2 août 2004

La rage : mesures préventives au Québec

Article
Auteur(s)
Pierre Chevalier
Ph. D., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Claire Laliberté
M. A., M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Louise Lambert
Institut national de santé publique du Québec et Direction de la santé publique de la Montérégie
Jean-François Proulx
Direction de la santé publique du Nunavik
Patricia Robitaille
Ministère de l’Environnement du Québec

La rage est une infection virale qui, à cause de ses conséquences potentiellement mortelles, fut l’une des premières maladies infectieuses à recevoir l’attention des scientifiques.

Au Québec, les cas de rage humaine sont extrêmement rares. Le décès d’un garçon de 9 ans ayant été en contact avec une chauve-souris à l’automne 2000 a toutefois fait ressurgir cette préoccupation au sein du public et des professionnels de la santé. En fait, depuis une quarantaine d’années, on ne relève que deux cas de rage humaine au Québec, le précédent cas remontant à 1964 alors qu’une fillette avait été mordue par une mouffette. Dans ces deux cas, les enfants sont décédés parce qu’ils n’avaient pu recevoir à temps une prophylaxie post-exposition.

La rage est toutefois une maladie encore largement répandue sur la planète puisque chaque année, environ 50 000 décès humains sont attribuables à cette infection. De ce nombre, quelques 30 000 se produisent en Inde alors que la majorité des 20 000 autres cas surviennent ailleurs en Asie du Sud-est, ainsi qu’en Afrique et en Amérique latine. Dans la plupart des régions où la rage n’est pas contrôlée chez les animaux domestiques, les chiens sont responsables de plus de 90 % des cas de rage rapportés chez les humains et les animaux. Dans ces régions, jusqu’à 10 % des nombreux chiens errants pourraient être infectés par le virus de la rage. Le portrait est cependant bien différent dans les pays industrialisés. En Amérique du Nord et en Europe, la rage est principalement transmise par des animaux sauvages. À titre d’exemple, sur les cinq cas de rage humaine déclarés au Canada depuis 1970, quatre étaient reliés à une exposition à la variante virale de la chauve-souris.

Transmission du virus

Tout mammifère, qu’il soit domestique ou sauvage, peut contracter la rage et la transmettre à nouveau. Le virus de la rage est transmis lorsqu’il pénètre à l’intérieur d’une blessure à la peau (la plupart du temps par la morsure d’un animal rabique), d'une plaie ou d’une muqueuse. La transmission de l'infection se produit par contact avec la salive, le liquide céphalo-rachidien ou les tissus nerveux de l’animal enragé. Dans de très rares cas, une transmission par inhalation d'aérosol (gouttelettes de salive ou de liquide contenant du virus dispersé dans l’air) a été rapportée dans des circonstances particulières. En effet, depuis 1950, quatre cas de rage humaine causée par l’inhalation du virus de la rage ont été documentés aux États-Unis. Deux de ces cas ont été attribués à une exposition au virus en suspension dans l’air de cavernes habitées par des colonies de chauves-souris. Les deux autres cas concernent des travailleurs de laboratoire contaminés par des aérosols contenant le virus atténué. La totalité des cas de transmission de la rage d’humain à humain sont survenus chez des personnes ayant reçu des greffes de cornée provenant d’individus décédés de la maladie. Les enfants sont plus à risque que les adultes d’être mordus en raison, notamment, de leur petite taille et de leurs comportements parfois trop familiers envers les animaux.

Animaux vecteurs du virus

En Amérique du Nord, les principaux réservoirs de la rage sont les animaux sauvages, mais plus particulièrement les renards, les coyotes, les mouffettes, les ratons laveurs, les chauves-souris et, dans une moindre mesure, les loups, les lynx et autres carnivores sauvages. Les petits rongeurs sont rarement atteints. Les oiseaux sont résistants à l'infection et ne peuvent transmettre le virus. Les animaux domestiques peuvent être infectés à la suite de contacts avec des animaux sauvages enragés.

