30 mai 2002

Évaluation des impacts sociosanitaires de la pêche au fleuve parmi la population défavorisée de Montréal-Centre

Article
Auteur(s)
Claire Laliberté
M. A., M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Jacques Grondin
Unité de recherche en santé publique du Centre de recherche du CHUQ et Institut national de santé publique du Québec
François Thérien
Direction de santé publique de Montréal
Paul Vanier
Les Enfants de l’Espoir de Montréal
Dany Laverdière
Unité de recherche en santé publique du Centre de recherche du CHUQ

Cette étude a été rendue possible grâce à une subvention du Domaine d’intervention santé humaine de Saint-Laurent Vision 2000.

Contexte et problématique

Divers scientifiques et groupes environnementaux ont fait état, au cours des dernières années, de l’assertion suivante : les populations défavorisées des régions urbaines des Grands Lacs et du Saint-Laurent constitueraient un groupe particulièrement à risque du fait qu’elles seraient davantage exposées aux contaminants environnementaux par la consommation de poissons issus de la pêche de subsistance1-2. Une telle affirmation présume d’abord que ces populations pratiquent une pêche de subsistance dans les milieux pollués du fleuve, alors qu’à ce jour, cette pratique n’a jamais été démontrée de façon claire et aucune recherche n’a pu identifier à quel point la pêche dans le fleuve pouvait contribuer ou non à la sécurité alimentairea(voir encadré). Cette affirmation laisse également sous-entendre que les populations défavorisées seraient imperméables aux messages sur les risques associés à la consommation de poisson, ce qui n’a pas été non plus démontré.

La pêche de subsistance

Malgré le fait que l’expression « activité de subsistance » soit utilisé en Amérique du Nord pour désigner de façon générale le fait de satisfaire les besoins alimentaires et matériels, le terme « pêche de subsistance » a, la plupart du temps, une connotation beaucoup plus limitée. Il fait souvent référence à la pratique de la pêche non commerciale par les populations autochtones. Nombre de lois et de règlements, canadiens autant qu’américains, font référence à la pêche de subsistance en la distinguant de la pêche récréative, de la pêche domestique ou de la pêche commerciale. Pour résumer ces écrits légaux, on peut dire que la pêche de subsistance est habituellement limitée à la capture et à l’utilisation du poisson par les populations autochtones, tandis que la « pêche récréative » et la « pêche domestique » font référence à la capture et l’utilisation du poisson par les autres populations à des fins personnelles mais avec des engins de pêche différents (pêche à la ligne dans le cas de la pêche récréative, pêche au filet dans le cas de la pêche domestique). Ces types de pêche, de même que les règlements et normes qui y sont associés, sont opposés à la pêche commerciale. Cependant, la situation n’est pas toujours aussi claire qu’il n’y paraît de prime abord puisque les lois sont parfois vagues sur la définition des groupes qui peuvent bénéficier de la pêche de subsistance (résidants de régions rurales? autochtones? utilisation coutumière et traditionnelle?). Au Canada, les droits autochtones ont été formellement reconnus depuis longtemps par les tribunaux; cependant, ils ne sont pas toujours faciles à appliquer et leur définition n’est pas toujours claire. Les dispositions légales touchant les droits autochtones incluent le droit de subsistance, défini généralement comme l’utilisation des ressources naturelles pour assurer la survie. Depuis l’Affaire Sparrow (1990), la pêche à des fins de subsistance des autochtones ne devait plus se restreindre à la consommation familiale quotidienne et envisage maintenant une ouverture vers le commerce afin de permettre d’obtenir des biens et des commodités de remplacement par la vente ou l’échange de poisson. Dans le contexte des analyses de risque, le terme « pêche de subsistance » semble recouvrer la notion de « pêche avec consommation régulière ». Pour l’Environmental Protection Agency8 par exemple, le pêcheur de subsistance est celui qui consomme quotidiennement 132 g de poisson. Contrairement aux autres définitions, ce dernier cas exclue la notion de dépendance.

