Dre Brigitte Pinard, médecin-conseil
Le Comité de rédaction vous propose le portrait d’un acteur du Québec œuvrant dans le domaine de la santé environnementale. L’objectif de ce portrait est de mettre en lumière le travail, mais aussi le parcours, la vision et les accomplissements de professionnels du réseau de la santé environnementale qui rayonnent, aux échelles régionale, provinciale, nationale et internationale. Pour ce numéro, nous vous invitons à découvrir le parcours, les expériences et les réflexions de la Dre Brigitte Pinard, médecin-conseil à la Direction de santé publique du CISSS de l’Outaouais depuis 2013.
La Dre Pinard détient un doctorat en médecine de l’Université d’Ottawa (2005) et une spécialisation en santé publique et médecine préventive de la même université (2012).
Elle occupe depuis 2013 le poste de coordonnatrice médicale de l'équipe de santé environnementale au CISSS de l’Outaouais, en plus d’être chargée d’enseignement clinique à McGill. Elle donne un cours en santé environnementale à l’Unité de médecine familiale de Gatineau et supervise des stages en santé environnementale. Depuis 2017, elle est aussi chercheure associée au CISSS de l’Outaouais.
Brigitte, comment vous décrivez-vous quand il est question de présenter ce que vous faites comme travail ?
Je me présente d’abord comme une médecin-conseil en santé environnementale. J’explique ensuite que la santé environnementale s’occupe de la prévention et du contrôle des risques à la santé associés aux agents biologiques, physiques ou chimiques qui se retrouvent dans l’environnement, ce qui inclut l’air intérieur et extérieur, l’eau et le sol, notamment. Comme médecin-conseil, je ne vois pas de patients sur une base individuelle. Mes patients, ce sont tous les résidents de l’Outaouais, soit près de 400 000 personnes!
Quels sont les projets qui ont monopolisé le plus vos efforts ?
Depuis 2016, l’équipe de santé environnementale a investi beaucoup d’efforts dans le développement de la programmation en adaptation aux changements climatiques. Les efforts déployés en la matière se justifient par le fait que la région de l’Outaouais a vécu plusieurs événements météorologiques extrêmes ayant eu des impacts sur la santé de la population au cours des dernières années. Depuis 2010, nous avons connu 11 vagues de chaleur, dont 2 en 2018, ainsi que plusieurs épisodes de pluie diluvienne, dont l’un, en 2011, qui a laissé entre 150 et 180 mm de pluie dans la région de Gatineau-Ottawa. De plus, des tornades ont frappé le Pontiac et Gatineau, en septembre 2018, avec des répercussions sur la santé de la population et l’accès aux logements abordables dans la région. Plus de 40 municipalités ont été affectées par les inondations en 2017, et nous avons été aux prises avec la même situation en 2019. Les zones inondables présentant une cote de crue de récurrence de 100 ans ont été inondées 2 fois pendant cette période. Bref, un portrait qui incite les autorités sanitaires régionales à passer à l’action.
Nous nous sommes posé la question : « Que peut-on faire pour développer davantage de mesures préventives pour le bénéfice de la santé de la population ? » Lorsque le Programme national de santé publique 2015-2025 a été lancé, nous avons constaté qu’il intégrait l’adaptation aux changements climatiques comme thématique transversale. Nous avons donc décidé de soutenir différentes initiatives d’adaptation au niveau régional.
Par exemple, dans le dossier sur la qualité de l’air intérieur et le confort thermique, nous étions conscients que les changements climatiques allaient faire pression sur le parc immobilier locatif vieillissant, en raison de l’augmentation des canicules et des précipitations intenses. Nous avons donc exploré cette thématique avec nos partenaires. Devant l’intérêt de l’Office municipal d’habitation de l’Outaouais pour améliorer l’adaptation des logements sociaux aux changements climatiques, nous avons soutenu l’élaboration d’un projet pilote dans le contexte de la rénovation de logements, et nous évaluerons l’efficacité des mesures d’adaptation mise de l’avant en collaboration avec plusieurs entités.
Quelles sont les responsabilités de votre équipe lors des sinistres d’origine environnementale?
La Direction de santé publique du CISSS de l’Outaouais est responsable du volet de santé publique de la mission Santé du Plan national de sécurité civile. Nous avons un rôle de vigie des impacts sanitaires des événements météorologiques extrêmes, incluant la communication des risques à la santé auprès de la population. Nous recevons également les signalements de menaces potentielles à la santé et nous menons des enquêtes au besoin, conduisant à la mise en place de mesures de contrôle et de prévention. En d’autres mots, nous appuyons la gestion des risques à la santé avec nos partenaires, comme les représentants de la direction régionale du ministère de la Sécurité civile, du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, du ministère des Transports du Québec, etc.
L’aspect communicationnel de notre mandat implique d’intervenir auprès des médias, et ce, autant auprès des médias traditionnels que des médias sociaux. Il s’agit d’un rôle très important en santé publique, parce qu’il nous permet d’être en lien étroit avec cette dernière. Le médecin qui travaille en clinique parle avec ses patients, ce qui n’est pas le cas en santé publique. Les médias nous offrent l’opportunité d’être en contact avec les collectivités.
