2 février 2007

Évaluation de l’efficacité de la promotion du dépistage de l’arsenic dans les puits privés de l’Estrie

Article
Auteur(s)
Jolianne Renaud
Direction de santé publique de l’Estrie et Université de Sherbrooke
Fabien Gagnon
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Cécile Michaud
Université de Sherbrooke
Sonia Boivin
Direction de santé publique de l’Estrie

Ce projet a été réalisé grâce à une subvention conjointe du ministère de la Santé et des Services sociaux et de l’Agence de la santé et des services sociaux de l’Estrie dans le cadre du Programme de subventions en santé publique.

Introduction

L’arsenic inorganique (As) est un métalloïde susceptible de se retrouver de façon naturelle dans l’eau. Entre 1983 et 1987, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune a échantillonné plus de 40 000 puits de captage au Québec et procédé à l’analyse de différents paramètres, dont l’As1. Selon les résultats de cette caractérisation, 3,9  % des 2 919 puits échantillonnés en Estrie présentaient une concentration en As supérieure à 10 µg/L, soit la concentration maximale acceptable recommandée au Canada2. Plusieurs études épidémiologiques ont permis d’observer que l’ingestion d’une eau contenant des concentrations relativement élevées en As pouvait induire plusieurs types de cancer, dont celui de la peau, des poumons et de la vessie3. À l’exception des analyses effectuées lors de l’installation d’un nouveau puits, les propriétaires de puits privés ne sont pas assujettis au Règlement sur la qualité de l’eau potable4. Dans ce contexte, il incombe à chaque propriétaire de s’assurer de l’innocuité de son eau de consommation pour ne pas s’exposer à des contaminants, qu’ils soient d’origine naturelle ou anthropique. La réduction de tels risques nécessitera, dans certains cas, l’introduction d’un changement de comportement. Le défi est d’autant plus grand dans ce cas-ci que l’origine du contaminant étant naturelle, elle tend habituellement à augmenter la tolérance face au risque5,6.

Objectifs

L’objectif général de cette étude était d’évaluer deux types de campagne de promotion de dépistage et d’en comparer l’efficacité. La première, soit la campagne régionale médiatique (CRM), était basée sur l’utilisation de canaux médiatiques pour véhiculer l’information. La deuxième, soit la campagne locale intersectorielle (CLI), était orientée vers une mobilisation des partenaires. Les objectifs de l’étude étaient plus précisément 1) d’informer les propriétaires de puits privé de la problématique associée à la présence de l’As dans l’eau des puits, 2) de mesurer leurs connaissances sur l’origine de l’As et de ses effets sur la santé à la suite d’une exposition chronique et 3) d’évaluer leurs comportements en matière de dépistage et, en présence d’un résultat élevé, en matière d’actions entreprises pour réduire leur exposition.

Méthode

L’étude reposait sur un devis pré-post  avec groupe de comparaison. La population à l’étude était constituée de l’ensemble des propriétaires de puits de la région de l’Estrie. Deux échantillons ont été prélevés dans le groupe d’intervention ayant été couvert par la CLI conduite à Danville, où 45 % des 4 400 habitants sont approvisionnés en eau par un puits privé. Deux échantillons ont également été prélevés dans les municipalités de l’Estrie dont moins de 15 % de la population est desservie en eau par un réseau municipal. Ces échantillons ont été prélevés de façon aléatoire, afin de réduire les biais liés à la mortalité, à la maturation et surtout à l’accoutumance au test, de façon indépendante7. La CRM était essentiellement basée sur un communiqué de presse émis en juillet 2005 dans l’ensemble de la région alors que la CLI, qui s’est déroulée à l’hiver 2006, était conçue sur le modèle de planification des programmes d’éducation sanitaire PRECEDE-PROCEED8 (ce modèle de planification repose sur une approche éducationnelle et écologique qui considère les expériences éducatives et les circonstances environnementales, sociales et physiques qui interagissent avec les comportements qui affectent la santé). Cette campagne, menée conjointement par la Direction de la santé publique de l’Estrie et la municipalité de Danville, comprenait 1) l’envoi d’information par la poste à tous les propriétaires de puits, 2) la négociation d’un coût d’analyse avec un laboratoire local et 3) une sensibilisation des intervenants de santé, soit 5 médecins en clinique médicale privée, 15 du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) d’Asbestos et 7 autres intervenants de cet établissement sélectionnés parce qu’ils habitaient ou desservaient la municipalité visée ou encore possédaient eux-mêmes un puits. Les données ont été recueillies par enquête téléphonique en décembre 2005 pour les données pré-CLI et en mai 2006 pour les données post-CLI. Les tests de Khi carré et de Fisher ont été utilisés pour comparer les proportions obtenues avec les variables dépendantes dans les échantillons en pré et en post-CLI alors que des rapports de cote ont été calculés afin d’évaluer les relations entre les différentes variables dépendantes selon le modèle d’intervention en post-CLI.

