4 mai 2017

L’exposition professionnelle aux pesticides, à divers biocides et le risque de cancer thyroïdien

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Louis St-Laurent
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Onil Samuel
B. Sc., expert et conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Introduction

Le taux d’incidence du cancer de la thyroïde est celui qui augmente le plus rapidement parmi l’ensemble des principaux cancers, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde. Selon la Société canadienne du cancer (2016), au Canada on a observé une augmentation de 6,3 % par année chez les hommes, entre 2001 et 2010, et de 4,7 % par année chez les femmes, entre 2005 et 2010. Les causes de l'augmentation de l'incidence du cancer de la thyroïde ont fait l'objet de plusieurs débats. Cette augmentation pourrait être attribuable à une surveillance accrue ainsi qu’à l’utilisation de technologies permettant davantage de diagnostics de cancers asymptomatiques de la thyroïde à un stade précoce. Néanmoins, certains auteurs croient que d’autres facteurs pourraient expliquer ces tendances, notamment les expositions environnementales.

Parmi les facteurs de risques environnementaux suspectés, l’exposition aux pesticides pourrait avoir un impact dans le développement du cancer de la thyroïde. Leurs rôles en tant que perturbateur endocrinien et inducteur d’effets ou de cancers thyroïdiens sont en effet bien démontrés chez les animaux de laboratoire lors d’essais standardisés. Cependant, les études chez l’homme n’ont pas montré d’association entre l’exposition aux pesticides et l’apparition de ce type de cancer (Inserm, 2013). Par ailleurs, aucune étude n’a été menée concernant le risque des cancers thyroïdiens et l’exposition aux biocides. La question des risques des cancers thyroïdiens portant sur les facteurs de risques professionnels autres que les radiations demeurent donc entière et pertinente.

Pour combler le manque de connaissances entre les facteurs de risques professionnels pour le cancer de la thyroïde, Zeng et coll. (2017) ont analysé les données d'une étude cas-témoins pour la population du Connecticut en utilisant les estimations de l'exposition aux pesticides et aux biocides à l’aide d’une matrice emploi-exposition développée pour les populations nord-américaines (CANJEM). Comme la population peut être couramment exposée à ces mêmes produits, la question de l’extrapolation des données du milieu de travail à la population générale prend tout son sens dans la réflexion sur ces risques.

Les pesticides sont utilisés pour contrôler les insectes nuisibles, les mauvaises herbes, les maladies fongiques, certaines bactéries, les rongeurs, etc. Ils sont classés selon les divers usages : insecticides, herbicides, rodenticides, fongicides, molluscicides et nématicides. Les biocides sont utilisés pour désinfecter, désodoriser, stériliser et assainir. Ils comprennent les bactéricides, les algicides, les germicides et les agents de préservation. Ils sont utilisés notamment dans la préservation du bois, les produits cosmétiques, les peintures et les revêtements, les désinfectants, les eaux récréatives (spas, piscines), les papiers, les usages hospitaliers et médicaux, etc.

Une matrice emploi-exposition basée sur des données d’experts ayant réalisé différentes études cas-témoins à Montréal depuis les années 1980 sur différente forme de cancers a été utilisée. Les principaux paramètres d'exposition utilisés par Zeng et coll. (2017) sont la probabilité d'exposition et l'intensité pondérée en fonction de la fréquence de l'exposition (IPF). La probabilité d'exposition représente la proportion d'emplois considérés comme exposés dans une cellule matricielle. L’IPF combine les mesures d'intensité (faible, moyenne, élevée) et la fréquence d'exposition (heures par semaine) proposées dans CANJEM, et représentant une exposition moyenne pondérée en fonction du temps.

Chaque emploi a été lié à CANJEM et des valeurs de probabilité d'exposition et d’IPF ont été assignées. Pour dériver une variable d’exposition globale aux pesticides ou aux biocides, un seuil de probabilité ≥ 30 % a été retenu sur l'échelle d'exposition afin de donner plus de poids à la sensibilité de la variable « exposition » plutôt qu’à la spécificité. Les probabilités au-dessus de ce seuil, en considérant une exposition minimale d’un an, indiquaient que le travailleur était exposé et celles en dessous supposaient plutôt que le travailleur était non exposé.

