13 octobre 2003

Prévention des cas de brûlures et de légionelloses liés à l’eau chaude du robinet

Article
Auteur(s)
Michel Lavoie
M.D., Institut national de santé publique du Québec
Benoît Lévesque
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin spécialiste, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Diane Sergerie
Institut national de santé publique du Québec et Direction de santé publique de la Montérégie

Introduction

Au Canada, la température de l’eau à l’intérieur des chauffe-eau et à la sortie des robinets est régie par le Code national du bâtiment et le Code national de la plomberie. Ayant fait l’objet d’une révision, ces codes ont été soumis à la consultation publique en 2003 à l’échelle nationale afin de permettre aux organismes ou aux individus intéressés de commenter les propositions à l’étude. L’une d’entre elles visait à réduire le risque de brûlures associé à l’eau chaude du robinet en diminuant à 49 °C la température maximale de l’eau qui alimente tout appareil sanitaire d’une habitation (ex. robinet).

Les recommandations formulées à ce jour par les autorités de santé publique québécoises sont en accord avec cet objectif de réduction des brûlures1,2. En revanche, ces mêmes recommandations vont à l’encontre de l’une des trois mesures envisagées pour atteindre cet objectif, soit celle consistant à régler le thermostat du chauffe-eau à 49 °C, puisqu’une telle mesure est susceptible d’augmenter le risque de légionelloses (maladie du Légionnaire et fièvre de Pontiac). Cependant, cette inquiétude n’est pas partagée par plusieurs organismes canadiens reconnus dont Santé Canada, sauf peut-être pour les groupes à risque de contracter cette maladie.

Le contrôle de la température de l’eau chaude dans les habitations demeure donc un sujet controversé, particulièrement en ce qui concerne le seuil minimal à maintenir pour la température de l’eau à l’intérieur des chauffe-eau. Ce seuil est habituellement déterminé en fonction des besoins à combler en eau chaude et de l’évaluation combinée des risques de brûlures et de légionelloses. Les propositions étudiées dans le cadre de la présente révision des codes doivent être évaluées selon ces mêmes paramètres. Dans le but de procéder à un choix éclairé des propositions à l’étude, le présent article présente une analyse critique sur le sujet et propose une série de recommandations qui tiennent compte de ces deux problématiques.

Les brûlures causées par l'eau chaude

Les brûlures causées par l’eau chaude du robinet (BECR) sont des lésions tissulaires causées par l’énergie thermique accumulée dans les molécules d’eau. La classification internationale des maladies ne comprend pas de code spécifique pour ce type de brûlures. Elles se retrouvent dans une catégorie plus générale : les brûlures causées par des liquides chauds ou vapeurs (BLC). Cette absence de code spécifique pour les BECR constitue un obstacle pour déterminer leur fréquence au sein d’une population donnée, chaque cas devant être identifié parmi l’ensemble des BLC (ex. eau chaude, café, thé, huile, etc.).

La profondeur des brûlures est définie suivant trois niveaux : premier, deuxième et troisième degré. Dans le cas des brûlures de premier degré, les lésions sont limitées à l’épiderme, ce qui occasionne une réaction de type inflammatoire semblable à celle associée à un «coup de soleil». Les brûlures de deuxième degré sont caractérisées par une nécrose complète de l’épiderme et partielle du derme. Cliniquement, ces lésions sont reconnaissables par la présence de bulles d’exsudat. Dans le cas des brûlures de troisième degré, il y a nécrose complète de l’épiderme et du derme incluant les annexes : l’hypoderme et les structures musculaires ou osseuses peuvent également être touchés.

Le risque de brûlures dépend de trois facteurs : la température de l’eau, la durée de l’exposition et la résistance de la peau à la chaleur. Chez les adultes en bonne santé, le risque de brûlures est inexistant lorsque la température de l’eau est sous les 44 °C. À 49 °C, 10 minutes sont nécessaires pour causer des brûlures du deuxième degré3, alors qu’à 60 °C, il suffit de 5 secondes. À température égale, les enfants se brûlent environ quatre fois plus rapidement que les adultes. Cette plus grande susceptibilité aux brûlures serait due au fait que la peau des enfants est plus mince que celle des adultes : 0,5 mm versus 2,5 mm respectivement4. Les personnes âgées ont également la peau plus mince et moins bien vascularisée que celles des adultes en bonne santé5.

