1 août 2008

Prévalence et coûts de santé de l’allergie au pollen de l’herbe à poux

Article
Auteur(s)
Isabelle Tardif
M. Sc., agente de planification, de programmation et de recherche, Direction de santé publique de la Montérégie
Elisabeth Masson
B. Sc. Responsable de la coordination professionnelle, Direction de santé publique de la Montérégie

Introduction

Il est de notoriété publique que l’allergie au pollen de l’herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia) représente une problématique de santé affectant un nombre important de Québécois dans presque toutes les régions de la province. Il s’avère donc utile pour l’administration publique de disposer d’estimations globales du coût de cette allergie tant pour les personnes atteintes que pour la société. Une telle information peut notamment servir de levier pour l’action des acteurs du milieu autour d’une problématique impliquant une intervention multisectorielle.

Au Québec, un seul portrait des coûts de santé relativement à l’allergie au pollen de l’herbe à poux avait été réalisé auparavant. Celui-ci avait été produit pour l’année 1992 par la Direction de santé publique de Montréal1 qui estimait alors ces coûts à environ 50 millions de dollars pour le Québec. Toutefois, en raison de la méthodologie utilisée qui ne considérait que certains aspects seulement, plusieurs frais n’avaient pas été évalués, soit ceux associés à l’utilisation de médicaments en vente libre, au traitement par un médecin omnipraticien, etc. De plus, l’étude avait été conduite avant la mise en marché de médicaments en vente libre plus efficaces, mais aussi plus onéreux.

La morbidité imputable à la rhinite allergique, toutes causes confondues, est bien documentée dans l’Enquête sociale et de santé 19982, de même que la prévalence du rhume des foins (pollinose). Il s’agit des plus récentes données en la matière. Toutefois, on ne peut extraire la prévalence de la rhinite allergique spécifiquement attribuable au pollen de l’herbe à poux. Des études de prévalence ont également été réalisées dans quelques régions du Québec. Cependant, bien qu’ils constituent une bonne indication de l’ampleur de la problématique sur le territoire étudié, les résultats obtenus ne peuvent être appliqués à l’ensemble des régions concernées par la problématique de l’herbe à poux. Il s’avérait donc difficile d’extrapoler, à partir des informations disponibles, les coûts de santé de la rhinite allergique liée spécifiquement au pollen de l’herbe à poux, pas plus d’ailleurs qu’aux pollinoses, toutes origines confondues.

La Table québécoise sur l’herbe à poux (www.tqhp.qc.ca) réunit divers partenaires qui proviennent des milieux municipaux, de l’environnement, du transport, de la santé, de l’agriculture, de l’énergie et du communautaire. Les membres de cette table de concertation en sont arrivés à la conclusion qu’une étude était nécessaire afin notamment de déterminer le plus précisément possible les coûts de santé associés à l’allergie au pollen de l’herbe à poux. Une enquête populationnelle permettant d’évaluer la prévalence de la maladie, d’actualiser et de compléter l’information recueillie en 1992, s’avérait le type d’étude le plus approprié.

Objectifs

Cette étude visait principalement à dresser un portrait des coûts de santé occasionnés par l’allergie au pollen de l’herbe à poux chez les Québécois y étant sensibilisés. Il s’agit d’une description simple des coûts réalisée dans une perspective sociétale. Ceci implique que dans la présentation des résultats il n’y ait pas de distinction ou de ventilation des coûts en fonction du type de payeur (individu, Régie de l'assurance maladie du Québec, assureur privé).

Les objectifs spécifiques de l’étude étaient de déterminer, pour l’année 2005 :

  • la prévalence de l’allergie au pollen de l’herbe à poux;
  • les habitudes de consultation et de traitement des personnes atteintes;
  • les coûts associés :
    • à la consultation d’un professionnel de la santé (honoraires, frais de repas, d’hébergement, de garde d’enfants, de salaire perdu et temps alloué pour la consultation);
    • au transport requis pour la consultation d’un professionnel de la santé;
    • au diagnostic de l’allergie au pollen de l’herbe à poux;
    • à l’achat de médicaments;
    • au(x) traitement(s) de désensibilisation;
    • à l’absentéisme et à l’incapacité attribuables aux symptômes;
    • aux complications de l’asthme chez les personnes atteintes;
    • à l’achat ou à la modification d’un appareil destiné à purifier l’air dans les résidences des personnes affectées;
  • l’impact de l’allergie sur la qualité de vie des personnes atteintes.

