6 octobre 2001

Insectifuges : efficacité et profil toxicologique

Article
Auteur(s)
Sylvie Lessard
Institut national de santé publique du Québec
Guy Sanfaçon
Ph.D., Ministère de la Santé et des Services sociaux
Marion Schnebelen
Institut national de santé publique du Québec et Ministère de la Santé et des Services sociaux

Il existe sur le marché canadien une multitude de produits insectifuges conçus pour prévenir les piqûres d’insectes chez les humains et les animaux. En vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) autorise l’utilisation de cinq ingrédients actifs pouvant être appliqués chez l’humain. Il s’agit de l’huile de lavande, de l’huile de citronnelle, du di-n-propyl isocinchoméronate, du DEET (N,N-diéthyl-m-toluamide ou N,N-diéthyl-3-méthylbenzamide) et de l’huile de soya. Cependant, les produits insectifuges à base d’huile de soya ne sont plus disponibles sur le marché canadien.

Huile de lavande

Selon Santé Canada, l’insectifuge à base d’huile de lavande serait d’une efficacité réduite contre les moustiques (soit de 30 minutes ou moins)1. En raison de la rareté des informations disponibles sur ce produit, il s’avère difficile d’évaluer son innocuité pour les humains. Aucune information sur les risques potentiels à la santé d’une exposition à ce type d’insectifuge ainsi qu’aucun cas d’intoxication à l’huile de lavande chez les humains n’ont été retrouvés dans la littérature médicale. Toutefois, sur la base du profil toxicologique des huiles essentielles en général, l’huile de lavande pourrait théoriquement provoquer, par contact direct, des irritations cutanées et oculaires2. À la suite d'une ingestion, elle pourrait également occasionner divers symptômes tels que nausées, vomissements, céphalées et étourdissements3. Afin de minimiser les effets adverses potentiels des insectifuges à base d’huile de lavande, il importe donc de respecter les consignes d’utilisation.

Huile de citronnelle

Les informations disponibles concernant les insectifuges homologués à base d’huile de citronnelle font ressortir que ceux-ci ont généralement une efficacité de 11 à 24 heures selon la concentration, avec un maximum de 3 ou 4 heures5. Selon des tests réalisés sur des animaux de laboratoire, cette huile pourrait avoir des effets mutagène et tératogène6. Toutefois, il est difficile d’évaluer si ces résultats s’avèrent transposables à une utilisation quotidienne de ce produit par les humains. Bien qu’elle soit susceptible d’occasionner sensiblement les mêmes symptômes que l’huile de lavande lors d’exposition aiguë7, l’huile de citronnelle s’avère malgré tout pas ou peu toxique8, ce qui semble se confirmer par le très faible nombre de cas d’intoxication retracés dans la littérature médicale. Survenues à la suite d’une ingestion accidentelle, les quelques cas d’intoxication rapportés (n=6) ont impliqué des enfants 9,10, l’un d’eux étant décédé sans que le lien de cause à effet n’ait toutefois été démontré9. En fait, les irritations cutanées sont la principale préoccupation associée à l’utilisation des produits à base d’huile de citronnelle8. De même, ces insectifuges pourraient contribuer à sensibiliser la peau et, conséquemment, occasionner des réactions allergiques chez certaines person­nes1,11. Néanmoins, l’huile de citronnelle ne devrait pas poser de problèmes de santé aux utilisateurs, incluant les enfants et les autres groupes de personnes sensibles, si les consignes d’utilisation du produit sont respectées8.

Di-n-propyl isocinchoméronate

Le Di-n-propyl isocinchoméronate n’est pas homologué au Canada comme ingrédient actif pouvant être utilisé isolément dans un produit insectifuge. En effet, il est toujours combiné à un autre ingrédient, soit le DEET. Or, étant donné que les insectifuges à base de Di-n-propyl isocinchoméronate et de DEET ne semblent pas offrir de protection supplémentaire contre les piqûres de moustiques comparativement aux produits qui ne contiennent que du DEET, leur utilisation pourrait donner lieu à une exposition inutile aux produits chimiques1. Par ailleurs, en raison de la rareté des informations disponibles sur le Di-n-propyl isocinchoméronate, il s’avère très difficile d’évaluer son innocuité pour les humains.

Recommandations du MSSS sur l’utilisation de répulsifs

Utiliser raisonnablement des répulsifs, et seulement pour prévenir plus efficacement les piqûres de moustiques à l’occasion des activités extérieures. Pour réduire au minimum les effets indésirables associés aux répulsifs, voici ce qui est recommandé :

Pour les adultes : Utilisation d’un produit à base de DEET en concentration de 15 à 35 % sur les parties du corps non protégées par des vêtements.

Pour les enfants de 2 à 12 ans : Utilisation modérée (pas plus de 3 applications par jour) d’un produit à base de DEET en concentration de 10% ou moins sur les parties du corps non protégées par des vêtements. Les produits dont la concentration de DEET est de 10% offrent une protection d’environ 2 heures contre les piqûres de moustiques; ceux qui renferment 5 % de DEET offrent une protection d’environ 1 heure.

