La présence de plomb dans l'environnement résidentiel et son impact sur la plombémie de jeunes enfants à Montréal
Les données présentées dans cet article sont issues de rapports présentement sous presse, l’un présenté à Santé Canada1 et l’autre au MSSS2.
Introduction
La toxicité du plomb est reconnue, même à de très faibles niveaux d’exposition. Les enfants sont particulièrement vulnérables au plomb, notamment quant à ses effets délétères sur le développement du système nerveux central3. Les jeunes enfants s’exposent habituellement de façon plus importante que les adultes au plomb. En effet, le fait de porter leurs mains ou différents objets à leur bouche ainsi que leur proximité aux sources de poussières (par leur petite taille et les déplacements au sol) peuvent favoriser leur exposition par l’ingestion ou l’inhalation de plomb4, 5, 6. De plus, la consommation d’eau par les jeunes enfants (en ml/kg) est importante comparée à celle des adultes7.
Avant 1950, le plomb était couramment utilisé dans la fabrication de différents produits, exposant ainsi la population à diverses sources de plomb. À partir des années 1970, une règlementation plus sévère a contribué à la diminution de la teneur en plomb dans les peintures, les éléments de plomberie et différents produits domestiques. L’interdiction d’ajout de plomb dans l’essence en 1990 a également contribué à la diminution des risques d’exposition à ce métal. Néanmoins, il est encore possible de trouver des sources d’exposition au plomb dans la peinture et les poussières d‘anciennes résidences, surtout celles construites avant 1970. L’eau du robinet peut aussi être contaminée lors de la présence de composantes en plomb de la tuyauterie (entrées de service ou soudures). Enfin, certains produits traditionnels importés par différentes communautés culturelles peuvent ne pas respecter la règlementation canadienne quant à leur teneur en plomb (encens, chandelles, cosmétiques et remèdes traditionnels, verreries, conserves et aliments)8, 9, 10.
Afin de mieux documenter l’importance des sources résidentielles de plomb, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), en collaboration avec Santé Canada et l’École Polytechnique de Montréal, a réalisé une étude visant à évaluer l’importance de la contamination par le plomb de l’eau, des poussières et de la peinture domestiques et leur impact sur la plombémie des jeunes enfants.
Pertinence de l’étude
En 2006, la Direction de santé publique (DSP) de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a effectué une évaluation du risque associé à la présence de plomb dans le système de distribution d’eau potable de maisons d’après-guerre et de petits immeubles construits avant 1970 à Montréal11. Cette évaluation a permis de conclure que les enfants habitant dans les résidences avec une entrée de service en plomb pouvaient avoir une plombémie légèrement plus élevée que la moyenne des enfants québécois, mais inférieure au seuil de déclaration obligatoire au Québec (10 µg/dl). Dans un objectif de réduction de l’exposition au plomb, la DSP a recommandé aux femmes enceintes et aux parents pour leurs enfants de moins de 6 ans d’envisager, soit l’utilisation d’un filtre ou un pichet filtrant certifié, soit de consommer de l’eau embouteillée.
Cependant, aucune évaluation réelle des niveaux de plomb sanguin n’a été effectuée chez les populations particulièrement vulnérables aux effets du plomb, comme les jeunes enfants. Il s’avérait donc justifié de caractériser les niveaux d’exposition au plomb à l’intérieur des résidences anciennes et d’étudier leur impact possible sur la plombémie de jeunes enfants. Le présent article présente les résultats descriptifs de l’étude réalisée récemment à Montréal.
Matériel et méthode
Méthodologie générale
Cette étude fut réalisée de septembre 2009 à mars 2010. Elle a permis d’évaluer les niveaux de plombémie et les facteurs associés chez un groupe d’enfants âgés entre 1 et 5 ans habitant 4 arrondissements sélectionnés de la Ville de Montréal (Verdun, Saint-Laurent, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Villeray-St-Michel-Parc-Extension). Le protocole ainsi que tous les documents ont été révisés et approuvés par le comité d’éthique du Centre Hospitalier Universitaire de Québec (CHUQ) et celui de Santé Canada.
