7 mai 2015

Évaluation des données canadiennes de biosurveillance selon une approche basée sur les risques

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Michelle Gagné
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Mise en contexte

Santé Canada étudie l’exposition de la population aux contaminants environnementaux dans le cadre de son Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS). Des données concernant les concentrations de centaines de substances chimiques (ou de leurs métabolites) dans le sang et l’urine de milliers de participants canadiens y sont colligées. Si l’exposition environnementale est une préoccupation grandissante pour la population et les autorités de santé publique, l’interprétation des résultats de biosurveillance demeure un défi. En effet, les données toxicologiques et épidémiologiques sont, pour la majorité des contaminants mesurés chez l’humain, insuffisantes et il reste difficile de déterminer les concentrations au-delà desquelles des expositions chroniques sont susceptibles d’engendrer des effets sur la santé. À l’échelle populationnelle, il existe toutefois des outils qui permettent d’interpréter les données d’enquêtes comme celles de l’ECMS, notamment dans une perspective de priorisation des enjeux sanitaires et des orientations de gestion de risque. C’est donc avec l’objectif de faciliter la détermination des priorités de recherche et de surveillance en santé environnementale au Canada que St-Amand et al. (2014) ont analysé les données associées à l’exposition de la population canadienne aux contaminants de source environnementale issues de l’ECMS.

Méthodologie

Les statistiques descriptives des données de biosurveillance (moyennes géométriques et centiles correspondant aux années 2007 à 2011) d’une vingtaine de contaminants ont d’abord été extraites des bases de données de l’ECMS. La sélection des substances a été réalisée en fonction de la disponibilité de deux types de valeurs d’interprétation basées sur les risques à la santé, soit : les équivalents de biosurveillance (Biomonitoring Equivalent ou BE) et les doses de risque spécifiques (risk-specific dose ou BERSD). Les BE découlent d’extrapolations toxicocinétiques et expriment la concentration d’un biomarqueur (la substance mère ou un de ses métabolites) dans une matrice biologique qui correspond à une valeur toxicologique de référence (VTR : p. ex., dose journalière admissible, dose de référence, etc.). Quant aux BERSD, ils permettent l’interprétation des données de biosurveillance pour les substances cancérogènes et correspondent à des niveaux de risque communément jugés acceptables par les instances sanitaires (p. ex., 10-4 ou 10-6). Ces valeurs d’interprétation sous-tendent la prémisse que la population est exposée de manière continue aux doses concernées. St-Amand et al. (2014) ont ainsi pu estimer des indices de risque (IR), soit le ratio entre la concentration des biomarqueurs et la valeur de BE de substances non cancérogènes. Ces IR ont été calculés pour la moyenne géométrique et le 95e centile de la distribution afin d’estimer la proportion de la population dont l’exposition égale ou dépasse la VTR. Cette comparaison a été réalisée pour des contaminants à courte demi-vie biologique (arsenic, phtalates, phénols environnementaux et certains pesticides) et des contaminants persistants (cadmium, DDT, hexachlorobenzène [HCB], PBDE, BPC, dioxines et hexabromocyclododécane [HBCD]). Enfin, les auteurs ont évalué les niveaux de risques associés aux données de biosurveillance populationnelles pour trois contaminants cancérogènes, soit l’arsenic, le DDT et l’HCB.

Le risque cancérogène est défini ici comme étant le nombre de cas de cancer qui s’ajouterait au nombre normalement attendu dans une population si tous les individus qui la composent étaient exposés toute leur vie à la substance d’intérêt. En d’autres mots, un risque de 10-4 correspond à un cas supplémentaire sur une population de 10 000 individus (1 cas/104).

Résultats et discussion

Sur la base des effets non cancérogènes, aucune des moyennes géométriques des concentrations de biomarqueurs ne génère un IR supérieur au seuil unitaire. De fait, seuls les IR calculés avec le 95e centile du cadmium et de l’arsenic dépassent la valeur de 1. Ceci suggère qu’une faible portion de la population canadienne serait exposée à des concentrations d’arsenic et de cadmium qui excèdent leurs valeurs toxicologiques de référence. En ce qui a trait aux contaminants cancérogènes, St-Amand et al. (2014) évaluent que le risque associé à l’exposition de l’ensemble de la population au DDT et à l’HCB est inférieur au seuil de 10-4. Par contre, la moyenne géométrique des concentrations d’arsenic mesurées dans la population correspond à un risque plus grand que 10-4. Ainsi, tant sur la base des effets cancérogènes que non cancérogènes, les résultats de l’étude suggèrent que, pour une partie de la population canadienne, l’exposition à l’arsenic dépasse les niveaux jugés sécuritaires. Il importe toutefois de faire preuve de prudence dans l’interprétation de ces données puisque l’usage de la somme des métabolites de l’arsenic comme biomarqueur d’exposition, tel que préconisé par les auteurs de cette étude, tend à surestimer l’exposition. Ainsi, St-Amand et al. (2014) soulignent l’importance de réaliser des analyses plus précises afin de déterminer dans quelle mesure leurs résultats révèlent de réelles problématiques de santé publique.

Conclusion

Selon les auteurs de l’étude, la majorité des Canadiens seraient exposés à des concentrations de contaminants environnementaux inférieures aux limites d’exposition. En ce sens, leur conclusion est semblable à celle émise par Aylward et al. (2013) lors d’un exercice similaire d’interprétation réalisé avec des données de biosurveillance recueillies aux États-Unis. Toutefois, ces deux publications considèrent les contaminants de manière isolée et ne permettent pas d’évaluer l’effet qu’une exposition concomitante à plusieurs substances chimiques pourrait avoir sur une population.

Références

  1. Aylward, LL., Kirman, CR., Schoeny, R., Portier, CJ., Hays, SM. (2013). Evaluation of biomonitoring data from the CDC National Exposure Report in a risk assessment context : perspectives across chemicals. Environ Health Perspect. 121(3) : 287-94. 
  2. St-Amand, A., Werry, K., Aylward, LL., Hays, SM., Nong, A. (2014). Screening of population level biomonitoring data from the Canadian Health Measures Survey in a risk-based context. Toxicology Letters 231, p. 126–134.