Exposition

À notre connaissance, il n’existe pas de données récentes permettant de déterminer avec précision la température moyenne de l’eau dans les habitations. Les résultats observés lors d’une étude menée au début des années 1990 dans la région de Québec sont présentés à titre indicatif6.

Cette étude a été menée auprès d’un échantillon aléatoire de 316 habitations : le taux de participation était d'environ 67 %. Quatre-vingt-quatre pour cent (84 %; n = 178) des maisons visitées étaient munies d’un chauffe-eau électrique et 15,6 % (n = 33) avaient un chauffe-eau au gaz ou à l’huile. Après trois minutes d’écoulement, la température de l’eau au robinet le plus utilisé était de 56,6 ± 0,4 °C, en moyenne, dans les maisons desservies par un chauffe-eau électrique et de 61,5 ± 1,1 °C dans celles desservies par un chauffe-eau au gaz ou à l’huile. La température de l’eau dépassait 51,7 °C dans 86,8 % des maisons desservies par un chauffe-eau électrique et dans 11,8 % des cas, elle était supérieure à 61,6 °C. Cette dernière donnée n’est pas disponible pour les maisons desservies par un chauffe-eau à l’huile ou au gaz. Les résultats observés dans cette étude sont probablement assez représentatifs de la situation qui prévalait au début des années 1990, dans l’ensemble des habitations, au Québec.

Aperçu des données épidémiologiques québécoises

Les BECR ont été l’objet de plusieurs études réalisées dans divers pays. Ces études démontrent que l’eau chaude du robinet peut causer des brûlures graves voire même mortelles. Nous ne présenterons ici qu’un aperçu des données récentes se rapportant au Québec.

Au cours de l’année 1998-1999, 33 personnes ont été hospitalisées en raison de BECR au Québec, ce qui correspond à un taux de 4,5 hospitalisations par million d’habitants. Entre les années 1990 et 1999, 31 décès ont été attribués à ce type de brûlures, soit 3,1 décès, en moyenne, à chaque année, ce qui correspond à un taux annuel moyen de 0,43 décès par million d’habitants.

La très grande majorité des victimes hospitalisées et des victimes décédées ont subi leurs brûlures à leur résidence, plus précisément dans la baignoire (tableau 1). Dans la plupart des cas, les brûlures sont liées soit : à une chute accidentelle dans la baignoire; à l’ouverture accidentelle du robinet d’eau chaude de la baignoire; à une perte de conscience résultant d’un malaise ou d’une crise d’épilepsie ou au fait de s’être introduit dans la baignoire ou d’y avoir été déposé sans vérification préalable de la température de l’eau. Dans bien des cas, ces «événements déclencheurs» étaient liés à une atteinte sensorielle ou motrice et à un moindre degré, à la prise de médicaments ou d’alcool.

Tableau 1. Circonstances des BECR observées chez les victimes hospitalisées (1998-1999) et décédées (1990-1999) au Québec

Prévention

Trois stratégies sont présentées dans la littérature pour prévenir les BECR : réduire la température de l’eau chaude à un niveau jugé sécuritaire, sécuriser l’environnement autour de la baignoire et favoriser l’adoption de comportements préventifs. La stratégie consistant à réduire la température de l’eau est de loin la plus prometteuse parce qu’elle a le potentiel de diminuer et même d’éliminer le risque de BECR chez tous les groupes d’âge incluant les personnes les plus à risque de subir ce type de brûlures. Deux moyens sont proposés dans la littérature pour réduire la température de l’eau. Le premier consiste à régler le thermostat du chauffe-eau. Le plus souvent, il est proposé de régler sa température à 49 °C7,8. Ce niveau de réglage est présenté comme un compromis permettant à la fois de réduire le risque de BECR et de répondre aux besoins en eau chaude des familles. Le deuxième moyen proposé consiste à installer un dispositif anti-brûlure sur la tuyauterie, soit à proximité du chauffe-eau ou de la robinetterie. Il est suggéré de régler ces dispositifs pour abaisser la température de l’eau à la sortie du robinet en deçà de 49 °C9,10.