Méthodologie

Cette étude descriptive transversale a été réalisée au moyen d’une enquête téléphonique, le sondage ayant été effectué par une firme spécialisée dans le domaine.La population à l’étude était constituée de personnes âgées de 5 ans et plus vivant dans un ménage privé et ayant une ligne téléphonique résidentielle (inscrit au bottin téléphonique) de municipalités aux prises avec une problématique d’herbe à poux, soit 813 municipalités dans 12 régions sociosanitaires (voir la carte de la distribution de l’herbe à poux au Québec). Les régions exclues de l’étude étaient celles du Saguenay-Lac-Saint-Jean, d’Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord, du Nord-du-Québec et de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, étant donné que l’herbe à poux en est pratiquement absente.

Carte de la distribution de l’herbe à poux au Québec

L’enquête téléphonique s’est déroulée du 15 septembre au 13 octobre 2005, en anglais et en français. Le questionnaire a été spécialement conçu pour les objectifs de l’étude. Il a été élaboré à l'aide d’études québécoises pour la recherche de cas. Le statut de personne allergique au pollen de l’herbe à poux a été déterminé à l’aide d’indices. Ceux-ci ont été construits à partir de la présence de symptômes typiques depuis le début du mois d’août, de la prise de médicaments, du fait de suivre ou d’avoir subi un traitement de désensibilisation et de la perception du participant de son état de santé.

Échantillonnage

Un échantillonnage aléatoire stratifié des numéros de téléphone des ménages a d’abord été effectué. Cette opération visait à assurer la juste représentation des régions sociosanitaires les plus populeuses. Par la suite, une personne était sélectionnée au hasard dans les ménages choisis pour participer à l’étude. Une personne responsable répondait pour les participants âgés de 17 ans et moins. C’est sur la base de cet échantillonnage que la prévalence de l’allergie au pollen de l’herbe à poux a été déterminée. Dans plusieurs ménages, une recherche de répondants allergiques a été effectuée lorsque la personne sélectionnée au hasard n’était pas allergique à l’herbe à poux. Ce sur-échantillonnage s’est avéré nécessaire afin de réduire les frais d’enquête de la firme de sondage et d’obtenir un échantillon de personnes suffisamment élevé pour déterminer les coûts de santé.

Analyse des données

Les données collectées ont été analysées dans une perspective sociétale. Elles ont été traitées à l’aide de la version 15 du logiciel SPSS. Une pondération a été utilisée afin d’assurer la représentativité de l’échantillon. L’utilisation de scénarios a été requise à plusieurs reprises pour compléter l’information recueillie lors de l’enquête téléphonique. C’est le cas, par exemple, du type d’examen (de routine ou complet) effectué par les médecins consultés, une tarification différente leur étant associée. Les scénarios davantage conservateurs, c’est-à-dire ayant tendance à sous-estimer les coûts, ont été privilégiés à ceux optimistes.

La méthode générale utilisée pour le calcul des coûts associés à l’allergie au pollen de l’herbe à poux consistait d’abord à attribuer une valeur à chaque composante du coût total (consultation, frais de transport, frais d’examens médicaux, utilisation de médicaments, etc.). Par la suite, chaque donnée était multipliée par son occurrence dans la population cible. Cette même occurrence était estimée à l’aide de l’enquête téléphonique, à partir de données pondérées (voir figure 1).

Figure 1. Méthode générale de calcul des coûts à partir des données tirées de l’enquête

Résultats

Cette section expose les résultats de l’enquête : description de l’échantillon, prévalence de l’allergie à l’herbe à poux, impact sur la qualité de vie et coûts de santé associés à l’allergie. Toutes les données de coûts ont été arrondies au dollar près, tandis que les proportions l’ont été au dixième. Les résultats sont présentés pour l’ensemble de la population ciblée (données pondérées). Ils ne sont pas disponibles par région sociosanitaire étant donné la taille minimale d’échantillon requise pour obtenir des estimations valides.

Au total, 2 739 personnes ont accepté de participer à l’enquête et 571 ont été retenues pour les variables de coûts.

Prévalence de l’allergie

La prévalence de l’allergie au pollen de l’herbe à poux est estimée à 17,5 % (IC 95 : 16,0-19,0) au Québec dans les régions où il y a présence connue d’herbe à poux, ce qui correspond à 1 055 390 individus. Les personnes les plus touchées (tableau 1) sont issues des classes d’âge actives de la société (41 % pour 25-44 ans; 23 % pour les 45-59 ans).

Tableau 1. Caractéristiques démographiques des personnes allergiques au pollen de l’herbe à poux (2005)

Symptômes et qualité de vie

Les symptômes d’allergie au pollen de l’herbe à poux sont ressentis sous forme de rhinite et de conjonctivite par 84 % des personnes, alors que 16 % ont une forme ou l’autre de ces symptômes. Les symptômes les plus souvent déclarés par l’ensemble des personnes allergiques sont présentés au tableau 2.