Des modèles de régression logistique ont été utilisés pour estimer les rapports de cote (RC) et les intervalles de confiance (IC) à 95 %. Ceux-ci ont été ajustés en fonction de l'âge, du sexe, de l’origine ethnique, de l'éducation, de l'indice de masse corporelle, des antécédents familiaux de cancer de la thyroïde, du diagnostic précoce de la maladie thyroïdienne bénigne, du tabagisme, de la consommation d'alcool et de l'activité physique. Les variables d'exposition cumulées et moyennes ont été divisées en tertiles (bas, moyen, élevé), basées sur les distributions des témoins, et analysées comme variables catégorielles.

Résultats

Comparativement aux témoins, les cas étaient plus jeunes, de sexe féminin et moins instruits. Les distributions pour les variables de l'obésité, des antécédents familiaux de cancer de la thyroïde et du diagnostic précoce de la maladie thyroïdienne bénigne étaient plus élevées dans les cas comparativement aux témoins. Ceux-ci étaient également moins susceptibles de faire de l’activité physique et de consommer de l'alcool comparativement aux témoins. Parmi les 318 emplois potentiellement exposés à des biocides liés à la matrice CANJEM, les trois plus fréquents étaient : (1) les médecins praticiens; (2) les auxiliaires de soins infirmiers et psychiatriques ainsi que ceux des soins à domicile; et (3) les travailleurs en nettoyage de bâtiments. Pour les 20 emplois considérés comme exposés aux pesticides (1) les agriculteurs, éleveurs et autres gestionnaires agricoles; (2) les travailleurs des services postaux; et (3) les superviseurs de première ligne en aménagement paysager, en entretien des pelouses et de terrains étaient les plus fréquemment exposés.

L'exposition professionnelle aux biocides était significativement associée à un risque accru de cancer de la thyroïde (RC = 1,65; IC: 1,16 à 2,35). Le plus élevé a été observé chez les personnes ayant une forte probabilité cumulée d'exposition (RC = 2,18, IC: 1,28 à 3,73) et une intensité cumulative moyenne d'exposition (RC = 1,99, IC: 1,14 à 2,47). Le risque accru de cancer de la thyroïde était associé à une exposition professionnelle à des biocides autant chez les femmes que chez les hommes (RC = 1,48; IC: 1,00 à 2,19 et RC = 3,11; IC: 1,25 à 7,72, respectivement). En ce qui concerne l'intensité de l'exposition aux biocides, chez les femmes les intensités cumulatives moyennes et élevées de l'exposition ont été associées à un risque accru de cancer de la thyroïde tandis que chez les hommes c’est l'intensité cumulative moyenne seulement.

Concernant l’exposition professionnelle aux pesticides et le risque de cancer de la thyroïde, aucune association significative n'a été observée (RC = 0,95, IC: 0,33 à 2,72). Puisque le nombre de cas exposés aux pesticides était faible (n = 7), il n’y a pas eu d’analyses de probabilité et d’intensité de l'exposition. Aucun risque significativement accru de cancer de la thyroïde n'a été observé tant chez les hommes que les femmes, même si l’incidence était plus élevée chez ces dernières, et aucune association significative n’a été observée en fonction de la taille de la tumeur.

Discussions

Cette étude a montré une association significative entre l’exposition professionnelle aux biocides et un risque accru de cancer de la thyroïde. En raison de l'attention accordée à la réduction des risques de transmission de virus, bactéries et autres pathogènes, il n’est pas étonnant que les emplois les plus susceptibles d'être exposés aux biocides fussent liés au domaine de la santé. Les auteurs signalent que même si les mécanismes sous-jacents qui relient les biocides et le risque de cancer de la thyroïde ne sont pas clairs, plusieurs études expérimentales ont rapporté que ces produits pourraient modifier les hormones thyroïdiennes. Pour certains biocides dont le triclosan largement utilisé dans les produits de nettoyage, de nombreux désinfectants de l'eau potable (chlore, dioxyde de chlore et monochloramine) et le pentachlorophénol, un agent de préservation du bois, certains modèles animaux ont démontré qu’ils pouvaient affecter les taux d’hormones thyroïdiennes. Les études sur l’association entre les hormones thyroïdiennes et le cancer de la thyroïde sont cependant contradictoires.