Discussion

L’eau chaude du robinet est la cause de brûlures graves et même mortelles. Les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes ayant une déficience physique ou mentale sont plus à risque de subir ce type de brûlures que le reste de la population. Dans au moins 85 % des cas, les BECR assez graves pour occasionner une hospitalisation ou un décès au Québec surviennent au domicile des victimes et plus particulièrement dans la baignoire. La stratégie consistant à réduire la température de l’eau est de loin la mesure de prévention jugée la plus prometteuse. Les deux autres (environnement sécuritaire et comportements préventifs) sont perçues comme des stratégies complémentaires.

Seules quelques études ont permis d’évaluer l’effet des interventions visant à prévenir les BECR. Ces interventions consistaient pratiquement toutes à réduire la température de l’eau par le réglage du thermostat des chauffe-eau, le plus souvent sur une base volontaire. À notre avis, aucune de ces interventions n’est vraiment associée à une réduction effective des BECR. L’intervention la plus intéressante est celle réalisée dans l’État de Washington, qui reposait à la fois sur des mesures éducatives et législatives11. Cette approche mixte a contribué à réduire de façon significative la température de l’eau chaude dans les domiciles de cet État. Plusieurs facteurs ont probablement contribué au succès de cette intervention, particulièrement le préréglage du thermostat des chauffe-eau par les fabricants à la sortie de l’usine.

Le réglage du thermostat des chauffe-eau à 49 °C fait toutefois l’objet de trois limites importantes. Premièrement, cette mesure n’est pas applicable aux édifices à logements multiples desservis en eau chaude par un système central12. Deuxièmement, dans plusieurs études, la température de l’eau à la sortie des robinets après une ou deux minutes d’écoulement, était supérieure à la température de réglage du thermostat des chauffe-eau13,14. La plupart des auteurs attribuent cet écart de température à l’imprécision des thermostats des chauffe-eau. Cependant, une autre explication est également avancée pour les chauffe-eau fonctionnant au gaz ou à l'huile, soit le phénomène d'emballement thermique (dépassement de plusieurs degrés centigrade de la température de l'eau à l'intérieur du réservoir par rapport au niveau de réglage du thermostat à la suite de demandes répétées en eau).Troisièmement, plusieurs auteurs désirant prévenir les BECR sont préoccupés par l’augmentation possible du risque de légionelloses associé à l’abaissement de la température de l’eau à l’intérieur des chauffe-eau.

La légionellose

Les légionelloses ou maladies causées par Legionella englobent principalement deux syndromes, soit une pneumonie avec atteinte multisystémique potentiellement fatale appelée maladie du Légionnaire, et une infection de type grippal nommée fièvre de Pontiac15. L’habitat naturel des Legionella étant le milieu aqueux16, la transmission à l’humain survient principalement par l’inhalation d’eau aérosolisée15, par aspiration d’eau contaminée ou par colonisation oro-pharyngée17. Par conséquent, la colonisation d’habitats potentiels, tels que les tours de refroidissement de système de climatisation et les réseaux de distribution d’eau potable, peut être à l’origine de la transmission de la maladie16.

Aperçu des données épidémiologiques

Les infections causées par Legionella peuvent survenir de façon sporadique ou par éclosion. Dans les cas d’éclosions décrits dans la littérature, les taux d’attaque de la fièvre de Pontiac varient de 46 à 100 % alors que ceux de la maladie du Légionnaire vont de 0,1 à 5 %18, mais peuvent atteindre des taux aussi élevés que 30 % chez les populations à haut risque19. Cependant, 65 à 85 % des cas rapportés aux États-Unis et en Grande-Bretagne surviennent de façon sporadique15. Des taux de mortalité de l’ordre de 12 % ne sont pas inhabituels, pouvant augmenter en milieu hospitalier jusqu’à 30 à 50 %19. Quoique les légionelloses puissent affecter les nouveau-nés et les enfants16,20, la grande majorité des cas de maladie du Légionnaire surviennent chez les adultes. En fait, le risque de développer la maladie est 2 à 4 fois plus important chez les hommes que chez les femmes et augmente avec l’âge18.

L’incidence de la fièvre de Pontiac, forme bénigne de la légionellose, est totalement inconnue19. La maladie du Légionnaire est sous-rapportée à travers le monde, la plupart des pays étant dotés de systèmes de surveillance passifs15,19. Entre 1 108 et 1 419 cas ont été annuellement déclarés aux « Centers for Disease Control » (CDC) américains, de 1992 à 1999, pour des taux variant de 0,41 à 0,63 par 100 000 de population21. Au Québec, entre 1990 et 1999, le nombre annuel de cas de légionelloses rapporté au fichier des maladies à déclaration obligatoire (MADO) variait de 11 à 33, ce qui correspond respectivement à des taux d’incidence de 0,1 à 0,5 par 100 000 de population22. Néanmoins, il est clair, à partir des études de surveillance active, que l’incidence de la maladie du Légionnaire est beaucoup plus élevée.

