11 août 2007

Protection contre l’Allergie : éTUde du milieu Rural et de son Environnement (PATURE)

Article
Auteur(s)
Jean-Jacques Laplante
Directeur santé, Mutualité Sociale Agricole de Franche-Comté, France
Jean-Charles Dalphin
Professeur de pneumologie, CHU Jean Minjoz, Besançon, France

Introduction

Cette étude est menée en partenariat entre la Mutualité Sociale Agricole (MSA), la sécurité sociale du monde agricole et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon. La MSA en France ce sont 4 millions de personnes, soit 7 % de la population couverte, le 2e régime de protection sociale et 25,4 milliards d’Euros  de prestations versées en 2006. L’étude s’intègre au programme de recherche européen PASTURE, dirigé par le Professeur Erika Von Mutius de Munich, destiné principalement à identifier les substances du milieu agricole qui confèrent une protection vis-à-vis de l’allergie atopique, puis, le cas échéant, à mettre en place des stratégies de prévention primaire de l’asthme et des maladies allergiques (projet FORALLVENT, «FORum on ALLergy preVENTion»).

Il s’agit d’une enquête de cohorte de nouveau-nés en milieu rural, qui seront suivis de la naissance à l’âge de 6-7 ans. Les inclusions ont débuté en 2002 en Allemagne, Autriche, Suisse et Finlande et à la mi-2003 en France (Franche-Comté). La période d’inclusion s’est achevée au printemps 2005 et cette cohorte d’environ 1 000 enfants va être suivie jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, au moment où les maladies allergiques de l’enfance, notamment l’asthme, sont apparues. Entre l’évaluation clinique et biologique de l’allergie qui a eu lieu à la visite d’un an, et celle complète qui aura lieu à l’âge de 6-7 ans, une mesure de la sensibilisation atopique aux allergènes respiratoires et alimentaires courants est planifiée à l’âge de 4 ans.

(Photo – Pierre Simon)

Principaux facteurs protecteurs de l’allergie atopique et justification de l’étude PATURE

Au cours des 50 dernières années, de nombreuses études ont permis d’objectiver l’augmentation considérable des maladies allergiques dans tous les pays industrialisés1-3. Cette explosion du risque allergique touche en particulier l’asthme, qui est la plus grave des maladies allergiques. Sa fréquence s’établit jusqu’à 10 % chez l’adulte et jusqu’à 35 % chez l’enfant4. L’incidence de l’asthme est plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte; l’asthme grave touche 1 % des enfants et 3 % de la population générale. L’augmentation de fréquence de ces pathologies est associée à l’augmentation du niveau de vie, l’urbanisation, la réduction de la taille des familles et de façon générale à l’augmentation du niveau d’hygiène et à la diminution des maladies infectieuses dans l’enfance. Les réflexions sur les causes précises de ce phénomène ont été alimentées récemment par la mise en évidence, dans les pays industrialisés, de milieux «protégés», à plus faible risque d’allergie. L’observation de ces environnements protecteurs, qui ont notamment permis de soulever l’hypothèse de l’hygiène il y a maintenant une quinzaine d’années, sont à la base de la mise en place de plusieurs études de cohortes, dont la cohorte PASTURE.