Résultats

À Danville, 87 propriétaires de puits ont répondu au questionnaire en pré-CLI et 106 en post-CLI alors qu’en Estrie, on en comptait respectivement 156 et 190. Sur l’ensemble des quatre échantillons, le taux de participation a été de 38,1 % en moyenne. En pré-CLI, environ 13 % des propriétaires de puits des deux groupes ont dit avoir reçu de l’information sur la présence d’As dans l’eau des puits à la suite de la CRM. La télédiffusion s’est avérée être le moyen de communication le plus fréquemment mentionné. Alors qu’elle est restée stable pour la région de l’Estrie (à 16 %; p = 0,3622), la proportion de propriétaires se disant informés est passée à 65 % à Danville après la CLI (p < 0,0001). Parmi ces derniers, 68 % se souvenaient avoir reçu le feuillet d’information expédié par la poste tandis que 12 % disaient avoir été avisés par un laboratoire d’analyses environnementales et aucun par un intervenant de santé. Cela ne s’est cependant pas traduit par une amélioration des connaissances dans cette population, que ce soit au sujet des effets cancérigènes de l’As (6 % des répondants en pré contre 10 % en post-CLI; p = 0,3300) ou de l’origine naturelle de ce métalloïde (21 % en pré contre 13 % en post-CLI; p = 0,2966). Malgré tout, la proportion de gens ayant procédé au dépistage de l’As dans leur puits privé est passée de 4 % à 16 % à Danville (p < 0,0001), alors qu’elle est demeurée stable dans l’ensemble de la région (5 % en pré et 6 % en post-CLI; p = 0,2655). La mise en relation des variables dépendantes mesurées en post-CLI révèle que les répondants ayant dépisté sont de 4 à 5 fois plus nombreux à avoir reçu de l’information sur l’As dans les deux groupes, (RC de 4,9; p = 0,0490 à Danville et RC de 4,2; p = 0,0287 en Estrie). Par contre, la décision de dépister n’est pas liée aux connaissances des effets de l’As sur la santé. En effet, malgré le fait que la connaissance de l’effet cancérigène soit plus élevée chez les répondants qui se disent informés que chez les non-informés (RC de 7,0; p = 0,0077 à Danville et RC de 5,9; p = 0,0117 en Estrie), cette connaissance n’influence le dépistage ni à Danville (p = 1,0000), ni en Estrie (p = 0,1240). On a également observé une tendance positive entre le fait d’avoir déjà effectué des analyses microbiologiques dans son puits et le dépistage pour l’As à Danville (RC de 4,0; p = 0,0854) alors qu’en Estrie, le dépistage est associé à la connaissance par le répondant d’une personne de l’entourage qui a procédé au dépistage de l’As dans son puits (RC de 10,6; p = 0,0033).

