14 février 2018

Étude de cas de personnes se disant atteintes d’hypersensibilité aux champs électromagnétiques

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Mathieu Gauthier
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Institut national de santé publique du Québec
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Verrender, A., et al. (2017). IEI-EMF provocation case studies : A novel approach to testing sensitive individuals. Bioelectromagnetics, 39, 132-143.

Mise en contexte

Verrender et al. (1) ont publié les premiers résultats d’une nouvelle approche, soit l’utilisation d’un devis de type étude de cas, pour l’étude du lien entre l’exposition aux champs électromagnétiques (CEM) et les symptômes des personnes se disant atteintes d’hypersensibilité aux champs électromagnétiques.

L’hypersensibilité aux CEM fait référence au fait qu’une partie de la population aux prises avec des problèmes de santé attribue leurs symptômes aux CEM auxquels elles sont exposées dans leur environnement. Ce phénomène est loin de faire consensus et les données scientifiques actuellement disponibles tendent à démontrer l’absence de lien. En effet, dans un rapport rendu public en 2016 par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), il est précisé que « Les preuves scientifiques, qui sont de plus en plus solides, montrent que l’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques (IEI-CEM) [hypersensibilité] n’est pas associée à l’exposition aux CEM. Il est toutefois important de rappeler que les symptômes décrits par les personnes souffrant d’IEI-CEM demeurent néanmoins bien réels. » (2) L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande d’ailleurs de nommer ce phénomène IEI-CEM. Cette appellation permet d’éviter de donner l’impression qu’une relation causale est établie.

Verrender et al. rappellent que des groupes de pression et certains chercheurs émettent l’hypothèse que les résultats négatifs des études pourraient être dus aux limites méthodologiques de celles-ci. Notamment, plusieurs des études réalisées à propos de cette question de recherche ont évalué si les symptômes rapportés en moyenne par l’ensemble des participants étaient associés à l’exposition aux CEM. Ces études n’étaient donc pas en mesure d’évaluer cette question sur une base individuelle. C’est ce que tente l’étude de Verrender et al.Méthodologie

Pour effectuer cette revue, les auteurs ont d’abord entrepris des recherches dans six bases de données bibliographiques (MEDLINE, Cochrane Database of Systematic Reviews, Embase, PsychINFO, CINAHL et HTA) à l’aide de mots clefs (langage naturel et MESH) élaborés avec l’appui d’un spécialiste en recherche documentaire. Pour être considérés, les articles scientifiques devaient être publiés avant le mois d’octobre 2017, être rédigés en anglais ou en français et contenir des données originales. Une analyse rigoureuse des résumés, puis des textes intégraux a été effectuée en parallèle par deux personnes. Les études retenues devaient traiter de cas humains, être fondées sur des devis de type in vivo ou in vitro et rapporter des données quantitatives originales. Trois types de résultats ont été retenus dans la foulée de la réalisation de cette revue : I) la présence de cannabinoïdes (et de métabolites) dans les fluides corporels; II) les effets psychoactifs autodéclarés; ainsi que, III) les effets irritants et les inconforts oculaires.

Présentation de l’étude

Les objectifs de l’étude de Verrender et al. demeurent similaires à ceux des études précédemment menées dans ce domaine de recherche :

  • Déterminer si l’exposition aux CEM augmente les symptômes ressentis par rapport aux expositions factices.
  • Déterminer si les participants sont en mesure de détecter les expositions aux CEM.

Pour participer à l’étude, les volontaires, recrutés au moyen d’annonces Web du centre de recherche et par des publicités dans le journal local et la télévision, devaient s’identifier comme étant hypersensibles aux CEM et rapporter des symptômes aigus dans les 30 minutes suivant une exposition aux CEM. Les participants ne devaient pas souffrir de problèmes médicaux sérieux, de maladies psychologiques ou utiliser des drogues illicites.

L’étude de Verrender et al. propose plusieurs améliorations au protocole de recherche généralement utilisé par les études qui ont tenté de répondre aux mêmes objectifs. Ainsi, la première amélioration de l’approche méthodologique de l’étude est d’avoir été réalisée sous forme d’études de cas (individual case studies). En effet, plutôt que de mesurer la réponse moyenne d’un groupe de participants disant souffrir d’IEI-CEM, l’étude considère la réponse individuelle aux CEM de chaque participant.

Les auteurs considèrent l’historique de symptômes des participants. Les types d’exposition menant à la manifestation de symptômes, le temps de latence entre l’exposition et l’apparition de symptômes et le temps de récupération après une exposition sont validés afin de s’assurer qu’ils tiennent compte du tableau clinique individuel de chacun des participants. Cette validation a été réalisée au moyen d’un essai ouvert (open-label trial) pour lequel les participants savaient s’ils étaient exposés ou non. Après cet essai ouvert, les participants étaient soumis à une série d’expositions réelles et factices avec un devis de recherche à double insu, c’est-à-dire pour lequel, autant le chercheur que le participant ne savaient pas si l’appareil d’exposition était actif ou non. Ce type de devis a l’avantage de limiter les biais qui pourraient être introduits consciemment ou non par les participants ou les chercheurs.