L’hypothèse de l’hygiène

Cette hypothèse proposée en 19895 comme une explication plausible de l’augmentation de la prévalence des allergies dans les pays développés repose sur l’assertion qu’un environnement plus propre, lié à la modernisation, diminue l’exposition du système immunitaire aux agents infectieux, ce qui entraînerait progressivement une perte de tolérance aux allergènes et ainsi une augmentation de l’incidence des allergies. Cette hypothèse est cohérente avec l’augmentation de prévalence des allergies associées au mode de vie occidental ; avec la relation inverse entre taille de la fratrie et risque d’allergie ; avec le risque plus bas de sensibilisation chez les enfants ayant eu des animaux domestiques dans l’enfance; et enfin avec la diminution du risque d’allergie observée chez les enfants nés dans une ferme de production laitière. Selon cette hypothèse, notre mode de vie serait désormais incapable de fournir à notre système immunitaire un stimulus propre à l’orienter vers la défense vis-à-vis des agents anti-infectieux, plutôt que vers les allergies. Plusieurs études ont mis en évidence une relation négative entre les infections précoces des voies respiratoires et le risque ultérieur d’asthme et d’atopie. Le risque réduit de maladies allergiques observé chez les enfants qui ont séjourné en crèche où le risque d’infections respiratoires est élevé va dans ce sens. Cependant, toutes les études ne supportent pas cette hypothèse de l’hygiène. Les infections des voies respiratoires ont été identifiées comme des facteurs de risque d’asthme et de sifflements6. C’est ainsi que plusieurs équipes se sont intéressées aux sources d’exposition microbienne et en particulier celles constituées par la flore intestinale commensale7.

Une étude prospective conduite chez des nouveau-nés suédois et estoniens a mis en évidence une association négative entre la colonisation du tube digestif par certaines bactéries et l'allergie: plus d'entérocoques et de bifidobactéries conduisent à observer moins d'allergie. Ces observations, ainsi que d’autres, conduisent à l’idée que les microbiotiques pourraient être utilisés pour prévenir l’allergie. Des premières expérimentations animales ont donné des résultats prometteurs en utilisant des lactobacilles recombinants. Plus récemment, un groupe finlandais publia une étude interventionnelle utilisant «Lactobacillus rhamnosus» chez des femmes enceintes et leur nouveau-né, qui montra une réduction de l’incidence de la dermatite atopique à l’âge de 4 ans chez les enfants traités par rapport aux enfants ayant reçu le placebo.

Toutes ces découvertes supportent la notion que l’effet protecteur d’une diminution du niveau d’hygiène pourrait non seulement intervenir à travers des manifestations cliniques d’infection, mais également à la suite d’une exposition à des microorganismes non viables de l’environnement des enfants.

Le rôle de l’exposition aux animaux domestiques

L’observation récente de prévalences réduites d’allergies chez les enfants qui ont été exposés dans les premiers mois de la vie aux animaux domestiques (chats et surtout chiens) alimente les réflexions sur les causes de l’accroissement du risque allergique.

En 1999, Hesselmar et al. montrèrent que les enfants exposés aux animaux domestiques au cours de la première année de vie avaient une fréquence réduite de rhinite allergique, d’asthme et de sensibilisation aux chats entre 9 et 13 ans8. Ces données furent confirmées la même année par l’analyse d’une enquête européenne de surveillance de l’état respiratoire sur plus de 18 000 sujets, qui suggéra que l’exposition aux chats pendant l’enfance protégeait apparemment de l’allergie aux chats chez l’adulte. À­ la suite de ces articles, une méta-analyse fut présentée par Apelberg et al en 20019. Les auteurs sélectionnèrent 32 études épidémiologiques, observèrent un risque réduit de manifestations d’allergie chez les enfants les plus jeunes, sans toutefois qu’il fût possible de conclure, compte tenu du caractère généralement transversal des études et des biais de sélection inhérents à ce type d’études. Dans les suites de cette méta-analyse, 10 études prospectives ont été publiées au cours des 6 dernières années10,11, documentant progressivement la relation inverse entre l'exposition aux animaux domestiques et le risque allergique. L’association est plus forte en l’absence d’hérédité allergique familiale. La «protection» conférée par le chien est plus solide.

Ainsi, au cours des cinq dernières années, on assiste à une agrégation de données qui soutiennent cette hypothèse d’une protection vis-à-vis des maladies allergiques liées à une «exposition antigénique» d’origine animale. On doit cependant souligner quelques réserves. Malgré le caractère prospectif de ces études, les facteurs relatifs à l’exposition sont généralement insuffisamment objectivés, car la question principale lors de la mise en place de ces cohortes n’était pas le rôle protecteur éventuel des animaux domestiques. En outre, dans la majorité de ces études, le classique biais de sélection selon lequel les familles à hérédité allergique ont tendance à protéger l’environnement de leurs nouveau-nés ne peut être exclu.