Pour la sélection des participants, un groupe de 3 800 familles ayant au moins un enfant âgé entre 1 à 5 ans fut sélectionné à partir d’un échantillon aléatoire fourni par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ), après autorisation de la Commission d’accès à l’information. Ces familles furent contactées par lettre puis par téléphone. Outre l’âge et le lieu de résidence, les critères d’inclusion suivant ont été considérés : consommation de l’eau du robinet par l’enfant, résidence de type unifamiliale ou en petit appartement (maximum triplex). Les critères d’exclusion suivant furent aussi utilisés : naissance de l’enfant hors du Canada, utilisation d’un système de filtration de l’eau, présence d’une maladie sévère de l’enfant, difficultés à communiquer en français ou anglais ou encore séjour régulier à l’extérieur du domicile.
Une technicienne spécialisée en environnement et une infirmière ont procédé à l’investigation environnementale et santé au domicile des participants. Un questionnaire sur l’environnement résidentiel et un questionnaire sur la santé et la nutrition de l’enfant étaient administrés sur place auprès du tuteur de l’enfant participant.
Protocole d’échantillonnage
Prélèvements sanguins
Un volume de 2 à 4 ml de sang a été prélevé au bras de l’enfant. Les échantillons ont été conservés à 4 °C jusqu’à leur analyse au laboratoire de l’Institut national de santé publique (Laboratoire de toxicologie du Québec). Les analyses ont été effectuées sur le sang total, anti-coagulé et réfrigéré par la méthode ICP/MS (Elan-6000, Perkin Elmer).
Eau du robinet
Cinq échantillons d’un litre d’eau ont été prélevés au robinet de la cuisine dans des contenants pré-acidifiés : un litre d’eau après 5 minutes d’écoulement (5M1L) à un débit usuel de 7 à 12 L/min et 4 litres consécutifs après une stagnation de 30 minutes (30M1L, 30M2L, 30M3L, 30M4L). Les échantillons ont été conservés à 4°C jusqu’à leur analyse au laboratoire (MAXXAM Analytics Inc). Le protocole d’analyse était similaire à celui de la US EPA12 mais avec un temps de digestion de 24 heures. L’analyse a été effectuée par ICP/MS. Les contrôles de qualité ont été effectués par le laboratoire (blancs, matériaux de référence certifiés, blancs fortifiés).
Poussières
Un échantillonnage d’un pied carré a été effectué avec l’aide de lingettes humides (Ghost wipes, Delta Scientific) par une méthode standardisée (ASTM E-1728-03)13. Les zones échantillonnées étaient le centre de l’espace disponible de trois pièces de la maison (chambre de l’enfant, entrée de la résidence et une pièce utilisée fréquemment par l’enfant). Les lingettes ont été placées dans des tubes de plastiques et conservées à 4 °C jusqu’à l’analyse en laboratoire (CTQ) par spectrométrie de masse à plasma d’argon (ICP/MS) (Elan-6000, Perkin Elmer, Massaschusetts, États-Unis).
Peinture
La présence de plomb dans la peinture intérieure a été évaluée avec l’aide d’un appareil à fluorescence à rayons X (XRF) (Niton XLP 300A) selon un protocole adapté de la US HUD14. Deux mesures d’une durée de 30 secondes, ont été effectuées sur la même surface à une distance de quelques centimètres dans 5 pièces de la résidence (chambre de l’enfant, cuisine, salle familiale, corridor et autre pièce fréquemment utilisée par l’enfant). Si la concentration mesurée était égale ou supérieure à 0,5 mg/cm2, une troisième mesure était faite.
Lorsque la peinture était endommagée, des écailles pouvaient être récupérées et analysées en laboratoire (CTQ). Environ 200 mg d’écaille de peinture était nécessaire pour l’analyse du plomb par la méthode ICP/MS (Elan-6000, Perkin Elmer).
