15 août 2000

Les infections reliées aux piscines : un problème de santé publique

Article
Auteur(s)
Claudine Christin
Direction de la santé publique de Montréal

Note : pour alléger le texte, le mot piscine fera référence à l’ensemble des installations incluant les pataugeoires, bains tourbillons, parcs aquatiques, etc.

Introduction

Vers les années 1880, les piscines, alors appelées bains publics, étaient construites dans une optique d’hygiène. Les usagers s’exposaient tout de même à des agents infectieux par une eau plus ou moins polluée1. Avec la généralisation de la baignoire dans les logements, cette vocation s’est transformée et, de nos jours, la piscine est une installation servant surtout aux loisirs, à la détente et à des fins thérapeutiques. Des bassins d’eau sont également utilisés à des fins d’aménagement, les gens s’y baignant les pieds sans que cela ne soit conçu pour la baignade.

L’exposition de la population à l’eau de baignade

Peu d’informations sont disponibles quant à la fréquence d’utilisation des piscines par la population. Une vérification auprès d’une piscine municipale intérieure, ouverte à l’année, a permis d’estimer le nombre d'entrées à 328 000 par an2. Dans le cas d’un centre sportif universitaire, ce nombre a été évalué à 100 000 par an3. Par ailleurs, les trois piscines extérieures d’un parc montréa­lais, ouvertes uniquement l’été, ont reçu au total 13 000 personnes en 19994. Quant au milieu naturel, trois des quatre plages de l’île de Montréal ont été fréquentées par un total de 73 000 personnes en 1998. Ainsi, considérant le nombre de piscines publiques intérieures (348) et extérieures (394) répertoriées sur l’île de Montréal ainsi que le nombre proportionnellement élevé de personnes les fréquentant, on peut estimer que l’exposition à l’eau de piscine constitue le risque à la santé relié à l’eau de baignade le plus important du territoire montréalais5.

Les infections associées à l’eau de piscine

L’exposition à l’eau des piscines, des pataugeoires et des bains tourbillons est reconnue en tant que source d’infections, dont des gastro-entérites, des folliculites, des otites et diverses infections virales6,7. Certaines infections ne sont pas associées directement à l’immersion dans l’eau, mais à l’environnement immédiat des piscines. Ainsi, des transmissions par inhalation de l’air (Legionnella sp) ainsi que par contact avec le sol (Tinea pedis, Mycobacterium marinatum) ont été docu­mentées6,8,9,10.

Situation au Québec

Le bilan des maladies d’origine hydrique au Québec, de 1989 à 1995, fait état de 10 épidémies associées aux activités de contact avec l’eau11,12. Ce type de bilan ne tient toutefois compte que des épidémies déclarées aux directions de santé publique, ce qui sous-estime la réalité. Trois de ces éclosions étaient reliées à des piscines et trois autres à des bains tourbillons. Parmi les infections rapportées, mentionnons trois folliculites, deux dermatites et une infection des voies respiratoires, une otite et une conjonctivite. L’agent causal n’a été identifié que dans un seul cas (Pseudomonas). Le nombre total de personnes atteintes pour les six événements est d’au moins 54 individus.

Par ailleurs, en 1997, une éclosion de conjonctivite reliée à l’exposition à l’eau d’une piscine privée est survenue à Laval lors d’une réception. Au total, 23 personnes ont souffert de cette infection, sur un total de 43 personnes. Le questionnaire environnemental a révélé que l’eau de la piscine avait été chauffée quelques jours avant l’événement. Durant cette période, aucun ajout de chlore n’avait eu lieu, pas plus que lors de la journée de l’événement. Les propriétaires utilisaient un algicide pensant que ce type de produit était suffisant pour garantir la qualité microbiologique de l’eau13. Cet épisode met en évidence le risque potentiel probablement méconnu de la baignade en piscine privée.

Le nombre d’éclosions associées aux activités de contact avec l’eau représente 12 % du total des éclosions hydriques répertoriées au Québec (8 % reliées à des piscines, bains tourbillons, etc. et 4 % à des eaux récréatives naturelles (lacs, rivières, etc.)) (figure 1).

Situation aux États-Unis

Aux États-Unis, pour la période de 1991 à 1996, le nombre total d’éclosions de nature infectieuse associé aux eaux récréatives est plus important que celui associé à l’eau potable. Toutefois, ces dernières totalisent un plus grand nombre de cas, soit 424 951 individus (dont 400 000 reliés à la seule épidémie de Milwaukee) en comparaison avec 12 639 personnes14,15,16.

Le nombre d’éclosions associé aux activités de contact avec l’eau représente 59 % des éclosions hydriques répertoriées aux États-Unis (31 % reliées à des piscines, bains tourbillons, etc. et 28 % à des eaux récréatives naturelles (lacs, rivières, etc.)) (figure 2). Le tableau 1 présente les pathogènes les plus souvent rapportés dans les rapports des Centers for disease Control and Prevention (CDC), pour les années 1991 à 1996.