D’où l’intérêt de mettre en place des études prospectives, qui non seulement prennent en compte a priori l’hérédité allergique, mais aussi le contexte qui conduit à l’acquisition ou la suppression de l’animal domestique, et surtout qui quantifient l’exposition du nouveau-né à l’animal et à ses allergènes majeurs par des prélèvements spécifiques. C’est ce que prévoit l’étude PASTURE, même si l’étude de l’exposition précoce aux animaux domestiques en tant que telle ne fait pas partie de ses objectifs principaux.

La question de la protection conférée par la vie à la ferme

De nombreuses études transversales dans différents pays d’Europe mais également en Amérique du Nord, ont montré de façon reproductible que les enfants ayant grandi à la ferme présentaient moins d’asthme, de rhume des foins et de sensibilisation atopique que leurs homologues qui n’avaient jamais vécu à la ferme12-17.

Cet effet protecteur semble se poursuivre à l’adolescence et au-delà, même si les résultats de ce type observés chez l’adulte peuvent dans une certaine mesure être attribués à un effet travailleur sain. Les résultats de plusieurs de ces études transversales chez des enfants d’âge scolaire suggèrent fortement que l’exposition au bétail et la consommation de lait cru non pasteurisé sont les facteurs les plus significativement en relation avec la tolérance vis-à-vis des allergènes environnementaux. Les analyses rétrospectives les plus récentes, de plus, indiquent que de telles expositions doivent survenir pendant la grossesse et au cours de la 1ère année de vie de l’enfant pour conférer une protection significative. L’exposition, pendant la grossesse de la mère à l’environnement de la ferme, et celle de l’enfant durant sa 1ère année de vie à l’ambiance des étables et au lait cru, se sont avérées significativement associées à des prévalences d’asthme (0,8 % vs 11,8 %), de rhume des foins (0,8 % vs 16 %) et de sensibilisation atopique (8,2 % vs 32,9 %) très basses, comparées à celles observées chez les enfants témoins non exposés. Après ajustement sur les facteurs de confusion, le pouvoir protecteur reste très élevé, avec des rapports de cote de 0,14 pour l’asthme, de 0,20 pour le rhume des foins et de 0,32 pour la sensibilisation atopique.

Il existe maintenant, fin 2006, plus de 20 études menées dans diverses régions du globe, qui permettent de suspecter un certain nombre de facteurs de protection vis-à-vis du risque allergique, résumés ci-après :

  • Être né dans une ferme :
    • de production laitière où il y a des bovins,
    • « traditionnelle » avec des locaux d’exploitation et d’habitation contigus,
    • en « Europe centrale » (Autriche, Bavière, Suisse, Finlande, Suède, etc.);
  • Avoir eu des contacts répétés avec l’ambiance de l’étable bovine au cours de la 1ère année de vie;
  • Avoir une mère qui a eu des contacts répétés et réguliers avec l’ambiance de l’étable bovine durant sa grossesse;
  • Avoir bu du lait «cru» (non bouilli, non pasteurisé) au cours de la première année de vie;
  • Avoir eu une alimentation riche en produits laitiers au cours des premières années de vie;
  • Être exposé(e) à de fortes concentrations d’endotoxines et de substances microbiennes.

Il faut toutefois insister sur le caractère rétrospectif de la totalité de ces études qui permettent de proposer ces facteurs de protection; pour aucun d’entre eux, la causalité ne peut être affirmée.

Des études prospectives sont clairement nécessaires pour investiguer la séquence temporelle des événements, qui relie, en milieu agricole, les expositions environnementales précoces à la maturation de la réponse immunitaire et au développement d’allergies ou à l’inverse d’une tolérance.