Analyses statistiques
Les variables d’exposition environnementale de plomb sont traitées de deux façons distinctes : en continu pour étudier les niveaux moyens (moyenne géométrique) et médians, puis en catégories lors de l’étude de la plombémie. Les niveaux de plomb dans l’eau, la poussière et la peinture ont été comparés selon les années de construction des résidences. Dans le cas de l’eau et de la poussière, les moyennes géométriques ont été comparées en utilisant une analyse de variance (ANOVA). Lorsqu’une différence statistique a été observée, la source des différences entre les moyennes a été évaluée à l’aide du test de Scheffé, de comparaisons multiples. Dans le cas de la variable peinture, les médianes ont été comparées à l’aide du test de Kruskal-Wallis.
La variable plomb sanguin a été traitée en continu. Les moyennes géométriques des niveaux de plomb sanguin de chaque catégorie des variables d’exposition (eau, poussières et peinture) et des variables potentiellement liées à la plombémie ont été comparées en utilisant un test t de Student dans le cas des variables dichotomiques, ou une analyse de variance (ANOVA) pour les variables comptant 3 catégories ou plus. Dans le cas des ANOVA, lorsqu’une différence statistique a été observée, la source des différences entre les moyennes a été évaluée à l’aide du test de Scheffé, de comparaisons multiples. Une analyse multivariée fut par la suite réalisée et est présentée dans les rapports détaillés sur l’étude1,2.
Le programme SAS a été utilisé pour les analyses statistiques. Le niveau de signification statistique a été fixé à 0,05 (test bilatéral).
Résultats
Taux de participation
Sur les 3 800 familles ayant reçu la lettre d’invitation à participer, 54 % (2 043) ont été rejointes par téléphone et 549 familles furent admissibles à l’étude. Parmi celles-ci, 313 familles (57%) acceptèrent de participer. Compte tenu de certains échecs aux prélèvements sanguins ou de l’exclusion pour un voyage récent, un total de 306 familles furent considérées pour les analyses statistiques.
Caractéristiques de la population
La majorité des enfants investigués (68 %) n’appartenait pas à un groupe de minorité visible (défini selon Statistique Canada)15 et parlait français (87 %). Les familles étaient principalement propriétaires de leur habitation (60 %) et possédaient au moins un diplôme universitaire (73 %). Ces familles vivaient principalement dans des duplex, triplex ou petits immeubles à appartements (69 %) construits avant 1975 (93 %).
Concernant la santé et les habitudes de vie des enfants, peu d’entre eux (6 %) avait un problème de santé (principalement des maladies pulmonaires) ou un comportement à risque d’exposition au plomb (5 %). Ce comportement se définissait comme étant l’habitude de gratter, sucer ou mordiller la peinture ou de sucer les soudures de différents objets. Quelques enfants étaient exposés à la fumée secondaire (12 %) à la résidence principale ou dans une autre résidence. Finalement, la majorité des enfants (75 %) fréquentait un service de garde. Par ailleurs, les risques d’exposition professionnelle ou lors de passe-temps étaient peu fréquents (8 % et 10 % respectivement).
Prélèvements environnementaux
La moyenne géométrique (MG) la plus faible de la concentration de plomb dans l’eau a été mesurée dans le 1er litre après 5 minutes d’écoulement et la concentration moyenne (MG) la plus élevée était dans le 1er litre après stagnation (tableau 1). La concentration moyenne (MG) des 5 prélèvements d’eau était de 1,60 µg/l. Seulement cinq résidences excédaient la norme de 10 µg/L après 5 minutes d’écoulement.
TABLEAU 1. Concentration de plomb dans l’eau de la cuisine (µg/l)
Min* |
Médiane |
MG |
Max |
|
Cuisine (n = 306) |
||||
5M1L |
0,04 |
1,24 |
0,89 |
12,30 |
30M1L |
0,08 |
2,33 |
1,91 |
28,98 |
30M2L |
0,07 |
2,24 |
1,66 |
44,51 |
30M3L |
0,05 |
1,99 |
1,55 |
43,85 |
30M4L |
0,05 |
1,90 |
1,53 |
32,69 |
Moyenne des |
0,06 |
2,08 |
1,60 |
27,98 |
* La limite de détection était de 0,01µg/l . 5M1L : Premier litre après 5 minutes d’écoulement.
