome baso-cellulaire. Ce dernier, certes moins dangereux car moins métastasique, représente d’importantes charges, étant donné son incidence environ 10 fois supérieure à celle du mélanome. Il semble plutôt lié à des expositions chroniques.

Le nombre d’interventions de la cataracte est également un enjeu majeur de santé publique. Dans le monde, cette maladie est la première cause de cécité. Dans les pays dits « développés ou riches », elle pèse lourdement sur les comptes des organismes d’assurance maladie. Pourtant, 20 % des interventions de la cataracte pourraient être évitées par une amélioration des comportements selon l’OMS(1).

Une solution unanimement recommandée : l’éducation

Devant ce constat, l’Organisation mondiale de la santé (programme Intersun) notamment recommande de développer des actions de prévention primaire ciblant en priorité les enfants avec pour objectifs de réduire les expositions aux heures dangereuses ainsi que d’augmenter l’usage des moyens de protection.

Le temps scolaire est propice aux apprentissages fondamentaux, en particulier lors des premières années de la scolarité. C’est aussi pendant cette période cruciale pour le développement des individus que se prennent les habitudes de raisonnement et de comportement.

Dans ce contexte, l’association française Sécurité Solaire, développe notamment un programme pédagogique pluriannuel intitulé « Vivre avec le Soleil, à l’école » à destination des enfants de 3 à 13 ans et de leurs enseignants. Depuis les premières expérimentations menées au début des années 2000, de nombreuses évaluations ont été menées. Ces dernières ont permis d’élaborer un outil performant sous la forme d’un guide, mais aussi de mettre en place une méthodologie rigoureuse pour le diffuser et suivre sa mise en œuvre. Aujourd’hui La Sécurité Solaire commence à déployer ce programme à l’international, suivant en cela la lettre de mission qu’elle a reçue de l’Organisation mondiale de la santé, dont elle est un des centres collaborateurs.

Le guide de l’enseignant, 2 modules d’activités « clefs en main » structurés en séquences et séances

Les modules d’activités sont intégralement accessibles en ligne : www.soleil.info/ecole/le-programme-vivre-avec-le-soleil/modules-dactivites.html

Les difficultés rencontrées pour mobiliser les professeurs des écoles sur des actions d’éducation à la santé sont multiples : sentiment qu’il s’agit plutôt d’une responsabilité parentale, crainte de mettre en exergue des situations personnelles gênantes ou tout simplement crainte de l’inconnu, du « jamais fait ». Mais le frein le plus important est certainement le manque de temps des enseignants pour préparer et mener des actions considérées comme non prioritaires. Ainsi, la stratégie de ce programme repose sur la conception d’un outil simple à utiliser et qui surtout permet aux enseignants de poursuivre parallèlement leurs objectifs pédagogiques.

Une conception interdisciplinaire et intersectorielle

En amont de la conception du guide, la consultation de nombreux experts scientifiques (médecins, astrophysiciens, météorologistes), de pédagogues, d’éditeurs et de spécialistes de prévention et de santé scolaire a permis de déterminer toutes les dimensions du projet, les thèmes à traiter et leur imbrication. Ont participé notamment à ce travail des membres de l’Académie des sciences et de l’Institut français de recherche pédagogique par l’implication de l’équipe La Main à la pâte qui vise à promouvoir en France l’enseignement des sciences à l’école primaire. Le travail mené par l’Organisation mondiale de la santé(2) sur la conduite d’actions en milieu scolaire a également largement nourri la réflexion des concepteurs.

L’écriture même du guide de l’enseignant a mobilisé pendant plus de 3 ans deux formateurs de l’Éducation nationale, un didacticien des sciences, un spécialiste de prévention solaire. Des tests en classe, réalisés par une trentaine d’enseignants, rapportés et analysés par leurs conseillers pédagogiques, ont permis d’ajuster au mieux le scénario et la description des activités proposées.