Les hypothèses explicatives des effets protecteurs

Les facteurs impliqués dans la protection contre l’atopie

Les endotoxines ont été les premières substances d’origine microbienne évoquées comme un des éléments-clés de la protection conférée par ce milieu agricole de production laitière. Substances lipo-polysaccharidiques issues de la paroi de nombreuses bactéries, notamment des entérobactéries, elles bloquent la production d’IgE spécifiques chez l’animal d’expérience et, chez l’enfant à haut risque d’asthme, sont susceptibles d’induire une réponse associée à une fréquence décrue de sensibilisation aux allergènes de la poussière de maison. Or, les concentrations en endotoxines sont particulièrement élevées dans les habitats fermiers de production laitière, et leur concentration dans l’environnement domestique est inversement corrélée avec le risque allergique chez des enfants en âge scolaire mais aussi avec l’asthme atopique chez des agriculteurs adultes. Les bovins sont considérés comme les principaux pourvoyeurs d’endotoxines dans l’environnement de la ferme, mais les chats et les chiens dispersent aussi de fortes quantités d’endotoxines dans leurs excréments. Ainsi, les endotoxines se posent en «candidat idéal» pour relier chats, chiens, vaches et allergies. Il est donc possible que la présence des chats et des chiens, habituels en milieu agricole de production laitière, participe à l’effet protecteur des fermes. En effet, une analyse réalisée dans le cadre de l’étude ALEX ayant porté sur 319 enfants vivant dans les fermes et 493 enfants vivant en milieu rural mais pas dans une ferme a montré qu’une exposition aux chiens et aux chats au moment de l’étude était associée à une réduction du risque de sensibilisation atopique, mais également que le cumul d’une exposition actuelle aux chiens et d’une exposition régulière aux animaux de la ferme était associé à une réduction encore plus significative des risques d’asthme et de sensibilisation aux allergènes de chats18, 19.

Cependant, les endotoxines ne sauraient à elles seules expliquer le rôle protecteur observé en milieu agricole et au contact des chats et chiens. Une étude récente, par exemple, a suggéré des effets indépendants de l’exposition aux animaux domestiques et des endotoxines vis-à-vis de l’allergie. De plus, les résultats de l’étude ALEX signifient clairement qu’il existe une protection liée à la présence de l’enfant dans l’étable bovine indépendamment de l’exposition aux endotoxines. L’acide N-acétyl muramique, composé bactérien aux effets immunomodulateurs bien connus est un candidat sérieux; ses taux dans le matelas des enfants vivant à la ferme sont plus élevés; ils sont significativement associés à une réduction des affections respiratoires sifflantes et de l’asthme dans une population d’enfants d’âge scolaire allemands, autrichiens et suisses sans cependant qu’on puisse mettre en évidence d’association avec la réduction de la sensibilisation atopique. Plus récemment, dans l’étude PARSIFAL, les auteurs ont dosé diverses substances d’origine microbiennes et fongiques, endotoxines, bêta (1,3)-glucanes et polysaccharides extracellulaires, dans la poussière de la salle de séjour et la literie de 229 enfants vivant dans des fermes, 122 enfants des écoles anthroposophiques Steiner, et 127 enfants témoins vivant en milieu rural. Les taux d’endotoxines mais aussi de substances d’origine fongiques étaient plus élevés dans les fermes que chez les sujets contrôles. L’effet protecteur de la vie à la ferme pourrait donc aussi résulter d’une exposition à diverses substances d’origine fongique; cependant, on ignore presque tout de la nature des agents fongiques en cause, en termes d’espèces et de localisation dans l’espace agricole.