À l’instar d’autres études, les résultats de Zeng et coll. (2017) ont montré un risque accru, mais non statistiquement significatif de cancer de la thyroïde associé à l'exposition aux pesticides chez les femmes uniquement. Les auteurs notent toutefois que la faible taille de l'échantillon dans cette étude entravait la capacité de détecter l'effet modéré ou faible des pesticides. Il est également possible que les différences d'association entre les hommes et les femmes soient attribuables aux différences dans les pesticides spécifiques auxquels ils sont exposés ou au type de travail effectué. Même si l’étude de Zeng et coll. (2017) n’a pu mettre ces risques en évidence, probablement en raison d’un faible échantillonnage, ceux-ci ne peuvent être exclus chez l’humain notamment en raison des nombreux liens observés dans les études expérimentales tels que rapportés dans l’outil SAgE pesticides.

Comme les personnes atteintes de maladies thyroïdiennes bénignes sont plus susceptibles de faire l’objet d’une surveillance accrue de la thyroïde, ils ont une plus grande probabilité de voir leur cancer de la thyroïde être détecté de façon précoce. Ce phénomène a pu contribuer à la plus grande prévalence des maladies thyroïdiennes bénignes des cas comparativement aux témoins. En ce qui concerne l'évaluation de l'exposition, les auteurs soulignent les limites des matrices emploi-exposition en matière d'hétérogénéité intra-emploi dans l'exposition. En effet, les matrices emploi‑exposition permettent de mieux catégoriser l'exposition lorsque les personnes au sein d'une profession sont toutes non exposées (0 % de probabilité) ou quand ils sont tous exposés (100 % de probabilité). Dans cette étude, il n’est pas impossible que le seuil de 30 % utilisé pour définir les niveaux d’exposition, tout comme l’auto-déclaration des histoires professionnelles, ait amené à des biais de classification de l’exposition. Par ailleurs, les biocides et les pesticides représentent divers groupes de produits chimiques variés que ce soit au niveau de la structure, de la biodisponibilité, des modes d’action ou de la toxicité. Malheureusement, CANJEM ne permet pas les analyses pour des produits spécifiques.

En conclusion, cet article présente une première étude ayant utilisé une matrice emploi-exposition pour évaluer l'association entre l'exposition professionnelle aux biocides et aux pesticides avec le risque de cancer de la thyroïde. Si un risque accru de cancer de la thyroïde en lien avec une exposition professionnelle aux biocides a été statistiquement démontré, aucune preuve d'association significative pour l'usage professionnel des pesticides n’a pu être établie autant chez les femmes que chez les hommes. Pour cette seconde catégorie de produits, des conclusions fermes ne peuvent être élaborées pour deux principales raisons : le faible nombre de cas répertoriés dans la présente étude et les effets thyroïdiens observés pour plusieurs pesticides dans les études expérimentales animales.

Références

  1. CANJEM, occupational exposure information system. http://www.canjem.ca/ (consulté, 17 mars 2017)
  2. Comité consultatif de la Société canadienne du cancer : Statistiques canadiennes sur le cancer 2016. Toronto (Ontario) : Société canadienne du cancer, 2016.
  3. INSERM. Pesticides. Effets sur la sante. Collection expertise collective, Inserm, Paris, 2013.
  4. SAgE pesticides. http://www.sagepesticides.qc.ca/
  5. Zeng F, Lerro C, Lavoué J, Huang H, Siemiatycki J, Zhao N, Ma S, Deziel NC, Friesen MC, Udelsman R, Zhang Y.Occupational exposure to pesticides and other biocides and risk of thyroid cancer. Occup Environ Med. 2017 Feb 15.
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