Discussion

Avec seulement 5 % des propriétaires de puits en Estrie ayant dépisté l’As dans l’eau de leur puits cinq mois après le lancement d’un communiqué de presse sur le sujet, l’efficacité de la CRM se révèle être du même ordre de grandeur que celle obtenue dans la même région par le Programme volontaire d’échantillonnage des puits individuels et des petits réseaux conduit en 2001-2002 par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs pour promouvoir le dépistage de la bactérie Escherichia coli9 à la suite de l’épidémie de Walkerton. Après la CLI, la proportion de propriétaires de puits privé se disant informés de la problématique et ayant procédé au dépistage a augmenté de façon significative à Danville. Même si globalement, il n’y a pas eu d’amélioration des connaissances des effets sur la santé chez les répondants, on ne peut remettre en question l’utilité de l’information diffusée. En effet, la réception d’information sur l’As, toutes sources d’information confondues, a tout de même influencé le niveau de connaissances. De plus, la réception d’information se présente comme une variable déterminante dans le fait de procéder au dépistage, des associations ayant été observées autant à Danville qu’en Estrie, en pré comme en post-CLI; il semble cependant que l’origine et la nature de cette information importent peu. En somme, l’augmentation du taux de dépistage de l’As à Danville semble s’expliquer principalement par une augmentation du nombre de propriétaires de puits rejoints grâce à la diversité des outils de communication et des partenariats mis en oeuvre lors de la CLI. Il a d’ailleurs été démontré dans d’autres contextes que les outils de communication, comme ceux utilisés ici, sont surtout efficaces s’ils servent à appuyer une intervention verbale10. L’absence de contribution apparente des professionnels de la santé dans les résultats obtenus à la suite de la CLI s’explique probablement par la courte période entre les deux collectes de données, intervalle ayant été volontairement choisi pour éviter que l’apparition d’un événement imprévu durant le déroulement de l’étude ne vienne influencer le taux de dépistage11.

Conclusion

Cette étude rappelle la faible efficacité des campagnes médiatiques utilisées comme seul moyen pour rejoindre la population et induire des changements de comportement. Les résultats obtenus démontrent cependant l’efficacité d’une prise en compte de plusieurs facteurs déterminant le comportement (prédisposants, facilitants et de renforcement) face à un problème de santé environnementale dont le contrôle relève de l’individu. Le taux de dépistage atteint (16 %) peut néanmoins être considéré comme sub-optimal dans la perspective d’une réduction de l’exposition moyenne des propriétaires de puits à l’As et des risques de cancer y étant associés. C’est pourquoi il faudrait considérer l’application de mesures de contrôle telle que l’analyse obligatoire de l’eau lors de l’achat d’une maison alimentée par un puits individuel.

Références

  1. Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune (2003-2005). E-sigeom à la carte. Base de données géoscientifiques. Document téléaccessible à l’adresse www.mrn.gouv.qc.ca/mines/geologie/geologie-donnees.jsp. Consulté le 31 mai 2004.
  2. Santé Canada, 2006. L’arsenic. Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada : document technique. Ottawa : Comité fédéral-provincial-territorial sur l’eau potable.
  3. Institut national de santé publique du Québec, 2002. Arsenic, Dans Fiches synthèses sur l’eau potable et la santé humaine. Québec : Groupe scientifique sur l’eau.
  4. Gouvernement du Québec, 2006. Règlement sur la qualité de l’eau potable, L.R.Q., c.Q-2, r.18.1.1.
  5. Goldberg, G., 1992. In the Face of Fear. Occupational Health & Safety, mars/avril 1992 : 34-46.
  6. Canter, L.W., Nelson, D.I. et Everett, J.W., 1992-1993. Public perception of water quality risks influencing factors and enhancement opportunities. J. Environmental systems, 22(2) : 163-187.
  7. Contandriopoulos, A.-P., Champagne, F., Potvin, L., Denis, J.-L. et Boyle, P., 1989. Savoir préparer une recherche. Montréal : Université de Montréal, Groupe de recherche interdisciplinaire en santé.
  8. Green L.W. et Kreuter M.W., 1999. Health Promotion Planning : An Educational and Ecological Approach (3e ed.). Californie: Mayfield Publishing Company.
  9. Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (2004). Bilan de la qualité de l’eau potable au Québec : janvier1995-juin 2002. Québec. Document téléaccessible à l’adresse: www.mddep.gouv.qc.ca/eau/potable/bilan03/index.htm Consulté le 6 septembre 2005
  10. Ruben, B.D. (1984). Communication and Human Behavior. New York : MacMillan; London : Collier MacMillan Publisher.
  11. Campbell, D. T. et Stanley, J. C., 1963. Experimental and quasi-experimental designs for research on teaching. In N. L. Gage (Ed.), Handbook of research on teaching (171-246).