Les substances microbiennes potentiellement impliquées n’épuisent cependant pas la liste possible des candidats à la «protection»: les allergènes présents dans la ferme et respirés dès les premières semaines de vie en grande quantité pourraient favoriser la production d’anticorps IgG aux dépens des IgE, établissant ainsi un état de tolérance. Cette hypothèse de «l’immunotolérance» ou de «la réponse immunologiquement modifiée» stipule à l’origine que l’exposition à de hautes doses d’allergènes de chat est associée à une diminution du risque de sensibilisation spécifique de type IgE, mais en revanche à une augmentation de la production d’IgG. Une telle réponse a été évoquée pour expliquer l’effet protecteur du contact avec le chat;  or, les antigènes de chat sont abondants dans l’environnement de la ferme en dépit d’une sensibilisation moindre à leurs allergènes chez les agriculteurs. Cette «réponse modifiée» pourrait bien ne pas être spécifique du chat et être favorisée par la forte exposition aux allergènes du chat, certes, mais aussi des chiens, des bovins et des autres animaux d’élevage et de basse-cour et ainsi qu’aux pollens de graminées à laquelle sont soumis les jeunes enfants dans les étables et les granges. Ainsi, les «candidats» à la protection conférée par le milieu agricole sont multiples et seule une étude prospective les prenant en compte dans leur multiplicité est susceptible de nous faire progresser dans leur connaissance.

Les bases immunologiques de la protection

La vie à la ferme et/ou le contact permanent avec les animaux pourrait représenter un ensemble de facteurs qui contribueraient à un apprentissage du système immunitaire à limiter la production des IgE, ou plutôt l’expression effectrice de ces anticorps et donc l’expression de l’allergie. In utero, les lymphocytes T du fœtus sont maintenus dans un état « basal », caractérisé par la production de cytokines particulières, de type « Th2 ». Les réponses immunes à la naissance sont très largement dominées par les lymphocytes Th2. Par la suite, le système immunitaire normal (c’est-à-dire non allergique) s’oriente vers une réponse de type « Th1 » et est associée aux réactions de défense contre les micro-organismes. Les micro-organismes sont en effet associés à des signaux de « danger » reconnus par les cellules de l’immunité qui déterminent cette nouvelle orientation. Des récepteurs sont chargés d’identifier ces signaux de danger et d’en transférer l’information aux lymphocytes. Ces récepteurs sont essentiels pour déterminer l’orientation des réponses immunitaires vis-à-vis d’un micro-organisme donné, et à long terme, pour un individu donné, en fonction de ses « expériences » microbiennes dans l’enfance. Chez l’enfant potentiellement atopique, les réponses, initiées in utero, sont maintenues voire exacerbées, et cela d’autant plus que des facteurs génétiques s’ajoutent aux éléments d’environnement. De plus, les enfants atopiques présentent des anomalies qui suggèrent fortement des modifications dans les systèmes de signalisation. Les résultats obtenus sur les prélèvements faits lors de l’étude ALEX vont dans ce sens, car chez les enfants vivant à la ferme et « protégés » par leur mode de vie, ils montrent l’intervention d’autres substances d’origine microbienne, des composants des bactéries à Gram négatif et des particules de moisissures, associées à la protection contre les allergies.

Facteurs génétiques et facteurs d’environnement interagissent donc et ces interactions commencent dès la vie fœtale. Dans l’étude PARSIFAL, la sensibilisation atopique et l’expression génique de ces mêmes récepteurs semblent très fortement déterminées par l’exposition maternelle à l’environnement de l’étable pendant sa grossesse. Une relation dose-effet a même été observée entre le niveau d’expression de ces gènes et le nombre d’espèces différentes d’animaux de la ferme rencontrées par les mères pendant leur grossesse. Les modalités précises de cette influence maternelle pendant la grossesse restent cependant encore assez mystérieuses, et c’est tout l’intérêt des études prospectives «de cohorte», comme PASTURE, où les enfants ont été étudiés dès avant leur naissance et où l’analyse immunologique peut prendre en compte à la fois le système immunitaire des parents et de l’enfant, les facteurs environnementaux, le mode de vie et la survenue des évènements atopiques à long terme.