La présente étude4 visait deux objectifs: d’une part, caractériser les impacts sociosanitaires de la pêche au fleuve et de la consommation des prises auprès de populations souffrant de précarité; d’autre part, vérifier si la pêche de subsistance peut effectivement poser un risque pour la santé dans la région montréalaise. Pour ce faire, un groupe de personnes défavorisées susceptibles de pêcher au fleuve a été approché en 1999. Ce groupe du quartier Hochelaga-Maisonneuve2, avait déjà pratiqué la pêche dans le cadre de certaines interventions sociales. Le recrutement des personnes s’est fait avec l’aide du directeur d’un organisme communautaire dont la mission est : 1- d’éviter des placements d’enfants (familles d’accueil) ou de parents (incarcération, hospitalisation); 2- de faciliter la prise en charge personnelle; 3- d’assurer une intervention précoce auprès d’enfants à risque élevé d’inadaptation sociale; et 4- d’assurer la sécurité psychologique et physique des enfants dans leur milieu familial.

Stratégies méthodologiques

L’étude a été réalisée en deux temps. Une enquête statistique auprès de la population cible a d’abord permis de documenter ses habitudes de pêche et de consommation de poisson. Au cours de la seconde étape, une enquête plus qualitative a été menée auprès d’un sous-groupe afin de tenter d’évaluer les impacts sociosanitaires associés à cette activité.

Enquête quantitative

L’enquête quantitative a été réalisée au cours de l’hiver 1999, au moyen d’un questionnaire pré-testé administré à 411 participants des services offerts par l’organisme communautaire. Étant donné que la population visée par l’étude était peu habituée à ce genre d’exercice, un questionnaire très court, à questions fermées a été adopté comme stratégie d’enquête. Le questionnaire a été administré en face à face par un intervenant de l’organisme lors d’une rencontre régulière de suivi social. Les thèmes suivants étaient abordés : la pratique de la pêche en général, la pratique de la pêche au fleuve et la consommation de poisson. Ces questions nous permettaient de recueillir des informations sur la fréquence des comportements, mais aussi sur l’intérêt des participants à réaliser les activités, sous certaines conditions qui en rendrait l’exercice plus favorable. Quelques variables sociodémographiques de base ont également été recueillies.

Intervention qualitative

La seconde ronde de collecte de données a été effectuée à l’été 2000. Davantage qualitative, cette étape a eu lieu pendant et après l’organisation de 27 sorties de pêche en famille à la promenade Bellerive (sur la rive sud-est de l’île de Montréal), endroit accessible et sécuritaire pour la pratique de la pêche, en plus d’être situé à proximité d’autres infrastructures de loisir pour les familles. Les familles qui ont participé aux activités de pêche ont été sélectionnées sur la base de leur implication au sein de l’organisme. Un court questionnaire fermé décrivant les caractéristiques familiales, les habitudes de pratique de la pêche antérieure à l’activité organisée et la consommation de poisson a été complété par toutes les familles recrutées pour l’activité. En tout, 13 familles totalisant 70 personnes ont participé aux activités organisées et ont fait l’objet d’un suivi social continu. De ce nombre, 19 adultes et 25 enfants sont allés à la pêche au moins une fois. Au terme de ces sorties, trois séries d’entrevues sous forme de groupes de discussion (« focus group ») ont été conduites afin de caractériser les impacts de la pêche au fleuve et de la consommation des prises auprès des participants. L’objectif des rencontres consistait également à tenter de qualifier l’impact sur la qualité de vie pouvant être associé à l’accès à ce type d’activité de plein air. Dans la mesure du possible, les conditions d’utilisation et de constitution des groupes requis par cette méthode ont été respectées, notamment au regard de l’homogénéité des groupes et de leur taille optimale. Il était important de constituer des groupes distincts d’enfants, de femmes (mères) et d’hommes (pères), et ce, afin de faciliter la liberté dans les échanges tout en évitant les contraintes liées aux dynamiques familiales. Par ailleurs, tout au long de la période d’enquête, des séances de « debriefing » avec les intervenants sociaux ont constitué une autre source d’information importante puisque ceux-ci organisaient à chaque semaine plusieurs rencontres parents/enfants pour faire un retour sur l’expérience.

Résultats

Enquête quantitative

Profil de la population de l’étude

Le groupe de personnes qui a complété le questionnaire (n = 411) représente près des deux tiers de l’ensemble des participants de l’organisme, mais presque la totalité de ceux qui se sont présentés durant la période de collecte des données. Ce groupe est composé d’un peu plus d’hommes (53 %) que de femmes (47 %), et la majorité (76 %) a entre 21 et 40 ans. La majorité des répondants (61,3 %) a complété son niveau d’éducation secondaire. .Enfin, un peu plus de la moitié (59 %) est originaire de la région montréalaise, le reste provenant d’autres régions riveraines du fleuve (18 %) ou d’ailleurs au Québec (23 %).