Un outil de prévention, pluridisciplinaire et articulé avec les objectifs des programmes scolaires

Les activités proposées dans le guide permettent aux enseignants, dans différentes disciplines, de traiter certains points inscrits dans les programmes en les reliant à des éléments et messages essentiels de la prévention :

  • En science, les sujets ombres et lumière, saisons, mouvement apparent du soleil dans le ciel sont reliés à l’évaluation du risque solaire - Plus le soleil est haut dans le ciel, plus les ombres sont courtes, plus il faut se protéger(3).
  • L’évolution « darwinienne » des espèces est illustrée par l’origine des différences de couleur de peau et de leur sensibilité au soleil – Plus on a la peau claire, plus on est sensible au soleil.
  • L’étude de la démarche expérimentale conduit à tester notamment l’efficacité des différents moyens de protection – Se protéger nécessite une panoplie complète : chapeau, lunettes, tee-shirt et crème solaire.
  • En mathématiques : Les unités de mesure, les échelles sont abordées au travers de l’étude d’un bulletin météorologique. Par raisonnement déductif, on y découvre notamment que : L’indice de rayonnement UV peut être élevé même si la température est basse, s’il y a des nuages, du vent, etc. ;
  • En géographie, on étudie les 5 continents, leur climat ainsi que les grandes villes du pays.

Il permet aussi de travailler et/ou d’évaluer l’acquisition de nombreuses compétences dans plusieurs domaines :

  • Maîtrise de la langue française (orale et écrite) : description de phénomènes observés, argumentation, analyse de texte, expression synthétique;
  • Culture scientifique : démarche d’investigation (émission d’hypothèses, expérimentation, observation, conclusion), modélisation, catégorisation, etc.;
  • Technique de l’information et de la communication : rédaction de slogans, dessin publicitaire, nouvelles technologies (recherches et production de documents sur et pour le web), etc.;
  • Culture humaniste : partage de connaissances, sensibilisation et aide des autres élèves;
  • Compétences sociales et civiques : discussion, argumentation, recherche de consensus, apprentissage par les pairs;
  • Autonomie et initiative : recherches expérimentales et documentaires individuelles, conception d’actions de prévention.

Une contribution à la lutte contre le racisme

Comprendre que nous ne sommes pas tous égaux devant les dangers liés au soleil est l'occasion d'aborder les différentes couleurs de peau. Décrire ces différences, issues de l'adaptation de l'homme à son environnement, permet de lever des tabous au sein de la classe. Évoquer scientifiquement les origines de chacun, sans préjugés ni discrimination, instaure de nouveaux dialogues et contribue à la lutte contre le racisme.

Quelques-unes des activités développées en milieu scolaire dans le cadre du programme « Vivre avec le Soleil » sont visibles dans ces courtes capsules vidéo :

Un outil complet, « clefs en main » et viral

Très précis dans la description des séances, ne nécessitant aucun matériel onéreux ou difficile à trouver, les modules d’activités sont faciles à mettre en œuvre. Ils comprennent même des fiches pour permettre une évaluation des acquisitions des élèves. Si l’enseignant débutant peut utiliser le guide « clef en main », l’enseignant, plus confirmé, peut l’adapter, par exemple en concevant des prolongements dans d’autres disciplines (histoire, arts, etc.). Ainsi, les modules peuvent être mis en œuvre par tout enseignant, expérimenté, scientifique, familier de la démarche d’investigation ou non. Deux éclairages, l’un scientifique, l’autre pédagogique, le rendent totalement autonome.

L’outil est reconnu par les professionnels comme un outil d’autoformation à la démarche d’investigation. Néanmoins, une formation, un accompagnement et/ou différentes coopérations peuvent lui être proposés et optimiser son action. C’est particulièrement le cas lors de la dernière séance intitulée « Devenir acteur de prévention ». Cette séance est en effet un recueil de pistes suggérées pour « passer le message », une invitation à la démarche citoyenne pour que la classe partage ses nouvelles connaissances et mène une action de prévention à destination des parents, des autres élèves de l’école, des habitants du quartier, etc. La coopération avec des intervenants issus d’associations et/ou de la santé scolaire trouve là tout son sens.