Tableau 1 : Maladies, pathogènes et nombre d’éclosions recensés aux États-Unis de 1991 à 1996 associés aux eaux de piscines

Sources : 14, 15, 16.

On remarque une augmentation de la proportion des éclosions causées par des protozoaires, tels Cryptosporidium et Giardia. Pour les années 1995-96 seulement, ces parasites ont causé six des sept épidémies relevées par le Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR). Deux de ces épidémies, causées par du Cryptosporidium, ont affecté à elles seules 8 000 personnes.

Le nombre d’éclosions par type d’équipement démontre que les piscines sont les plus souvent concernées avec 21 des 52 éclosions, soit 40,3 %, suivies des bains chauds avec 20 cas (38,5 %). On retrouve également 5 éclosions reliées à des bains tourbillons (9,6 %), deux reliées à de petites pataugeoires (3,8 %) et une dans chacun des cas suivants : piscine combinée à un bain tourbillon, piscine combinée à un bain chaud, glissade d’eau et piscine à vague pour un total de 7,8 %. Par ailleurs, les éclosions surviennent le plus fréquemment dans les établissements hôteliers (24 éclosions), suivis des parcs aquatiques ou parcs d’amusements (8), des maisons privées (7), des installations municipales (5), des écoles (3), des garderies (2), des appartements (2) et d’un parc de maisons mobiles (1).

Bien que certaines infections telles les dermatites soient rarement graves, certaines autres peuvent entraîner des hospitalisations. Un décès a même été rapporté en Angleterre en 1993, lors d’un épisode d’infection à Escherichia coli 0157 survenu dans une pataugeoire extérieure17.

L’équipement

Les équipements utilisant l’eau pour le loisir ont passablement évolué au cours des dernières années. En effet, d'abord limité aux piscines, le marché offre maintenant divers équipements (spa, bain chaud, bain tourbillon, bain flottant), qui sont vendus au public et qui ont fait leur apparition dans les résidences privées, les écoles, les hôtels, les appartements, les condominiums à logements multiples et dans les clubs de santé. Ils peuvent être situés à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments. Par la suite, d’autres types d’équipements ont vu le jour : glissades d’eau, piscines à vagues, de réception (splash pool), fontaines d’eau destinées aux jeunes enfants et jeux d’eau de toute sorte. D’abord utilisées à l’extérieur, certaines de ces installations sont maintenant couvertes et peuvent être utilisées à l’année.

La désinfection des piscines

La plupart des micro-organismes que l’on peut retrouver dans l’eau des piscines sont sensibles à la désinfection. C'est pourquoi une désinfection bien effectuée, combinée à une politique d’intervention adéquate lors d’accident fécal, diminuera considérablement les risques d’infection. Bien que le désinfectant traditionnel est le chlore, d’autres désinfectants tels le brome, le dioxyde de chlore, l’utilisation conjointe de peroxyde d’hydrogène et d’ultraviolet, les ions métalliques (cuivre et argent), etc. sont maintenant utilisés en Amérique du Nord5,18,19.

L'examen des données disponibles sur l’état de la situation sur le territoire montréalais révèle des conditions souvent inadéquates. En effet, une étude portant sur 44 pataugeoires extérieures, 24 piscines extérieures, une glissade d’eau et un bain tourbillon a fait ressortir que le pourcentage d’installations hors normes relativement à la désinfection au chlore était de 73 %. De plus, il n’existe à notre connaissance aucune politique d’intervention adéquate relative aux accidents fécaux.

Par ailleurs, certains parasites (Cryptosporidium et Giardia) sont très résistants au chlore. Lorsqu’ils sont présents, la désinfection habituelle est inefficace. En effet, l’investigation des six épidémies relevées en 1995-96 par le MMWR a révélé que dans cinq cas, la piscine était désinfectée et filtrée dans les règles de l’art. La résistance d’un organisme exposé à un désinfectant est exprimée par CT, où C représente la concentration de désinfectant en mg/L et T, le temps en minutes d’exposition. À titre d’exemple, Kebabjian20 rapporte que d’après une étude, l’exposition à 80 mg/L de chlore libre à 25oC pendant 90 minutes produit un taux d’inactivation de 99 % des oocystes de Cryptosporidium, correspondant à un CT de 7 200. En pratique, après une contamination fécale, le chlore résiduel doit être augmenté à 20,0 mg/L et le pH ajusté entre 7,2 et 7,5. Ce niveau de chlore doit être maintenu pendant au moins 9 heures (540 minutes), ce qui équivaut à un CT d'environ 10 00020. Ce délai serait nécessaire pour assurer la protection de la santé publique.