Après 30 minutes de stagnation (30M). 1L : premier litre; 2L : deuxième litre; 3L : troisième litre; 4L : quatrième litre.
Les résultats des prélèvements de poussières et des écailles de peinture sont présentés au tableau 2. Au total, 13 échantillons de poussières (incluant plancher et fenêtre) ont dépassé la valeur de référence de 40 µg/pi2 pour les planchers et de 250 µg/pi2 pour les rebords de fenêtre. La quantité moyenne (MG) de plomb mesurée dans les poussières de plancher était de 0,85 µg/pi2 et de 7,14 µg/pi2 pour les rebords de fenêtres.
La médiane de la concentration en plomb dans les écailles de peinture était de 1 300 mg/kg (si plus d’une écaille de peinture ont été récoltées par résidence, on ne considère ici que l’écaille présentant la plus forte concentration).
TABLEAU 2. Quantité de plomb présente dans la poussière de plancher et des fenêtres ainsi que les concentrations maximales de plomb dans les écailles de peinture
n |
Min |
Médiane |
MG |
Max |
|
Poussières (µg/pi2) |
|||||
Plancher |
305 |
0,08 |
0,70 |
0,85 |
90,90 |
Peinture (mg/kg) |
|||||
Écailles |
157†† |
5† |
1 300 |
- |
260 000 |
† Valeur < à la limite de détection équivaut à la limite de détection /2 (0,01 µg pour la poussière et de 10 µg/g pour la peinture)
†† Nombre de résidences échantillonnées et la concentration maximale de plomb dans les écailles par résidence
Le tableau 3 présente les quantités de plomb retrouvées dans les échantillons d’eau, de poussières et de peinture selon les années de construction des résidences. Il est observé que la concentration moyenne (MG) de plomb de l’environnement intérieur des résidences récentes (construites après 1974) était significativement inférieure à celle mesurée dans les résidences plus anciennes. En comparant les résidences récentes à celles construites avant 1920, on observe respectivement des concentrations dans l’eau de 0,55 µg/l versus 2,05 µg/l (p<0,005). Également, la quantité de plomb mesurée dans les poussières de plancher des résidences construites après 1974 (0,31 µg/pi2) était significativement inférieure à celle mesurée dans les maisons construites avant 1920 (2,11 µg/pi2, p<0,001). Cette même observation peut être effectuée pour la quantité de plomb mesurée dans les poussières de fenêtre (après 1974 : 1,79 µg/pi2 comparativement à avant 1920 : 12,47 µg/pi2, p<0,005). Aussi, la médiane de la concentration maximale de plomb dans les écailles de peinture des résidences construites avant 1920 (5 200 mg/kg) était significativement supérieure à celle des résidences plus récentes (1920-1949 : 2 000 mg/kg, 1950-1974 : 630 mg/kg et ≥1975 : 5 mg/kg, p<0,05).
TABLEAU 3. Quantités de plomb mesurées dans l’eau, les poussières et concentration maximale de plomb dans les écailles de peinture selon l’année de construction des résidences
Année de |
n |
Min |
Médiane |
MG |
Max |
|
Eau (µg/l) |
||||||
|
< 1920 |
23 |
0,06 |
3,06 |
2,05 |
14,51 |
Poussières (µg/pi2) |
||||||
Plancher |
< 1920 |
23 |
0,08 |
1,90 |
2,11 |
90,90 |
Fenêtre |
< 1920 |
20 |
0,35 |
9,20 |
12,47 |
240,55 |
Peinture (mg/kg) |
||||||
Écailles |
< 1920 |
15 |
5† |
5 200* |
- |
180 000 |
* p < 0,05, selon les tests médians et de Kruskal-Wallis
** p < 0,005
*** p < 0,001
† Inférieure à la limite de détection (LD)=LD/2
Plombémie
Un seul enfant a présenté une plombémie supérieure au seuil de déclaration obligatoire au Québec (≥10 µg/dl). Seulement 6 enfants (2%) présentaient une plombémie égale ou supérieure à 5 µg/l et 54 enfants (17,6%) avaient une plombémie égale ou supérieure à 2 µg/dl. La concentration moyenne (MG) de la plombémie pour l’ensemble des enfants était de 1,35 µg/dl (IC 95 % : 1,27-1,43). Les MG de plombémie selon chacune des variables sont présentées au tableau 4. La plombémie était significativement augmentée chez les enfants de minorité visible (MG de 1,37 µg/dl comparativement à 1,26 µg/dl) et chez les enfants échantillonnés pendant l’automne (MG de 1,43 µg/dl comparativement à 1,20 µg/dl pour l’hiver).