Selon vous, quels sont les défis à relever en santé environnementale ?
Nous devons continuer à se préparer à faire face aux sinistres d’origine naturelle et anthropique, tout en travaillant davantage en prévention et en promotion de la santé, incluant l’aménagement du territoire et l’accès à des milieux sains et sécuritaires. Nous devons aussi développer notre expertise en évaluation d’impact sur la santé pour évaluer de façon prospective les projets d’intervention, programmes ou politiques afin d’en augmenter les bénéfices et de diminuer les risques potentiels pour la santé. Il est primordial de continuer de prendre en compte les déterminants sociaux de la santé dans les interventions et d’intégrer les déterminants écologiques de la santé dans la pratique de santé publique.
Depuis 2015, en plus d’assumer le rôle de médecin-conseil, vous êtes coordonnatrice médicale de l’équipe de santé environnementale en Outaouais. Quelles ont été les sources de motivation pour prendre en main la coordination de cette équipe ?
À la demande de la direction, je suis devenue coordonnatrice médicale. Ce rôle implique de prendre en charge la responsabilité médicale de la programmation en santé environnementale, notamment quant à son développement, à la priorisation des dossiers, à l’orientation des interventions de l’équipe en santé environnementale et à l’amélioration de la pratique. L’opportunité de soutenir et d’orienter le travail de cette équipe, très engagée et persévérante, est un privilège. Il s’agit d’une petite équipe, mais les besoins sur le territoire sont grands, tant en protection de la santé qu’en prévention. Notre équipe possède une bonne capacité de travail interdisciplinaire et d’innovation, ce qui est essentiel en santé environnementale, où les dossiers sont souvent de nature complexe et multidisciplinaire. Nous devons mettre toutes nos compétences et connaissances en commun, et travailler avec nos partenaires intra et intersectoriels pour mener les dossiers à terme.
Est-ce que le fait de partager une frontière si proche avec l’Ontario a des effets sur votre pratique ?
Les équipes de maladies infectieuses et de santé environnementale sont en contact fréquent avec Santé publique Ottawa (SPO). Les agents infectieux ou chimiques ne connaissent pas les frontières. Les relations interprovinciales sont généralement gérées par le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais la particularité de la région, alors qu’un pont sépare Gatineau et Ottawa, fait en sorte qu’il doit y avoir une interaction au niveau local. Par exemple, nous sommes en contact avec la SPO pour suivre l’évolution de la population des tiques porteuses de l’agent causant la maladie de Lyme car la région d’Ottawa est maintenant considérée comme une zone endémique.
Quels sont vos projets, vos défis ? Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur ?
Il est bien sûr important de continuer à soutenir des initiatives pour s’adapter aux changements climatiques, mais il faut aussi intégrer la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à nos cibles prioritaires. Quand on regarde globalement les interventions de santé publique, il y a déjà des recommandations qui, sans aborder de front les changements climatiques, concernent cet enjeu. Par exemple, lorsque l’on commente un schéma d’aménagement, on met l’accent sur l’importance des infrastructures de transport actif et collectif pour l’acquisition de saines habitudes de vie. Ces éléments réduisent également les émissions de GES.
L’accès aux aliments de proximité va dans le même sens. Cette thématique permet de travailler sur les deux fronts, soit les saines habitudes de vie et la lutte contre les changements climatiques. Avant de commencer des études en médecine, j’ai terminé un baccalauréat en sciences de l’agriculture à l’Université McGill, et une maîtrise en aménagement et développement rural à l’Université de Guelph. J’ai été coopérante volontaire avec Oxfam de 1996 à 2000, au Salvador. Mes expériences passées teintent l’un des projets pour lequel je m’investis actuellement. Ainsi, en collaboration avec l’équipe en prévention et promotion, on commence à incorporer l’adaptation aux changements climatiques aux politiques publiques, qui visent l’accès à la saine alimentation. Les changements climatiques ont un impact sur l’accès aux denrées alimentaires : une diminution de la production et de l’offre de fruits et légumes causée par un événement climatique extrême aura un impact sur le prix de ceux-ci. Ce faisant, cela réduira l’accès aux fruits et légumes des populations vulnérables.
En plus d’encourager l’achat local et les circuits courts de mise en marché pour favoriser l’accès aux aliments sains, on pourrait soutenir une approche plus globale et structurante, comme ce qu’on appelle les systèmes alimentaires territorialisés, afin de réduire la distance entre la production et l’alimentation, limiter les coûts en énergie et les émissions de GES. Dans cet esprit, on peut favoriser la demande de produits locaux, entre autres auprès des institutions, comme les écoles et les milieux de soins. Par exemple, une façon de procéder serait de rendre disponibles des programmes de distribution de lunchs faits avec des aliments locaux, si possible, subventionnés dans une perspective de sécurité alimentaire, et d’appuyer leur mise en place. À l’heure actuelle, on soutient une initiative de collation dans les écoles pour augmenter la consommation de fruits et légumes, qui va justement en ce sens.
En savoir plus sur la sécurité alimentaire et la nutrition à l’heure des changements climatiques : http://www.fao.org/3/CA1334FR/ca1334fr.pdf