Au Québec, il existe deux cycles de rage faunique, le premier étant associé aux renards. La rage associée au renard arctique est présente dans le Grand Nord québécois depuis plusieurs décennies, sinon des siècles, et s’y maintient naturellement. À certaines périodes, des épidémies ont aussi touché les populations de renards roux au sud du Québec. La dernière épidémie du genre, qui remonte au début des années 1990, est actuellement considérée éradiquée. Cependant, la rage du renard persiste dans la région ouest de l’Abitibi, sur la Côte-Nord et sur les Territoires Cris de la Baie-James et au Nunavik. Durant ces épidémies et à l’intérieur des régions touchées, des individus d’autres espèces fauniques ou domestiques peuvent être infectés par les renards enragés. En ce qui concerne les régions moins habitées où la rage est endémique, la prudence est de mise car la surveillance de la rage animale y est moins active.

Le deuxième cycle est celui associé aux chauves-souris et est relié à une variante du virus. Il semble que la rage de la chauve-souris puisse se manifester partout où vivent ces mammifères. La fréquence de chauves-souris diagnostiquées rabiques est relativement constante d’une année à l’autre. Bon an mal an, environ 5 % à 7 % des spécimens de chauves-souris soumis aux laboratoires de l’Agence canadienne d’inspection des aliments sont positifs à la rage. La transmission de cette variante du virus de la rage à d’autres espèces animales est connue mais rare, des cas ayant été détectés au Québec chez deux bovins, un cheval et un raton laveur. Le potentiel de transmission aux animaux domestiques et à l’homme est donc réel partout où se retrouvent des chauves-souris. Soulignons que la morsure de chauve-souris est très fine, pouvant donc passer inaperçue.

Une autre variante du virus de la rage est celle associée aux populations de ratons laveurs. Celle-ci n’a toutefois jamais été observée au Québec bien qu’elle fasse l’objet d’une surveillance intensive, compte tenu de sa présence en Ontario et au Nouveau-Brunswick ainsi que dans les états américains limitrophes de New York, du Vermont, du New Hampshire et du Maine. Plusieurs autres États américains sont aussi touchés. Depuis 2001, au Québec, plus de 300 ratons laveurs trouvés morts ou ayant un comportement suspect ont été analysés et les résultats se sont tous avérés négatifs.

La rage et la santé publique

Bien que le nombre de cas de rage humaine soit très faible au Québec comme dans l’ensemble de l’Amérique du Nord, il est important de porter une attention particulière à cette infection car elle entraîne la mort en l’absence de vaccination post-exposition.

Quoique ces événements soient très rares, des communiqués et des conférences de presse sont produits afin d’informer la population lors de situations particulières. Par ailleurs, de l’information est régulièrement transmise à la population quant aux mesures de prévention et de protection à adopter dans le but de prévenir la rage humaine.

Les personnes mordues ou potentiellement exposées sont orientées vers les médecins et les infirmières. Les directions de santé publique soutiennent ces cliniciens dans l'évaluation de l'exposition potentielle afin de déterminer l'indication de la prophylaxie post-exposition contre la rage.

La période d’incubation de la maladie est variable. Elle peut être de quelques jours comme de plusieurs années, mais en moyenne, les symptômes apparaissent de 20 à 60 jours après l'exposition. Les premiers symptômes ne sont pas spécifiques à la rage et peuvent ressembler à ceux d’une grippe: fièvre, fatigue et maux de tête pouvant persister quelques jours. La personne atteinte pourra toutefois ressentir de la douleur ou des engourdissements au site d’infection. Peu après, apparaissent des symptômes plus spécifiques et plus graves. La personne atteinte devient anxieuse, confuse, souffre d’insomnie, d’agitation, d’hallucinations ainsi que d’hyperactivité dans la forme de la maladie appelée «rage furieuse» ou de paralysie dans la forme dite «rage muette». Cette phase, qui dure de 2 à 10 jours, est suivie d’une paralysie généralisée, du coma et de la mort. Dans plusieurs cas, des spasmes intenses et douloureux se produisent dans la gorge et dans les muscles de la poitrine lorsque la personne avale. Ces spasmes peuvent être provoqués par la simple vue de l’eau; d'ailleurs l'hydrophobie, c'est-à-dire la crainte morbide de l'eau, est l'une des manifestations de la rage.

Dès que les symptômes de la maladie apparaissent, il n’existe aucun traitement spécifique efficace. Toutefois, compte tenu que le virus prend un certain temps à atteindre le cerveau, il est possible de vacciner la personne potentiellement infectée dans les heures ou les jours qui suivent la morsure ou une autre exposition significative au virus. Cette vaccination ou prophylaxie post-exposition est très efficace et permet d’empêcher la développement de la maladie.