TABLEAU 4. Distribution de la plombémie (µg/dl) selon l’âge, l’appartenance à un groupe de minorité visible, le sexe et la saison lors de la visite
n |
Médiane |
MG |
|
Âge (mois) | |||
12-23 |
50 |
1,27 |
1,32 |
Minorité visible | |||
Non |
207 |
1,26 |
1,27 |
Sexe | |||
Fille |
153 |
1,33 |
1,39 |
Saison lors de la visite à domicile |
|||
Automnea Hiver |
109 |
1,43 |
1,50 |
a Période d’automne : du 10 septembre au 15 décembre 2009; période d’hiver : du 16 décembre 2009 au 27 mars 2010
* p < 0,005
** p < 0,05
Le tableau 5 présente les MG des plombémies pour différents facteurs de risque évalués. Les enfants utilisant un service de garde avaient une plombémie significativement inférieure à ceux gardés à la maison (MG de 1,28 µg/dl comparativement à 1,57 µg).
Les enfants ayant une maladie chronique avaient une plombémie significativement supérieure à ceux ne présentant pas de maladie chronique (MG de 1,79 µg/dl comparativement à 1,33 µg/dl). Par ailleurs, les enfants dont le plus haut diplôme d’étude de la famille était universitaire avaient une plombémie significativement plus faible que ceux des familles moins scolarisées (MG de 1,30 µg/dl comparé à 1,52 µg/dl).
Les participants vivant dans des duplex, triplex ou petits immeubles à appartements avaient une plombémie plus élevée que ceux habitant des maisons unifamiliales. Finalement, aucune différence significative des niveaux moyens de plombémie n’a été observée selon la présence de comportement à risque ou entre les groupes des enfants exposés ou non à la fumée secondaire.
TABLEAU 5. Moyenne géométrique (MG) des plombémies (µg/dl) selon différents facteurs de risque
MG |
|
Fréquentation d’un service de garde | |
Non |
1,57 |
Comportement à risque | |
Absent |
1,32 |
Problème de santé | |
Aucun |
1,33 |
Plus haut diplôme d’études des parents | |
Universitaire |
1,30 |
Exposition à la fumée secondaire | |
Oui |
1,47 |
Type de logement | |
Unifamiliale |
1,23 |
* p < 0,05
Plombémie et variables d’exposition
La moyenne géométrique des plombémies a été calculée pour chacun des terciles des variables d’exposition (tableau 6). Pour toutes les variables d’exposition, la plombémie moyenne du troisième tercile ou catégorie (pour la peinture) était significativement supérieure à celle du premier tercile (catégorie d’exposition la plus faible).
TABLEAU 6. Moyenne géométrique des plombémies pour chacune des variables d’exposition
Variables d’exposition au plomb |
MG de la |
Eau du robinet de cuisine (moyenne des 5 prélèvements) |
|
|
1,20 |
Poussières de plancher (moyenne de 3 prélèvements) |
|
|
1,20 1,38 1,48* |
Poussières de fenêtre | |
|
1,20 1,36 1,51* |
Peinture† | |
|
1,24 1,37 1,63* |
† La concentration de plomb dans les écailles de peinture correspond à la concentration maximale retrouvée à l’intérieur de la résidence.
