1 novembre 2008

Exposition aux HAP dans les alumineries - Risques et stratégies de prévention

Article

R. Lapointe, Rio Tinto Alcan

Introduction

Rio Tinto Alcan (RTA), premier producteur mondial d’aluminium avec 4,179 M tonnes en 2007 est issu de la fusion récente de ALCAN / Pechiney/Alusuisse et Rio Tinto (Comalco) et est présent dans 29 pays avec 26 600 employés, RTA exploite 6 mines de bauxite, 10 usines d’alumine et 24 usines d’électrolyse. La présence des HAP dans ces usines est liée principalement à la production de l’aluminium par les procédés Söderberg d’électrolyse à gougeons horizontaux (HSS) et verticaux (VSS). Ces procédés désuets aussi présents en France et au Royaume-Uni avant 1996 et qui existent encore dans 3 usines au Canada ont été les principales causes des émissions de HAP et de l’exposition élevée d’un grand nombre d’employés aux vapeurs et particules de HAP. La production des électrodes de carbone requises pour les usines plus modernes (Précuites) expose à un degré moindre aux HAP un certain nombre d’employés. Par ailleurs, l’entretien et la reconstruction des cuves qui ont terminé leur vie utile (brasquage) exposent aussi les employés qui y sont affectés.

Conditions de travail et développement de la prévention

La prévention en milieu de production d’aluminium s’est développée au fil du temps par l’observation des effets des conditions de travail, l’environnement et les équipements sur la santé des employés. Dans les années 1920 à 1950, les services complets de médecine clinique sont disponibles tant pour la population que pour les travailleurs. Jusqu’en 1939 il n’y avait pas de procédés Söderberg en opération et les cuves étaient de type « Précuites ». Les expositions préoccupantes provenaient de la chaleur et du bain électrolytique qui émet surtout des fluorures et des poussières. Les effets sur la santé des fluorures pouvant être diagnostiqués, ils ont été les premiers à faire l’objet de suivi médical et de surveillance biologique. Les fluorures urinaires ont été abondamment utilisés surtout dans les années 1960 à 1970 et ils ont été abandonnés dans les années 1980.

La mise en service des procédés Söderberg, dont l’anode est cuite dans la cuve au début des années 1940, a conduit à une détérioration de l’environnement de travail. Les fumées émises par la cuisson continue de l’anode remplissent l’ambiance des salles de cuves et l’exposition aux HAP et au dioxyde de soufre (SO2), bien que non analysée, est très importante. Ce n’est cependant qu’au début des années 1970 que la quantification des HAP en milieu de travail s’est développée. Ces conditions de travail ne sont cependant pas demeurées stables puisque des programmes d’amélioration des conditions de travail et du procédé ont débuté dès les premières années d’implantation. Les grands projets d’amélioration visant l’éloignement de l’employé des sources d’émission ont débuté dans les années 1970. L’implantation des équipements mobiles protégeant l’employé lors des opérations a été réalisée au début des années 1980 avec un processus d’amélioration constant (Lavoué et al., 2007). Cela a consisté à modifier les opérations et tâches à risque, à mécaniser et à automatiser les opérations, à augmenter la ventilation générale et de captation et à installer des cabines ventilées et filtrées.

Gestion de la santé des employés

Dans les années 1950 à 1960 la médecine du travail se développe et la gestion de la santé des employés prend forme. Populations à risque, suivis ciblés et activités spécialisées se définissent. Gibbs et Horowitz (1979) débutent la première étude épidémiologique sur la mortalité par cancer du poumon chez les travailleurs. C’est le début d’une grande série d’études qui se poursuivent encore aujourd’hui visant à bien comprendre les effets de l’environnement de travail sur la santé des employés et qui permettront de mettre en place les actions préventives appropriées. C’est aussi à cette période que l’engagement des employés et de leurs représentants est devenu beaucoup plus significatif. Pour éliminer les risques, on met en oeuvre des programmes de surveillance des populations de travailleurs à risque, de dépistage de maladies et traitements (cancer vessie), de renforcement de la protection respiratoire qui devient obligatoire et plus étendue, d’études de l’OHpyr dans les alumineries européennes, de mise en place des premiers programmes et de la politique d’abandon du tabac à l’intérieur des établissements, de politiques et de guides en Santé Sécurité, de système d’audits Santé Sécurité et de promotion générale de la santé.

Stratégies de prévention aujourd’hui

Le principe général retenu est que l’environnement de travail ne doit pas détériorer la santé des employés. Il se développe en trois volets : le contrôle des expositions, l’élimination à la source des risques et la surveillance de la santé des employés exposés.

Le contrôle des expositions

Le contrôle des expositions se réalise par l’amélioration continue de l’organisation du travail et des équipements des opérateurs (microenvironnements), l’évaluation annuelle des risques liés aux tâches (incluant les contractants), l’établissement de cibles annuelles d’échantillonnage pour les groupes similairement exposés (SEG) et de cibles de port adéquat de protection personnelle. En plus d’un plan de réduction du risque, les expositions plus élevées que le « niveau d’action » génèrent des actions préventives telles que campagnes d’échantillonnage, contrôles administratifs et d’ingénierie, protection personnelle et surveillance médicale.