Programme de lutte antirabique

Le contrôle de la rage chez les animaux constitue le premier jalon de la prévention de la rage chez l’humain. La rage, animale ou humaine, est une maladie à déclaration obligatoire aux autorités sanitaires. Un programme de prévention, de surveillance et de contrôle de la rage animale a également été mis en place par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) dans le but, entre autres, de faire enquête sur tous les cas soupçonnés, de poser un diagnostic et, si la situation l’exige, de mettre en quarantaine tous les animaux soupçonnés d’être enragés ou ayant été exposés au virus.

Les propriétaires d'animaux de compagnie ont par ailleurs un rôle important à jouer en faisant vacciner leurs animaux contre la rage.

Vaccination des chiens dans le nord québécois

Au nord du 50e parallèle, le problème de la rage a été jugé assez important pour justifier l’existence d’un programme spécifique de vaccination antirabique des chiens âgés de plus de trois mois. Ce programme, effectif depuis une vingtaine d'années, est une réalisation conjointe du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), de la Direction de santé publique (DSP) du Nunavik, de l’administration régionale Kativik et de la Direction de santé publique des Territoires Cris de la Baie-James.

Vaccination d’animaux sauvages

Afin de détecter l’entrée de la rage affectant le raton laveur au Québec et, le cas échéant d’en limiter la dispersion, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec en partenariat avec l’ACIA, les DSP de l’Estrie et de la Montérégie, la Société de la faune et des parcs du Québec, le MAPAQ et la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal ont mis sur pied un programme de surveillance active de la rage du raton laveur le long de la frontière avec les États-Unis et un plan de contrôle d’urgence dans l’éventualité où un premier cas serait détecté. Entre 1999 et 2001, ce programme était assorti d’une campagne de vaccination préventive à grande échelle créant ainsi une barrière immunologique. Puisqu’il est impossible d’effectuer une vaccination par injection intramusculaire de chacun des animaux sauvages visés, une vaccination orale a été utilisée. Il s'agit d'appâts vaccinaux contenus dans des sachets, pouvant être largués à partir d’un avion. L’animal ingère l’appât, perfore le sachet contenant le vaccin et il acquiert l’immunité contre la rage. En 2002, cette vaccination en territoire québécois a pris fin, mais la collaboration au programme de surveillance active avec les autorités américaines a été maintenue. Une surveillance particulière est effectuée en Montérégie et en Estrie, sur une bande de 20 kilomètres de largeur longeant la frontière du Québec avec les États de New York, du Vermont et du New Hampshire. La population de ces régions collabore à cette surveillance par le signalement à SOS Braconnage de ratons laveurs, de mouffettes et de renards trouvés morts.

Sources

  1. Agence canadienne d’inspection des aliments, Fiche de renseignements sur la rage. www.inspection.gc.ca/francais/anima/heasan/disemala/rabrag/rabragfsf.shtml
  2. Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de la Montérégie. Communiqué, 8 juillet 2004.
  3. Aide technique aux communautés nordiques pour la protection des chiens contre la rage. www.agr.gouv.qc.ca/qasa/cqiasa/desa/Rage_prog.html
  4. Deshaies, D., Contacts avec les chauves-souris, quand faut-il offrir la prophylaxie postexposition contre la rage?, Le Médecin du Québec, vol. 37 (7) :93-96
  5. Direction de santé publique de Montréal, Prévention en pratique médicale, Maladies infectieuses, Juin 2002. www.santepub-mtl.qc.ca/Publication/pdfppm/ppmjuin02.pdf
  6. Lagacé, F., L’historique de la rage au Québec de 1958 à 1997. Le médecin vétérinaire du Québec, Volume 28, numéro 3, Automne 1998.
  7. MAPAQ,bulletin Raizo (Réseau d'alerte et d'information zoosanitaire), No 30, 8 mars 2004.
  8. Santé Canada, Direction générale de la santé de la population et de la santé publique. www.hc-sc.gc.ca/hpb/lcdc/publicat/ccdr/00vol26/rm2624fb.html
  9. Gouvernement du Québec, MSSS, Protocole d’immunisation. 2004.