La question de la signification clinique et épidémiologique de la présence de Legionella dans les systèmes de distribution d’eau potable est controversée depuis plusieurs années23. Dans certains cas, les auteurs estiment que les systèmes faiblement contaminés ne semblent pas être des sources importantes de légionelloses pour des individus en santé tandis que dans d’autres, ils concluent que les réseaux d’eau potable qui sont contaminés par L. pneumophila sont une source non négligeable de transmission de la maladie du Légionnaire. Ces données plus ou moins contradictoires font ressortir l’insuffisance des connaissances concernant la transmission de Legionella. Cependant, même s’il subsiste bien des questions, les données épidémiologiques disponibles suggèrent que le nombre de cas de légionelloses transmis par l’eau potable dans la communauté n’est pas négligeable.

Exposition par les réseaux d’eau potable au Québec

Des chercheurs québécois24 ont sélectionné de façon aléatoire 255 maisons provenant de trois municipalités de la région de Québec dans lesquelles les réservoirs d’eau chaude ont été échantillonnés. Au total, 84 chauffe-eau (33 %) et 10 robinets de bain (4 %) se sont avérés contaminés par Legionella et les concentrations respectives étaient de 1 à plus de 100 ufc/ml (ufc : unités formatrices de colonies) et inférieures à 50 ufc/ml. Le type de chauffe-eau était fortement associé à la contamination. La bactérie a été retrouvée dans 84 chauffe-eau électriques sur 205 (40 %) alors qu’elle n’a pas été mise en évidence dans 50 appareils fonctionnant à l’aide de combustible fossile. Lorsque la température périphérique était plus faible que 56 °C, 23 % (9/39) des robinets étaient positifs, alors qu’à 56 °C et plus, un seul des 161 échantillons était contaminé.

Plus récemment, une seconde étude a été réalisée dans 211 résidences sélectionnées de façon aléatoire dans une municipalité de la région de Québec. Parmi les chauffe-eau échantillonnés, 33 fonctionnaient à l’huile ou au gaz et 178 étaient électriques. Legionella n’a pas été isolée dans les habitations dont le chauffe-eau fonctionnait à partir de combustible fossile, alors qu’elle a été retrouvée dans 39 % (69/178) des habitations dont le système était électrique. Dans ces 178 maisons, 12 % des robinets, 15 % des pommes de douche et 37 % des chauffe-eau étaient contaminés. Après analyse, la localisation de la résidence dans un vieux secteur de la municipalité, l’âge avancé du chauffe-eau et une basse température de l’eau au robinet étaient associés avec la présence de Legionella dans le chauffe-eau. Dans ce dernier cas, la température moyenne au robinet était de 55,3 oC pour les chauffe-eau contaminés et de 57,3 oC pour les non contaminés. La contamination du chauffe-eau était la seule variable en lien avec celle des robinets périphériques.

Les auteurs ont conclu que l’utilisation d’un chauffe-eau électrique était le facteur le plus important pour la contamination de l’eau chaude domestique par Legionella. Ils ont expliqué ce fait par la localisation de la source de chaleur qui, dans les chauffe-eau à l’huile ou au gaz, est située sous le réservoir alors que les éléments chauffants des appareils électriques sont sur le côté du réservoir à quelques centimètres au-dessus du fond. Dans les chauffe-eau à l’huile ou au gaz, lors d’une demande importante d’eau chaude, les sédiments qui s’accumulent au fond sont fortement chauffés en une courte période de temps. En fait, les thermostats des chauffe-eau fonctionnant au moyen de combustibles fossiles permettraient aux températures de varier de ±10 °F(» 6 oC) au niveau du contrôle. De plus, lors de demandes répétées de petites quantités d’eau chaude, les températures à la sortie du chauffe-eau pourraient atteindre 30 °F (»16 oC) au-dessus de la température préétablie25. Pour les appareils électriques, les thermostats seraient beaucoup plus précis (±3 °F - »1,5 oC), mais les sédiments situés sous les éléments chauffants demeurent continuellement à une température de 30 à 40 oC, propice à la croissance de Legionella. En fait, les températures moyennes mesurées dans la seconde étude québécoise au bas du chauffe-eau et aux robinets étaient respectivement de 30,3 oC et 56,6 oC pour les chauffe-eau électriques et 49,2 oC et 61,5 oC pour les appareils fonctionnant par combustibles fossiles6. Rappelons qu’au Québec, un peu plus de 90 % des chauffe-eau domestiques utilisés par la population sont des appareils électriques.