Les objectifs de l’enquête PATURE

L’objectif général de l’enquête PATURE est d’identifier précisément les facteurs d’environnement qui protègent de l’allergie atopique, de préciser leur interaction avec les facteurs génétiques, avec pour finalité de mettre en place des stratégies de prévention chez des sujets génétiquement prédéterminés.

Objectifs spécifiques principaux

  • Confirmer de façon prospective le rôle protecteur de l’exposition à un environnement agricole de production laitière;
  • Déterminer le rôle d’une exposition importante à des substances d’origine microbienne dans la protection contre la survenue des allergies chez les enfants en milieu rural;
  • Caractériser les mécanismes immunologiques et génétiques impliqués dans le déterminisme des réponses individuelles à ces influences environnementales (interaction gènes-environnement);
  • Caractériser les manifestations cliniques et biologiques d’allergie chez l’enfant et leur évolution de la naissance à l’âge de 6-7 ans.

Méthodes

Des femmes enceintes, vivant ou non à la ferme, ont été identifiées au 3e trimestre de leur grossesse, dans 5 régions rurales d’Europe (région de Bâle en Suisse, en Franche-Comté en France, Bavière en Allemagne, Autriche et Finlande). En France, elles ont été identifiées par la Mutualité Sociale Agricole de Franche-Comté qui leur a envoyé une lettre d’information et une proposition de participation à l’étude.

Avant la fin de la grossesse, un rendez-vous a été pris avec l’un des membres de l’équipe chargée de l’étude : au cours de ce rendez-vous, qui a eu lieu au domicile de la patiente, les modalités de l’enquête ont été expliquées, la feuille d’information relue, et l’intervenant a répondu à toutes les questions de la patiente et de sa famille. Là ont été remplis un questionnaire concernant l’exploitation agricole (pour les patientes vivant en ferme), l’état de santé et les facteurs liés au style de vie des patientes. Un prélèvement sanguin pour l’étude des IgE spécifiques et pour les études immunogénétiques a été réalisé chez la patiente et le futur père par une infirmière expérimentée.

À la naissance de l’enfant, du sang du cordon a été recueilli par la sage-femme présente lors de l’accouchement, préalablement contactée au sujet de l’étude; ceci pour caractériser les polymorphismes et l’expression des gènes liés à la reconnaissance des substances d’origine microbienne.

À l’âge des 2 mois de l’enfant, un nouveau rendez-vous au domicile de la patiente a été pris après entretien téléphonique.

À l’âge d’un an, un troisième rendez-vous a été pris avec la famille. Il a eu lieu à l’hôpital. Un pédiatre a recueilli et vérifié le questionnaire 1 an, réalisé un examen complet de l’enfant, notamment un examen dermatologique à la recherche d’un eczéma atopique à partir du score européen SCORAD, a réalisé des tests cutanés aux pneumallergènes et trophallergènes courants.

À l’âge de 2 ans, la mère a bénéficié d’un interrogatoire téléphonique sur la base d’un questionnaire, d’une durée de 40 minutes.

À l’âge de 3 ans, les familles bénéficient d’un entretien téléphonique sur rendez-vous pour remplir un questionnaire médical et environnemental concernant la famille, l’enfant de l’étude et la fratrie.

À ces dispositifs, il faut ajouter les questionnaires «Environnement et Santé», les prélèvements et analyses biologiques, les prélèvements environnementaux à la ferme et dans l’habitation, ainsi que les prélèvements de lait maternel, si la femme allaite et un échantillon du lait de vache utilisé par la famille.

(Photo – Pierre Simon)

Résultats attendus des travaux de recherche et perspectives

Cette étude a pour objectif immédiat d’expliquer l’augmentation de prévalence des maladies allergiques en identifiant les substances qui, dans certains milieux spécifiques «protégés», exercent une action préventive, et de déterminer les mécanismes immunogénétiques impliqués. À terme, cela pourrait déboucher sur la mise en place de protocoles interventionnels de prévention, puis l’élaboration de stratégies préventives contre l’asthme et les maladies allergiques par l’utilisation de substances microbiennes et/ou de probiotiques chez les sujets génétiquement susceptibles.

