10 avril 2012

L’utilisation de l’IRPeQ dépasse les frontières

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Onil Samuel
B. Sc., expert et conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Louis St-Laurent
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Afin d’optimiser les rendements, les pesticides sont de plus en plus utilisés dans la production agricole des pays d’Afrique subsaharienne. Cependant, même si ces produits peuvent représenter des risques significatifs pour la santé et pour l’environnement, les agriculteurs de la commune rurale de Tori-Bossito, au Sud-Bénin (figure 1), connaissent mal leur toxicité, ce qui peut avoir un impact réel sur l’utilisation sécuritaire des pesticides. 

Figure 1.  Emplacement géographique de Tori-Bossito

C’est dans ce contexte que l’expertise québécoise a été sollicitée pour collaborer à une étude descriptive et analytique sur l’usage des pesticides en production maraîchère dans cette communauté située à 30 km de la ville de Cotonou. L’objectif de cette étude était de caractériser les risques environnementaux et sanitaires potentiels découlant de l’utilisation des produits phytosanitaires par les agriculteurs ruraux à l’aide d'indicateurs toxicologiques, écotoxicologiques et biologiques. L’intérêt de chercheurs africains pour l’indicateur de risque des pesticides du Québec (IRPeQ), un outil de diagnostic et d’aide à la décision conçu pour optimiser la gestion des pesticides, a permis cette collaboration avec l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Une étude en deux volets

Lors d’une première phase de l’étude, 108 producteurs maraîchers de la région étudiée ont répondu à des questionnaires relatifs aux pesticides commerciaux et aux matières actives utilisés pour l’année de référence 2008. Des indices de risque ont été calculés à l’aide de la méthodologie proposée par l’indicateur de risque des pesticides du Québec (IRPeQ) pour chacun des pesticides recensés.

IRPeQ

Il permet de calculer un indice de risque global pour la santé humaine (IRS) et un indice de risque pour l’environnement (IRE). Le calcul de l’IRS prend en considération l’ensemble des propriétés toxicologiques des matières actives (toxicité aiguë, toxicité chronique modulée par un facteur en lien avec la persistance et la bioaccumulation) ainsi que certaines propriétés des produits commerciaux (dose maximale recommandée à l’hectare et type de formulation). L’IRE tient compte de l’impact écotoxicologique de la matière active sur les invertébrés terrestres, les oiseaux, les organismes aquatiques et de certains paramètres physicochimiques (bioaccumulation, persistance dans le sol et mobilité).

Dans un second volet de l’étude, des échantillons de feuilles de légumes et de sol ont été prélevés juste avant la récolte pour évaluer la présence potentielle de résidus de pesticide à l’aide d’un bio-indicateur de toxicité. Des échantillons composites, au nombre de 24, ont ainsi été prélevés dans 17 parcelles avant la récolte. Au total, 11 cultures différentes ont été échantillonnées.

La méthode retenue ne visait pas à identifier toutes les molécules présentes, mais plutôt à comparer l’importance de la réponse toxique observée sur des larves d’Aedes aegypti (Ae. aegypti) avec celle d’une molécule de référence appelée « équivalent deltaméthrine ». La deltaméthrine a été utilisée comme molécule sentinelle en raison de son utilisation importante au Bénin et de sa forte toxicité (DL50 de 0,4 µg/l) sur les larves d’Ae. aegypti souche de référence S-Be (souche du Bénin). Les larves ont été exposées aux produits contenus dans les solutions extraites des échantillons de feuillages, potentiellement des pesticides, dont la toxicité a été comparée à une échelle de mortalité établie pour la deltaméthrine (figure 2). 

Figure 2.  Toxicité de la deltaméthrine (DECIS 12.5 EC) sur les larves L1 d’Aedes aegypti (souche S-Be)

Résultats

Le calcul des indices de risque a permis de classer les pesticides utilisés dans la commune rurale de Tori-Bossito sur la base des risques potentiels pour la santé et pour l’environnement. Par exemple, les plus forts indices de risque pour l’environnement (IRE) ont été observés pour le carbofuran, le chlorpyriphos-éthyle et l’endosulfan alors que les indices de risque les plus élevés pour la santé humaine (IRS) ont été observés pour le mancozèbe, le chlorpyriphos-éthyle et l’endosulfan. Les produits commerciaux ont aussi pu être classés en fonction de leur risque potentiel pour la santé et pour l’environnement.

Les évaluations ont permis de constater que les producteurs maraîchers utilisent des produits ayant une toxicité parfois très élevée et, dans certains cas, qui ne sont pas homologués. Cette situation pourrait avoir comme conséquence d’exposer les travailleurs et les consommateurs à des risques sanitaires.

Les résultats des analyses d’échantillons de feuilles prélevées sur des plantes avant la récolte indiquent la présence potentielle de résidus de pesticides dans 41,7 % des échantillons. Une réponse toxique a été décelée dans plusieurs échantillons de feuilles de légumes traditionnels (amaranthe, célosie, morelle) ou exotiques (concombre, tomate, chou et aubergine). Des teneurs résiduelles plus importantes de pesticides sont suspectées pour les feuilles d’aubergine et de morelle (1,17 et 4,75 mg d’équivalent-deltaméthrine/kg de feuilles).

Conclusions de l’étude

L’étude a permis d’identifier les formulations de pesticides utilisées en culture maraîchère et de cibler celles qui pourraient avoir un impact plus important sur l’homme et son environnement. Les pesticides ayant les risques les plus élevés pour l’environnement et pour la santé étaient cependant les moins fréquemment utilisés.

Pour ce qui est des risques occupationnels, les concepteurs de l’IRPeQ considèrent que les bonnes pratiques sont respectées. Le port d’équipements de protection individuelle n’est donc pas considéré dans le calcul puisque cette variable peut difficilement être intégrée à un outil d'aide à la décision. Le type de technique d’application est toutefois considéré et des modifications pourraient être faites pour adapter l’IRPeQ aux conditions d’utilisation des pesticides en Afrique tropicale où certains producteurs utilisent des techniques d’application peu recommandables comme se servir des branchages de feuilles pour asperger la bouillie insecticide.

La méthode biologique de détection de résidus alimentaires de pesticides indique la présence potentielle de résidus de pesticides dans certains échantillons de feuilles de produits maraîchers. Des analyses de résidus de pesticides recourant à des méthodes de chimie analytique appropriées pour la détection de matières actives spécifiques, devraient cependant être utilisées pour préciser les résultats obtenus.

Pour ce qui est de la santé humaine, tant des utilisateurs que des consommateurs, il apparaît nécessaire que les pouvoirs publics se préoccupent de la commercialisation et de l’utilisation rationnelle et sécuritaire des produits phytosanitaires, notamment en faisant la promotion de méthodes alternatives.

Le lecteur intéressé à en savoir plus sur le sujet peut consulter la référence ci-dessous :

Ahouangninou C., Martin T., Edorh P., Bio-Bangana S, Samuel O, St-Laurent L., Dion S., Fayomi B. Characterization of Health and Environmental Risks of Pesticide Use in Market-Gardening in the Rural City of Tori-Bossito in Benin, West Africa. Journal of Environmental Protection, Vol 3(3) PP.241-248. Publication mise en ligne le 20 mars 2012 (www.SciRP.org/journal/jep)