Tableau 2. Symptômes déclarés comme étant ressentis depuis le début du mois d’août par les personnes allergiques au pollen de l’herbe à poux (2005)

Ces symptômes ont un effet notable sur la qualité de vie. En effet, 61 % des personnes allergiques déclarent au moins un effet parmi ceux étudiés, soit la perte de rendement, la perturbation du sommeil, des effets sur l’humeur, des contraintes dans les loisirs et les activités sportives et enfin, une perte de concentration.

Coûts de santé

Le coût total de l’allergie au pollen de l’herbe à poux s’élève à 156,6 millions de dollars pour la société québécoise. Il s’agit d’un coût minimal, car les choix méthodologiques ont privilégié la sous-estimation des coûts.

Les variables ayant engendré les coûts les plus importants sont l’achat ou la modification d’un appareil pour améliorer la qualité de l’air intérieur du domicile, l’achat de médicaments, les coûts associés à l’absentéisme et à l’incapacité et les coûts associés aux consultations d’un professionnel de la santé (voir tableau 3).

Tableau 3. Répartition des coûts de santé publique engendrés par l’allergie au pollen de l’herbe à poux (2005)

Discussion

Les données de prévalence obtenues dans la présente étude sont les plus élevées jamais observées auparavant dans les autres études québécoises. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les plus faibles prévalences proviennent d’études réalisées dans une région où la plante est moins abondante ou à une période de l’année moins propice à la détection de la maladie.

En raison de la méthodologie utilisée, le présent portrait des coûts de santé associés à l’allergie au pollen de l’herbe à poux comporte plusieurs forces. Il est tout d’abord le plus complet réalisé à ce jour pour la population québécoise. Il comprend à la fois de l'information sur la prévalence, sur la qualité de vie et sur les coûts directs et indirects de santé. De plus, la pondération utilisée donne l’assurance de représentativité de l’échantillon et de chaque participant, ce qui permet d’extrapoler à la population cible même à partir d’un nombre plus restreint de réponses pour certaines questions. Le fait que l’enquête ait eu lieu durant la période de pollinisation a par ailleurs permis de réduire l’importance du biais de mémoire. Par contre, la méthodologie utilisée ne permet pas d’attribuer un coût moyen par personne, ni un coût par type de payeur.

Plusieurs éléments à l’étude ont été volontairement sous-estimés dans le but d’arriver à un portrait conservateur. C’est le cas notamment des coûts associés à la consultation d’un professionnel de la santé, des frais de repas et de garde d’enfants, du salaire perdu, du diagnostic, du traitement de désensibilisation, des complications de l’asthme, de l’absentéisme et de l’incapacité au foyer et de l’achat ou de la modification d’un appareil pour purifier l’air. Comme l’évaluation de ces sous-estimations atteint 77,5 millions de dollars, l'estimation des coûts réels pourraient facilement dépasser les 230 millions de dollars.

Conclusion

Ce portrait fait ressortir que l’allergie au pollen de l’herbe à poux représente un fardeau économique important pour la société, et ce, malgré le choix de méthodologies ayant privilégié la sous-estimation des coûts. De plus, la présente étude révèle que le nombre de personnes atteintes est évalué à 1 055 390, soit environ une personne sur six, pour l’ensemble des régions aux prises avec une problématique d’herbe à poux. Compte tenu de l’existence de mesures de contrôle efficaces de l’herbe à poux, il y a lieu de favoriser leur mise en application afin d’alléger les impacts de l’allergie sur la santé et la qualité de vie des personnes atteintes et le fardeau économique qu'elle représente.

À la lumière des résultats de cette étude, la Table québécoise sur l’herbe à poux a décidé de consacrer ses efforts à mettre en place les mécanismes qui conduiront à la réduction de la morbidité associée au pollen de l’herbe à poux. Afin d’agir efficacement sur la problématique de cette allergie, il s’avère essentiel d’obtenir une action concertée de plusieurs acteurs, dont les municipalités concernées, les ministères québécois des Transports, de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, de la Santé et des Services sociaux, certains organismes parapublics, etc. Dans ce contexte, l’information obtenue sur les coûts de la maladie et sur son ampleur dans la population québécoise contribue à favoriser la mobilisation des acteurs pouvant contribuer à diminuer la présence de cette plante.

Références

  1. Jolicoeur, N. et Christin, C. 1994. Estimation des coûts économiques liés aux effets allergènes de l’herbe à poux (pour l’année 1992). Unité de Santé au travail et Santé environnementale, Direction de la santé publique de Montréal-Centre, 77 p.
  2. Institut de la statistique du Québec (ISQ) 2001. Rhume des foins au Québec, tiré de l’Enquête ESQ 98. Données non publiées.

Cet article est une synthèse du rapport de l’étude: Portrait des coûts de santé associés à l’allergie au pollen de l’herbe à poux Année 2005 - www.rrsss16.gouv.qc.ca/santepublique/protection/environnement/Qualiteairexterieur/tqhp/rapport_herbe_a_poux_juin_2008%20.pdf