Remboursement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique au Québec - Utilisation par les Québécois assurés par le régime public d'assurance médicaments et coûts associés : phase II

En septembre 2000, suite à une recommandation du Conseil consultatif de pharmacologie, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) décidait d'inclure trois types d'aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique à la liste des médicaments couverts par le régime général d'assurance médicaments du Québec : le timbre de nicotine, la gomme de nicotine et le bupropion. Cette mesure, dénommée dans certains documents ministériels comme le programme de couverture des aides pharmacologiques (PCAP), s'inscrit dans un ensemble d'actions visant à lutter contre le tabagisme. Elle a pour objectif de soutenir les fumeurs qui désirent renoncer au tabac en réduisant les coûts associés à l'achat d'aides pharmacologiques reconnues pour doubler les taux de succès. En 2004, le MSSS confiait à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le mandat d'évaluer cette nouvelle mesure.

 

Dans un premier temps, les professionnels de l'INSPQ réalisèrent :

  • une recension des écrits sur :
    • l'efficacité des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique;
    • l'efficience du financement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique comparativement à l'efficience du financement de médicaments reliés à diverses problématiques de santé (Leaune et collab., 2006);
  • un premier survol de l'utilisation des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique par les fumeurs québécois et des coûts pour la Régie d'assurance maladie du Québec (RAMQ) (Leaune et collab., 2006).

L'objectif du présent rapport est de dresser un portrait :

  • de l'utilisation des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique par les Québécois assurés par le régime public d'assurance médicaments du Québec (RPAMQ) d'octobre 2000 à décembre 2004;
  • de la connaissance, de l'utilisation et de la perception de l'utilité des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique et de la mesure de remboursement chez les fumeurs et anciens fumeurs récents (moins de deux ans) du Québec en 2006;
  • des pratiques de prescription ou de recommandation des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique par les professionnels de la santé, de leur connaissance et approbation de la mesure de remboursement et des effets perçus de cette mesure sur la pratique médicale en 2005;
  • et des coûts engendrés par le remboursement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique aux Québécois assurés par le RPAMQ entre 2000 et 2004.

L'analyse des données en provenance de cinq sources différentes indique que :

  • Près de 1,8 million d'ordonnances d'aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique ont été remboursées aux personnes assurées par le RPAMQ pour la période 2000-2004, bénéficiant à plus de 300 000 utilisateurs distincts. On observe une baisse importante de plus de 30 % du nombre d'utilisateurs entre 2002 et 2004 : le nombre d'utilisateurs en 2002 était de près de 112 000 en comparaison d'un peu plus de 75 000 en 2004.
  • Environ 40 % des ordonnances d'aides à l'arrêt tabagique émises au Québec ont été remboursées par le régime public. Parmi les fumeurs assurés par le RPAMQ, 14 % auraient été remboursés pour des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique. Cette proportion atteint presque le double chez les prestataires de l'assistance-emploi, soit 27 %.
  • Le timbre de nicotine représente le choix de 80 % des utilisateurs d'aides assurés par le RPAMQ.
  • Environ 30 % des personnes qui ont utilisé le timbre de nicotine en 2004 l'utilisaient pour une deuxième fois depuis l'instauration de la mesure de remboursement, 14 % pour une troisième fois et 4 % pour une quatrième fois. Le nombre moyen de timbres de nicotine achetés par utilisateur pour un essai augmente avec le nombre d'utilisations.
  • La proportion d'utilisateurs de timbres de nicotine ayant franchi un seuil d'utilisation pouvant s'apparenter à l'aboutissement d'un processus d'abandon du tabac (utilisation pendant huit semaines et dernière dose de 7 mg) augmente en fonction du nombre d'utilisations, passant de 26 % à la première utilisation à 42 % à la quatrième utilisation. L'augmentation la plus élevée se retrouve chez les prestataires de l'assistance-emploi, de 29 % à 49 %.
  • Les fumeurs du Québec connaissent très bien les timbres et les gommes de nicotine et un peu moins le bupropion. La majorité des utilisateurs de timbres de nicotine et de bupropion qui ont cessé de fumer au moins temporairement estiment que ces aides ont été très utiles. Peu de fumeurs affirment que c'est en raison du coût trop élevé des médicaments ou faute d'accès à un médecin qu'ils n'ont pas utilisé d'aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique.
  • La majorité des fumeurs et anciens fumeurs récents connaissent l'existence de la mesure de remboursement du timbre de nicotine et du bupropion par les régimes d'assurance médicaments. Cependant, moins de la moitié savent que les gommes de nicotine sont aussi couvertes. Alors que plus des trois quarts des utilisateurs de timbres de nicotine les avaient obtenus suite à une prescription, c'était le cas pour à peine un utilisateur de gomme sur dix. Peu d'utilisateurs mentionnent que le manque d'accès à un médecin les a empêchés d'obtenir une prescription. Entre 62 % et 74 % des utilisateurs d'aides pharmacologiques ayant bénéficié d'un remboursement affirment que cette mesure les a encouragés à essayer ces produits.
  • Pour les professionnels de la santé du Québec, le timbre de nicotine est considéré comme l'aide pharmacologique la plus efficace pour arrêter de fumer. Soixante-dix pour cent des médecins et pharmaciens affirment prescrire ou recommander des timbres ou gommes de nicotine à plus de la moitié de leurs patients qui se préparent à cesser de fumer. Quant au bupropion, il est peu recommandé ou prescrit. La mesure de remboursement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique est très bien connue des médecins et pharmaciens et la majorité des professionnels de la santé sondés en 2005 approuvent cette mesure.
  • Entre 2000 et 2004, le budget consacré au remboursement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique a été de 55 millions $. Le coût moyen par utilisateur se chiffre à 181 $ pour cette période de quatre ans. De 2002 à 2004, le coût annuel pour l'ensemble des utilisateurs a diminué de 4 millions $ passant de 15 millions $ à 11 millions $. Un peu plus de 40 % des coûts ont été consacrés aux prestataires de l'assistance-emploi, qui représentent 30 % des utilisateurs d'aides pharmacologiques assurés par le RPAMQ.