Aperçu de la réglementation au Québec

Au Québec, la qualité des eaux récréatives des piscines et pataugeoires est régie par la Loi sur la qualité de l’environnement, dont relève le Règlement sur les pataugeoires et les piscines publiques. Cette réglementation, qui a vu le jour en 1981, ne contient aucune disposition pour les nouvelles installations telles que les bains tourbillons et les parcs aquatiques. De plus, le seul désinfectant mentionné dans le règlement est le chlore. Il ne contient aucune obligation de faire analyser l’eau et aucune formation n’est exigée pour opérer une piscine. Or, ces éléments se retrouvent dans les nouvelles réglementations américaines et européennes, de même que dans l’Ouest canadien. Aussi, malgré le peu d’exigences que contient le règlement québécois, le ministère de l’Environnement du Québec a tout de même la volonté de l’abroger. Récemment, une commission sur la gestion de l’eau au Québec a recommandé au gouvernement de conserver ce règlement et de le moderniser21.

Conclusion

La seule application d’une réglementation ne sera cependant pas suffisante pour protéger la santé publique de façon adéquate. Il faudra mener des activités d’information en ce qui concerne la fréquentation des piscines publiques notamment sur les comportements à adopter afin de prévenir la transmission des infections par l’eau. Par ailleurs, un programme de formation pour les opérateurs de piscines publiques, comme il en existe dans l’Ouest canadien et aux États-Unis devrait être établi. Pour les propriétaires de piscine privée, l’information à transmettre devrait inclure l’utilisation adéquate des produits disponibles et leurs effets réels, de même que les risques à la santé résultant d’un entretien inadéquat.

Références

  1. VILLE DE MONTRÉAL, 1993. Trop d’eau et pourtant pas assez. Montréal-clic (Bulletin du centre d’histoire de Montréal), 12 : 1-2.
  2. LAPIERRE, J. Ville de Dollard-Des-Ormeaux, communication personnelle, juin 2000.
  3. BOUCHARD, J. CEPSUM, communication personnelle, juin 2000.
  4. GIRARD, A. Les piscines de l’île Sainte-Hélène seront fermées pour l’été. La Presse, vendredi 30 juin 2000, A7.
  5. DIRECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE DE MONTRÉAL-CENTRE, 1999. Une gestion de l’eau responsable pour garder notre monde en santé. Direction de la santé publique de Montréal-Centre, Unité de santé au travail et santé environnementale en coll. avec l’unité maladies infectieuses, Montréal. 71p.
  6. DADSWELL, V., 1996. Managing Swimming, Spa, and other Pools to Prevent Infection. Communicable Disease Report, 6 Review (2) :R37-40.
  7. SLAVCEV, A., 1998. Montreal Wading Pools : Compliance with Quebec Regulations and Assessment of Contamination by Indicator Bacteria and Chloramines. Report of a project carried out as a requirement of the M. Sc. (Applied) course in Occupational Health Sciences. McGill University, Montreal. 72 p. et annexes.
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  10. KAMIHAMA, T., T. KIMURA et al., 1997. Tinea pedis outbreak in Swimming Pools in Japan. Public Health, 111 : 249-253.
  11. BOLDUC, D.G. et M. CHAGNON, 1995. Circonstances et causes des épidémies d’origine hydrique survenues au Québec de 1989 à 1993. Comité de Santé environnementale du Québec, Beauport. 23 p.
  12. COMITÉ DE SANTÉ ENVIRONNE­MENTALE DU QUÉBEC ET CONSEIL DES DIRECTEURS DE SANTÉ PUBLI­QUE, 1998. Bilan des éclosions des maladies d’origine hydrique signalées dans les directions régionales de la santé publique du Québec. Comité de santé environnementale du Québec, Beauport, 18 p.
  13. LAPLANTE, L. Direction de la Santé publique de Laval, communication personnelle, juin 2000.
  14. MORBIDITY AND MORTALITY WEEKLY REPORT (MMWR), 1993. Surveillance for Waterborne Disease Outbreaks United States, 1991-1992, 42 (SS-5) : 1-22.
  15. MORBIDITY AND MORTALITY WEEKLY REPORT (MMWR), 1996. Surveillance for Waterborne Disease Out­breaks United States, 1993-1994, 45
    (SS-1) : 1-35.
  16. MORBIDITY AND MORTALITY WEEKLY REPORT (MMWR), 1998. Surveillance for Waterborne Disease Out­breaks United States, 1995-1996, 47
    (SS-5) : p1-19.
  17. HILDEBRAND, J.M., H.C. MAGUIRE et al., 199?. An Outbreak of Escherichia coli 0157 infection Linked to Paddling Pools. Commu­nicable Disease Report. CDR Review, 6 (2) : R33-36.
  18. DINGMAN, J.D., 1990. Public Pool Disinfection ; The Effectiveness of Ultra­violet light/ Hydrogen peroxide. Journal of Environmental Health. 52 (6) :341-343.
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  20. KEBABJIAN, R.S., 1995. Disinfection of Public Pools and Management of Fecal Accidents. Journal of Environmental Health, 58 (1) : 8-12.
  21. BUREAU D’AUDIENCES PUBLI­QUES EN ENVIRONNEMENT, 2000. Rapport de la Commission sur la gestion de l’eau au Québec ; L’eau, ressource à protéger, à partager et à mettre en valeur (Rapport 142). Bureau d’Audiences publiques sur l’environnement, Québec, Tome 1, 377 p.