Prévention

La meilleure méthode de prévention connue est de maintenir la température de l’eau à des niveaux susceptibles d’éviter une croissance significative de la bactérie26. Le tableau 2 illustre le temps requis pour éliminer Legionella dans l’eau chaude à diverses températures.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de maintenir l’eau à l’intérieur du chauffe-eau à 60 °C ou plus et que la température de l’eau atteigne, au moins une fois par jour, un minimum de 60 ºC dans l’ensemble du réservoir, incluant la partie inférieure. Relativement à la température de l’eau arrivant au robinet, l’OMS recommande au moins 50 °C et cite différents organismes qui suggèrent 50 °C, 55 °C ou 60 °C pour un maximum d’une minute d’écoulement, en spécifiant que les robinets devraient être munis de dispositifs permettant de réduire les risques de brûlures26.

Tableau 2 : Temps requis pour éliminer Legionella* selon la température de l’eau

* Calculé selon le temps requis pour réduire de 90 % la population de Legionella

Ces recommandations diffèrent de celles du Secrétariat du sous-comité fédéral-provincial-territorial canadien sur l’eau potable qui est d’avis qu’il est raisonnable d’abaisser la température des chauffe-eau domestiques à 49 °C dans une optique de prévention des brûlures. L’auteur de cet avis estime qu’il est probable que les concentrations de Legionella augmenteront dans les systèmes de distribution d’eau potable sans toutefois occasionner une augmentation de cas de légionelloses. Cependant, il ajoute qu’une campagne d’information sur les risques de contracter une légionellose par le biais de l’eau potable devrait être faite pour les individus à risque27. Dans une optique de prévention, certains croient qu’il peut être suggéré aux personnes à très haut risque de remplacer les douches par des bains et de ne pas consommer d’eau chaude directement du robinet. Par ailleurs, l’American Society of Heating, Refrigerating and Air Conditioning Engineers Inc. (ASHRAE) estime également que les réservoirs d’eau chaude devraient être maintenus à au moins 60 °C pour délivrer de l’eau à une température d’au moins 51 °C28.

Discussion

Compte tenu des difficultés associées au diagnostic, l’incidence de la maladie du Légionnaire est nettement sous-estimée par les systèmes de surveillance actuels. Le risque de développer la maladie du Légionnaire augmente avec l’âge. Le tabagisme, la consommation excessive d’alcool et le fait d’être porteur d’une maladie pulmonaire obstructive chronique ou de diabète sont des facteurs de risque reconnus, ainsi que des conditions médicales sous-jacentes associées à l’immunosuppression. Cependant, bien des cas surviennent chez des gens avec peu de facteurs de risque. Par conséquent, il est difficilement défendable d’orienter des mesures de prévention uniquement sur des groupes présumés à risque, d’autant plus que dans le cas présent, ceux-ci représentent une proportion importante de la population générale. Les Legionella sont des bactéries résistantes à la chloration dont la présence dans les réseaux d’eau potable a été démontrée abondamment, autant dans les établissements de soins de santé que dans les domiciles privés. Cette contamination a engendré des éclosions de légionelloses pulmonaires, particulièrement en milieu hospitalier. Des cas provenant de la communauté ont également été démontrés en relation avec la présence de ces microorganismes dans l’eau potable et l’exposition à domicile pourrait même être responsable d’une proportion de l’ordre de 15 % des cas contractés dans la communauté requérant une hospitalisation.

Sur le plan de la prévention, la température de l’eau et la contamination du chauffe-eau sont les principaux paramètres sur lesquels il est possible d’agir. Pour les résidences unifamiliales, la contamination semble être très dépendante du type de chauffe-eau. Ainsi, en raison du principe de construction, les chauffe-eau électriques offrent un milieu propice à la survie de Legionella dans la partie inférieure du réservoir, et ceci même si les thermostats sont ajustés à 60 °C. Dans ces conditions, la prévalence de contamination varie entre 20 et 40 %.