LA DIFFUSION ET LA PROMOTION

Les modules d’activités accessibles à tous, sur Internet

L’enjeu est presque planétaire et résolument de santé publique. La Sécurité Solaire a donc souhaité et négocié avec l’éditeur une mise en ligne des modules d’activités sur son site Web(4). Cela permet à chacun de découvrir, voire de tester les activités proposées avant le cas échéant de « commander » le guide dans sa version papier.

Guides et feuilles de « papier UV » gratuits, sur inscription

La mobilisation d’un nombre important d’enseignants nécessite que les outils proposés soient gratuits. En France, comme ailleurs dans le monde, les ouvrages de pédagogie ou de didactique restent en effet la plupart du temps confidentiels avec, au plus, quelques milliers d’exemplaires diffusés. Mais la gratuité peut, et doit être conditionnée à une volonté réellement affichée de l’enseignant de mettre en œuvre les activités proposées. Ainsi, pour bénéficier du guide, l’enseignant doit impérativement s’inscrire sur le site Web dédié au projet et communiquer notamment une adresse de courrier électronique valide.

La contribution de « publics relais »

Si le guide permet bien un travail autonome des enseignants, il est fondamental de convaincre ces derniers de l’adéquation entre les objectifs d’éducation à la santé et les objectifs pédagogiques qui sont les leurs. De plus, la formation initiale et continue à la mise en œuvre de la démarche d’investigation scientifique comme celle d’éducation à la santé fait l’objet de formations et d’accompagnement des enseignants. Il apparaît dès lors évident que les formateurs et les personnels de santé scolaire ont un rôle prépondérant dans le déploiement du programme.

LES ÉVALUATIONS

Des évaluations opérationnelles récurrentes

L’inscription des enseignants est assortie d’un questionnaire qui permet d’initier l’évaluation, en faisant notamment un constat des pratiques professionnelles avant l’envoi du guide. Par la suite, les professionnels sont régulièrement interrogés par courrier électronique sur leur participation effective, leur appréciation quant aux outils, la réaction des enfants, etc. Chaque année, les résultats sont publiés en ligne(5) et communiqués aux enseignants inscrits. Les principales conclusions que l’on peut tirer :

  • Les enseignants consacrent en moyenne 7,3 heures avec leurs élèves au programme
  • Pour 95 à 100 % des enseignants ayant utilisé le guide :
    • Le guide est facile à utiliser
    • Les élèves adhèrent à la démarche proposée
    • Les élèves progressent (comportement au soleil, citoyenneté, démarche d’investigation scientifique)
  • Environ un enseignant sur deux n’a jamais participé à un programme d’éducation à la santé ni n’a mis en œuvre la démarche d’investigation scientifique avant son inscription au programme. 97 % se déclarent plus aptes à le faire après avoir utilisé le guide Vivre avec le Soleil.

L’impact sur les connaissances, attitudes et comportements des élèves de 8 à 11 ans

Une enquête de type essai randomisé en clusters [6] a été menée par l’unité Bio-statistiques du Centre Régional de Lutte contre le Cancer du Languedoc-Roussillon et le Département de recherche-actions en Prévention Epidaure en 2007, 2008 et 2009. Plus de 700 élèves (1500 au début de l’étude) ont été suivis pendant plus d’un. La comparaison des réponses apportées par les élèves ayant bénéficié du programme et celles apportées par des élèves « témoins » a permis de tirer des conclusions très encourageantes quant à l’impact du programme :

  • Le niveau global des connaissances sur le soleil, ses effets sur la santé et les moyens de se protéger progresse de façon statistiquement significative. Notamment, les élèves savent mieux identifier les situations à risque (lorsque les ombres sont courtes);
  • Les attitudes et comportements au Soleil progressent globalement de façon significative, en particulier, le port de tee-shirt et la recherche d’ombre.