Pratique de la pêche

Plus de la moitié des répondants (53,3 %) dit pêcher occasionnellement. Plus spécifiquement, la proportion de pêcheurs est plus élevée parmi ceux qui ont 2 enfants ou plus, les hommes, les personnes moins scolarisées et celles qui ont entre 31 et 50 ans. La proportion de pêcheurs n’est pas différente selon le lieu de naissance (voir le tableau 1).

Tableau 1. Pratique de la pêche en général, de la pêche au fleuve et de la consommation de poisson du fleuve selon les caractéristiques des participants

a. En raison de certaines données manquantes, les effectifs peuvent varier selon les variables
b. Valeur p du test du chi-carré de comparaison de proportions

Les raisons invoquéesc pour ne pas pratiquer la pêche (46,7 % de l’ensemble) sont : l’absence d’intérêt pour l’activité (48,9 %); le manque de goût pour le poisson (27,1 %); les contraintes matérielles (temps, transport, argent) (23,0 %); la perception négative de l’eau (16,7 %); le manque d’occasion (15,1 %); la méconnaissance technique de la pêche (7,8 %).

La pratique de la pêche au fleuve

Les deux tiers (66,2 %) des répondants qui pratiquent la pêche ont déjà pêché au fleuve. Comme pour la question précédente, la proportion de pêcheurs qui a déjà pratiqué la pêche au fleuve est plus élevée parmi ceux qui ont 2 enfants ou plus, les hommes, les personnes moins scolarisées et les plus de 30 ans. La proportion de pêcheurs au fleuve n’est pas statistiquement différente selon le lieu de naissance.

Parmi les pêcheurs qui n’ont jamais pêché au fleuve (33,8 %), les raisons données pour ne pas y avoir été sont : 53,4 % sont rebutés par la pollution; 20,5 % n’en ont pas l’occasion; 13,7 % préfèrent sortir de la ville; 8,2 % sont limités par diverses contraintes (temps, moyen de transport); 8,2 % ne connaissent pas les accès; 4,1 % n’aiment pas la pêche; 2,7 % n’aiment pas le poisson.

La consommation de poisson du fleuve

Parmi les répondants qui ont déjà pêché au fleuve (35,2 % de l’ensemble), 44,1 % ont consommé leurs prises. La proportion de pêcheurs au fleuve qui ont consommé leurs prises est plus élevée parmi les répondants originaires de la région de Montréal, ceux qui ont 1 ou 2 enfants, les femmes et les personnes ayant une scolarité de niveau primaire. La proportion de pêcheurs au fleuve qui ont consommé leurs prises n’est pas différente selon l’âge du répondant.

Près de 56 % de pêcheurs au fleuve n’ont pas consommé leurs prises. La principale raison invoquée est qu’ils sont rebutés par la pollution (88,9 %). De plus, même si on leur affirmait que le poisson est de bonne qualité, 58 % refuserait d’en manger. Les raisons invoquées sont : à cause de la pollution (44,1 %), parce qu’ils n’aiment pas le poisson (27,1 %), parce qu’ils ne croiraient pas l’information (21,2 %), disent que ça dépendrait de l’origine du message santé (8,5 %).

En résumé, les résultats précédents démontrent que la majorité des personnes interrogées est prête à essayer la pêche. Par contre, la perception que ces personnes ont du lieu de pêche semble demeurer un déterminant important de la participation, le fleuve paraissant avoir pour elles mauvaise réputation. De plus, les répondants ne paraissent pas percevoir l’activité de pêche au fleuve comme un moyen de subsistance habituel et ils semblent bien loin de compter sur la consommation de poisson du fleuve pour assurer leur survie. Les données des entrevues de groupe et les rencontres avec les intervenants sociaux permettent d’approfondir les raisons qui limitent la pertinence pour eux de pratiquer ces activités (pêche et consommation des prises) ainsi que l’impact des sorties de pêche organisées à leur intention.

Enquête qualitative

Les facteurs limitants

Les données recueillies avec le questionnaire préalable à l’activité de pêche ainsi que celles colligées lors des groupes de discussion ont permis d’identifier quatre type de contraintes, d’impor­tan­ce variable, qui limitent la pratique de la pêche, qu’elle soit récréative ou de « subsistance » (voir le tableau 2).