Les chercheurs ont utilisé un appareil d’exposition portatif placé près des participants. Lors des expositions, cet appareil émettait en moyenne 1 Watt de puissance rayonnée entre 902 et 928 MHz. Les signaux étaient similaires à ceux du Wi-Fi ou des technologies de téléphonie cellulaire 3G et 4 G. Cet appareil a permis d’exposer les participants dans leur milieu de vie typique. Les facteurs confondant de l’anxiété générée par l’environnement du laboratoire et de l’exposition aux CEM de l’environnement (lors du déplacement des participants pour se rendre sur le lieu d’étude, par exemple) ont donc pu être minimisés.

Principaux résultats 

Sur les 25 personnes ayant initialement signifié leur intérêt au projet, seulement trois personnes ont participé à l’étude. Verrender et al. attribuent la faible participation à la méfiance des candidats potentiels envers le processus scientifique, aux résultats négatifs des études précédentes et aux efforts de dissuasion de groupes de pression.

Les auteurs rapportent que lors de l’essai ouvert, les trois participants ont rapporté être capables de détecter l’exposition aux CEM, une augmentation des symptômes au cours de l’essai et une diminution des symptômes à la fin de l’exposition.

Pour la partie de l’étude réalisée à double insu, les auteurs ont observé que pour tous les participants, il n’y avait pas de différence entre la sévérité des symptômes rapportés pour les expositions réelles par rapport aux expositions factices. De même, les participants n’ont pas montré de capacité à identifier quand ils sont exposés aux CEM. Verrender et al. concluent que les résultats de leur étude sont en accord avec les résultats de la majorité des études réalisées à ce jour.

Les auteurs de l’étude rapportent également que pour les participants, le fait de croire être exposé aux CEM, que l’appareil d’exposition soit réellement actif ou non, s’est avéré être un bon indicateur pour prédire la sévérité des symptômes qu’ils ressentaient, supportant ainsi l’hypothèse de l’effet nocebo.

Limites de l’étude

Plusieurs éléments limitent l’interprétation des résultats de cette étude, la principale étant le très petit nombre de participants. Associés à ce faible échantillon, le faible taux de participation, le mode et les critères de sélection des participants font qu’il ne peut être considéré comme représentatif de l’ensemble des personnes s’identifiant hypersensibles aux CEM. D’autre part, seul l’effet court terme a été considéré et les effets potentiels à long terme, rapportés par une partie des personnes disant souffrir d’IEI-CEM, n’ont pu être évalués.

Les fréquences et intensités d’exposition soumises lors de l’expérimentation ne sont pas nécessairement représentatives de l’exposition habituelle des participants. Le niveau de stress et d’anxiété lié à la participation à l’étude, bien que minimisé du fait de la réalisation des tests à la demeure, ne peut être totalement exclu. Enfin, étant dans un environnement non contrôlé, il y a présence possible de facteurs confondants non évalués (p. ex. : autres sources extérieures aux CEM, conditions environnementales variables de la résidence, autres événements pouvant survenir en cours d’évaluation) pouvant ainsi interférer avec les résultats observés.

Intérêt pour la santé publique

Bien que les résultats de l’étude soient en accord avec les résultats des études antérieures à propos de cette question de recherche, ils ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des personnes se disant atteintes d’IEI-CEM en raison du petit nombre de participants. Malgré la certitude d’être en mesure de détecter les expositions dans l’essai ouvert, les participants disant souffrir d’IEI-CEM ont été incapables de démontrer une telle capacité dans les essais à double insu. Malgré ces limites, cette approche, basée sur la réponse individuelle aux CEM de chaque participant est intéressante et mériterait d’être appliquée lors d’une étude plus étendue, en incluant notamment un plus large éventail de participants.

Il ressort néanmoins de l’étude que les symptômes rapportés sont bien réels. Les auteurs déplorent l’accent qui continue à être porté sur l’exposition aux CEM, plutôt que sur le développement de traitements et de programmes de support destinés aux personnes disant souffrir d’IEI-CEM.

Références

1. Verrender, A., Loughran, S. P., Anderson, V., Hillert, L., Rubin, G. J., Oftedal, G., et al. (2017). IEI-EMF provocation case studies: A novel approach to testing sensitive individuals. Bioelectromagnetics, 39, 132-143.

2. Gauthier, M., Gauvin, D. (2016). Évaluation des effets sur la santé des champs électromagnétiques dans le domaine des radiofréquences. Institut national de santé publique du Québec. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/publications/2119

Liens d’intérêt

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