9 février 2011

Valorisation de la production scientifique : la démarche active de l’Institut de veille sanitaire

Article
Auteur(s)
Hélène Therre
Institut de veille sanitaire

Depuis le début des années 1980, de nombreux scientifiques, experts en communication scientifique ou sociologues se sont penchés sur la question de la communication scientifique et ont analysé les obstacles à la diffusion des connaissances scientifiques. Ces obstacles sont aussi bien de nature structurelle que culturelle : un langage et des supports de publications très spécialisés, une difficulté à adapter la communication scientifique à des cibles variées, un manque de liaison pour faciliter les échanges entre les milieux scientifiques et les autres acteurs de la société(1-3).

À la différence des organismes de recherche, les instituts nationaux de santé publique tel que l’Institut de veille sanitaire (InVS) en France doivent communiquer auprès de cibles variées, au nombre desquelles figurent les acteurs de la santé publique, les décideurs, les professionnels de santé, la société civile. Un tel objectif est au cœur même de leur mission.

La question du transfert des connaissances n’a pas été abordée en tant que telle, mais par le biais de la valorisation de la production scientifique, qui pourrait se définir comme : « l’ensemble des actions mises en œuvre et des documents produits pour diffuser de nouvelles connaissances ou de nouvelles données auprès de cibles pré-identifiées. La valorisation tient compte de l’analyse de l’impact scientifique, sociétal, politique et institutionnel des résultats à valoriser. Elle exige une capacité d’anticipation ».

C’est pour répondre à ce besoin que l’InVS a mis en place, en 2007, des structures spécifiquement dédiées à la valorisation de sa production scientifique : le Comité de valorisation et la Cellule de valorisation éditoriale (CeVE) (voir encadré), dont le rôle est dicté par les missions de l’Institut, ses domaines d’expertise et la nature de sa production scientifique.

DES OUTILS DE VALORISATION ORIGINAUX

Le Comité de valorisation : un espace transversal dédié à la valorisation

Le Comité de valorisation est un comité transversal, présidé par le directeur scientifique et animé par la CeVE. Il est composé d’un représentant de chaque département scientifique et de chaque service concerné par la diffusion de résultats (valorisation, communication et documentation).

Son rôle est de valider la stratégie de valorisation de la production scientifique et de communication.

Le Comité discute et valide chaque plan de valorisation, et traite des sujets de stratégie de valorisation de la production scientifique.

Cet espace de discussion réunit dix fois par an les auteurs des études, les départements scientifiques et les services responsables de la valorisation, de la communication et de la documentation.

En offrant un lieu privilégié d’échanges entre les experts de différents champs, il favorise la transversalité au sein même de l’Institut.

Il est souvent l’occasion de mettre en lumière certaines problématiques partagées.

Ces « effets secondaires » du Comité de valorisation contribuent aux échanges d’expériences et au partage des connaissances en interne, deux aspects contribuant à la cohésion de l’institut.

La cellule de valorisation éditoriale (CeVE)

Composée d’une équipe de 5 personnes, la CeVE fait partie de la Direction scientifique. Elle suit le processus de valorisation en amont et anime le Comité éditorial. Elle apporte un soutien aux départements pour la rédaction et la relecture des productions scientifiques en français et en anglais.

Elle assure la production du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH).

Le BEH : un modèle original de revue à comité de lecture

Le BEH publie des travaux dont la finalité est l’aide à la décision en santé publique.

Le BEH, édité par l’InVS, est doté d’un comité de rédaction ouvert pour moitié aux partenaires extérieurs, garantissant la qualité scientifique et la reconnaissance par les pairs.

Le BEH offre un support original au réseau des acteurs de santé publique en France. En 2009, sur les 135 articles publiés, 40 % portaient sur des résultats d’études ou de travaux réalisés par l’InVS.

Avec presque 10 000 abonnés, il a une large diffusion et une fréquente reprise par la presse généraliste ou médicale nationale. Sa version entièrement en ligne BEHWeb a été créée à l’occasion de la pandémie grippale de 2009 pour répondre aux besoins de diffusion rapide.

L’Institut de veille sanitaire : surveillance de la santé des populations

L’InVS est l’établissement national de santé publique créé par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme en 1998(4). Il a pour mission la veille et l'alerte sanitaire, et la contribution à la gestion des situations de crise sanitaire (www.invs.sante.fr). L’InVS s’appuie sur le réseau national de santé publique représenté par les réseaux de surveillance, les professionnels de santé, les instances nationales et régionales impliquées dans la santé publique et les agences et les partenaires institutionnels.