Tableau 2. Contraintes à la pratique de la pêche et à la consommation du poisson de pêche sportive

À la lumière de la synthèse présentée au tableau 2, il est clair que plusieurs facteurs limitent grandement l’intégration au quotidien de la pratique de la pêche chez la population à l’étude. Les personnes en situation de précarité ont recours aux banques alimentaires sur une base régulière et, dans ce contexte, la pêche ne fait habituellement pas partie des alternatives envisagées. Un homme résume: « Quelqu’un qui a faim ira pas au fleuve parce qu’il faut trop de temps pour attraper un poisson. Si y pogne pas de poisson, y mange pas plus. Pis en plus, y’aura manqué sa chance à la banque alimentaire ». Aussi, en raison de la perception négative du milieu, le fleuve n’est pas perçu comme « garde-manger » possible : « Pour nous autres, le fleuve Saint-Laurent c’est une place polluée. Le fleuve c’est… la pollution. Moi, si j’avais pogné un poisson, je l’aurais passé dans la laveuse avant de le manger ».

Les impacts sociaux, psychologiques et physiques

Cette section des résultats s’intéresse aux impacts de la pêche, une fois que les contraintes sont réduites, notamment grâce au support constant des intervenants sociaux auprès des familles pour les encourager, les stimuler ou les rassurer afin qu’elles participent à la pêche.

Le premier impact associé à la pêche est d’ordre social. Selon les observations des intervenants sociaux, l’impact principal des activités de pêche familiale a été de permettre un rapprochement et une consolidation des liens à l’intérieur de la famille. Même si des changements à long terme nécessiteraient des activités plus soutenues, des changements de comportement fort positifs ont été observés à la suite des activités, notamment en regard des compétences parentales et de l’amélioration des rapports parent/enfant, en particulier chez les pères qui, chez ce groupe, font habituellement très peu d’activités avec leurs enfants. L’un d’entre eux souligne : « J’essaie de m’approcher de mes enfants, pis ça c’est une bonne activité qui aide ». La pêche permet aussi de socialiser avec d’autres personnes de l’extérieur de leur groupe: « On rencontre du monde là-bas. La pêche c’est pas juste pour pêcher, c’est aussi pour rencontrer du monde, prendre de l’air ». Les parties de pêche impliquant uniquement des jeunes accompagnés d’un guide ont également donné l’occasion à certains enfants de bâtir une relation de confiance avec un adulte autre que leur parent, en dehors d’un cadre conflictuel comme peut l’être, pour certains d’entre eux, le milieu familial. Par ailleurs, plusieurs parents qui n’ont pas accompagné leurs enfants à l’activité de pêche ont aussi apprécié le répit offert par leur absence.

Les enfants tout comme les parents retirent des bénéfices psychologiques de l’activité de pêche. Les enfants expriment l’impact sur leur bien-être en mentionnant qu’ils sont fiers et qu’ils ont l’impression d’être « un peu spécial », d’avoir fait quelque chose qui les distingue des autres, de ceux qui n’ont pas participé à l’activité. Selon les intervenants sociaux, le fait que les enfants aient acquis des connaissances originales, développé des habiletés nouvelles, inhabituelles de leur entourage, améliorerait l’estime d’eux-mêmes. Pour les enfants, la pêche est aussi une activité reposante et responsabilisante car ils n’ont pas besoin de performer et peuvent fonctionner à leur propre rythme; ils peuvent décrocher d’un milieu familial parfois difficile et ils apprennent à être autonomes grâce à du renforcement positif. À l’instar de leurs enfants, la pêche a un impact sur l’estime que les parents ont d’eux-mêmes car l’activité favorise un dépaysement et leur donne l’occasion de démontrer leur savoir technique (hommes) ou de relever un défi personnel face à une nouvelle activité (femmes). La particularité la plus appréciée de la pêche est sans contredit le répit individuel qu’elle permet, où chacun peut apprécier le fait d’être seul avec lui-même. La pêche permet le décrochage et favorise une remise en perspective des problèmes. « C’est une bonne idée d’emmener les gens à la pêche. On pense plus à nos problèmes, à nos affaires…- À la pêche, tu peux t’isoler même s’il y a plein de monde. -Des fois ça arrive que…quand t’es plein de problèmes là, t’as ta canne à pêche là, ça fait du bien. Nous autres toxicomanes on est de même…on est des extrémistes. À un moment donné, il faut lâcher prise sur des affaires…pis la pêche ça, ça m’aide c’est certain ».