Il n'est pas possible, à partir des données actuellement disponibles, de déterminer le nombre précis de fumeurs québécois ayant réussi à cesser de fumer grâce à la mesure de remboursement des aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique mise en place en octobre 2000. Nous pouvons toutefois affirmer que cette mesure est bien connue du public, qu'elle est appréciée des professionnels de la santé et qu'elle favoriserait l'essai des aides par de nombreux fumeurs. Par ailleurs, les données québécoises indiquent que les prestataires de l'assistance-emploi, plus sujets à rencontrer des barrières économiques à l'utilisation de médicaments pour cesser de fumer, utilisent davantage la mesure de remboursement que les personnes âgées et que les adhérents. De plus, les fumeurs qui réutilisent les timbres lors d'une nouvelle tentative d'abandon du tabac ont tendance à en utiliser pendant plus longtemps qu'à l'essai précédent. Sachant que les produits de remplacement de la nicotine et le bupropion doublent les taux de succès, et qu'il faut plusieurs tentatives pour réussir à cesser de fumer définitivement (Fiore et coll, 2000), il est raisonnable de croire que la mesure de remboursement mise en place au Québec en 2000 soit responsable d'un nombre important d'abandons du tabac.

Dans un contexte de ressources financières limitées, on peut s'interroger sur la pertinence de poursuivre le financement d'aides pharmacologiques à l'arrêt tabagique prétextant qu'il est de la responsabilité des fumeurs de cesser de fumer. Certes, la volonté et la décision de cesser de fumer appartiennent au fumeur et sont des préalables à toute tentative de renoncement au tabac. Par contre, elles sont loin d'être suffisantes. La dépendance engendrée par les produits du tabac nécessite l'ajout d'interventions reconnues efficaces comme le counselling par un professionnel de la santé et l'utilisation d'aides pharmacologiques. Sans ces interventions, les taux d'abandon du tabac à six mois atteignent à peine 10 % (Fiore et collab., 2000). Les conditions actuelles de remboursement des aides à l'arrêt tabagique obligent les fumeurs à consulter un médecin ou un intervenant spécialisé en abandon du tabac1 afin d'obtenir une prescription. Cette modalité fait en sorte que les fumeurs profitent par la même occasion d'une session de counselling en abandon du tabac, une intervention gratuite pour les fumeurs québécois et peu coûteuse pour l'État (Tremblay et Gervais, 2001). Le coût de ces deux interventions combinées se compare aux coûts d'une ligne téléphonique d'information et de référence et au counselling de groupe, par exemple, qui sont des services d'aide à l'arrêt tabagique considérés importants au Québec (Tremblay et Gervais, 2001). Rappelons enfin, que les coûts par année de vie sauvée pour le traitement pour l'abandon du tabac à l'aide de médicaments seraient entre 10 et 12 fois moins élevés que ceux pour le traitement de l'hypercholestérolémie (Leaune et coll, 2006).


1Avec les ordonnances collectives offertes dans certaines régions du Québec, les fumeurs peuvent obtenir une prescription d'un intervenant spécialisé en abandon du tabac dans l'un des centres d'abandon du tabagisme qui offrent cette possibilité.

Auteur(-trice)s
Annie Montreuil
Ph. D., chercheuse établissement, Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-51187-8
ISBN (imprimé)
978-2-550-51188-5
Notice Santécom
Date de publication