L’Institut recueille, analyse et actualise les connaissances sur les risques sanitaires, leurs causes et leur évolution, détecte les facteurs de risque susceptibles de modifier ou d’altérer la santé de la population, étudie les populations les plus fragiles ou vulnérables. Son champ d’action couvre les maladies infectieuses, les maladies chroniques, les traumatismes, les effets de l’environnement sur la santé et les risques liés aux expositions professionnelles; certains risques internationaux et tropicaux font également l’objet d’une surveillance spécifique.

Valoriser la production scientifique : une diversité des productions scientifiques et des cibles

Valoriser suppose de bien définir les cibles vers lesquelles les connaissances acquises et les données collectées par l’InVS doivent être diffusées et la nature de sa production scientifique.

Qui sont les utilisateurs des données et des résultats des études réalisées par l’InVS? Les cibles sont multiples, depuis les décideurs, les partenaires, les professionnels de santé publique et les professionnels de santé, les chercheurs et les enseignants. Le monde des associations (de patients, environnementales, de consommateurs, les syndicats professionnels, etc.) constitue également une des cibles de l’InVS en assurant un relais vers leurs membres. Enfin, les médias - généralistes, scientifiques, professionnels, et associatifs – en relayant l’information auprès de la société civile constituent une cible importante.

Typologie des productions scientifiques

Quelle est la production de l’InVS ? Reflet des missions de l’Institut, la production scientifique porte sur des sujets aussi variés que des investigations (d’épidémies, d’agrégats spatio-temporels de maladies non infectieuses, etc.), des évaluations de risque, des données issues des systèmes de surveillance pérenne (VIH/Sida, tuberculose, toxi-infections alimentaires, intoxications au CO, consultations aux services d’urgence, etc.), des études de faisabilité (exploration d’une nouvelle source de données, par exemple), des descriptions de nouveaux systèmes de surveillance (alerte canicule, surveillance syndromique, etc.), des résultats d’enquêtes (enquête nutrition-santé, noyades, etc.). S’ajoutent à cela des notes de position sur des phénomènes émergents ou des problématiques de santé publique, des guides méthodologiques, ou encore des revues de la littérature.

Une typologie des productions scientifiques de l’InVS a été élaborée par la Direction scientifique en collaboration avec le Comité de valorisation. Elle tient compte de la diversité des expertises et des missions de l’InVS et reflète la multiplicité des productions et des cibles à atteindre. Elle décrit un nombre limité de productions scientifiques répondant chacune à un contenu, à une cible et à un mode de diffusion. Elles sont classées en :

  • productions primaires : rapports, notes de position, points épidémiologiques, actes de colloques, articles scientifiques;
  • productions secondaires : résumés pour décideurs, questions-réponses, fiches d’information.

La place du Rapport InVS

Une réflexion sur la place et le rôle du « Rapport InVS » par rapport aux autres productions scientifiques a été menée avec des représentants du Comité de valorisation.

Classiquement, le modèle de base de restitution des travaux d’institutions telles que l’InVS est « Le Rapport », document de référence décrivant de manière exhaustive toute surveillance, étude ou enquête. À titre indicatif, en 2009, l’InVS a produit 61 rapports d’études(5). Incontournable en termes de restitution du travail réalisé et partie du patrimoine de l’Institut, le rapport n’est pas pour autant adapté aux impératifs d’information auprès des décideurs, ni auprès des professionnels de santé, ou de la société civile. D’où l’importance d’accompagner le rapport d’un document synthétique lisible par le plus grand nombre, comme une synthèse ou un résumé pour décideurs. Alors que le premier reprend de manière synthétique le contenu du rapport, le résumé pour décideurs privilégie les résultats, les messages de santé publique et les perspectives en termes de surveillance.

Les publications dans des revues scientifiques

Un autre canal classique est la publication dans des revues à comité de lecture internationales ou nationales, modèle universel de diffusion des résultats de la recherche. Si ce canal est important en termes de visibilité internationale et de reconnaissance de l’expertise par les pairs, il ne répond pas à l’impératif d’un institut de santé publique d’une diffusion rapide auprès d’un public le plus souvent non lecteur de revues scientifiques. Cependant, le développement actuel des revues en Open access et des Archives ouvertes, permettant un accès gratuit pour tous aux articles scientifiques, est une piste à promouvoir dans une perspective de leur diffusion auprès d’un public plus large.