En théorie, la consommation de poisson issu de la pêche récréative pourrait constituer un apport nutritif supplémentaire intéressant puisque le recours habituel à des banques alimentaires s’avère insuffisant pour rencontrer les recommandations du Guide alimentaire canadien6,7. En ce sens, la possibilité de manger le poisson pêché pourrait donc avoir un impact physique positif. Tel n’est pas le cas cependant, puisque la majorité des participants n’ont récolté que très peu de prises et ne vont que rarement pêcher, cette activité ne faisant pas partie de leur espace culturel. Le manque de familiarité avec cet aliment, peut, dans les conditions actuelles, contribuer à une relative sécurité alimentaire. Ceci dit, les intervenants rapportent que l’activité allège les tensions familiales et prévient des comportements violents, ce qui constitue en soi un impact physique non négligeable. Un intervenant s’exprime ainsi : « Si les familles vont pêcher, tout le monde est fatigué, knock-out après. Y’a pas de baffes ce soir-là….. c’est les vacances ».

Discussion

Cette étude a permis d’explorer la plausibilité de l’existence d’une pêche de subsistance au sein de la population défavorisée de Montréal ainsi que l’importance du risque associé à l’exposition de cette population aux contaminants présents dans le poisson. Les données de l’enquête quantitative ont d’abord permis de constater que la pêche au fleuve est peu populaire et que la consommation de poisson l’est encore moins. Les données obtenues à partir des groupes de discussion et les entrevues auprès des intervenants sociaux ont confirmé les importantes limitations que représente la pratique régulière de la pêche et la consommation de poisson chez la population à l’étude. Dans un tel contexte, l’utilisation du terme « pêche de subsistance » pour les populations défavorisées en milieu urbain s’avère inadéquate. Par le fait même, le risque d’exposition à une contamination chimique associée à la consommation de poisson pour cette population est probablement très faible.

La seconde question découle de la mise en place de sorties de pêche organisées expressément pour la population ciblée et de l’évaluation de ses impacts sociosanitaires. On constate que la pêche procure des impacts positifs indéniables pour la santé des familles en difficulté, ceux-ci étant davantage de nature psychosociale que physique. La pratique de la pêche semble s’avérer un facteur majeur de changement puisque contrairement au suivi social dont ils font régulièrement l’objet, le fait d’organiser une sortie de pêche pour les familles ou les enfants défavorisés leur donne l’occasion de participer à une activité « normalisante ». Cette activité se pratique à l’extérieur des lieux habituellement associés aux difficultés familiales, à la violence et à des problèmes de tous ordres. Les familles sont ainsi dissociées, du moins pour un moment, de ce qui les ramène constamment à leur statut précaire et à leur isolement. De plus, la pêche est une activité « normalisante » dans la mesure où il s’agit d’une activité accessible, que tous peuvent en principe pratiquer. Enfin, ces activités sont également « normalisantes » car elles sortent du cadre des activités traditionnelles tout en ayant un effet « thérapeutique » (ou bénéfique) pour les familles. En fait, elles permettent d’évacuer les aspects cliniques du travail social. Bien que la pêche devrait être encouragée auprès de cette population, il faut des moyens particuliers pour la stimuler, notamment la présence d’intervenants permettant de faciliter la participation et d’assurer la bonification des impacts positifs de la pêche.

Bibliographie

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  8. Environmental Protection Agency 1991 Human Health Evaluation Manual. Washington (DC): Office of Solid Waste and Emergency Response, US Environmental Protection Agency.

Notes

a Définie comme l’accessibilité suffisante aux aliments pour permettre à l’individu d’être actif et en santé sans avoir recours à des stratégies palliatives pour s’en sortir (banque alimentaire, vol, etc.)3

b Le quartier Hochelaga-Maisonneuve est l’un des plus pauvres de Montréal où l’on retrouve une forte prévalence de toxicomanies5et de prostitution.

c Le total des réponses aux questions de justification («Pourquoi? ») excède parfois 100%, car certains répondants ont mentionné plus d’une raison.