Parallèlement, ce travail permettra d’approfondir nos connaissances dans le domaine des relations entre exposition et sensibilisation atopique, et de situer le rôle de l’alimentation sur le risque de maladies allergiques. Par exemple, il est beaucoup question depuis 3-4 ans de l’éventuel rôle protecteur joué par l’exposition très précoce aux chats et aux chiens, alors que généralement les contacts avec d’autres allergènes (acariens, blattes, etc.) représentent des risques documentés. De même, l’influence de l’allaitement maternel a fait l’objet de débats contradictoires depuis quelques années.

Cette étude européenne est donc susceptible d’apporter une forte contribution à la prévention des maladies allergiques dont la fréquence et la gravité en font actuellement un problème de santé publique unanimement reconnu.

Résultats préliminaires

Les résultats des examens faits à la naissance et lors de la première année de suivi ont été présentés lors d’une réunion du consortium de recherche, qui a eu lieu en Franche-Comté à Arc et Senans les 29 et 30 mai 2006. Seule une petite partie des résultats publiés est résumée dans ce paragraphe. Les données non publiées, confidentielles, ne sont pas présentées.

Ces résultats se résument ainsi :

  • Les enfants nés dans une ferme ont, dès la naissance, plus souvent un profil lymphocytaire de type Th1 que leurs homologues non- fermiers;
  • Les enfants nés dans une ferme, dès la naissance, sont moins souvent sensibilisés que leurs homologues non-fermiers aux allergènes de l’environnement extérieur, mais pas aux allergènes alimentaires courants. La sensibilisation néonatale aux allergènes alimentaires est fortement corrélée au profil de sensibilisation maternel, ce qui n’est pas le cas pour les allergènes respiratoires;
  • Au niveau microbiologique, les chambres des enfants des fermiers sont plus contaminées en moisissures que les chambres de leurs homologues ruraux non-fermiers. La contamination en moisissures dans les étables est de 20 à 50 fois supérieure à celle observée dans les chambres des enfants, mais compte tenu du temps passé au cours de la première année de vie par les enfants dans la chambre, cette exposition «domestique» est certainement au moins aussi importante que l’exposition «agricole»;
  • Le risque réduit d’allergie observé chez les enfants de fermiers qui boivent régulièrement du lait cru n’est pas expliqué par la présence d’endotoxines dans le lait. En effet, la concentration en endotoxines est globalement moins élevée dans le lait consommé par les fermiers que dans le lait consommé par leurs homologues ruraux non fermiers.

Conclusion

Ce programme de travail qui réunit des équipes de recherche européennes représente un enjeu majeur à divers titres.

Pour le monde agricole, il existe une grande curiosité et un espoir de voir des facteurs protecteurs découverts à une période où l’écologie politique désigne les agriculteurs comme vecteurs de pathologies par exemple dans le débat autour des produits phytosanitai­res.

En Franche-Comté ceux-ci ressentent de la fierté à participer à l’avancée de la science et à l’idée d’un autre regard sur leur métier.

En Europe ce sont 1 069 familles qui ont été incluses dans l’étude au début dont 192 en France qui sont toutes Franc-Comtoises dans une zone d’élevage familiale de vaches laitières.

Pour la santé humaine l’enjeu se situe à deux niveaux pour les responsables de la sécurité sociale agricole que nous sommes :

  • Enjeu humain au regard de la morbidité et de la mortalité engendrée par l’allergie;
  • Enjeu économique au regard du coût considérable que représentent les dépenses de santé sur ce chapitre à une période où les revenus consacrés à l’assurance maladie font débat dans tous les pays occidentaux.

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