En 2009, plus de 300 articles parus dans des revues à comité de lecture ou des revues professionnelles, en langue anglaise ou française, ont été signés ou cosignés par au moins un auteur InVS(5).

Des structures et des procédures pour institutionnaliser la valorisation

Le Comité de valorisation et la CeVE (voir encadré Des outils de valorisation originaux) contribuent à assurer des échanges entre les producteurs de connaissances et les acteurs de la diffusion des connaissances en permettant d’anticiper les plans de valorisation.

En pratique, un circuit a été mis en place, institutionnalisant le signalement de toute étude aboutie auprès de la CeVE et du service chargé de la communication. Ce signalement se concrétise par une fiche de valorisation, outil de partage entre les auteurs de l’étude (départements scientifiques) et la Direction scientifique et les services impliqués dans la diffusion des connaissances (valorisation, communication, documentation). Cette fiche comporte une analyse de l’impact scientifique, politique, institutionnel et sociétal de l’étude, aboutissant à un plan de valorisation discuté de manière collégiale en Comité de valorisation. Y sont décrits les documents à produire, les évènements à organiser et l’agenda de chacune de ces actions.

Ces circuits ont été traduits en « procédures » répondant au système qualité de l’InVS, décrivant de manière formelle l’ensemble des étapes à suivre depuis la production de données ou connaissances jusqu’à leur diffusion. L’adoption de ces procédures est le garant d’une visibilité collective et d’un partage de la production scientifique de l’InVS.

Valoriser : une action qui s’inscrit dans le long terme

Ces outils constituent une étape indispensable pour assurer un lien entre les producteurs de connaissances, et leurs utilisateurs. Est-il permis de considérer que la réflexion et les outils développés par l’InVS participent, sans pour autant la nommer, du concept de « courtage de connaissances »(6) né au Canada au début des années 2000?

Par cette démarche pragmatique d’anticipation des retombées de ces travaux, l’InVS contribue en effet à un meilleur partage des connaissances avec les professionnels de santé les décideurs et la société civile, ainsi qu’à une prise en compte des résultats de ses travaux à l’action et à la prise de décision.

Ces outils répondent à l’une des missions de l’InVS, à savoir la promotion d’une culture partagée des connaissances en matière de veille et de surveillance.

Sources

  1. Trottier LH, Champagne F. L'utilisation des connaissances scientifiques : au cœur des relations de coopération entre les acteurs. Montréal : Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Santé; 2006. 49 p. [consulté le 25/11/2010] www.gris.umontreal.ca/rapportpdf/R06-05.pdf
  2. Comité consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé. Communication d’Information scientifiques et médicales et société : enjeux éthiques. Avis nº 109. p1-17. Février 2010. www.ccne-ethique.fr/docs/CCNE-Avis_109.pdf
  3. Kloprogge P, van der Sluijs Jeroen, Wardekker A. Uncertainty Communication – Issue and good Practice. Report Netherlands Environmental Assessment Agency December 2007.
  4. Loi nº 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Accessible sur : www.legifrance.gouv.fr
  5. Chiffres extraits de la base documentaire de l’InVS au 28 novembre 2010.
  6. Direction de la recherche et de l’innovation, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Canada. Cadre pour un transfert des connaissances au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux. Novembre 2008.

À partir des leçons tirées de cette expérience de transfert de connaissances, quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait reproduire votre démarche?

  1. Démarche portée par la direction : s’assurer un fort soutien, voire une participation, de l’équipe de direction avant la mise en place de la démarche.
  2. Transversalité : Adhésion de tous les acteurs (producteurs de connaissances = départements scientifiques ET vecteurs de la diffusion = services responsables de la valorisation, la communication, la documentation, etc.) et identification de relais. Les personnes-relais doivent être motivées et légitimées (reconnues) par l’équipe qu’elles représentent.
  3. Promouvoir la démarche : réaliser une phase pilote avec une équipe volontaire sur un sujet précis à valoriser. Objectif : se servir des « produits » ainsi obtenus lors de cette phase pour vendre la démarche de valorisation.