Pour les enfants de moins de 2 ans : Il n’est pas recommandé d’appliquer des produits à base de DEET chez les enfants de moins de 2 ans. (Il est à noter cependant que l’utilisation de ces produits chez les enfants âgés entre 6 mois et 2 ans est en cours de réévaluation par le MSSS.)*

D’autres produits répulsifs tels que ceux à base d’huile de citronnelle et d’huile de lavande peuvent également être utilisés. Leur efficacité est reconnue, mais ils doivent être appliqués plus souvent.

Conseils généraux

Bien lire les étiquettes. Choisir un produit qui répond à vos besoins. Par exemple, si vous prévoyez être à l'extérieur pour une courte période de temps, choisir un produit à faible concentration de répulsif (protection de plus courte durée) et répéter l'application au besoin.

Ne pas utiliser les répulsifs sur des plaies ou sur une peau irritée ou brûlée par le soleil. Éviter le contact avec les yeux. Si le produit entre en contact avec les yeux, rincer immédiatement avec de l'eau.

Appliquer le produit de façon modérée et seulement sur les surfaces de peau exposées. Les applications en grande quantité ne sont pas nécessaires pour que le produit soit efficace. Ne pas appliquer de produit sous les vêtements. Dès que la protection n'est plus nécessaire, laver la peau traitée au savon et à l'eau.

Éviter de respirer les vapeurs de produits en aérosol. Ne jamais utiliser ces produits à l'intérieur d'une tente. S'en servir seulement dans des endroits bien aérés. Ne pas vaporiser près des aliments.

Pour réduire les possibilités de contact avec les yeux ou la bouche, éviter d'appliquer des répulsifs sur les mains des enfants.

* En effet, selon Santé Canada et la Société canadienne de pédiatrie, s’il y a un risque élevé de complications de piqûres d’insectes, un produit contenant du DEET concentré à 10% ou moins peut être appliqué modérément par un adulte sur la peau de l’enfant non protégée par les vêtements, mais pas plus d’une application par jour.

DEET

À la lumière des informations disponibles, le DEET serait l’ingrédient actif offrant la meilleure protection contre les insectes piqueurs. Des concentrations de 5, 10, 15 et 30 % de DEET protègent pendant 2, 3, 5 et 6,5 heures respectivement1. Le point de saturation maximal du DEET se situerait à une concentration de 40 %, étant donné qu’un insectifuge ayant une concentration supérieure n’est pas pour autant plus efficace5. L’utilisation du DEET n’est cependant pas sans risque. Survenant principalement chez de jeunes enfants12,13, les intoxications chez les humains associées à une exposition au DEET par voie orale ou topique se traduisent par des irritations oculaires ainsi que par des effets dermatologiques (ex. urticaire de contact, érythème, dermatose bulleuse), allergiques (choc anaphylactique), cardiovasculaires (ex. hypotension, bradycardie) et neurotoxiques (ex. migraine, ataxie, irritabilité, confusion, psychose aiguë, tremblements, convulsions, coma)12,14, et peut-être aussi par des effets tératogènes (ex. malformation crânienne, retard mental, mauvaise coordination sensori-motrice)15,16. Des décès (n=6) sont survenus conséquemment à une atteinte neurologique 17-21. Généralement, les intoxications sont occasionnées à la suite d'une exposition aiguë impliquant des doses élevées ou encore à une exposition chronique occasionnant une accumulation de DEET dans la masse corporelle4,22. Toutefois, le nombre de cas d’intoxication chez les humains retracés dans la littérature s’avère relativement faible et ce, malgré la très grande utilisation des produits à base de DEET à travers le monde. C’est pourquoi le DEET est considéré comme étant un insectifuge démontrant un profil avantageux tant du point de vue de son efficacité que de son niveau de risque relativement peu élevé4,12-14,23,24. Par ailleurs, à la lueur des quelques études relatives à la toxicité chronique du DEET, il n’y a aucune évidence des potentiels mutagène25 et cancérigène26 de ce produit. Quant aux effets sur la reproduction27 et au potentiel tératogène15,16,28 du DEET, les études à ce sujet semblent plutôt contradictoires. Quoiqu’il en soit, la prudence recommande d'éviter tout usage abusif de ces produits.

Conclusion

Il est évident que d’autres recherches concernant les insectifuges s’avèrent primordiales pour tenter d’éclaircir plusieurs aspects méconnus, obscurs ou douteux quant à leur profil toxicologique. Selon le peu d’informations disponibles, il appert néanmoins que les utilisateurs, qu’ils soient enfants ou adultes, peuvent présenter des symptômes compatibles à une surexposition à ces produits, et que ces derniers peuvent avoir des conséquences très variables. À la lumière des connaissances actuelles, afin de réduire les risques d’intoxication, l’usage d’insectifuges fortement concentrés doit être évité, de même qu’une application abusive de ces produits et ce, en respectant les conseils propres à une utilisation plus sécuritaire (voir encadré).

Références

  1. Santé Canada, 2001. Conseils de sécurité concernant l’utilisation d’insectifuges personnels. Direction générale de la santé de la population et de la santé publique. 2p. [En ligne] www.hc-sc.gc.ca/hpb/lcdc/publicat/info/repell_f.html
  2. Registry of Toxic Effects of Chemical Substances, 2001. National Institute for Occupational Safety and Health. Cincinnati, Ohio (Delivery Method CD-ROM) Micromedex, Englewood, Colorado (Edition expires July 31, 2001).
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