* p < 0,05
** p < 0,005
Ces relations ont été confirmées par analyses multivariées qui permettaient un ajustement pour les variables associées à la plombémie, soit l’âge, le sexe, l’appartenance à une minorité visible, la saison, le comportement à risque, le plus haut diplôme des parents, la fréquence d’utilisation de l’aspirateur ou de la vadrouille humide, la fréquence de garde, les problèmes de santé, la présence de fumeurs, la consommation d’eau totale par poids corporel et la présence d’animaux de compagnie à la résidence.
Discussion
Les niveaux de plombémie observés chez les enfants résidant dans des quartiers anciens de Montréal sont très faibles : moyenne géométrique de 1,35 µg/dl. Ces niveaux sont comparables à ceux mesurés au cours de l’étude américaine NHANES en 2007-200816, où la concentration moyenne de plomb était de 1,5 µg/dl.
Tout comme pour la plombémie, les niveaux de plomb des diverses sources environnementales analysés étaient généralement faibles. Ainsi, la concentration moyenne à l’eau du robinet était inférieure à 5 µg/l pour tout prélèvement et les niveaux mesurés de plomb dans les poussières de maison étaient majoritairement sous les valeurs guides retenues (90e percentile inférieure à 5 µg/pi2 et 51 µg/pi2 pour la poussière de plancher et de rebord de fenêtre respectivement). Les niveaux de ces derniers étaient comparables aux études récentes américaines5, 17, 18, 19.
Relativement à la présence de plomb dans les peintures, Jacob et al. rapporte que 40 % des résidences évaluées dans leur étude avaient des concentrations de plomb dans les peintures des murs supérieures à 1 mg/cm2 20. Dans notre étude, 31 % des résidences présentaient au moins une structure qui dépassait la valeur guide de 1 mg/cm2. Aux États-Unis, sur les 1 992 écailles de peinture qui ont été récoltées, 11,6 % dépassaient la valeur guide de 5 000 mg/kg21. Pour l’étude à Montréal, ce niveau de dépassement était de 16,1 % pour 336 écailles récoltées dans 157 résidences. La concentration maximale de plomb mesurée dans les écailles de peinture étaient de 260 000 mg/kg rappelant ainsi le potentiel de risque d’intoxication pour les enfants ayant des comportements à risque (comportement main bouche et de type pica). Il faut toutefois souligner que, même en présence d’écailles ayant une concentration de plomb inférieure à 5 000 mg/kg, le risque d’intoxication demeure présent chez les enfants avec un comportement pica. Dans notre étude, une plombémie plus élevée a été observée chez les enfants avec comportements à risque, mais la différence demeurait non significative.
La comparaison de nos résultats avec d’autres études demeure toujours délicate, du fait principalement de la méthodologie différente d’une étude à l’autre. On peut néanmoins souligner que les niveaux de plombémie d’aujourd’hui sont nettement inférieurs à ce qui étaient observés antérieurement. Ainsi, il est rapporté que, dans la dernière étude pancanadienne de 1978-1979, 19 % des enfants âgés entre 3 et 5 ans avaient une plombémie supérieure à 10 µg/dl22 comparativement à 0,3 % dans la présente étude. Aussi, les niveaux de plombémies observés durant la période d’étude (automne-hiver) étaient très faibles et rassurants. Même si on a observé que la contamination de l’environnement résidentiel (eau, poussière, peinture) pouvait avoir un impact sur la plombémie de l’enfant, les mesures de plombémie démontrent que cet impact peut être considéré comme faible.
Certaines forces de cette étude méritent d’être soulignées. Ainsi, notre échantillonnage était constitué d’enfants âgés entre 1 à 5 ans, soit le groupe d’âge plus vulnérable à l’exposition au plomb. De plus, nous avons considéré des enfants particulièrement à risque, soit habitant fréquemment des résidences anciennes et consommant de l’eau de robinet. Nous avons pu évaluer l’importance des diverses sources environnementales de plomb auxquelles l’enfant était exposé à la résidence (eau, poussière, peinture). La sélection des participants s’est faite à partir d’une banque exhaustive des familles du secteur étudié et le taux de participation a été jugé acceptable. Enfin, un contrôle de qualité étroit utilisé tout au long de l’étude a assuré la fiabilité de nos mesures réalisées.