La protection respiratoire est obligatoire dans les secteurs à risque avec une cible de conformité supérieure à 95 %; aires d’entreposage et d’entretien sont disponibles. L’implication des employés et des manufacturiers a permis l’acquisition et le développement d’appareils mieux adaptés. Les expositions multiples, les risques de brûlures et de coupures associés au potentiel d’absorption percutanée des HAP exigent une protection et une hygiène personnelle obligatoire dans les secteurs à risque. Des études sont conduites sur les vêtements de travail qui sont fournis et entretenus, sur l’utilisation de crèmes barrières, de douches avec savons non irritants et sur la mise en place de système d’inspection.

L'élimination à la source des risques

L'élimination à la source des risques liés aux HAP passe d’abord par le remplacement des procédés Söderberg, par l’amélioration continue des systèmes de ventilation et des méthodes de travail, par l’automatisation des procédés et des contrôles opérationnels, par la substitution des matières premières, par la formation et le maintien des mesures prises.

La surveillance de la santé des employés exposés aux HAP

La surveillance de la santé des employés exposés aux HAP se réalise par la mise en place d’examens médicaux et de questionnaires périodiques pour les travailleurs à risque et les retraités, la prise en charge des employés atteints de maladie en fournissant une aide pour l’obtention de soins et de tests et par l’achat d’équipements aux hôpitaux et par subventions à certaines recherches telles que l’utilisation d’indicateurs biologiques d’exposition.

La gestion de la santé fait appel aux suivis collectifs pour assurer la prévention. Ainsi les nouveaux cas sont comptabilisés, le nombre de travailleurs à risque est rapporté et doit diminuer, les études épidémiologiques sont conduites sur bases régulières pour connaître l’évolution de l’état de santé des employés auparavant exposés.

Débuté dans les années 1980 suite aux études épidémiologiques et soutenu par une politique en 1995, le programme d’abandon du tabagisme a été implanté sous forme de programme incitatif d’abord et est devenu obligatoire après les années 2000. Les services et les produits d’aide sont payés et il n’y a pas de limites sur les reprises d’arrêt.

Les bio-indicateurs

Même s’il n’y a pas d’obligation réglementaire, l’indicateur OHPyr urinaire est largement utilisé en Europe et en Australie pour la surveillance de l’exposition des employés et pour vérifier la performance des contrôles mis en place ce qui permet par une prévention individualisée de minimiser le risque. Son utilisation n’est pas uniformisée en raison des approches différentes retenues par les diverses compagnies en Europe, en Australie et en Amérique. En Amérique, on a choisi d’agir sur les sources en mesurant les expositions et en menant des études épidémiologiques sur les cohortes à risques. Le but étant de s’assurer que les actions prises ont eu l’effet escompté sur la santé des employés.

Il y a de bonnes raisons pour favoriser l’utilisation de bio-indicateurs des HAP. Les métabolites des HAP sont connus, il y a des voies multiples de pénétration, c’est un meilleur intégrateur de la dose absorbée que l’exposition dans l’air. Cependant ils présentent des limites : le 1-OH-PYR n’est pas un métabolite d’un cancérigène présent et le 3-OH-B[a]P qui ne représente qu’un des cancérigènes devrait être corrélé au profil équivalent toxique B[a]P. Tout comme la mesure de l’exposition, ce sont de bons paramètres de l’efficacité des contrôles, ils permettent la surveillance individuelle et augmentent l’efficacité de la communication du risque et de sa prise en charge. D’un point de vue légal, ils démontrent la diligence raisonnable.

Conclusion

Les deux approches de recherches : études épidémiologiques et indicateurs biologiques dans le contexte d’exposition aux HAP ont conduit à une gestion préventive de contrôle des risques par programmes qui a été alignée aux résultats de ces recherches. Elles ont fortement influencé les efforts d’amélioration des conditions de travail et l’observation attentive de l’environnement et de la santé des employés et ont permis la mise en place des programmes préventifs efficaces dans le secteur de production d’aluminium.

La performance des contrôles individuels et collectifs montre que l’utilisation des indicateurs biologiques bien que non uniformisée dans l’industrie est complémentaire à la mesure de l’exposition. La recherche pour quantifier la contribution cutanée à la dose individuelle doit se poursuivre.

Bibliographie

  1. Lavoué, J., Gérin, M., Côté, J., Lapointe, R. (2007). Mortality and cancer experience of Quebec aluminum reduction plant workers. Part I – The reduction plants and coal tar pitch volatile (CTPV) exposure assessment. JOEM. 49, 997-1008.
  2. Gibbs, G.W., Horowitz, I. (1979). Lung cancer mortality in aluminum reduction plant workers. J. Occup. Med. 21, 347– 353.