VIVRE AVEC LE SOLEIL EN CHIFFRES

Au 1er septembre 2009*

  • 20 369 professionnels inscrits, dont 15 565 enseignants d’école primaire
  • 3 364 ont mis en œuvre les activités en classe en 2010
  • 85 919 élèves ont directement participé au programme en 2010
  • 251 163 élèves ont directement participé au programme depuis 2006

Chiffres 2010, bientôt disponibles sur www.soleil.info/ecole/le-programme-vivre-avec-le-soleil/evaluations.html

L’impact sur les connaissances, attitudes et comportements des élèves de 3 à 8 ans

Une enquête par questionnaire avant/après a été menée par l’Observatoire Régional de la Santé (ORS) de Rhône Alpes auprès de 12 enseignants et 245 élèves en 2009(7). Les principales conclusions sont :

  • Une évolution positive des représentations et des connaissances des élèves : peaux à risque/relation taille ombre et niveau de risque/heures dangereuses;
  • Une évolution positive des comportements déclarés : heures d’exposition, usage du parasol et d’autres moyens de protection;
  • Appréciation très positive des enseignants sur le guide et l’adhésion des élèves.

L’évaluation financière : moins de 3 euros par élève participant

Les financements du programme Vivre avec le Soleil à l’école en France sont exclusivement publics (Ministère de la santé, assurance maladie), et pour beaucoup régionalisés (services déconcentrés). Ainsi, La Sécurité Solaire tient et fournit aux bailleurs de fonds une comptabilité analytique détaillée qui permet notamment de déterminer un coût à l’élève participant directement au programme. Ce coût s’élève à fin 2009 à moins de 3 euros. À terme, avec la « montée en puissance » du programme et parallèlement l’amortissement des frais de conception, de développement et de publication (les guides, ne sont envoyés qu’une fois aux enseignants alors que, pour la plupart, ils sont utilisés plusieurs fois), le coût à l’élève devrait ne représenter que quelques dizaines de centimes.

INTERNATIONAL

Vers un guide universel?

Parmi les 30 000 inscrits au programme, quelques centaines sont Belges, Suisses, Canadiens, Nord et Ouest Africains. Dans d’autres pays non francophones (Allemagne, Portugal, Serbie), quelques organisations d’État ou associatives ont d’ores et déjà traduit les modules d’activités voire le guide dans son intégralité(8). Les premiers retours laissent présumer une relative « universalité » du guide même si naturellement des adaptations sont nécessaires. Missionnée par l’OMS dans ce sens, La Sécurité Solaire propose aux autorités sanitaires et éducatives intéressées d’étudier de quelle façon le guide et l’expertise acquise sur le programme Vivre avec le Soleil peuvent être mutualisés.

Références

  1. www.who.int/uv/health/solaruvradfull_180706.pdf
  2. www.who.int/uv/publications/sunschools/fr/index.html
  3. Shadow rule for sun protection - The Journal of the American Academy of Dermatology, Vol 31, No 3, p 517, September, 1994
  4. www.soleil.info/ecole/le-programme-vivre-avec-le-soleil/modules-dactivites.html
  5. www.soleil.info/ecole/le-programme-vivre-avec-le-soleil/evaluations.html
  6. www.inpes.sante.fr/jp/cr/pdf/2009/session3/PPT_PEREIRA-Bruno.pdf
  7. www.ors-rhone-alpes.org/publications.asp?case=1
  8. www.livingwiththesun.info/

À partir des leçons tirées de l'expérience de transfert de connaissances relatée dans votre article, quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait reproduire votre démarche?

  1. « Investir » dans l’analyse du système éducatif. Multiplier les rencontres, monter un groupe de réflexion avec les responsables de la santé scolaire mais aussi et surtout avec les responsables pédagogiques. Vérifier et adapter le cas échéant les modules d’activités de sorte qu’ils « collent » au plus près des objectifs de connaissances et compétences fixées
  2. Déterminer les modalités opérationnelles pour optimiser la promotion du programme auprès du grand public et des enseignants ainsi, le cas échéant que la formation de ces derniers.
  3. Mettre en place des indicateurs de suivi et d’évaluation qui favorisent une mutualisation des résultats sur le plan international.