Dans les deux études québécoises rapportées précédemment, aucun chauffe-eau à gaz ou à l’huile n’était contaminé. Pour les chauffe-eau électriques, tel que déjà précisé, l’élimination de la contamination passe par la résolution du problème de stratification de la température. Dans une optique de santé publique, il apparaît important que l’industrie se penche sur ce problème pour résoudre la contamination chronique des appareils électriques. En attendant, on peut raisonnablement présumer que l’abaissement de la température du thermostat des chauffe-eau électriques pourrait engendrer une augmentation de la contamination, et ce faisant l’exposition de la population à Legionella.

Pour les systèmes de distribution d’eau potable plus complexes comme ceux que l’on retrouve dans les immeubles d'appartements, la contamination de la tuyauterie devient plus problématique. Aussi, l’eau devrait être chauffée à au moins 60°C en incluant le fond du réservoir et distribuée à une température suffisante pour limiter la croissance de la bactérie.

Recommandations

L’INSPQ a fondé ses recommandations sur la base des cinq principes suivants :

  • réduire à la fois le risque de brûlures et de légionelloses;
  • agir sur la sécurité des produits plutôt que sur les changements de comportements;
  • favoriser les mesures les moins onéreuses et les plus facilement applicables;
  • viser la protection de l’ensemble de la population;
  • tenir compte du type de chauffe-eau et du nombre de logements desservis par chaque appareil.

Ainsi, pour les chauffe-eau desservant un seul logement (ex. maison unifamiliale), l’Institut recommande aux autorités compétentes d’obliger les manufacturiers de chauffe-eau électriques à modifier la conception de ce type d’appareil de manière à empêcher la multiplication de Legionella à l’intérieur du réservoir.

De plus, l’Institut recommande que tous les chauffe-eau neufs fonctionnant à l’électricité, au gaz ou à l’huile soient préréglés à 60 oC et munis d’un dispositif anti-brûlure dès la sortie de l’usine. Cette pratique permettrait de réduire les risques de brûlures et de légionelloses sur une période de temps relativement courte puisque près de la moitié des chauffe-eau doit être remplacée sur une période d’environ 5 ans.

Pour les chauffe-eau déjà installés, il est souhaitable que soit ajouté un dispositif anti-brûlure. Par ailleurs, le thermostat des chauffe-eau électriques déjà installés devrait être réglé à 60 oC, qu’ils soient ou non munis d’un dispositif anti-brûlure. Par contre, les chauffe-eau fonctionnant au gaz ou à l'huile devraient être réglés à 49 oC s’ils ne sont pas munis d’un dispositif anti-brûlure (puisque pour ces derniers, le risque de brûlu­re est plus important), et à 60 oC, si un tel dispositif est présent.

Pour les chauffe-eau desservant plusieurs logements (ex. immeuble d'appartements), l’INSPQ fait siennes les recommandations de l’OMS d’emmagasiner l’eau chaude à 60 oC à l’intérieur du chauffe-eau, peu importe le type d’appareil, en s’assurant qu’au moins une fois par jour, la température de l’eau atteigne 60 oC dans l’ensemble du réservoir. Dans ce type de logements, les dispositifs anti-brûlures ne peuvent être installés à proximité du chauffe-eau pour ne pas favoriser la multiplication de Legionella à l’intérieur du réseau de distribution qui est souvent complexe. Il est plutôt recommandé de les installer à proximité de la robinetterie afin d’abaisser la température de l’eau à 49  oC ou moins.

À ce jour, ces recommandations ont été présentées au ministère de la Santé et des Services sociaux, à la Régie du bâtiment du Québec, à la Commission canadienne des codes du bâtiment et de la prévention des incendies ainsi qu'à l'Association canadienne des normes.

Références

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Le lecteur qui désire prendre connaissance de l’analyse plus détaillée des sections qui suivent ainsi que de l’ensemble des références consultées par les auteurs est invité à se procurer le rapport complet intitulé Prévention des cas de brûlures et de Légionelloses associés à l’eau chaude du robinet dans les résidences privées, disponible sur le site Internet de l’INSPQ (www.inspq.qc.ca)