Par contre, certaines limites de l’étude doivent être considérées lors de l’interprétation des résultats. Ainsi, certaines caractéristiques des participants, dont entre autres le niveau de scolarité plus élevé comparativement à la population générale (en comparaison aux données du recensement de 2006), pourraient avoir une influence sur leurs habitudes de vie, leurs sources d’exposition et ainsi sur les niveaux de plombémies observés. Le caractère transversal de l’étude et le fait que l’échantillonnage ait été réalisé de septembre à mars ne permettent pas de bien évaluer l’influence possible des variations selon la saison, notamment le niveau de plombémie durant la période estivale. Des variations saisonnières des sources d’exposition au plomb sont en effet rapportées dans la littérature19, 23. L’échantillonnage environnemental demeurait aussi très ponctuel et aucune évaluation n’a été réalisée durant les mois précédant la prise de plombémie. Finalement, les autres sources possibles de plomb extérieures à la résidence n’ont pas été évaluées.
Conclusion
Notre étude a permis de déterminer les niveaux d’exposition au plomb durant l’automne et l’hiver, de jeunes enfants habitant des arrondissements anciens ciblés. Il a été possible de déterminer que globalement, les niveaux de plombémie sont rassurants et que la contamination environnementale durant ces saisons demeure faible. On peut néanmoins observer que certains facteurs d’exposition influencent légèrement les niveaux de plombémie mesurés chez les enfants. Aussi, les vieilles résidences construites avant 1950 présentent des niveaux significativement plus élevés de plomb (eau, poussières et peinture) comparativement aux résidences construites après 1974. Aussi, lorsque les enfants étaient exposés à des concentrations environnementales plus importantes de plomb (3e tercile d’exposition), la plombémie moyenne augmentait significativement par rapport à celle du groupe avec faible contamination (1er tercile). Compte tenu de certaines limites méthodologiques de l’étude, et du fait que le niveau de plombémie sans effet n’est toujours pas établi, nous ne pouvons tirer de conclusions définitives sur les concentrations acceptables de plomb dans les diverses sources environnementales résidentielles. Nos résultats permettent néanmoins d’apprécier l’importance des sources résidentielles de plomb et pourront orienter les actions préventives à privilégier pour la réduction de l’exposition au plomb.
Remerciements
Nous tenons à remercier les autres membres de l’équipe de recherche qui ont contribué à la réalisation de cette étude, soit Michèle Prévost et Shokoufeh Nour de la Chaire industrielle CRSNG en eau potable de l’École Polytechnique de l’Université de Montréal, France Lemieux et Monique D’Amour respectivement de la Section des produits et du traitement et de la Section de la biosurveillance nationale à Santé à Canada ainsi que Pat Rasmussen de la Division de l’exposition et de la biosurveillance à Santé Canada. Nous voulons aussi souligner la collaboration d’Alain Beaudet, Céline Campagna, Suzanne Gingras, Alain LeBlanc, Gaétan Carrier et Annick Trudelle de l’INSPQ, Élise Deshommes de l’École Polytechnique de Montréal, ainsi que Monique Beausoleil et Julie Brodeur de la Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Nous tenons aussi à remercier l’ensemble des familles qui ont accepté bien volontiers de participer à cette recherche.
Sources de financement
Ce projet a bénéficié du soutien financier des organisations suivantes : Santé Canada (Plan de gestion des produits chimiques), le Réseau Canadien de l’eau (membre des Réseaux d’excellence du Canada) et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.
Références
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- St-Laurent J., Levallois P., Gauvin D., Courteau M., Prévost M., Lemieux F, D'Amour M., Rasmussen P. (2011). Sources résidentielles de plomb et niveaux de plombémie chez de jeunes enfants habitant d'anciens arrondissements de Montréal (sous presse).
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